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Décisions

ADLC, 6 novembre 2009, n° 09-DCC-63

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle exclusif de la société ROC-France par la société Eliance

ADLC n° 09-DCC-63

6 novembre 2009

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 21 septembre 2009 et déclaré complet le 12 octobre, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Roc-France par la société Eliance, formalisé par une lettre d'engagement signée le 15 mai 2009; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

La société Eliance est la filiale à 100 % de la société Elior SCA, elle-même détenue en intégralité par la société Holding Bercy Investissement SCA (ci-après "HBI "). Le fond d'investissement Charterhouse/Chequers détient 69,45 % du capital de la holding HBI, le reste étant détenu à hauteur de 24,55 % par la société BIM, elle-même contrôlée par Robert Zolade, et à hauteur de 6 % par d'autres actionnaires. Le groupe Elior est principalement actif dans la restauration collective, la gestion technique et administrative d'ensembles immobiliers (" Facility Management ") et la restauration de concession. Cette dernière activité consiste principalement en la délivrance, dans le cadre de contrats de concession conclus avec des exploitants d'équipements publics de transport (aéroports, autoroutes...) ou de culture et de loisirs (musées, stades...), de prestations de restauration aux usagers de ces équipements publics. La société Eliance, filiale du groupe Elior, exerce ainsi ses activités dans le secteur de la restauration autoroutière; en 2009, Eliance est active sur 70 sous-concessions dans ce secteur.

2. Le chiffre d'affaires total mondial hors taxes réalisé par le groupe HBI en 2008, dernier exercice clos, s'élève à 3,4 milliards d'euro, dont 3,3 milliards dans l'Union européenne et 2 milliards en France.

3. La société Roc-France SAS (ci-après "RF ") est la filiale à 100 % d'Esso SAF (ci-après "Esso "). La société RF a pour principale activité la gestion, pour le compte de sa société mère, de 23 stations-service situées sur autoroutes. Il convient de préciser qu'à l'issue de la présente opération, 39 stations-service supplémentaires, dont Esso est concessionnaire ou sous-concessionnaire sur le réseau autoroutier français, viendront rejoindre le parc de stations géré par la société RF. Une fois l'opération réalisée, la société RF exploitera donc 62 stations- service sur le réseau autoroutier français, qui viendront s'ajouter au réseau de 70 sous- concessions sur lesquelles Eliance était déjà active avant l'opération.

4. Le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé par la cible en 2008, s'élève à 72 millions d'euro, exclusivement en France.

5. La lettre d'engagement du 15 mai 2009 prévoit l'acquisition par Eliance de l'intégralité des titres de la société RF ainsi que l'exploitation, en location-gérance, par cette dernière de 62 stations-service du réseau autoroutier français d'Esso. Au regard du contrat-cadre de location-gérance qui sera conclu entre RF, alors filiale d'Eliance, et Esso, il apparait que la société RF exploitera l'activité de distribution de carburants en qualité de mandataire, au nom et pour le compte direct du pétrolier, ce dernier fixant les prix des différents produits concernés. La société RF opérera en revanche pour son propre compte s'agissant de l'exploitation de l'activité boutique des stations-service, à savoir principalement la vente de produits alimentaires.

6. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de la société RF par Eliance, l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils mentionnés par l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

7. A titre liminaire il convient de rappeler que le réseau autoroutier français comporte des aires de service (distinctes des aires de repos), sur lesquelles sont organisées des activités commerciales destinées aux usagers du réseau. Ces aires de service relèvent de l'emprise du domaine public autoroutier. Leur aménagement et leur gestion sont cependant assurés par l'exploitant de l'autoroute concernée, à savoir l'Etat pour le réseau non concédé, ou les sociétés concessionnaires d'autoroutes pour le réseau concédé. En pratique, ces sociétés concessionnaires d'autoroutes passent ensuite des contrats de sous-concessions avec les exploitants des activités commerciales comme, dans le cas présent, Esso. A leur tour lesdits exploitants peuvent passer des contrats de tiers exploitants, de location-gérance et/ou de mandat avec d'autres sociétés, telle Eliance, pour la gestion sur site.

8. S'agissant de la distribution de carburants, comme précisé ci-avant, le contrat-cadre de location-gérance qui sera conclu entre la société RF et Esso est assorti d'un mandat de commercialisation qui stipule que la société RF commercialisera les carburants au nom et pour le compte d'Esso en contrepartie d'une commission. Au surplus, le contrat établit que la société RF appliquera la tarification décidée par Esso. A la lecture du contrat-cadre de location-gérance, il apparaît donc qu'Esso conservera le contrôle exclusif de la vente de carburants. Par conséquent, la présente opération n'est pas susceptible d'avoir des effets sur le marché de la distribution au détail de carburants en stations-service autoroutières.

9. En revanche, la société RF exploitera pour son propre compte l'activité boutique des stations- service concernées, celle-ci consistant principalement en la vente de produits alimentaires. Ainsi, la présente opération emporte un chevauchement d'activité dans le secteur de la restauration autoroutière.

10. Par ailleurs, les sociétés mères d'Eliance détiennent une participation contrôlante dans la société Autobar, active sur le marché de la mise à disposition de distributeurs automatiques. Ce marché sera par conséquent pris en compte au titre de l'analyse des effets verticaux.

A. LES MARCHÉS DE LA RESTAURATION AUTOROUTI ÈRE

11. Dans sa décision n° IV/M.126 - Accor/Wagons-Lits(1) la Commission européenne indique qu'il convient de distinguer la restauration autoroutière de la restauration classique en raison notamment de la spécificité et du caractère captif de la clientèle autoroutière. Le Conseil de la concurrence a également noté, dans sa décision n° 04-D-63 (2), que les ventes hors carburants réalisées dans les boutiques des stations-service correspondaient "généralement [à] des achats d'impulsion ou de dépannage pour lesquels le client ne fait pas jouer la concurrence; son choix dépendra souvent du choix qu'il aura fait pour l'achat de carburant ". S'agissant de l'offre, la Commission a par ailleurs relevé que le chiffre d'affaires généré par la restauration autoroutière était extrêmement variable selon les jours de l'année. La Commission a, de plus, constaté que les prestations de restauration étaient proposées sur les autoroutes selon des horaires très larges et un encadrement juridique extrêmement contraignant, notamment en raison du cahier des charges imposé par l'autorité publique.

12. Au sein de la restauration autoroutière, la Commission européenne a souligné qu'il convenait de distinguer trois marchés de produits distincts:

- la restauration stricto sensu (comprenant un service à table ou en self-service);

- les prestations de restauration légères (petite restauration et croissanterie);

- les ventes de produits alimentaires (par le biais de boutiques, appareils distributeurs, opérations pique-nique et vente à emporter).

13. Il n'y pas lieu de remettre en cause ces délimitations à l'occasion de l'examen de la présente opération. Au cas d'espèce, l'opération emporte un chevauchement sur les seuls marchés de la restauration légère et de la distribution de produits alimentaires.

B. LES MARCHÉS DE LA MISE À DISPOSITION DE DISTRIBUTEURS AUTOMATIQUES

14. La Commission européenne ainsi que le Conseil de la concurrence (3) ont relevé l'existence d'un marché de la mise à disposition de distributeurs automatiques. Au cas d'espèce, certaines des stations-service concernées par l'opération ont, sur leur site, des distributeurs automatiques contenant des produits alimentaires.

C. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE DES MARCHÉS

15. La Commission européenne retient, s'agissant de la restauration autoroutière, des marchés de dimension nationale. La Commission note en effet que pour des raisons légales et réglementaires, les conditions d'exploitation des activités de restauration autoroutière sont uniformes sur tout le territoire national. Elle relève par ailleurs que la disparité entre les Etats membres s'agissant de l'organisation des réseaux autoroutiers ainsi que des conditions d'exploitation des points de restauration, tend à exclure une éventuelle dimension communautaire.

16. Concernant le marché de la mise à disposition de distributeurs automatiques, la Commission européenne ainsi que le Conseil de la concurrence ont considéré que celui-ci était de dimension nationale.

17. Il n'y pas lieu de remettre en cause ces délimitations à l'occasion de l'examen de la présente opération. Par ailleurs, en l'absence d'atteinte à la concurrence, la question de la délimitation géographique exacte des marchés peut être laissée ouverte.

III. Analyse concurrentielle

A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX SUR LES MARCHES DE LA RESTAURATION AUTOROUTIÊRE

20. L'activité des parties se chevauche uniquement sur les marchés de la restauration légère et de la distribution de produits alimentaires.

1. LE MARCHÉ DE LA RESTAURATION LÉGÈRE SUR AUTOROUTES

21. En ce qui concerne la cible, sur les 62 stations-service objets de l'opération, seules 21 disposent de " corners" destinés à la délivrance de prestations de restauration légère. De plus, il convient de préciser que la société RF exerce actuellement son activité de restauration légère sous l'enseigne "Brioche Dorée ". Cependant, le contrat passé entre le groupe Le Dug propriétaire de l'enseigne Brioche Dorée, et Esso arrivant à échéance le 31 décembre 2009, il est prévu, sous réserve de l'accord des concédants, que les points de restauration légère de la société RF soient exploités soit sous franchise (Paul, Pomme de Pain), soit sous l'enseigne propre d'Eliance (Philéas).

22. L'acquisition de la société RF portera la part d'Eliance sur le marché de la restauration légère sur autoroutes, selon les estimations des parties, à 42 % (4). Cependant, l'addition de parts de marché emportée par l'opération notifiée est faible, la position de la société RF étant estimée à 2,8 % et celle d'Eliance à 39,2 % (4).

23. De plus, le pouvoir de marché de la nouvelle entité doit être apprécié en tenant compte du contexte particulier dans lequel s'inscrit l'exploitation des stations-service sur autoroutes. En effet, le mécanisme de concession et de sous-concession portant autorisation temporaire d'occupation du domaine public est susceptible de réduire la durée des contrats conclus entre Esso et RF. Ainsi, sur les 21 stations-service de la cible actives sur ce marché, 6 sont situées sur des aires dont les autorisations d'occupation, actuellement détenues par Esso, feront l'objet de nouveaux appels d'offre au cours des trois prochaines années et 9 seront remises en concurrence à l'horizon des cinq prochaines années. Ce point est d'ailleurs clairement prévu par le contrat-cadre de location-gérance dans lequel il est précisé, à l'article 3.2., que chaque contrat particulier d'exploitation (5) sera résilié en cas de dénonciation ou d'expiration de la sous-concession détenue par Esso.

24. De même, parmi les 70 sous-concessions sur lesquelles Eliance est active avant l'opération, il peut être noté que 19 d'entre elles, représentant 24 % de son volume d'affaires s'agissant de la restauration autoroutière, verront leur contrat de sous-concession soumis à de nouveaux appels d'offre au cours des trois prochaines années.

25. Cette prochaine remise en concurrence de l'exploitation des stations sur lesquelles Eliance intervient est de nature à relativiser son pouvoir de marché sur le marché de la restauration légère sur autoroute.

26. La nouvelle entité restera, en outre, confrontée à la concurrence de grands groupes tels Autogrill (25,6 % de part de marché) et Total (10,2 % de part de marché). L'opération n'est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché concerné.

2. LE MARCHÉ DE LA VENTE DE PRODUITS ALIMENTAIRES

27. Sur le marché de la vente de produits alimentaires sur autoroute, la part de marché de la nouvelle entité sera, selon les estimations des parties, de 18 % (soit 6 % pour Eliance et 12 % pour les stations-service exploitées par RF).

28. Cependant, comme précisé ci-avant, cette part de marché doit être appréciée en tenant compte du mécanisme de concession et sous-concession caractérisant l'exploitation des stations service sur autoroute. Or, 8 des 62 stations-service de la cible, distribuant des produits alimentaires, sont situées sur des aires dont les autorisations d'occupation actuellement détenues par Esso arrivent à expiration dans moins d'un an. Durant les trois prochaines années, 16 stations-service supplémentaires verront leur contrat d'exploitation résilié en raison de l'expiration de la concession ou sous-concession détenue par Esso.

29. Par ailleurs, la nouvelle entité restera confrontée à la concurrence de grands groupes tels que Total (36 % de part de marché) ou encore Shell (11 % de part de marché).

30. Au vu de ce qui précède, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés de la restauration légère autoroutière et de la vente de produits alimentaires sur autoroutes.

B. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX SUR LE MARCHÉ DE LA MISE À DISPOSITION DE DISTRIBUTEURS AUTOMATIQUES

31. Les sociétés-mères d'Eliance détiennent une participation contrôlantes dans la société Autobar, active sur le marché de la mise à disposition de distributeurs automatiques. Par ailleurs, des distributeurs automatiques de produits alimentaires sont situés sur certaines des stations- service du réseau contrôlé par Eliance et la société RF. Il convient de préciser que l'approvisionnement et la gestion de ces distributeurs automatiques en "full service ", sont assurés par les entreprises qui les fournissent, en échange de quoi les exploitants des boutiques perçoivent des commissions.

32. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence sur les marchés amont lorsque la branche aval de l'entreprise intégrée refuse d'acheter les produits des opérateurs actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux. Au cas d'espèce, il s'agit donc de s'assurer que la nouvelle entité ne sera pas en mesure de verrouiller l'accès au marché de la mise à disposition de distributeurs automatiques, au détriment des entreprises qui les fournissent.

33. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence écarte en principe ces risques de verrouillage lorsque la part de l'entreprise issue de l'opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %, par analogie avec l'analyse qui soutient le règlement CE n° 2790-99 relatif à l'application de l'article 81/3 du traité CE, selon laquelle les clauses restrictives de concurrence passées entre un fournisseur et ses distributeurs n'ont pas d'effet sur la situation concurrentielle du marché si la part de marché du fournisseur n'excède pas 30 %.

34. En l'espèce, la part de marché de la société Autobar est estimée par les parties à environ 5 %. Par ailleurs, il est prévu qu'Eliance s'engage auprès d'Esso à conserver le contrat que celle-ci a conclu avec la société Selecta.

35. Au vu de ce qui précède, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effet verticaux.

Décide

Article unique L'opération notifiée sur le numéro 09-0090 est autorisée.

Notes :

1 Décision de la Commission européenne n° IV/M.126 - Accor/Wagons-Lizs du 28 avril 1992.

2 Décision du Conseil de la concurrence n° 04-D-63 du 30 novembre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des activités annexes des stations-service.

3 Voir la décision du Conseil de la concurrence n° 04-D-63 précité ainsi que la décision de la Commission européenne n° COMP/M.2373 - Compass/Selecta du 8 mai 2001.

4 Ces parts de marché incluent les points de vente exploités par Eliance sous franchise.

5 Afin d'inclure les 62 stations-service concernées dans le champ d application de la location-gérance définie par le contrat-cadre, il est prévu, pour chacune des stations, la signature d'un contrat particulier de location-gérances. Les dispositions du contrat-cadre sont pleinement applicables à ces contrats particuliers.