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Décisions

CJCE, 30 mai 1991, n° C-68/89

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume des Pays-Bas, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Rodríguez Iglesias, Díez de Velasco

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

Sir Gordon Slynn, MM. Kakouris, Joliet, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn

Avocat :

M. Collins

CJCE n° C-68/89

30 mai 1991

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 6 mars 1989, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que le Royaume des Pays-Bas, en maintenant en vigueur et en appliquant une législation au titre de laquelle les ressortissants d'un État membre peuvent être tenus de répondre aux questions des fonctionnaires chargés de la surveillance des frontières, concernant l'objet et la durée de leur voyage ainsi que les moyens financiers dont ils disposent pour effectuer ce voyage, avant d'être autorisés à accéder au territoire néerlandais, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des directives 68-360-CEE du Conseil, du 15 octobre 1968, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 13), et 73-148-CEE du Conseil, du 21 mai 1973, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des ressortissants des États membres à l'intérieur de la Communauté en matière d'établissement et de prestation de services (JO L 172, p. 14), ainsi que des dispositions combinées de l'article 5, deuxième alinéa, et des articles 3, sous c), 48, 52 et 59 du traité CEE.

2 Le droit d'entrée des étrangers et la surveillance des frontières font l'objet, aux Pays-Bas, de la Vreemdelingenwet (loi sur les étrangers) du 13 janvier 1965. Cette loi a été précisée par le Vreemdelingenbesluit (ci-après "arrêté sur les étrangers ") du 19 janvier 1966, dont l'article 23 dispose :

"1. Si cela leur est demandé par un fonctionnaire chargé de la surveillance des frontières, les étrangers qui entrent aux Pays-Bas sont obligés :

a) de présenter et de remettre le document dont ils disposent pour passer la frontière;

b) de fournir des renseignements sur le but et la durée de leur séjour aux Pays-Bas;

c) de montrer de quels moyens ils peuvent disposer en vue de leur entrée aux Pays-Bas.

2.. ..

3. Les dispositions du paragraphe 1, initio et sous c), ne s'appliquent pas aux ressortissants d'un État membre de la Communauté européenne qui cherchent un emploi. "

3 Estimant la législation précitée contraire au droit communautaire, la Commission a engagé, à l'encontre du Royaume des Pays-Bas, la procédure de l'article 169 du traité.

4 Par ordonnance du 4 octobre 1989, la Cour a admis le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord à intervenir à l'appui des conclusions des Pays-Bas.

5 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

6 La Commission fait valoir que l'article 23 de l'arrêté sur les étrangers, précité, est contraire au droit communautaire, car, selon l'article 3, paragraphe 1, de chacune des directives 68-360 et 73-148, précitées, libellé en termes identiques, seule la production d'une carte d'identité ou d'un passeport valable pourrait être demandée au ressortissant d'un État membre qui se rend dans un autre État membre.

7 La Commission précise, toutefois, que le recours vise exclusivement le contrôle dont les ressortissants de la CEE peuvent faire l'objet à la frontière néerlandaise pour des raisons autres que des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique et que le contrôle des bagages ou d'autres marchandises ne fait pas non plus l'objet du litige.

8 Il convient donc de réserver entièrement les hypothèses où les contrôles des autorités nationales seraient motivés par l'une de ces dernières raisons ou porteraient sur ces objets. La Cour, saisie par la Commission d'un recours en manquement contre les Pays-Bas, ne saurait donc prendre parti, dans le cadre du présent litige, sur les préoccupations du gouvernement du Royaume-Uni qui souhaite que des questions, qui tiennent compte des exigences de l'ordre public, puissent être posées.

9 Le gouvernement néerlandais soutient que les directives 68-360 et 73-148, précitées, ne s'appliquent qu'aux personnes qui peuvent bénéficier d'un droit de séjour en vertu du traité. Les États membres seraient donc compétents pour effectuer des contrôles par sondages aux frontières en vue de vérifier si les ressortissants d'autres États membres ont ou non un tel droit de séjour.

10 Il y a lieu de relever d'abord que, comme la Commission l'a souligné à juste titre, les ressortissants des États membres de la Communauté ont généralement un droit d'accès au territoire des autres États membres dans l'exercice des différentes libertés reconnues par le traité et, notamment, de la libre prestation des services dont bénéficient, selon une jurisprudence désormais constante, tant les prestataires que les destinataires des services (voir, en dernier lieu, arrêt du 2 février 1989, Cowan, 186-87, Rec. p. 195).

11 Il y lieu de rappeler ensuite que, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 27 avril 1989, Commission/Belgique (321-87, Rec. p. 997), la seule condition préalable à laquelle les États membres peuvent soumettre le droit d'entrée sur leur territoire des personnes visées par les directives susmentionnées est la présentation d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité.

12 Il ne saurait être ajouté à cette condition, seule prévue par l'article 3 des deux directives précitées, celle d'apporter la preuve de l'appartenance à l'une des catégories de personnes visées par ces directives. En effet, il découle du système institué par ces textes, et notamment des articles 4 de la directive 68-360 et 6 de la directive 73-148, que c'est seulement lors de la délivrance d'une carte ou d'un titre de séjour que les autorités d'un État membre peuvent demander aux intéressés, dans les conditions prévues par ces articles, d'apporter la preuve de leur droit de séjour.

13 Plus généralement, l'obligation de répondre à des questions posées par des fonctionnaires chargés de la surveillance de frontières ne peut pas constituer une condition préalable pour l'accès d'un ressortissant d'un État membre au territoire d'un autre État membre.

14 Le gouvernement du Royaume-Uni a insisté, toutefois, sur la nécessité de poser des questions en vue de vérifier la validité des titres d'identité présentés.

15 A cet égard, il suffit d'observer que la légitimité des contrôles portant sur la validité du document présenté découle de l'exigence, posée par l'article 3 des deux directives précitées, que la carte d'identité ou le passeport présentés soit "en cours de validité ".

16 Il résulte de ce qui précède que, en maintenant en vigueur et en appliquant une législation au titre de laquelle les ressortissants d'un État membre peuvent être tenus de répondre aux questions des fonctionnaires chargés de la surveillance des frontières, concernant l'objet et la durée de leur voyage ainsi que les moyens financiers dont ils disposent pour effectuer ce voyage, avant d'être autorisés à accéder au territoire néerlandais, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des directives 68-360 et 73-148.

17 Il n'y a pas lieu de constater un manquement aux dispositions du traité citées dans les conclusions de la Commission. En effet, d'une part, seul l'article 3, sous c), était, parmi ces dispositions, expressément mentionné dans l'avis motivé et, d'autre part, la Commission n'a pas avancé de moyen distinct pour conclure à un manquement auxdites dispositions.

Sur les dépens

18 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Royaume des Pays-Bas ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

déclare et arrête :

1) En maintenant en vigueur et en appliquant une législation au titre de laquelle les ressortissants d'un État membre peuvent être tenus de répondre aux questions des fonctionnaires chargés de la surveillance des frontières, concernant l'objet et la durée de leur voyage ainsi que les moyens financiers dont ils disposent pour effectuer ce voyage, avant d'être autorisés à accéder au territoire néerlandais, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des directives 68-360-CEE du Conseil, du 15 octobre 1968, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l'intérieur de la Communauté, et 73-148-CEE du Conseil, du 21 mai 1973, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des ressortissants des États membres à l'intérieur de la Communauté en matière d'établissement et de prestation de services.

2) Le Royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens. Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord supportera ses propres dépens.