CJCE, 5e ch., 18 juin 1985, n° 197-84
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Steinhauser
Défendeur :
Ville de Biarritz
LA COUR,
1. Par ordonnance du 20 juillet 1984, parvenue à la Cour le 31 juillet 1984, le Tribunal administratif de Pau a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 52 du traité et portant notamment sur la question de savoir si rentre dans le champ d'application de cet article une disposition qui subordonne à une condition de nationalité l'admission des candidatures à l'adjudication d'un local appartenant au domaine public d'une commune.
2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant à la municipalité de Biarritz M. P. Steinhauser, artiste peintre professionnel de nationalité allemande installé dans cette ville.
3. Le 27 février 1983, la partie demanderesse au principal a introduit auprès de la municipalité de Biarritz une demande de participation à l'adjudication pour la location d'une des crampottes, faisant partie du domaine public de la commune, situées au port des pécheurs et destinées actuellement aux expositions en vue de la vente d'œuvres artisanales.
4. Le 1er mars 1983, la ville de Biarritz a refusé à M. Steinhauser le droit de participer à cette adjudication au motif que l'article 3, alinéa 2, du cahier des charges de l'adjudication prévoyait que " nul ne sera admis a soumissionner s'il ne justifie de la nationalité française... ".
5. M. Steinhauser a attaqué en annulation cette décision de rejet de sa demande devant le Tribunal administratif de Pau en invoquant l'incompatibilité de l'article 3, alinéa 2, du cahier des charges en question avec l'article 52 du traité CEE, relatif à la liberté d'établissement.
6. Le Tribunal administratif de Pau, tout en reconnaissant l'applicabilité directe de l'article 52 du traité CEE, a considéré qu'il ne ressort pas clairement des dispositions de cet article qu'elles concernent également des mesures nationales, comme celle qui a été invoquée par la ville de Biarritz, qui n'ont pas pour objet direct de réglementer l'accès à une profession déterminée mais se bornent à définir les modalités d'attribution par voie d'adjudication de locaux faisant partie du domaine public d'une collectivité territoriale d'un Etat membre, et subordonnent cette attribution a une condition de nationalité.
7. C'est dans ces conditions que la juridiction nationale a sursis à statuer et a saisi la Cour d'une question préjudicielle visant à savoir " si l'article 52 du traité du 25 mars 1957 concerne les dispositions prises par la ville de Biarritz sous l'article 3 du cahier des charges en date du 25 janvier 1983, n'ayant pas directement pour objet de réglementer l'accès à une activité non salariée et définissant les modalités d'attribution par voie d'adjudication de locaux mis en location faisant partie de son domaine public, enfin subordonnant l'admission des candidats à une condition de nationalité... ".
8. Par sa question, la juridiction nationale visé en substance à savoir si l'article 52 du traité CEE s'oppose à ce que, dans le cadre de l'adjudication d'un local appartenant au domaine public d'une commune, le cahier des charges subordonné l'admission des candidatures à une condition de nationalité.
9. La partie requérante au principal observe que la notion d'exercice d'une activité non salariée à laquelle se réfère l'article 52 du traité doit être prise dans un sens large et que la location des locaux auxquels la commune de Biarritz réserve une destination artisanale peut être regardée comme nécessaire à l'exercice de sa profession artistique. Il en résulterait que le refus de l'admettre à la procédure de l'adjudication motive par sa nationalité, selon les dispositions de l'article 3 du cahier des charges de la ville de Biarritz, nuirait à l'exercice de sa profession et constituerait une pratique discriminatoire incompatible avec les dispositions de l'article 52 du traité directement applicables.
10. La Commission se déclare également en faveur d'une interprétation large de l'article 52 du traité. Elle souligne que cet article, directement applicable, constitue une application particulière du principe général de non-discrimination en raison de la nationalité, énoncé par l'article 7 du traité, et interdit tout traitement discriminatoire entre les nationaux et les ressortissants des autres Etats membres. Il impliquerait donc l'élimination des dispositions et pratiques qui interdisent ou gênent non seulement l'accès, mais aussi l'exercice d'une activité non salariée dans la communauté.
11. Elle considéré que cette exigence résulte tant du texte de l'article 52 du traité lui-même que du programme général pour la suppression des restrictions à la liberté d'établissement (JO 1962, p. 36, titre III " restrictions ", partie a), ou sont énumérées, de manière indicative, les restrictions à éliminer concernant, entre autres, la faculté de contracter, de soumissionner aux marches de l'état ou d'autres personnes morales de droit public, de bénéficier de concessions ou d'autorisations publiques, d'acquérir, d'exploiter ou d'aliéner des droits et biens meubles ou immeubles.
12. Enfin, la Commission estime que les interdictions introduites par l'article 52 du traité concernent non seulement les règles posées par l'autorité publique de chaque Etat membre ou par les corporations professionnelles, ce qui résulterait déjà de la jurisprudence de la Cour, mais aussi les dispositions réglementaires ou les pratiques administratives d'autorités décentralisées des Etats membres.
13. Elle en conclut que le refus oppose à la partie requérante au principal concernant sa participation à l'adjudication litigieuse de la ville de Biarritz, en raison de sa nationalité, est fondé sur une disposition incompatible avec le principe fondamental en matière d'établissement qu'est l'assimilation au national. Cette disposition ne serait par ailleurs justifiée par aucune des deux exceptions prévues en la matière, à savoir la réserve concernant les activités comportant exercice de l'autorité publique, prévue par l'article 55 du traité CEE, et la réserve de l'ordre public, prévue par l'article 56.
14. Il convient de rappeler, ainsi que la Cour l'a constaté a plusieurs reprises, que l'article 52 du traité, directement applicable dans les Etats membres depuis la fin de la période transitoire, constitue l'une des dispositions juridiques fondamentales de la communauté. Cet article impose, en matière de droit d'établissement, le respect de la règle de l'assimilation des ressortissants des autres Etats membres aux nationaux en interdisant toute discrimination fondée sur la nationalité résultant des législations, réglementations ou pratiques nationales. L'obligation de respecter cette règle concerne, ainsi que la Cour l'a dit dans l'arrêt du 28 avril 1977 (Thieffry, 71-76, Rec. p. 765), toutes les autorités publiques compétentes, comme les corporations professionnelles légalement reconnues.
15. A cet égard, il est aussi à rappeler que le programme général arrêté par le Conseil le 18 décembre 1961 (JO 1962, p. 36), placé dans la perspective de la suppression des restrictions à la liberté d'établissement, fournit, ainsi que la Cour le relevé dans son arrêt précité, des indications utiles en vue de la mise en œuvre des dispositions afférentes du traité en prévoyant (sous le titre III " restrictions "', partie a) l'élimination des dispositions et pratiques qui, à l'égard des étrangers, excluent, limitent ou subordonnent à des conditions la faculté d'exercer les droits normalement afférant à une activité non salariée. Figure notamment, parmi ces droits, la faculté : a) de passer des contrats d'entreprise et de location tels que louages de services et baux commerciaux ou ruraux, ainsi que de jouir de tous les droits découlant de ces contrats, b) de présenter des offres ou de participer comme cocontractant ou sous-traitant aux marches de l'état ou d'autres personnes morales de droit public, c) de bénéficier de concessions ou d'autorisations octroyées par l'état ou par d'autres personnes morales de droit public, d) d'acquérir, d'exploiter ou d'aliéner des droits et biens meubles ou immeubles.
16. Il résulte de ce qui précède que toute pratique ou réglementation discriminatoire à l'égard des ressortissants des autres Etats membres, édictée par des collectivités décentralisées des Etats membres, tombe sous l'interdiction de l'article 52 du traité. Il est en outre à souligner que la liberté d'établissement prévue par cet article concerne non seulement l'accès aux activités non salariées, mais aussi leur exercice conçu au sens large. Là location d'un local a usage professionnel est utile à l'exercice de l'activité professionnelle et rentre donc dans le champ d'application de l'article 52 du traité CEE.
17. Il convient donc de répondre à la question posée par le Tribunal administratif de Pau que l'article 52 du traité CEE s'oppose a ce que, dans le cadre de l'adjudication d'un local appartenant au domaine public d'une commune, le cahier des charges subordonne l'admission des candidatures à une condition de nationalité.
Sur les dépens
18. Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal administratif de Pau, par ordonnance du 20 juillet 1984, dit pour droit :
L'article 52 du traité CEE s'oppose a ce que, dans le cadre de l'adjudication d'un local appartenant au domaine public d'une commune, le cahier des charges subordonne l'admission des candidatures a une condition de nationalité.