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Décisions

CE, sect., 22 décembre 1978, n° 97730

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Syndicat viticole des Hautes Graves de Bordeaux, Syndicat des Côtes du Bourg et du Bourget, Gallet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Heumann

Commissaire du gouvernement :

M. Genevois

Rapporteur :

Mme Questiaux

CE n° 97730

22 décembre 1978

LE CONSEIL : - Vu, 1°) sous le n° 97730, la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour le Syndicat viticole des Hautes Graves de Bordeaux, dont le siège est à la mairie de Léognan Gironde, représenté par son président en exercice, et la société civile du Château Malartic La Gravière, dont le siège est à Léognan Gironde, représentée par son président en exercice, ladite requête et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 20 décembre 1974 et 9 juin 1975 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler, pour excès de pouvoir, un décret, en date du 19 octobre 1974 - n° 78-871 - relatif aux examens analytique et organoleptique dont doivent faire l'objet les vins revendiquant une appellation d'origine contrôlée ; - Vu, 2°) sous le n° 97755, la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour le Syndicat des Côtes du Bourg et du Bourget, dont le siège est à Bourg-sur-Gironde, représenté par son président en exercice, ladite requête et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 23 décembre 1974 et 9 juin 1975, et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler le décret susvisé du 19 octobre 1974 ; - Vu, 3°) sous le n° 98065, la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés par Monsieur Gallet Roger, demeurant à <adresse>, ladite requête et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 22 janvier et 9 juin 1975, et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler, pour excès de pouvoir, un arrêté du ministre de l'Agriculture, en date du 20 novembre 1974, relatif à l'examen analytique et organoleptique des vins à appellation d'origine contrôlée. Vu la loi du 6 mai 1919 ; Vu le décret-loi du 30 juillet 1935 ; Vu le traité instituant la Communauté économique européenne ; Vu le règlement du Conseil des Communautés européennes, n° 817-70 du 28 avril 1970 ; Vu le règlement de la Commission du 19 juillet 1971 ; Vu le décret n° 74-871 du 19 octobre 1974 ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; Vu la loi du 30 décembre 1977 ;

Considérant que les requêtes du syndicat viticole des Hautes Graves de Bordeaux, de la société civile du Château Malartic La Gravière, du syndicat des Côtes de Bourg et Bourget et du sieur Gallet présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;

Sur les requêtes n° 97730 et 97755 dirigées contre le décret n° 74-871 du 19 octobre 1974 : - Sur le moyen tiré de ce que le Gouvernement était incompétent pour soumettre les vins à appellation d'origine contrôlée à des examens non prévus par la législation en vigueur : - Considérant que le règlement n° 817-70 du Conseil des Communautés européennes, en date du 28 avril 1970, assujettit les producteurs de "vins de qualité produits dans des régions déterminées", au nombre desquels figurent, pour la France, les vins à appellation d'origine contrôlée, à diverses "disciplines communes" et, notamment, à l'obligation de soumettre ces vins "à un examen analytique et à un examen organoleptique" ; que ce règlement, qui, en vertu de l'article 189 du traité instituant la Communauté économique européenne, s'intègre, dès sa publication, dans le droit interne des Etats membres et dont l'article 13, au surplus, invite expressément chaque Etat membre à assurer le contrôle et la protection des vins conformément aux prescriptions qu'il édicte, faisait obligation à l'autorité française compétente de pourvoir à son exécution sur le territoire de la République.

Considérant qu'en subordonnant la mise en circulation des vins pour lesquels est revendiquée une appellation d'origine contrôlée à la délivrance d'un certificat constatant que ces vins ont satisfait aux examens prévus par le règlement communautaire du 28 avril 1970, le Gouvernement s'est borné à assurer l'exécution de ce règlement ; qu'ainsi, les restrictions que l'institution des examens analytique et organoleptique apporte à la circulation des vins à appellation contrôlée résultent, non du décret attaqué, mais du règlement du 28 avril 1970 lui-même ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'à défaut d'une habilitation législative telle que celle qu'il a reçue de l'article 21 du décret du 30 juillet 1935, relatif à la défense du marché des vins et au régime économique de l'alcool, le Gouvernement aurait excédé sa compétence ;

Sur les autres moyens des requêtes : - En ce qui concerne l'article 2, alinéa 3, du décret attaqué : - Considérant que l'article 2, alinéa 3, de ce décret, qui prévoit que le vin non agréé par la commission de dégustation instituée par l'alinéa 2 du même article peut être soumis "en dernier ressort" à une commission régionale, composée de membres désignés par l'Institut National des Appellations d'Origine des Vins et Eaux-de-Vie, n'a ni pour objet ni pour effet de soustraire les décisions de cette commission au contrôle du juge de la légalité ; que les requérants ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que cette disposition méconnaîtrait les principes généraux du droit français ;

En ce qui concerne l'article 3 : - Considérant que le contrôle exercé sur la qualité des vins à appellation d'origine contrôlée n'a pas été institué dans le seul intérêt des producteurs qui revendiquent le bénéfice de ces appellations, mais a essentiellement pour objet un intérêt général de protection des consommateurs ; qu'ainsi, le paiement, imposé par l'article 3 aux viticulteurs, des frais occasionnés par les opérations de contrôle auxquelles ils sont assujettis, ne correspond pas à la simple rémunération d'un service rendu auxdits viticulteurs et ne saurait être mis à la charge de ceux-ci que par la loi ; que les requérants sont, dès lors, fondés à demander l'annulation de l'article 3 du décret attaqué ;

En ce qui concerne l'article 4 : - Considérant que l'article 4 du décret attaqué, d'après lequel les dispositions de ce décret ne sont immédiatement applicables qu'à certains vins et, notamment, à ceux qui seraient soumis à un contrôle par sondages, établit, entre les viticulteurs, une discrimination qui ne trouve sa base légale ni dans l'article 11, alinéa 2, du règlement du 28 avril 1970, autorisant provisoirement les Etats membres à pratiquer des examens par sondages, ni dans aucune circonstance de nature à la justifier légalement. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société et les syndicats requérants sont fondés à demander l'annulation des articles 3 et 4 du décret n° 74-871 du 19 octobre 1974, relatif aux examens analytique et organoleptique des vins à appellation d'origine contrôlée ;

Sur la requête n° 98065 dirigée contre l'arrêté du ministre de l'Agriculture en date du 20 novembre 1974 : - Considérant que l'annulation des articles 3 et 4 du décret n° 78-871 du 19 octobre 1974, qui n'affecte que les modalités de financement des examens et les dispositions transitoires prévues par le Gouvernement, est sans effet sur l'institution du certificat d'agrément et les conditions dans lesquelles ce certificat est délivré ; qu'ainsi, le sieur Gallet n'est pas fondé à demander l'annulation, par voie de conséquence, de l'arrêté, en date du 20 novembre 1974, par lequel le ministre de l'Agriculture a fixé, en application de l'article 2, dernier alinéa, du décret du 19 octobre 1974, les règles de procédure applicables aux examens analytique et organoleptique et à la délivrance du certificat d'agrément.

Considérant toutefois, en ce qui concerne l'examen analytique, que le sieur Gallet soutient qu'en autorisant la détermination de l'extrait sec par chauffage à 100 degrés, l'article 3 de l'arrêté attaqué a méconnu les dispositions annexées au règlement n° 1539-71 du 19 juillet 1971 de la Commission des Communautés européennes, d'après lesquelles l'extrait sec total est déterminé par densimétrie. Qu'ainsi, la solution du litige est subordonnée au point de savoir si les dispositions annexées au règlement n° 1539-71 du 19 juillet 1971 de la Commission des Communautés européennes doivent s'entendre comme autorisant la détermination de l'extrait sec par densimétrie et à 100°" ; que la réponse donnée à cette question, dont la solution n'est pas claire, permettra seule d'apprécier la légalité de l'article 3 de l'arrêté attaqué ; qu'il y a lieu, dès lors, de surseoir à statuer sur les conclusions de la requête du sieur Gallet tendant à l'annulation de l'article 3 de l'arrêté du 20 novembre 1974 jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur la question préjudicielle ci-dessus définie ;

Décide :

Article 1er - Les articles 3 et 4 du décret n° 74-871 du 19 octobre 1974, relatif aux examens analytique et organoleptique des vins à appellation d'origine contrôlée, sont annulés.

Article 2 - Il est sursis à statuer sur les conclusions de la requête n° 98065 du sieur Gallet tendant à l'annulation de l'article 3 de l'arrêté du ministre de l'Agriculture, en date du 20 novembre 1974, jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur l'interprétation des dispositions annexées au règlement n° 1539-71 du 19 juillet 1971 de la Commission des Communautés européennes, relatives à la détermination de l'extrait sec par densimétrie. La question relative à l'interprétation de ces dispositions est renvoyée à la Cour de justice des Communautés européennes siégeant à Luxembourg.

Article 3 - Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.