CAA Paris, 3e ch., 23 mars 1995, n° 93PA00925
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Comité national interprofessionnel de l'horticulture
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beyssac
Commissaire du gouvernement :
M. Mendras
Rapporteur :
M. Brotons
LA COUR : - Vu I) enregistrés les 9 août et 10 novembre 1993 sous le n° 93PA00925, la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour le Comité national interprofessionnel de l'horticulture florale et ornementale des Pépinières (CNIH) dont le siège est à Rungis, Val-de-Marne ; le Comité demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 8906241-3 en date du 17 février 1993 qui a déchargé M. Y des taxes parafiscales auxquelles il avait été assujetti au titre de l'année 1986 ; 2°) de rejeter la demande de M. Y ; 3°) d'ordonner, aux frais de M. Y, la publication de l'arrêt dans 3 journaux spécialisés ; 4°) condamner M. Y à lui payer 15 000 F au titre de l'article L. 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; Vu II) enregistrés sous le n° 93PA00926, la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour le Comité national interprofessionnel de l'horticulture florale et ornementale des Pépinières dont le siège est à Rungis, Val-de-Marne ; Le comité demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 87 05969-3 en date du 17 février 1993 qui a déchargé Mme B des taxes parafiscales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1978, 1982, 1983 et 1984 ; 2°) de rejeter la demande de Mme B ; 3°) d'ordonner, aux frais de Mme B, la publication de l'arrêt dans 3 journaux spécialisés ; 4°) de condamner Mme B à lui payer 15 000 F au titre de l'article L. 8-1 ; Vu III), enregistrés le 9 août et 10 novembre 1993, sous le n° 93PA00927, la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour le Comité national interprofessionnel de l'horticulture florale et ornementale des Pépinières dont le siège est à Rungis, Val-de-Marne ; le Comité demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 8911791-3 qui a déchargé M. Z des taxes parafiscales auxquelles il a été assujetties au titre des années 1983 et 1984 ; 2°) de rejeter la demande de M. Z ; 3°) d'ordonner, aux frais de M. Z, la publication de l'arrêt dans 3 journaux spécialisés ; 4°) et de condamner M. Z à payer au Comité national interprofessionnel de l'horticulture une somme de 15 000 F au titre de l'article L. 8-1 ; Vu les pièces du dossier ; Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne ; Vu le décret n° 64-283 du 26 mars 1964 portant création et organisation du Comité national interprofessionnel de l'horticulture florale et ornementale et des pépinières non forestières ; Vu le décret n° 77-695 du 29 juin 1977 créant des taxes parafiscales au profit du Comité national interprofessionnel de l'horticulture florale et ornementale et des pépinières (CNIH) ; Vu le décret n° 83-97 du 11 février 1983 prorogeant les dispositions du décret n° 77-695 du 29 juin 1977 ; Vu le décret n° 84-366 du 14 mai 1984 instituant des taxes parafiscales au profit du Comité national interprofessionnel de l'horticulture florale, ornementale et des pépinières (CNIH) ; Vu le décret n° 80-854 du 30 octobre 1980 relatif aux taxes parafiscales ; Vu le décret n° 65-29 du 11 janvier 1965, modifié, relatif aux délais de recours contentieux en matière administrative ; Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers ; Vu le Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 mars 1995 : - le rapport de M. Brotons, conseiller, - les observations de Me A, avocat, pour le Comité national interprofessionnel de l'horticulture Florale et celles de Me X, avocat, pour M. Y, et autres, - et les conclusions de M. Mendras, Commissaire du Gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt ;
Sur la régularité des jugements attaqués : - Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes : - Considérant qu'il ressort des pièces jointes au dossier que, dans leurs mémoires de première instance, les demandeurs s'étaient bornés à invoquer, s'agissant de la méconnaissance du droit communautaire, la violation de l'article 92 et celle du 2e alinéa de l'article 95 du traité de Rome ; que l'arrêt Capolongo rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 19 juin 1973, et auquel il était également fait référence dans ces mémoires ne concerne pas un cas d'application de ce dernier article ;
Considérant qu'à supposer même que la méconnaissance des dispositions du 1er alinéa de l'article 95 du traité de Rome ait pu être regardée par le tribunal comme un moyen qu'il lui appartenait de relever d'office, le tribunal devait, conformément aux dispositions de l'article R. 153-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, soumettre ce moyen à la discussion des parties ; qu'il ne ressort d'aucune pièce des dossiers que le tribunal ait, préalablement à la séance de jugement, informé les parties du moyen qu'il entendait soulever et recueilli leurs observations ; que dès lors, les jugements en cause doivent être annulés ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par Mme B et MM. Z et Y devant le Tribunal administratif de Paris ;
Sur la recevabilité des demandes de Mme B et de M. Z : - Considérant en premier lieu qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 8 du décret du 30 octobre 1980 susvisé : "La contestation du bien-fondé de la dette doit être présentée avant tout recours juridictionnel au représentant qualifié de l'organisme dans les deux mois de la notification de l'état exécutoire ou du paiement s'il est antérieur à cette notification. Le tribunal administratif peut être saisi dans le délai prévu par le décret n° 65-29 du 11 janvier 1965" ;
Considérant qu'il ressort des pièces jointes aux dossiers que Mme B et M. Z ont respectivement les 2 mars 1987 et 5 juillet 1988 saisi le trésorier payeur général de leur département d'une contestation portant sur le bien-fondé des taxes qui leur étaient réclamées ; que, conformément à l'article 7 du décret du 28 novembre 1983, les autorités de l'Etat concernées ont transmis au Comité national interprofessionnel de l'horticulture les demandes dont elles étaient saisies et qui ne relevaient pas de leur compétence ; que, dès lors, le Comité ne peut utilement soutenir, alors qu'il ne justifie pas avoir notifié aux demandeurs un état exécutoire pour le recouvrement des taxes concernées, que leur demande contentieuse n'a pas été précédée d'une réclamation dans les formes et délais impartis par les dispositions sus-rappelées du décret du 30 octobre 1980 ;
Considérant en deuxième lieu qu'il résulte de l'instruction que si le Comité national interprofessionnel de l'horticulture a, par lettre en date du 7 novembre 1988, rejeté la réclamation de M. Z, cette décision ne mentionnait pas, contrairement aux dispositions de l'article R.104 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, les délais et les modalités des recours qui pouvaient être formés à son encontre ; que, dès lors, la demande de M. Z, enregistrée le 7 février 1989 au greffe du Tribunal administratif de Paris n'était pas tardive ;
Considérant en outre que Mme B, qui avait présenté une demande de plein contentieux n'était pas tenue, contrairement à ce qu'indique le Comité national interprofessionnel de l'horticulture, de saisir le Tribunal administratif de Paris dans un délai de deux mois suivant l'expiration d'une période de quatre mois à compter de la réception de sa demande ; qu'en toute hypothèse l'intéressée a saisi le Tribunal administratif de Paris le 18 juillet 1987 soit moins de six mois après l'introduction de sa réclamation ; que sa demande de première instance était donc recevable ;
Considérant en dernier lieu, que les moyens développés par Mme B et M. Z devant le tribunal administratif relatifs à la méconnaissance de certaines dispositions du traité de Rome ont été invoqués au soutien de leurs recours préalables ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les demandes de Mme B et de M. Z étaient recevables ;
Sur le bien-fondé des taxes litigieuses : - Considérant que le requérant soutient que les taxes en cause ne sont pas contraires aux dispositions de l'article 95 du traité du 25 mars 1957 ; que les intimés font toutefois valoir que les taxes parafiscales mises à leur charge présentent le caractère d'impositions internes discriminatoires prohibées par l'article 95 de ce traité ;
Considérant qu'aux termes du 1er alinéa de l'article 95 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne communément appelé traité de Rome : "Aucun Etat membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres Etats membres d'imposition intérieures de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires" ;
Considérant que ces dispositions prohibent les impositions intérieures discriminatoires ou de nature à protéger des productions nationales ; que, pour l'application de ces dispositions, il y a lieu de tenir compte de la destination du produit fiscal en cause, et d'apprécier si les ressources litigieuses sont ou non affectées au financement d'avantages qui compensent une partie de la charge supportée par les produits nationaux ;
Considérant qu'en vertu des dispositions des décrets du 29 juin 1977, du 11 février 1983 et du 14 mai 1984 la taxe parafiscale complémentaire perçue au profit du Comité national interprofessionnel de l'horticulture est, s'agissant des activités de négoce, assise sur le montant des achats annuels hors taxes des produits de l'horticulture florale, ornementale et des pépinières ; que la perception de la taxe litigieuse peut ainsi être opérée indifféremment sur des achats effectués en France ou dans d'autres pays de l'ancienne Communauté économique européenne ;
Considérant que les intimés soutiennent que la taxe en cause est destinée à financer des activités qui profitent spécifiquement aux seuls produits nationaux ; qu'il résulte de l'instruction et, notamment, des motifs de la décision de la Commission européenne en date du 1er décembre 1990 comme du rapport d'activité du Comité national interprofessionnel de l'horticulture de l'année 1986 que les opérateurs français bénéficient davantage des travaux du Comité national interprofessionnel de l'horticulture que les producteurs étrangers, sans pour autant que les taxes acquittées soient pour les nationaux totalement compensées par les prestations offertes ;
Considérant que, dès lors qu'il est établi que le produit d'impositions profite dans des conditions différentes au produit national et au produit importé, il incombe au bénéficiaire de cette imposition de démontrer que cette disparité de régimes ne se traduit en aucun cas par une discrimination fiscale ; que ni le Comité requérant ni le ministre de l'Agriculture n'apportent une telle preuve, alors même que la Commission des Communautés européennes a déjà regardé ce système de taxation comme incompatible avec l'article 95 du traité, dans la mesure où il frappe également les produits importés en provenance d'autres Etats membres ;
Considérant par conséquent, que les taxes en litige présentent le caractère d'impositions internes incompatibles avec les dispositions précitées du 1er alinéa de l'article 95 du traité ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de défense présentés à titre subsidiaire par les intimés, ces derniers sont fondés à soutenir que les taxes qui leur ont été réclamées au titre des années 1978, 1982, 1983, 1984 et 1986, instituées par des décrets dans leur ensemble incompatibles avec les dispositions sus-rappelées du traité du 25 mars 1957, sont dépourvues de base légale et qu'ils doivent en être déchargées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que le Comité national interprofessionnel de l'horticulture succombe en la présente instance ; que sa demande tendant à ce que les intimés soient condamnés à lui payer une somme chacun au titre des frais qu'il a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ne peut qu'être rejetée ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le Comité national interprofessionnel de l'horticulture à verser à Mme B, à M. Y et à M. Z une somme de 500 F chacun, sur le fondement de l'article L. 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Article 1er : Les jugements du Tribunal administratif de Paris n° 8705969-3, 8901179-3 et 8906241-3 en date du 17 février 1993 sont annulés.
Article 2 : Mme B est déchargée des taxes parafiscales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1978, 1982, 1983 et 1984 au profit du Comité national interprofessionnel de l'horticulture.
Article 3 : M. Z est déchargé des taxes parafiscales auxquelles il a été assujetti au titre des années 1983 et 1984 au profit du Comité national interprofessionnel de l'horticulture.
Article 4 : M. Y est déchargé des taxes parafiscales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 1986 au profit du Comité national interprofessionnel de l'horticulture.
Article 5 : Le Comité national interprofessionnel de l'horticulture versera à Mme B, à M. Z et à M. Y une somme de 500 F chacun au titre de l'article L. 8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête du Comité national interprofessionnel de l'horticulture est rejeté.