CJCE, 3e ch., 19 novembre 2009, n° C-314/08
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Filipiak
Défendeur :
Dyrektor Izby Skarbowej w Poznaniu
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cunha Rodrigues
Avocat général :
M. Poiares Maduro
Juges :
MM. Rosas (rapporteur), Ó Caoimh
LA COUR (troisième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 43 CE et 49 CE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant M. Filipiak, ressortissant polonais soumis à l'impôt de manière illimitée en Pologne, au Dyrektor Izby Skarbowej w Poznaniu (directeur de la chambre fiscale de Poznan) au sujet du refus de l'administration fiscale polonaise de lui accorder le bénéfice d'avantages fiscaux en relation avec les cotisations d'assurance sociale et d'assurance maladie payées lors de l'exercice fiscal, lorsque les cotisations sont versées dans un autre État membre que l'État d'imposition, alors que de tels avantages fiscaux sont accordés au contribuable dont les cotisations sont versées dans l'État membre d'imposition.
Le cadre juridique national
3 L'article 2 de la Constitution polonaise dispose:
"La République de Pologne est un État de droit démocratique, mettant en œuvre les principes de la justice sociale".
4 Aux termes de l'article 8 de la Constitution polonaise:
"1. La Constitution est la norme suprême de la République de Pologne.
2. Les dispositions de la Constitution sont directement applicables, sauf dispositions constitutionnelles contraires".
5 L'article 32 de la Constitution polonaise prévoit:
"1. Tous sont égaux devant la loi. Tous ont droit à un traitement égal par les pouvoirs publics.
2. Nul ne peut être discriminé dans la vie politique, sociale ou économique pour une raison quelconque".
6 L'article 91 de la Constitution polonaise énonce:
"1. Après sa publication au Journal officiel de la République de Pologne, un traité ratifié fait partie intégrante de l'ordre juridique national; il est directement applicable, sauf si son application dépend de la promulgation d'une loi.
2. Le traité ratifié en vertu d'une loi d'autorisation a une autorité supérieure à celle de la loi lorsque celle-ci est incompatible avec le traité.
3. Si le traité instituant une organisation internationale ratifié par la République de Pologne le prévoit, le droit promulgué par cette organisation est directement applicable et a une autorité supérieure en cas de conflit avec les lois nationales".
7 Aux termes de l'article 188 de la Constitution polonaise:
"Le Trybunal Konstytucyjny [Tribunal constitutionnel polonais] statue sur:
1) la conformité des lois et des traités avec la Constitution,
2) la conformité des lois avec les traités ratifiés dont la ratification exige l'autorisation préalable d'une loi;
3) la conformité avec la Constitution, avec les traités ratifiés et avec les lois, des actes réglementaires émanant des autorités centrales de l'État,
4) la conformité avec la Constitution des objectifs ou de l'activité des partis politiques,
5) le recours constitutionnel visé à l'article 79, paragraphe 1".
8 L'article 190, paragraphes 1 à 4, de la Constitution polonaise est libellé comme suit:
"1. Les arrêts du Trybunal Konstytucyjny sont obligatoires erga omnes et définitifs.
[...]
3. L'arrêt du Trybunal Konstytucyjny prend effet le jour de sa publication, toutefois le Trybunal peut fixer une autre date de la perte de la force obligatoire de l'acte normatif. Ce délai ne peut dépasser dix-huit mois s'agissant d'une loi et douze mois s'agissant d'un autre acte normatif. [...]
4. L'arrêt du Trybunal Konstytucyjny déclarant la non-conformité avec la Constitution, avec le traité ou avec la loi de l'acte normatif en vertu duquel a été rendue une décision de justice définitive, une décision administrative définitive ou une décision portant sur une autre affaire, donne lieu à la reprise de la procédure, à l'annulation de la décision ou à une autre solution, suivant les principes et le mode prévus par les dispositions appropriées à la procédure engagée."
9 L'article 3, paragraphe 1, de la loi du 26 juillet 1991 relative à l'impôt sur le revenu des personnes physiques (ustawa z dnia 26 lipca 1991 r. o podatku dochodowym od osób fizycznych, Dz. U de 2000, n° 14, position 176, ci-après la "loi relative à l'impôt sur le revenu"), qui fixe le principe de l'obligation fiscale illimitée, prévoit:
"Les personnes physiques qui résident sur le territoire polonais sont soumises à une obligation fiscale sur la totalité de leurs revenus, indépendamment du lieu où se trouve la source de ces derniers [...]".
10 L'article 26, paragraphe 1, point 2, de cette loi dispose:
"Sous réserve de l'application des articles 24, paragraphe 3, 29 à 30c ainsi que 30e, la base d'imposition est constituée par le revenu fixé conformément aux articles 9, 24, paragraphes 1, 2, 4, 4a à 4e, 6, ou à l'article 24b, paragraphes 1 et 2, ou à l'article 25, après déduction du montant:
[...]
2) des cotisations visées par la loi du 13 octobre 1998, relative au régime de sécurité sociale [Dz. U n° 137, position 887, telle que modifiée; ci-après la "loi relative au régime de sécurité sociale"]:
a) payées au cours de l'année d'imposition directement à une assurance sociale personnelle de vieillesse, pension, maladie ou accident aux fins de couvrir le contribuable et ses collaborateurs,
b) prélevées au cours de l'année d'imposition [...] sur les ressources du contribuable [...]".
11 L'article 27b de la loi relative à l'impôt sur le revenu énonce:
"1. L'impôt sur le revenu, calculé conformément aux articles 27 ou 30c, est diminué, en premier lieu, du montant des cotisations d'assurance maladie visées par la loi du 27 août 2004 relative au financement public des soins de santé [ustawa z dnia 27 sierpnia 2004 r. o swiadczeniach opieki zdrowotnej finansowanych ze srodków publicznych, Dz. U n° 210, position 2135; ci-après la "loi relative au financement public des soins de santé"]:
1) payées directement par le contribuable au cours de l'année d'imposition au titre des dispositions relatives au financement public des soins de santé,
2) prélevées au cours de l'année d'imposition par le redevable conformément à ces mêmes dispositions,
[...]
2. Le montant des cotisations d'assurance maladie déductible de l'impôt ne dépasse pas 7,75 % de l'assiette desdites cotisations.
[...]".
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12 Il ressort de la décision de renvoi que, au moment des faits du litige au principal, M. Filipiak, citoyen polonais, exerçait une activité économique aux Pays-Bas en tant qu'associé dans une société de personnes de droit néerlandais dont la structure organisationnelle correspondait à celle de la société en nom collectif de droit polonais.
13 Il ressort également de la décision de renvoi que M. Filipiak est soumis à une obligation fiscale illimitée en Pologne, ce qui donne à penser que son lieu de résidence se trouve dans cet État membre, en application de l'article 3 de la loi relative à l'impôt sur le revenu.
14 Aux Pays-Bas, M. Filipiak s'est acquitté des cotisations exigibles au titre de l'assurance sociale et de l'assurance maladie conformément à la législation néerlandaise.
15 Par courrier du 28 juin 2006, M. Filipiak a demandé au directeur de l'administration fiscale de Nowy Tomysl un avis écrit relatif à la portée et au mode d'application du droit fiscal.
16 Dans sa demande d'avis, M. Filipiak observe que les dispositions de la loi relative à l'impôt sur le revenu l'empêchent de déduire de l'assiette d'imposition le montant des cotisations versées aux Pays-Bas au titre de l'assurance sociale et de réduire l'impôt du montant des cotisations d'assurance maladie également versées aux Pays-Bas. Il fait valoir que de telles dispositions sont discriminatoires et qu'il conviendrait, dans ces conditions, de passer outre lesdites dispositions pour appliquer directement le droit communautaire.
17 Répondant à la demande d'avis, le directeur de l'administration fiscale de Nowy Tomysl, par décisions du 2 août 2007, a considéré que la position de M. Filipiak n'était pas fondée.
18 Il a indiqué que, en application de l'article 26, paragraphe 1, point 2, de la loi relative à l'impôt sur le revenu, seules les cotisations visées par la loi relative au régime de sécurité sociale pouvaient être déduites de la base d'imposition et que, en application de l'article 27b, paragraphe 1, de cette première loi, seules les cotisations d'assurance maladie visées par la loi relative au financement public des soins de santé pouvaient être déduites de l'impôt. Les cotisations acquittées au titre du droit néerlandais ne remplissant pas les critères fixés par ces dispositions, elles ne pourraient pas être soustraites, respectivement, de l'assiette de l'impôt et de l'impôt sur les revenus en Pologne.
19 Après avoir examiné les réclamations portées devant lui par M. Filipiak, le Dyrektor Izby Skarbowej w Poznaniu a confirmé les décisions du 2 août 2007 émanant du directeur de l'administration fiscale de Nowy Tomysl.
20 M. Filipiak a introduit devant le Wojewódzki Sad Administracyjny w Poznaniu (tribunal administratif de Poznan) des recours contre ces décisions, qu'il estime contraires, notamment, aux articles 26, paragraphe 1, point 2, et 27b, paragraphe 1, de la loi relative à l'impôt sur le revenu, à l'article 39, paragraphe 2, CE, à l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1408-71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118-97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 647-2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 (JO L 117, p. 1, ci-après le "règlement n° 1408-71"), et à diverses dispositions de la Constitution polonaise.
21 Le Wojewódzki Sad Administracyjny w Poznaniu considère que les conditions d'une violation de la libre circulation des travailleurs consacrée à l'article 39 CE ne sont pas réunies en l'espèce. Il souligne à cet égard que, puisque le requérant au principal participe en tant qu'entrepreneur à une société en nom collectif située aux Pays-Bas, il effectue un travail pour son propre compte et ne travaille pas sous les ordres ni sous le contrôle d'une autre personne. Il ne saurait donc être considéré comme un "travailleur" au sens de l'article 39 CE.
22 La juridiction de renvoi estime indispensable d'apprécier si les dispositions litigieuses sont conformes à une disposition non invoquée par M. Filipiak, à savoir l'article 43 CE, lorsqu'elles excluent qu'un contribuable, soumis en Pologne à l'obligation fiscale illimitée sur l'ensemble de ses revenus et exerçant une activité économique sur le territoire d'un autre État membre, puisse déduire de l'assiette de son imposition le montant des cotisations obligatoires d'assurance sociale versées aux Pays-Bas et réduire son impôt sur le revenu du montant des cotisations obligatoires d'assurance maladie également versées aux Pays-Bas, alors même que ces cotisations n'ont pas été déduites dans ce dernier État membre.
23 Cette juridiction indique que le Trybunal Konstytucyjny s'est déjà prononcé sur la question de la conformité des articles 26, paragraphe 1, point 2, et 27b de la loi relative à l'impôt sur le revenu avec la Constitution polonaise.
24 En effet, par l'arrêt du 7 novembre 2007 (K 18-06, Dz. U de 2007, n° 211, position 1549), le Trybunal Konstytucyjny a déclaré que, dans la mesure où les dispositions fiscales en cause refusent aux contribuables visés à l'article 27, paragraphe 9, de la loi relative à l'impôt sur le revenu la possibilité de déduire de leurs revenus et de leurs impôts dus au titre d'une activité effectuée en dehors des frontières polonaises, les cotisations d'assurance sociale et d'assurance maladie dans le cas où lesdites cotisations n'ont pas été déduites dans l'État membre sur le territoire duquel cette activité a été exercée, lesdites dispositions ne sont pas conformes au principe d'égalité devant la loi consacré à l'article 32 de la Constitution polonaise, combiné au principe de justice sociale, visé à l'article 2 de ladite Constitution.
25 Dans le même arrêt, en application de l'article 190, paragraphe 3, de la Constitution polonaise, le Trybunal Konstytucyjny a décidé de reporter la date à laquelle les dispositions qu'il déclare inconstitutionnelles perdront toute force obligatoire à une date autre que celle de la publication dudit arrêt, à savoir le 30 novembre 2008.
26 Dans ces circonstances, le Wojewódzki Sad Administracyjny w Poznaniu a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Le principe consacré par l'article 43, paragraphes 1 et 2, CE doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à l'article 26, paragraphe 1, point 2, de la loi [relative à l'impôt sur le revenu], en vertu duquel ne peuvent être déduites de l'assiette de l'impôt sur le revenu que les cotisations obligatoires d'assurance sociale payées au titre des dispositions de droit national, ainsi qu'à l'article 27b, paragraphe 1, de la même loi en vertu duquel ne peuvent être déduites de l'impôt sur le revenu que les cotisations obligatoires de l'assurance maladie payées au titre des dispositions de droit national, lorsqu'un citoyen polonais, soumis en Pologne à l'obligation fiscale illimitée sur les revenus qui y sont imposables, a acquitté des cotisations obligatoires d'assurance sociale et d'assurance maladie dans un autre État membre au titre d'une activité économique qu'il y a exercée, et que ces cotisations n'ont été déduites ni du revenu ni de l'impôt dans cet autre État membre ?
2) Le principe de la primauté du droit communautaire et le principe découlant des articles 10 CE et 43, paragraphes 1 et 2, CE doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils priment les dispositions de droit national inscrites aux articles 91, paragraphes 2 et 3, ainsi que 190, paragraphes 1 et 3, de la Constitution polonaise [...] dans la mesure où l'entrée en vigueur d'un arrêt du Trybunal Konstytucyjny est ajournée au titre desdites dispositions ?"
Sur la recevabilité
Observations soumises à la Cour
27 Le Gouvernement polonais émet des doutes quant à la possibilité pour la Cour de statuer sur les questions soulevées par la juridiction nationale.
28 Ce gouvernement fait ainsi valoir que l'interprétation du droit communautaire sollicitée et les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi ne présentent pas de lien suffisant avec l'objet du litige au principal. La condition selon laquelle la décision de la Cour doit se révéler indispensable pour permettre à la juridiction de renvoi de statuer dans l'affaire dont elle est saisie ne serait pas remplie. En effet, l'examen des éléments de fait et de droit exposés par la juridiction de renvoi conduirait à conclure que le litige pourrait, et même devrait, être analysé exclusivement au titre des dispositions du droit national.
29 Le Gouvernement polonais observe à cet égard que, par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi vise à déterminer si, statuant sur le litige au principal, elle doit tenir compte des dispositions en cause de la loi relative à l'impôt sur le revenu dans la mesure où elles portent atteinte au droit du contribuable de déduire en Pologne les cotisations d'assurance sociale et d'assurance maladie versées à l'étranger.
30 Or, dans son arrêt du 7 novembre 2007, le Trybunal Konstytucyjny aurait déjà apporté une réponse à cette question puisqu'il aurait déjà statué sur le fait que, dans la situation au principal, le contribuable doit pouvoir déduire le montant des cotisations d'assurance sociale et d'assurance maladie.
31 Selon le Gouvernement polonais, l'arrêt du 7 novembre 2007 du Trybunal Konstytucyjny déclarant la non-conformité des dispositions législatives en cause avec la Constitution polonaise a pour effet de les rendre inapplicables par les juridictions, c'est-à-dire de les écarter entièrement de l'ordre juridique.
32 Le fait que, dans son arrêt du 7 novembre 2007, le Trybunal Konstytucyjny a reporté dans le temps la date à laquelle les dispositions anticonstitutionnelles perdront leur force obligatoire n'impliquerait pas que les dispositions qualifiées d'anticonstitutionnelles doivent être appliquées jusqu'à la date spécifiée par le Trybunal Konstytucyjny. On ne pourrait pas prétendre que jusqu'à cette date, les dispositions en cause sont conformes à la Constitution et que, à compter de cette date, elles doivent être considérées comme anticonstitutionnelles.
33 Le Gouvernement polonais estime, par conséquent, que la juridiction de renvoi doit appliquer les articles 26, paragraphe 1, point 2, et 27b, paragraphe 1, de la loi relative à l'impôt sur le revenu en tenant compte de l'interprétation de ces dispositions au regard de la Constitution polonaise. En l'espèce au principal, la juridiction de renvoi devrait, en se fondant sur l'interprétation effectuée par le Trybunal Konstytucyjny et sur les principes d'égalité en droit et de justice sociale, refuser d'appliquer les dispositions litigieuses, dans la mesure où elles excluent toute déduction des cotisations d'assurance sociale et d'assurance maladie au cas où ces cotisations n'auraient pas été déduites dans l'État membre de l'Union européenne sur le territoire duquel l'activité économique a été exercée et les cotisations versées.
34 Il ne serait par conséquent pas nécessaire, pour statuer sur le litige au principal, de répondre à la question de savoir si l'article 43 CE s'oppose à des dispositions telles que celles en cause au principal.
35 En ce qui concerne la seconde question préjudicielle, l'interprétation du droit communautaire demandée par la juridiction de renvoi ne serait pas nécessaire pour statuer sur le litige dont elle est saisie compte tenu du caractère évident de cette interprétation.
36 Le Gouvernement polonais relève que la juridiction de renvoi semble partir du principe que l'ajournement de la perte de la force contraignante des dispositions en cause au principal, combiné au principe du caractère définitif des décisions du Trybunal Konstytucyjny, ne lui permet pas de contrôler la conformité des dispositions litigieuses avec le droit communautaire et de refuser d'appliquer ces dispositions au cas où elle conclurait à leur non-conformité avec le droit communautaire.
37 Or, le Gouvernement polonais estime qu'une telle position n'est pas appropriée, eu égard au caractère autonome des différents contrôles juridictionnels que sont le contrôle de la conformité des dispositions en cause avec la Constitution polonaise et le contrôle de la conformité de ces mêmes dispositions avec le droit communautaire.
38 La décision du Trybunal Konstytucyjny qui reporte la perte de la force obligatoire des dispositions qualifiées d'anticonstitutionnelles ne ferait pas obstacle au contrôle juridictionnel de ces dispositions quant à leur conformité avec le droit communautaire et, en cas de conflit de normes, ne libèrerait pas le juge de renvoi de l'obligation de s'abstenir d'appliquer lesdites dispositions dans l'hypothèse où elles seraient considérées comme non conformes au droit communautaire. En effet, l'article 91 de la Constitution polonaise imposerait au juge national l'obligation de ne pas appliquer une norme de droit national contraire au droit communautaire.
39 Par conséquent, selon le Gouvernement polonais, indépendamment de la possibilité de ne pas appliquer les dispositions litigieuses qualifiées d'anticonstitutionnelles, la juridiction de renvoi qui conclut que ces dispositions sont incompatibles avec l'article 43 CE aurait tout pouvoir pour, de manière autonome, refuser de les appliquer dans la résolution du litige, au titre du droit national et éventuellement de la jurisprudence de la Cour de justice relative au principe de primauté du droit communautaire.
Appréciation de la Cour
40 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure instituée par l'article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l'interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379-98, Rec. p. I-2099, point 38, et du 23 avril 2009, Rüffler, C-544-07, non encore publié au Recueil, point 36).
41 Toutefois, la Cour a également jugé que, dans des circonstances exceptionnelles, il lui appartient d'examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1981, Foglia, 244-80, Rec. p. 3045, point 21; PreussenElektra, précité, point 39, et Rüffler, précité, point 37).
42 Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n'est possible que lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation du droit communautaire sollicitée n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêts précités PreussenElektra, point 39, et Rüffler, point 38).
43 À cet égard, il y a lieu de constater qu'il ressort clairement de la décision de renvoi que, indépendamment de la question de la constitutionnalité des dispositions en cause au principal, le litige au principal et la première question préjudicielle concernent la question de la compatibilité au regard du droit communautaire d'une réglementation en vertu de laquelle le droit à une réduction d'impôt en fonction des cotisations d'assurance maladie versées et le droit de déduire de l'assiette d'imposition les cotisations d'assurance sociale qui ont été acquittées sont refusés lorsque lesdites cotisations ont été versées dans un autre État membre.
44 La seconde question s'inscrit dans le prolongement de la première et interroge la Cour sur les conséquences pour le juge national du constat d'une éventuelle incompatibilité avec le droit communautaire des dispositions par ailleurs jugées non conformes à la Constitution. Elle vise à savoir, en substance, si, dans l'hypothèse où l'article 43 CE s'opposerait à des dispositions telles que celles en cause au principal, la primauté du droit communautaire imposerait au juge national d'appliquer le droit communautaire et de laisser inappliquées les dispositions nationales litigieuses et cela avant même que prenne effet l'arrêt du 7 novembre 2007 du Trybunal Konstytucyjny par lequel celui-ci a conclu à la non-conformité desdites dispositions avec certaines dispositions de la Constitution polonaise.
45 Eu égard à ce qui précède, il n'apparaît pas de manière manifeste que l'interprétation demandée n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, que le problème est de nature hypothétique ou encore que la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.
46 Dès lors, les questions posées sont recevables.
Sur le fond
Sur la première question
47 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 43 CE s'oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle un contribuable peut obtenir, d'une part, que le montant des cotisations d'assurance sociale payées lors de l'exercice fiscal soit déduit de la base d'imposition et, d'autre part, que l'impôt sur le revenu dont il est redevable soit réduit en fonction des cotisations d'assurance maladie versées pendant cette période, uniquement lorsque lesdites cotisations sont versées dans l'État membre d'imposition, de tels avantages étant refusés lorsque ces cotisations sont versées dans un autre État membre.
Observations soumises à la Cour
48 La position du Gouvernement polonais quant à la première question peut être déduite en substance des observations qu'il a émises sous l'angle de la recevabilité et qui sont exposées aux points 29 à 33 du présent arrêt.
49 Selon la Commission des Communautés européennes, la description par la juridiction de renvoi de la situation de M. Filipiak donne à penser que le requérant au principal a pu personnellement remplir des fonctions liées à l'activité de cette société et exercer un contrôle. Sa situation relèverait donc à première vue de l'article 43 CE. Toutefois, l'article 49 CE pourrait également être pertinent pour régler le litige porté devant la juridiction nationale car on ne pourrait exclure que M. Filipiak, résidant en Pologne, preste également des services sur le territoire néerlandais.
50 La Commission considère que les dispositions en cause au principal, qui excluent le droit des contribuables résidents à des avantages fiscaux au titre de cotisations d'assurance obligatoires lorsque lesdites cotisations ont été versées dans un autre État membre que la République de Pologne, instaurent une restriction non objectivement justifiée tant à l'article 43 CE qu'à l'article 49 CE.
Réponse de la Cour
51 Il convient d'observer que, dans la formulation de la première question, la juridiction de renvoi limite sa demande d'interprétation de l'article 43 CE au seul cas où les cotisations obligatoires d'assurance sociale et d'assurance maladie acquittées dans un État membre autre que la République de Pologne n'ont pas été déduites dans cet autre État membre. C'est donc en se fondant sur la prémisse que les cotisations obligatoires acquittées aux Pays-Bas par un contribuable tel que M. Filipiak n'ont pu être déduites dans cet autre État membre qu'il sera répondu à cette question.
- Sur les dispositions du traité CE applicables
52 Conformément à une jurisprudence bien établie, la notion d'"établissement" au sens de l'article 43 CE est une notion très large, impliquant la possibilité pour un ressortissant communautaire de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d'un État membre autre que son État d'origine (arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55-94, Rec. p. I-4165, point 25, et du 7 septembre 2006, N, C-470-04, Rec. p. I-7409, point 26). Peut ainsi relever de la liberté d'établissement un ressortissant communautaire qui réside dans un État membre et qui détient dans le capital d'une société établie dans un autre État membre une participation lui conférant une influence certaine sur les décisions de cette société et lui permettant d'en déterminer les activités (voir, en ce sens, arrêts N, précité, point 27; du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz, C-347-04, Rec. p. I-2647, points 22 et 70, ainsi que du 2 octobre 2008, Heinrich Bauer Verlag, C-360-06, Rec. p. I-7333, point 27).
53 Ainsi que l'a souligné la Commission, la situation d'un contribuable tel que M. Filipiak, associé dans une société de personnes de droit néerlandais dont la structure organisationnelle correspond à celle de la société en nom collectif en droit polonais, laisse à penser que ce contribuable a pu personnellement remplir des fonctions liées à l'activité économique de cette société et qu'il exerce un contrôle sur cette activité.
54 La décision de renvoi n'indique cependant pas si la situation de M. Filipiak relève du champ d'application de l'article 43 CE au sens de la jurisprudence de la Cour, c'est-à-dire s'il détient dans la société établie dans un autre État membre une participation lui permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions de ladite société et d'en déterminer les activités. Il incombe en tout état de cause à la juridiction nationale d'apprécier si tel est bien le cas et si la situation de M. Filipiak relève du champ d'application de l'article 43 CE.
55 Par ailleurs, ainsi que l'a souligné la Commission, la décision de renvoi n'indique pas si un contribuable tel que M. Filipiak, en plus d'exercer un contrôle sur l'activité économique de la société néerlandaise dont il est associé, preste également des services sur le territoire néerlandais.
56 Par conséquent, si une telle situation peut relever de l'article 43 CE, elle peut également relever des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services car il ne saurait être exclu que M. Filipiak, contribuable résidant en Pologne, non seulement exerce un contrôle sur l'activité économique de la société néerlandaise dont il est associé, mais encore preste des services sur le territoire néerlandais.
57 La situation d'un contribuable tel que M. Filipiak peut, par conséquent, être examinée à la lumière du principe de la liberté d'établissement énoncé à l'article 43 CE et du principe de la libre prestation des services, visé à l'article 49 CE.
- Sur l'existence d'une restriction aux libertés de circulation
58 Il résulte d'une jurisprudence constante que l'ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l'exercice d'activités professionnelles de toute nature sur le territoire de la Communauté européenne et s'opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d'un autre État membre (voir, notamment, arrêts du 17 janvier 2008, Commission/Allemagne, C-152-05, Rec. p. I-39, point 21, et du 16 octobre 2008, Renneberg, C-527-06, Rec. p. I-7735, point 43).
59 Conformément à une jurisprudence bien établie, la liberté d'établissement reconnue aux citoyens des États membres et qui comporte pour eux l'accès aux activités non salariées et leur exercice dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l'État membre pour ses propres ressortissants comprend, conformément à l'article 48 CE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de la Communauté, le droit d'exercer leur activité dans l'État membre concerné par l'intermédiaire d'une filiale, d'une succursale ou d'une agence (voir arrêts du 17 janvier 2008, Lammers & Van Cleeff, C-105-07, Rec. p. I-173, point 18, ainsi que du 23 avril 2009, Commission/Grèce, C-406-07, point 36).
60 La Cour a aussi indiqué à plusieurs reprises que, même si, selon leur libellé, les dispositions relatives à la liberté d'établissement visent notamment à assurer le bénéfice du traitement national dans l'État membre d'accueil, elles s'opposent également à ce que l'État membre d'origine entrave l'établissement dans un autre État d'un de ses ressortissants ou d'une société constituée en conformité avec sa législation, répondant, par ailleurs, à la définition de l'article 48 CE (voir arrêts du 13 avril 2000, Baars, C-251-98, Rec. p. I-2787, point 28; du 11 mars 2004, de Lasteyrie du Saillant, C-9-02, Rec. p. I-2409, point 42, et Heinrich Bauer Verlag, précité, point 26).
61 Par ailleurs, l'article 49 CE s'oppose à l'application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre (arrêts du 11 septembre 2007, Commission/Allemagne, C-318-05, Rec. p. I-6957, point 81; du 18 décembre 2007, Jundt, C-281-06, Rec. p. I-12231, point 52, ainsi que du 11 juin 2009, X et Passenheim-van Schoot, C-155-08 et C-157-08, non encore publié au Recueil, point 32).
62 Des restrictions prohibées par les articles 43 CE et 49 CE existent notamment lorsque des dispositions fiscales d'un État membre qui s'appliquent à des activités économiques transfrontalières sont moins avantageuses que celles s'appliquant à une activité économique exercée à l'intérieur des frontières de cet État membre.
63 Dans une affaire telle que celle au principal, l'article 26, paragraphe 1, point 2, de la loi relative à l'impôt sur le revenu permet aux contribuables soumis à imposition en Pologne de diminuer l'assiette de leur imposition sur le revenu du montant des cotisations obligatoires d'assurance sociale versées conformément à la loi relative au régime de sécurité sociale. L'article 27b de la loi relative à l'impôt sur le revenu permet aux contribuables soumis à imposition en Pologne de réduire le montant de leur impôt sur le revenu en fonction du montant des cotisations obligatoires d'assurance maladie versées conformément à la loi relative au financement public des soins de santé.
64 Il convient d'observer que M. Filipiak, contribuable polonais exerçant son activité économique en tant qu'associé dans une société de personnes établie dans un autre État membre que la République de Pologne, est soumis à l'assurance sociale et à l'assurance maladie obligatoires aux Pays-Bas et non en Pologne. En effet, conformément à l'article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1408-71, la personne qui exerce une activité non salariée sur le territoire d'un État membre est soumise à la législation de cet État même si elle réside sur le territoire d'un autre État membre. Selon le paragraphe 1 de ce même article, une personne ne peut être soumise qu'à la législation d'un seul État membre en matière d'assurance sociale.
65 La juridiction de renvoi a par ailleurs indiqué que les cotisations d'assurance sociale et d'assurance maladie versées par M. Filipiak au titre de la législation néerlandaise sont identiques, quant à leur nature et à leur finalité, aux cotisations acquittées par les contribuables polonais conformément à la législation polonaise relative au régime de sécurité sociale et au financement public des soins de santé.
66 Une réglementation, telle que celle en cause au principal, instaure une différence de traitement entre contribuables résidents selon que les cotisations d'assurance maladie pouvant être prises en compte pour réduire le montant de l'impôt sur le revenu dû en Pologne ou les cotisations d'assurance sociale pouvant venir en déduction de la base imposable en Pologne ont ou non été versées dans le cadre des régimes nationaux d'assurance maladie ou d'assurance sociale obligatoires.
67 Il en découle que tout contribuable qui réside en Pologne mais exerce son activité économique dans un autre État membre où il est soumis à l'assurance sociale et à l'assurance maladie obligatoires, ne pourra déduire le montant des cotisations qu'il verse de l'assiette de son imposition ou réduire l'impôt dû en Pologne en fonction desdites cotisations. Il sera donc moins bien traité que tout autre contribuable qui réside en Pologne mais limite son activité économique à l'intérieur des frontières de cet État tout en versant ses cotisations obligatoires d'assurance sociale et d'assurance maladie à l'organisme public polonais compétent.
68 Or, en ce qui concerne l'imposition de leurs revenus en Pologne, il y a lieu de relever que les contribuables résidents ne sont pas objectivement dans des situations différentes de nature à expliquer une telle différence de traitement en fonction du lieu de versement des cotisations.
69 En effet, la situation d'un contribuable tel que M. Filipiak, résidant en Pologne et exerçant une activité économique dans un autre État membre, dans lequel il est affilié aux régimes d'assurance maladie et d'assurance sociale obligatoires, et celle d'un contribuable résidant également en Pologne, mais exerçant son activité professionnelle dans ce même État, dans lequel il est affilié aux régimes nationaux d'assurance maladie et d'assurance sociale, sont comparables en ce qui concerne les principes d'imposition, dans la mesure où, en Pologne, tous deux sont soumis à une obligation fiscale illimitée.
70 Ainsi, l'imposition de leurs revenus, dans cet État membre, devrait s'effectuer selon les mêmes principes et, de ce fait, sur la base des mêmes avantages fiscaux.
71 Dans ces conditions, le refus d'octroyer au contribuable résident le droit soit de déduire de la base d'imposition en Pologne le montant des cotisations obligatoires d'assurance sociale acquittées dans un autre État membre soit de réduire l'impôt dû dans cet État membre en fonction des cotisations obligatoires d'assurance maladie acquittées dans un autre État membre que la République de Pologne peut dissuader ledit contribuable de mettre à profit les libertés d'établissement et de prestation de services visées aux articles 43 CE et 49 CE, et constitue une restriction à ces libertés (voir, en ce sens, en ce qui concerne l'article 18 CE, arrêt Rüffler, précité, points 72 et 73).
72 Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour que des dispositions nationales susceptibles de décourager ou de dissuader d'exercer des libertés fondamentales garanties par les articles 43 CE et 49 CE peuvent cependant se justifier pour des raisons impérieuses d'intérêt général.
73 Or, aucune justification éventuelle n'a été invoquée par le Gouvernement polonais ni envisagée par la juridiction de renvoi.
74 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que les articles 43 CE et 49 CE s'opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle un contribuable résident peut obtenir, d'une part, que le montant des cotisations d'assurance sociale payées lors de l'exercice fiscal soit déduit de la base d'imposition et, d'autre part, que l'impôt sur le revenu dont il est redevable soit réduit en fonction des cotisations d'assurance maladie versées pendant cette période, uniquement lorsque lesdites cotisations sont versées dans l'État membre d'imposition, de tels avantages étant refusés lorsque ces cotisations sont versées dans un autre État membre, alors même que ces cotisations n'ont pas été déduites dans ce dernier État membre.
Sur la seconde question
75 Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance, dans l'hypothèse où il aurait été répondu à la première question que l'article 43 CE et/ou l'article 49 CE s'opposent à des dispositions nationales telles que celles en cause au principal, si, dans ces conditions, la primauté du droit communautaire impose au juge national d'appliquer le droit communautaire et de laisser inappliquées les dispositions nationales litigieuses dans le cadre du litige dont il est saisi, indépendamment de l'arrêt de la juridiction constitutionnelle nationale qui a décidé l'ajournement de la perte de force obligatoire des mêmes dispositions, jugées inconstitutionnelles.
Observations soumises à la Cour
76 La position du Gouvernement polonais quant à la seconde question peut être déduite en substance des observations qu'il a émises sous l'angle de la recevabilité et qui sont exposées aux points 36 à 39 du présent arrêt.
77 La Commission fait valoir que la seconde question vise à savoir si le principe de la primauté du droit communautaire et les articles 10 CE ainsi que 43 CE s'opposent à l'application des dispositions de droit national qui permettent au Trybunal Konstytucyjny de repousser, dans l'un de ses arrêts, la date à laquelle un acte normatif national qu'il a considéré dans le même arrêt comme non constitutionnel, perdra sa validité.
78 La Commission estime qu'il n'existe pas de lien entre la seconde question et la solution du litige au principal. Dans le cas de M. Filipiak, le report, par le Trybunal Konstytucyjny, de la date à laquelle les dispositions litigieuses perdront leur validité, ne fait pas obstacle à ce que la juridiction de renvoi, conformément au principe de la primauté du droit communautaire, n'applique pas lesdites dispositions.
79 La Commission en déduit que la possibilité, sur le fondement de l'article 190, paragraphe 3, de la Constitution polonaise, de reporter la date à laquelle les dispositions litigieuses perdront leur validité, possibilité dont a fait usage le Trybunal Konstytucyjny dans son arrêt du 7 novembre 2007, n'est pas contraire au principe de la primauté du droit communautaire ni aux articles 10 CE et 43 CE, car elle n'est pas contraire à l'obligation, pour les organes administratifs nationaux et les juridictions nationales, de ne pas appliquer les dispositions de la loi nationale contraires à l'article 43 CE.
80 La Commission estime donc qu'il convient d'interpréter le principe de la primauté du droit communautaire et les articles 10 CE ainsi que 43 CE en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à l'application des dispositions de droit national qui permettent au Trybunal Konstytucyjny d'ajourner, dans un arrêt, la date à laquelle des dispositions de la loi nationale qu'il a considérées, dans ce même arrêt, comme inconstitutionnelles, perdront leur force obligatoire.
Réponse de la Cour
81 Selon une jurisprudence bien établie, le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (voir, en ce sens, arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, 106-77, Rec. p. 629, point 24; du 4 juin 1992, Debus, C-13-91 et C-113-91, Rec. p. I-3617, point 32; du 18 juillet 2007, Lucchini, C-119-05, Rec. p. I-6199, point 61, ainsi que du 27 octobre 2009, CEZ, C-115-08, non encore publié au Recueil, point 138).
82 En vertu du principe de la primauté du droit communautaire, le conflit entre une disposition de la loi nationale et une disposition du traité directement applicable se résout, pour une juridiction nationale, par l'application du droit communautaire, en laissant au besoin inappliquée la disposition nationale contraire, et non par le constat de la nullité de la disposition nationale, la compétence des organes et juridictions étant à cet égard propre à chaque État membre.
83 Dans ce contexte, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que l'incompatibilité avec le droit communautaire d'une norme de droit national postérieure n'a pas pour effet de rendre celle-ci inexistante. Face à une telle situation, le juge national est tenu d'écarter l'application de cette norme, étant entendu que cette obligation ne limite pas le pouvoir des juridictions nationales compétentes d'appliquer, parmi les divers procédés de l'ordre juridique interne, ceux qui sont appropriés pour sauvegarder les droits individuels conférés par le droit communautaire (arrêt du 22 octobre 1998, IN. CO. GE.'90 e.a., C-10-97 à C-22-97, Rec. p. I-6307, point 21).
84 Il en résulte que, dans une situation telle que celle du requérant au principal, le report par le Trybunal Konstytucyjny de la date à laquelle les dispositions litigieuses perdront leur force obligatoire ne fait pas obstacle à ce que la juridiction de renvoi, conformément au principe de la primauté du droit communautaire, n'applique pas ces dispositions dans le cadre du litige dont elle est saisie si elle les juge contraires au droit communautaire.
85 Dans la mesure où, ainsi qu'il résulte du point 74 du présent arrêt, il a été répondu à la première question que les articles 43 CE et 49 CE s'opposent à des dispositions nationales telles que celles en cause au principal, il convient de répondre à la seconde question que, dans ces conditions, la primauté du droit communautaire impose au juge national d'appliquer le droit communautaire et de laisser inappliquées les dispositions nationales contraires, indépendamment de l'arrêt de la juridiction constitutionnelle nationale qui a décidé l'ajournement de la perte de force obligatoire des mêmes dispositions, jugées inconstitutionnelles.
Sur les dépens
86 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (troisième chambre) dit pour droit:
1) Les articles 43 CE et 49 CE s'opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle un contribuable résident peut obtenir, d'une part, que le montant des cotisations d'assurance sociale payées lors de l'exercice fiscal soit déduit de la base d'imposition et, d'autre part, que l'impôt sur le revenu dont il est redevable soit réduit en fonction des cotisations d'assurance maladie versées pendant cette période, uniquement lorsque lesdites cotisations sont versées dans l'État membre d'imposition, de tels avantages étant refusés lorsque ces cotisations sont versées dans un autre État membre, alors même que ces cotisations n'ont pas été déduites dans ce dernier État membre.
2) Dans ces conditions, la primauté du droit communautaire impose au juge national d'appliquer le droit communautaire et de laisser inappliquées les dispositions nationales contraires, indépendamment de l'arrêt de la juridiction constitutionnelle nationale qui a décidé l'ajournement de la perte de force obligatoire des mêmes dispositions, jugées inconstitutionnelles.