Livv
Décisions

Cass. 1re civ., 30 juin 2004, n° 01-03.248

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Défendeur :

CIBC Mellon Trust Cie, Daimler Chrysler (Sté), Royal Trust of Canada

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lemontey

Rapporteur :

M. Pluyette

Avocat général :

M. Sainte-Rose

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Delaporte, Briard, Trichet

Paris, du 1er janv. 1999

1 janvier 1999

LA COUR : - Joint les pourvois n° 01-03.248 et n° 01-15.452 qui sont connexes ; - Attendu que, par jugements de la High Court de Londres des 25 février et 24 avril 1998, M. X, qui était non comparant, a été condamné à payer aux sociétés CIBC Mellon Trust Cie, Daimler Chrysler et Royal Trust of Canada, ci-après " les sociétés ", les sommes de 163 440 468 et 68 854 686 dollars canadiens ainsi que de 125 018 620 dollars américains ; que, par injonction dite "mareva" du 24 avril 1998, cette juridiction a prescrit le gel de tous les avoirs de M. X dans une certaine limite ;

Sur les premier et troisième moyens du pourvoi n° 01-03.248 et les deuxième et quatrième moyens du pourvoi n° 01-15.452 qui sont identiques : - Attendu que M. X fait grief au premier arrêt confirmatif attaqué (Paris, 5 octobre 2000) d'avoir déclaré exécutoire en France l'ordonnance du 24 avril 1998, en application du titre III de la Convention de Bruxelles, modifiée, du 27 septembre 1968, alors, selon les moyens : 1°) qu'en omettant de rechercher si cette décision, qui indiquait qu'une requête avait été déposée le même jour par le conseil des demanderesses, avait été rendue sur la base de la citation du 21 avril 1998 dont elle fait état, la cour d'appel a privé de base légale sa décision au regard des articles 25 et 26 de ladite convention ; 2°) qu'en qualifiant, d'une part, cette ordonnance, prescrivant le gel de ses biens, de décision de droit privé alors que, selon le droit anglais, elle n'était pas de nature à produire des effets civils, et en jugeant, d'autre part, qu'elle n'était pas contraire à l'ordre public international français alors qu'elle lui faisait défense, sous peine de sanctions pénales, de disposer de ses biens en France, la cour d'appel a violé les articles 27, 1, et 24 de cette convention ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant procédé à un examen des pièces régulièrement produites aux débats, l'arrêt relève que l'ordonnance du 24 avril 1998 est intervenue dans le cadre d'une instance introduite le 1er août 1996 par un acte signifié le 11 mars 1997 et qu'elle avait été précédée d'un avertissement spécifique ("notice of motion") délivré le 21 avril 1998 exposant que la High Court siégerait le 24 avril suivant pour statuer sur les mesures conservatoires présentées par les sociétés demanderesses ; que la cour d'appel en a exactement déduit que cette ordonnance ne constituait pas une décision unilatérale rendue sans que la personne condamnée ait été appelée à comparaître, de sorte que les dispositions du titre III de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, modifiée, sur la reconnaissance et l'exécution pouvaient lui être appliquées ; que le grief manque en fait ;

Et attendu, en second lieu, que l'injonction du 24 avril 1998, par laquelle il est fait défense à M. X d'effectuer toute opération sur l'un quelconque de ses biens dans les limites fixées par le juge, est une mesure conservatoire et provisoire de nature civile qui, aux fins de la reconnaissance sollicitée, doit être examinée indépendamment de la sanction pénale ("contempt of court") qui l'assortit dans l'Etat d'origine ; que cette interdiction faite à la personne du débiteur de disposer en tout lieu de ses biens, dans la mesure où il s'agit de préserver les droits légitimes du créancier, ne saurait porter atteinte à un droit fondamental du débiteur, ni même indirectement, à une prérogative de souveraineté étrangère et, notamment, n'affecte pas, à la différence des injonctions dites "anti-suit", la compétence juridictionnelle de l'Etat requis ; que n'étant donc pas contraire à l'ordre public international, elle peut être reçue dans l'ordre juridique français, ainsi que l'a exactement décidé l'arrêt attaqué, dès lors que sont réunies les autres conditions de la reconnaissance et de l'exécution ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° B 01-03.248 et le troisième du pourvoi n° S 01-15.452 qui sont identiques, pris en leurs trois branches, tels qu'ils figurent aux mémoires en demandes et sont reproduits en annexe au présent arrêt : - Attendu que M. X fait grief à la cour d'appel d'avoir déclaré régulière la signification de l'acte introductif d'instance du 1er août 1996, sans vérifier par elle-même cette régularité, sans prendre en compte l'article 15 de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 pour déterminer son domicile à la date de la signification, et, enfin, sans rechercher si cet acte avait été notifié en temps utile, violant ainsi l'article 27, 2, de la Convention du 27 septembre 1968 ;

Mais attendu que l'arrêt relève, d'abord, qu'il résulte des certificats versés au soutien de la demande d'exécution que l'acte introductif d'instance devant la High Court du 1er août 1996 a été signifié le 11 mars 1997 à M. X à sa dernière adresse connue à Londres, ensuite, que celui-ci n'établit pas avoir fait connaître sa nouvelle adresse ni aux sociétés demanderesses ni aux autorités judiciaires anglaises, enfin, que cet acte a été, sur autorisation du tribunal, à nouveau signifié courant juin 1997 à des adresses différentes à Londres et diffusé par voie de presse internationale ; que la cour d'appel a exactement déduit de ces constatations souveraines que, s'agissant d'un défendeur domicilié dans l'Etat du for, l'acte introductif d'instance avait été signifié à M. X régulièrement selon le droit anglais et en temps utile pour qu'il puisse se défendre, de sorte que l'article 15 de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 n'était pas applicable ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi n° 01-03.248 et le cinquième du pourvoi n° 01-15.452 qui sont identiques : - Attendu que M. X fait encore grief à la cour d'appel d'avoir déclaré exécutoires en France les jugements et ordonnance des 25 février et 24 avril 1998, alors, selon les moyens, qu'en omettant de rechercher, ainsi que cela le lui avait été demandé, si les procédures telles qu'elles avaient été engagées contre lui (dissociation des procédures contre les codéfendeurs, obtention à son encontre d'une injonction Mareva et nécessité pour lui de se présenter en personne pour contester cette mesure) ne l'avaient pas empêché de présenter utilement sa défense, de sorte qu'en statuant comme il l'avait fait, le juge anglais avait violé ses droits fondamentaux, la cour d'appel a privé de base légale sa décision au regard des articles 27, 1, de la convention et 6,1, de la Convention européenne des Droits de l'Homme ;

Mais attendu que l'arrêt retient, à juste titre, que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme relève de l'ordre public international au sens de l'article 27 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, modifiée, le moyen tiré de la contrariété à l'ordre public ne devant être considéré que dans les cas exceptionnels où les garanties inscrites dans la législation de l'Etat d'origine et dans la Convention de Bruxelles n'ont pas suffi à protéger le défendeur d'une violation manifeste de son droit de se défendre devant le juge d'origine ; qu'en l'espèce, la procédure devant la High Court a été suivie selon les règles de droit applicables, que M. X, régulièrement assigné, n'a pas comparu ni ne s'est fait représenter, que l'injonction pouvait être modifiée ou rapportée sur sa demande avant même qu'il n'encoure l'éventualité d'une sanction pénale de sorte qu'à aucun moment, M. X n'a été privé du droit de se défendre en justice devant les tribunaux britanniques ; que les moyens sont dénués de pertinence ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 01-15.452, pris en ses deux branches, tel qu'il figure au mémoire en demande et est reproduit en annexe au présent arrêt : - Attendu qu'après avoir examiné les documents de nature à servir d'équivalents à la motivation des décisions des 25 février et 24 avril 1998 que les sociétés demanderesses avaient produits, la cour d'appel, dans le second arrêt confirmatif attaqué (Paris, 24 juin 2001), a exactement jugé que la reconnaissance de ces décisions en France n'était pas contraire à l'ordre public international en ce qu'elles n'étaient pas motivées ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois.