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Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. des urgences, 15 avril 1992, n° 91-21484

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Douwe Egberts France (Sté)

Défendeur :

Eden-Waren (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier (faisant fonction)

Conseillers :

Mme Cahen-Fouque, M. Linden

Avocats :

Mes Coste, de Sechelles

TGI Paris, du 26 sept. 1991

26 septembre 1991

La société Eden-Waren, aise à Bad-Soden (Allemagne) est titulaire de quatre marques internationales visant la France, caractérisées par l'élément dénominatif "Eden" :

- la marque Eden n° R 195.842 du 5 octobre 1973, déposée dans les classes de produit 3, 5, 29, 30, 31 et 32,

- la-marque Eden n° 518.301 du 29 septembre 1987, enregistrée dans les classes 3, 5, 29, 30 et 32,

- la marque Eden n° 526.039 du 14 juillet 1988, enregistrée dans les classes 3, 5, 29, 30 et 32,

- la marque Eden n° 538.860 du 19 mai 1989, enregistrée dans les classes 3, 5, 29, 30 et 32.

Le 25 janvier 1991, la société Douwe Egberts France (DEF) arguant de la non exploitation de la première de ces marques et du caractère frauduleux du dépôt des trois autres, assigna la société Eden Waren devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir :

- prononcer la déchéance des droits de la défenderesse sur la partie française de la marque Eden n° 195.842 pour les produits de classes 3, 5, 29, 30, 31 et 32 et ordonner la radiation de la partie française de ladite marque,

- prononcer la nullité partielle des marques n° 518.301, 526.039 et 538.860 pour les produits des classes 3, 5, 29, 30, 31 et 32 et ordonner la radiation partielle de la partie française de ces dépôts.

Par conclusions du 31 mai 1991, la société Eden-Waren GmbH sollicita la disjonction des actions en déchéance et en nullité et invoqua sur le fondement de l'article 2 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 la compétence du Landgericht de Frankfurt am Main pour connaître de l'action en déchéance.

La société DEF justifia la saisine du Tribunal de grande instance de Paris par les dispositions de l'article 16 alinéa 4 de la convention.

Par jugement du 26 septembre 1991, le tribunal, au motif que " sauf à dénaturer les termes d'inscription et de validité en y assimilant la déchéance ou à ajouter au texte de la convention (il) ne saurait inclure dans les cas prévus par l'article 16 alinéa 4 l'action en déchéance (et que) cette dernière non expressément citée dans le texte dérogatoire demeurait régie par le principe général de l'article 2, à savoir de la compétence de la juridiction du domicile du défendeur", se déclara incompétent pour connaître, de l'action en déchéance de la partie française de la marque n° 195.842.

La société DEF forma contredit à cette décision le 9 octobre 1991. A l'appui de ce recours, elle conteste l'interprétation que firent les premiers juges des dispositions de l'article 16 alinéa 4 de la Convention de Bruxelles.

Elle soutient qu'un jugement prononçant la déchéance d'une marque fait l'objet d'une inscription sur le registre des marques et touche à la validité de la marque "puisqu'à compter de la date de la déchéance, le titulaire de la marque est privé des droits que lui conférait le dépôt".

Elle en déduit que la déchéance de marque est "incontestablement visée par les dispositions de l'article 16 alinéa 4".

La société Eden Waren GmbH réplique que :

- selon l'article 2 alinéa 1er de la Convention de Bruxelles, le justiciable personne physique ou morale, doit être attrait devant son juge naturel qui est celui de son domicile.

- l'article 16 de la convention est d'interprétation restrictive en ce qu'il déroge au principe sus-visé.

Elle expose que ce texte "ne prévoit de compétence exclusive au profit des juridictions de l'Etat contractant sur le territoire duquel le dépôt ou l'enregistrement a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d'une convention internationale qu'en matière d'inscription ou de validité notamment des marques et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à enregistrement (et) ne prévoit pas en revanche une telle compétence au profit du tribunal du dépôt lorsqu'il s'agit d'un litige en matière de déchéance d'une marque pour non exploitation".

Elle précise que "la qualification exacte de l'action en déchéance de marque conduit inéluctablement tant dans l'ordre interne que dans l'ordre intra-communautaire à l'application de la régie de droit commun "actor sequitur forum rei".

Elle sollicite, outre la confirmation du jugement déféré, l'attribution d'une "somme non inférieure à 30 000 FF au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile".

Sur ce, LA COUR,

Sur la compétence :

Considérant que l'article 16 alinéa 4 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 dispose que sont seuls compétents sans considération de domicile en matière d'inscription ou de validité des marques et autres droits analogues donnant lieu à un dépôt ou à un enregistrement les juridictions de l'Etat contractant sur territoire duquel le dépôt ou l'enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d'une convention internationale ;

Que s'il ne saurait être ajouté à un texte les termes de celui-ci doivent cependant être entendus dans toute leur acception ;

Or considérant que si la validité d'un titre, s'interprète comme l'ensemble des conditions voulues pour produire un effet légal, l'action en déchéance d'une marque tend à priver celle-ci d'un tel effet.

Qu'au surplus, comme le releva la Cour de justice des Communautés européennes (arrêt Duijnstee c/ Goderbauer du 15 novembre 1983), il convient de se référer pour l'interprétation du texte litigieux non pas à un simple renvoi au droit interne de l'un ou l'autre des Etats concernés mais à une définition autonome s'appliquant uniformément à la Communauté, laquelle reconnaît la compétence exclusive des juges de l'Etat du dépôt ou de la délivrance d'un titre pour toutes actions portant sur la validité, l'existence ou la déchéance de celui-ci ;

Que le Tribunal de grande instance de Paris est en conséquence compétent pour connaître de l'action en déchéance de la marque Eden n° 195.842;

Sur les frais irrépétibles

Considérant que la société Eden Waren GmbH qui succombe sera déboutée de ce chef;

Par ces motifs, Dit le contredit recevable et bien fondé ; Dit le Tribunal de grande instance de Paris compétent pour connaître de l'action en déchéance de la marque Eden n° 195.842 ; Renvoie la cause et les parties devant cette juridiction (3e chambre 2e section) ; Rejette toutes autres demandes ; Dit que les frais afférents au contredit seront à la charge de la société Eden Waren GmbH.