CA Rennes, 2e ch. com., 3 février 2009, n° 08-04789
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Alcal Chimie (SAS)
Défendeur :
Back Europ France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Guillanton
Conseillers :
Mme Cocchiello, M. Christien
Avoués :
SCP Castres, Colleu, Perot & Le Couls-Bouvet, SCP Brebion & Chaudet
Avocats :
Mes Le Marignier, Lehuède
Exposé du litige
Au cours de l'année 2002, la société Alcal Chimie, fabricant de détergents et de produits d'entretien, a conclu avec la société Back Europ France, centrale d'achat de grossistes en produits destinés aux boulangeries-pâtisseries, un accord de référencement d'une durée d'un an renouvelable par tacite conduction sauf dénonciation de l'une des parties moyennant le respect d'un préavis de trois mois.
Reprochant à la société Alcal Chimie d'avoir reproduit et commercialisé auprès d'une centrale d'achat concurrente des produits identiques à ceux commercialisés sous sa marque de distributeur " Back ", la société Back Europ France a informé sa cocontractante par courrier du 14 avril 2004 qu'elle entendait rompre leurs relations d'affaire à compter du 1er mai suivant.
Contestant les griefs qui lui étaient fait et estimant que la société Back Europ France avait provoqué la rupture de leurs accords de référencement en méconnaissance de la clause de dénonciation, la société Alcal Chimie l'a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Vannes, lequel a, par jugement du 6 juillet 2006 retenant que la société Back Europ France avait fautivement rompu les relations contractuelles, alloué en réparation à la société Alcal Chimie:
* 18 981,24 euro au titre de la rupture brutale et abusive,
* 2 286,74 euro en remboursement des frais d'homologation sanitaire du produit dénommé " Back antigerm ",
* 1 500 euro toutes taxes comprises en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Déçue du montant des réparations accordées par les premiers juges, la société Alcal Chimie a relevé appel de cette décision en demandant:
* 90 000 euro au titre des dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat,
* 28 827,09 euro correspondant à la valeur des produits sous marque " Back " en stock et aux frais de destruction de ces produits,
* 30 000 euro en réparation d'actes de concurrence parasitaires ayant consisté à poursuivre la commercialisation du produit " Back antigerm " avec un autre fournisseur,
* 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Appelante à titre incident et maintenant qu'elle n'avait dû prendre l'initiative de la rupture qu'en raison de la faute grave de sa cocontractante, la société Back Europ France conclut quant à elle à l'infirmation de la décision attaquée et au rejet de la totalité des prétentions adverses.
Elle réclame aussi l'allocation d'une indemnité de 5 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Alcal Chimie le 11 juin 2008, et pour la société Back Europ France le 21 juillet 2008.
Exposé des motifs
Sur la cessation des relations contractuelles
La société Back Europ France soutient en premier lieu que les accords de référencement la liant à la société Alcal Chimie avaient pris fin le 1er février 2004, dès lors que les négociations annuelles relatives à l'actualisation des conditions commerciales n'avaient pas abouti avant cette date.
Selon l'article 4 du contrat de référencement, les conditions commerciales garanties par le fournisseur à la centrale d'achat pouvaient en effet être réactualisées éventuellement tous les ans par accord des parties négocié au plus tard avant le 1er février, mais il résulte des termes mêmes de la convention que cette actualisation annuelle n'était qu'une simple faculté laissée aux parties parvenant entre elles à un accord.
Dès lors, les relations contractuelles n'ont pu prendre fin du seul fait du défaut d'actualisation des conditions commerciales consenties par le fournisseur.
La société Back Europ France ne peut davantage justifier la rupture sans préavis des relations contractuelles en faisant grief à la société Alcal Chimie d'avoir fourni une centrale d'achat concurrente.
Il n'est en effet pas discuté que le contrat de référencement liant les parties concrétisait une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, en sorte que la rupture ne pouvait intervenir qu'en respectant un délai de préavis, au demeurant fixé par la convention à 3 mois, sauf en cas de force majeure ou d'inexécution par l'autre partie de ses obligations.
Au surplus, il sera aussi rappelé que la gravité du comportement d'une partie peut justifier que l'autre partie mette unilatéralement fin au contrat en application de l'article 1184 du Code civil, que celui-ci soit à durée déterminée ou non, puisque la condition résolutoire y est sous-entendue.
Cependant, en l'espèce, les premiers juges ont, par des motifs pertinents que la cour adopte, exactement constaté que la société Alcal Chimie n'avait nullement manqué à ses obligations contractuelles, alors que, d'une part, le contrat ne comportait aucune clause générale d'exclusivité lui interdisant de fournir des concurrents de la société Back Europ France, et que, d'autre part, la seule exclusivité consentie à la centrale d'achat concernait le produit dénommé " Back antigerm " et a été respectée.
En effet, le produit " Back antigerm " spécifiquement formulé par la société Alcal Chimie au bénéfice de la société Back Europ France n'a pas la même composition chimique, ni le même aspect que le produit fourni à la centrale d'achat concurrente.
Ainsi, il résulte des fiches de données de sécurité, du rapport d'homologation et de la fiche produit que les deux produits sont différents dans leur formule de base, leur mode de dilution et leur spectre d'action, l'examen de ces documents révélant au demeurant que le produit " Back antigerm " est de qualité supérieure à celle du produit fourni à la centrale d'achat concurrente.
D'autre part, les produits " Back four ", " Back mains " et " Back vitres " sont des produits standards, l'offre commerciale constituée par des bidons de 5 litres fournis avec une pompe doseuse et un plan d'hygiène n'étant pas caractéristique de méthodes de vente propres à la société Back Europ France puisque l'un de ses concurrents fait des offres similaires à la clientèle des boulangers-pâtissiers.
De même, la gamme commercialisée sous la marque de distributeur " Back " est composée de 5 produits, alors que celle fournie à la centrale d'achat concurrente ne comporte que 4 produits commercialisés dans des volumes et à des prix différents.
Enfin, la société Back Europ France ne peut reprocher à la société Alcal Chimie d'avoir proposé à une centrale d'achat concurrente une démarche de vente (dénommée " HACCP ") identique à celle qu'elle propose à ses clients, alors que celle-ci ne découle que de la mise en œuvre de prescriptions réglementaires et qu'il n'est de surcroît ni démontré, ni reconnu que la centrale concurrente ait adopté cette démarche sur les préconisations de la société Alcal Chimie.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a décidé que la rupture du contrat du fait de la société Back Europ France était fautivement brutale.
Sur les conséquences préjudiciables de la rupture
La société Alcal Chimie est en conséquence fondée à obtenir réparation des préjudices découlant de la rupture brutale des relations contractuelles.
À cet égard, arguant que le contrat de référencement liant les parties avait été conclu le 11 avril 2002 et qu'il n'a pas été dénoncé trois mois avant sa date anniversaire du 11 avril 2004 conformément à sa clause de préavis de non-renouvellement, la société Alcal Chimie réclame une somme de 90 000 euro correspondant à la perte de chiffre d'affaires qu'elle aurait dû réaliser avec la société Back Europ France jusqu'au 10 avril 2005, date d'expiration du contrat renouvelé, outre une somme de 23 391,95 euro correspondant à la valeur du stock de marchandises sous marque de distributeur qu'elle n'a pu écouler.
Les premiers juges ont toutefois pertinemment relevé que le contrat ne comportait pas de date certaine et que la société Alcal Chimie ne rapportait pas la preuve que les parties l'avaient conclu le 11 avril 2002, alors que les seuls documents contractuels datés l'ont été au 16 juillet 2002 et que la première commande n'est intervenue que le 2 septembre suivant.
La date du 11 avril 2002 invoquée par l'appelante est en effet celle du courrier par lequel elle adresse le projet de contrat de référencement en demandant à la société Back Europ France de lui en retourner un exemplaire après signature, mais le contrat signé des deux parties n'est pas daté.
Cette date ne peut davantage se déduire de ce que la société Back Europ France, qui soutient n'avoir noué les relations contractuelles qu'au milieu du mois de juillet suivant, a elle-même versé aux débats des accords tarifaires et commerciaux datés du 11 avril 2002, alors que ces documents ne sont signés que du représentant de la société Alcal Chimie et que rien de démontre que les conditions tarifaires et commerciales qu'ils contiennent aient été acceptées par la société Back Europ France.
Il résulte au contraire des pièces produites que ces accords commerciaux n'ont été signés par les parties que le 16 juillet 2002 après que la société Alcal Chimie eut consenti de verser une remise de fin d'année sur le chiffre d'affaires facturé à la centrale d'achat.
Les prétendus aveux judiciaires de la société Back Europ France n'établissent au demeurant rien d'autre puisque l'intimée soutenait précisément dans ses écritures de première instance que, si les parties avaient arrêté dès le mois d'avril 2002 le principe de relations commerciales, les discussions se sont poursuivies jusqu'au 16 juillet 2002, date à laquelle la société Back Europ France a accepté de signer le contrat de référencement et son avenant relatif aux conditions commerciales, ce dont il résulte que les parties ne s'étaient pas encore accordées le 11 avril 2002 sur le prix des marchandises fournies par la société Alcal Chimie, élément essentiel du contrat de référencement.
Il en résulte que la société Alcal Chimie est fondée à réclamer réparation du préjudice découlant du défaut d'exécution du contrat de référencement jusqu'au 15 juillet 2004 et non jusqu'au 10 avril 2005.
Cependant, alors que les premiers juges lui avaient pertinemment rappelé que ce préjudice ne pouvait découler que de sa perte de marge et non de la totalité du chiffre d'affaires, la société Alcal Chimie n'a devant la cour produit aucun élément permettant d'apprécier l'importance de cette perte.
De même, la société Alcal Chimie, qui n'a pas à supporter les sujétions liées à la nécessité de reconditionner son stock de produits déjà préparés sous la marque de la société Back Europ France, est fondée à réclamer paiement de la valeur de ce stock qu'elle ne peut commercialiser et dont les velléités de reprise par l'intimée ne se sont pas concrétisées, mais cette valeur de stock doit être calculée sur la base du coût de production, ignoré de la cour, et non de leur prix de revente à la société Back Europ France.
La cour observe toutefois que le chiffre d'affaires mensuel moyen que la société Alcal Chimie a réalisé avec la société Back Europ France pendant les 19 mois de relations contractuelles s'établit à 6 113 euro, de sorte qu'entre le 1er mai et le 15 juillet 2004 elle aurait dû réaliser un chiffre d'affaires de 21 398 euro, d'un montant voisin de la valeur de revente du stock de produits sous marque " Back " évalué à 23 391,95 euro.
Il s'en déduit qu'entre le 1er mai et le 15 juillet 2004, la société Alcal Chimie aurait réalisé son chiffre d'affaires en se bornant à écouler le stock déjà existant, de sorte qu'en lui allouant à titre de dommages-intérêts une somme de 23 391,95 euro correspondant à la valeur de revente du stock marge comprise, la cour réparera à la fois les pertes liées aux coûts de production d'un stock de produit qu'elle ne peut plus commercialiser et la perte de marge bénéficiaire.
Étant rappelé que la société Back Europ France ne justifie nullement avoir concrétisé son offre de reprise du stock, la société Alcal Chimie est d'autre part fondée à obtenir le remboursement de la somme de 5 435,34 euro exposée pour détruire le stock de produits qu'elle ne pouvait plus commercialiser.
De même, sa demande de remboursement de la somme de 2 286,74 euro correspondant aux coûts d'homologation du produit " Back antigerm " est justifiée, dès lors que l'homologation n'a été délivrée que pour le produit considéré et que la rupture brutale des relations contractuelles n'a pas permis à la société Alcal Chimie d'en rentabiliser les frais.
Il conviendra donc, après réformation partielle du jugement attaqué, de porter les dommages-intérêts alloués en réparation de la rupture des relations contractuelles à 31 114,03 euro (23 391,95 euro + 5 435,34 euro + 2 286,74 euro).
Sur les actes de concurrence déloyale
Il résulte des productions et des explications des parties que la société Back Europ France a, postérieurement à la rupture des relations contractuelles, continué à commercialiser sous la marque " Back antigerm " un produit d'hygiène destiné aux mêmes applications mais provenant d'un autre fournisseur.
" Back antigerm " étant une marque de distributeur, la société Alcal Chimie ne peut évidemment revendiquer aucun droit sur l'usage de celle-ci et il n'est d'autre part plus discuté devant la cour que le produit ainsi commercialisé par la société Back Europ France était formulé différemment de celui fourni par l'appelante.
Pour autant, la société Back Europ France ne pouvait continuer à profiter des efforts consentis sur le plan technique et administratif par la société Alcal Chimie en commercialisant dans le même conditionnement et avec un étiquetage quasi-identique un produit répondant aux mêmes utilisations.
En effet, en s'abstenant d'informer sa clientèle par un étiquetage adéquat de la nouvelle formule d'un produit dont la dénomination et le conditionnement étaient de surcroît restés inchangés, la société Back Europ France a cherché à tirer profit sans bourse déliée de la satisfaction précédemment manifestée par ses clients pour le produit conçu et homologué grâce aux efforts de la société Alcal Chimie avec laquelle elle avait pourtant pris l'initiative de rompre toutes relations commerciales.
Ces agissements parasitaires n'ont certes pu être la cause d'un détournement de clientèle puisque cette dernière ne pouvait acquérir un produit portant la marque du distributeur qu'auprès de celui-ci, mais ils ont néanmoins causé à l'appelante un trouble commercial.
Étant relevé que ce trouble n'a toutefois pas persisté puisque la société Alcal Chimie indique elle-même que le produit a ultérieurement été commercialisé sous la dénomination " Back hygiène ", la cour considère que le préjudice subi sera exactement réparé par l'allocation d'une somme de 8 000 euro à titre de dommages-intérêts.
Le jugement attaqué sera donc réformé en ce sens.
Sur les frais irrépétibles
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de la société Alcal Chimie l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu le 6 juillet 2006 par le Tribunal de commerce de Vannes en ce qu'il a fixé la réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations contractuelles entre la société Alcal Chimie et la société Back Europ France à 18 981,24 euro et rejeté l'action de la société Alcal Chimie en concurrence parasitaire; Condamne la société Back Europ France à payer à la société Alcal Chimie les sommes de 31 114,03 euro au titre de la rupture brutale des relations contractuelles et de 8 000 euro en réparation des agissements parasitaires; Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions. Condamne la société Back Europ France à payer à la société Alcal Chimie une somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples; Condamne la société Back Europ France aux dépens d'appel.