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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 5 novembre 2009, n° 08-06136

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Areva T & D (SA)

Défendeur :

Egetra (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Maron

Conseillers :

Mmes Brylinsky, Beauvois

Avoués :

SCP Jullien, Lecharny, Rol, Fertier, SCP Jupin & Algrin

Avocats :

Mes Fabiani, Rambaud, Pion

T. com. Nanterre, 4e ch., du 20 juin 200…

20 juin 2008

Faits et procédure :

La société Etudes Gestion Transit (Egetra) est une société de transports et de commission de transports de marchandises par route.

Estimant qu'elle avait assuré de façon continue des transports des marchandises de la société Areva T & D (Areva) depuis l'année 1995, notamment pour plusieurs établissements secondaires de cette société et qu'Areva avait rompu de façon brutale les relations commerciales, Egetra a, par courrier recommandé avec AR du 13 octobre 2005, dénoncé cette rupture brutale auprès d'Areva, la mettant en demeure d'indemniser son préjudice en résultant, chiffré à 120 000 euro puis, par acte en date du 23 novembre 2006, l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Nanterre, demandant sa condamnation à lui payer une somme de 100 000 euro, sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce.

Par le jugement déféré, en date du 20 juin 2008, cette juridiction a notamment condamné Areva à payer à Egetra la somme de 81 420 euro de dommages-intérêts. Il a par ailleurs mis hors de cause la société Areva Transformateurs de Mesure;

Au soutien de l'appel qu'elle a interjeté contre cette décision, Areva fait valoir en premier lieu que l'action engagée par Egetra à l'encontre des sociétés Areva T & D et Areva T & D Transformateurs de Mesure est irrecevable comme prescrite, en application de l'article L. 133-6 du Code de commerce.

Cette action est en effet fondée sur la rupture prétendument abusive par Areva T & D et Areva T & D Transformateurs de Mesure, des relations commerciales établies entre les parties, lesquelles consistaient en des prestations de transports de marchandises, c'est-à-dire l'exécution d'un contrat de transport.

Or, l'action en dommages et intérêts pour rupture unilatérale abusive du contrat de transport, est soumise à la prescription annale de l'article L. 133-6 du Code de commerce, ainsi que l'a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2002 et l'action a été engagée par Egetra le 23 novembre 2006, soit plus d'un an après la rupture alléguée de mai 2005.

En outre, aucune convention-cadre n'avait été conclue entre les parties et Egetra ne rapporte pas la preuve, dont elle supporte la charge, de l'existence d'un contrat-cadre, alléguée pour tenter d'échapper à la prescription de son action.

Très subsidiairement, Areva fait valoir que les demandes sont mal fondées en leur principe et en leur quantum.

Le groupe Areva est constitué de plusieurs pôles et de nombreuses sociétés et Egetra met en avant des relations d'affaires avec plusieurs sociétés du groupe. De même, après avoir fait état dans son assignation d'un chiffre d'affaires moyen annuel de 369 199 euro, elle fait désormais état d'un chiffre d'affaires moyen de 982 263 euro.

Les diverses allégations successives et variées d'Egetra imposent une vérification comptable, qui s'avère impossible en l'état des pièces qui ont été communiquées.

Egetra, par ailleurs, allègue une rupture brutale des relations, mais sans en rapporter la preuve, qui lui incombe.

Bien au contraire, les chiffres avancés par Egetra, bien qu'injustifiés, laissent apparaître une diminution progressive et non pas brutale des relations commerciales entre les parties. Cet élément, d'ailleurs, explique qu'Egetra ait attendu plus d'un an avant d'engager la présente action.

Areva fait encore valoir qu'il appartient également à Egetra de rapporter la preuve de ce que la rupture des relations commerciales n'a pas résulté de son fait.

Elle fait valoir à cet égard qu'au cours du deuxième trimestre 2005, et plus précisément au mois de mai 2005, plusieurs personnes qui constituaient l'équipe "transports industriels " d'Egetra, ont quitté cette société.

A la suite de ces départs, Egetra n'a entrepris aucune démarche commerciale à l'égard d'Areva et ne l'a pas informée d'une éventuelle réorganisation du service.

C'est donc confrontée à l'absence brutale d'interlocuteurs pour l'exécution des transports industriels et pour pallier la désorganisation totale de l'activité, que la société Areva s'est vue contrainte de faire appel à d'autres transporteurs.

Dans ces conditions, la fin des relations commerciales entre les parties est exclusivement imputable à Egetra et ne peut en aucun cas engager la responsabilité de la société Areva.

C'est une fois encore la raison pour laquelle Egetra s'est abstenue de la moindre protestation et des moindres réserves dans les jours, les semaines puis les mois qui ont suivi la prétendue rupture brutale.

Par ailleurs, l'examen des pièces communiquées par Egetra, établit que seule l'unité TSO de Saint-Ouen (Transformateurs Saint-Ouen) de la société Areva entretenait des relations commerciales suivies avec Egetra. Cette relation fait d'ailleurs l'objet d'un contrat conclu qu'il appartient à la société Egetra de verser aux débats.

Or, la décision de fermeture de l'unité TSO de Saint-Ouen est très naturellement et très logiquement à l'origine de l'extinction, non pas brutale, mais progressive, des relations commerciales entre les parties, puisque cette unité a définitivement fermé ses portes au mois d'août 2006.

Le site ne perdure aujourd'hui que pour le fonctionnement de la cellule de reclassement et les opérations de dépollution, ce qui implique le maintien au Registre du Commerce.

L'obligation qui résulte de l'article 442-6-I-5 du Code de commerce suppose évidemment que l'établissement concerné poursuive son activité, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

Sur le quantum du dommage allégué, les chiffres d'affaires avancés par Egetra doivent être vérifiés car nul ne peut se constituer de preuve à soi-même.

Il appartient en outre à cette société de verser aux débats les factures susceptibles de justifier ses tableaux de chiffres d'affaires, étant observé que nonobstant l'absence de prestations pour Areva, le chiffre d'affaires réalisé par Egetra a progressé entre 2004 et 2005/2006.

En outre, Egetra fonde sa demande d'indemnisation sur la marge brute, c'est-à-dire sur le chiffre d'affaires moins les charges extérieures, alors que seule peut être indemnisée la marge bénéficiaire, c'est-à-dire le chiffre d'affaires diminué des charges de toutes nature. Par ailleurs, en toute hypothèse, un délai de préavis de cinq mois ne saurait être admis. Un délai de trois mois pourrait seulement être retenu.

Outre l'infirmation du jugement déféré, Areva demande condamnation d'Egetra à lui payer 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Egetra demande en premier lieu à la cour d'écarter l'exception de prescription soulevée par Areva. En effet, souligne-t-elle, elle ne demande pas la réparation d'un préjudice qui trouverait sa cause dans la mauvaise exécution d'un contrat de transport, qui aurait été sanctionnée par Areva par la rupture des relations commerciales mais sur les pratiques restrictives de concurrence régies notamment par l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce.

Si chaque opération de transport confiée par la société Areva a été soumise à la prescription annale, le courant d'affaires est, quant à lui, soumis à la prescription de droit commun, même s'il a eu pour objet une succession de contrats de transport.

En effet, les conventions-cadre ayant pour objet des contrats de transport ou commission de transports, sont distinctes de ces contrats et sont soumis à la prescription de droit commun.

Sur le bien-fondé de son action, Egetra souligne en premier lieu qu'elle se fonde exclusivement sur la rupture des relations qu'elle a entretenues avec la seule société Areva T & D, notamment avec certains de ses établissements secondaires.

Elle souligne par ailleurs que les chiffres qu'elle avance reposent sur des pièces comptables certifiées et pleinement probantes.

Areva ne peut non plus soutenir que le chiffre d'affaires aurait connu une " diminution progressive ", de sorte qu'Egetra ne pourrait se plaindre d'une rupture brutale. Si le chiffre d'affaires a effectivement diminué à la somme de 565 975 euro sur l'exercice 2004, il n'en est pas moins resté volumineux. En outre, il correspondait au chiffre d'affaires moyen sur les sept exercices précédents [sic] l'année 2003, une somme 534 627 euro. Il n'y a donc pas eu de diminution du chiffre d'affaires entre 2003 et 2004 au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Sur la brutalité de la rupture, Egetra fait valoir que la dernière commande d'Areva date du 5 mai 2005. La preuve de la rupture brutale est ainsi rapportée et Areva ne rapporte pas la preuve contraire, non plus que celle d'une notification préalable de la rupture.

L'incidence alléguée de la fermeture du site de Saint-Ouen ne saurait être retenue, dès lors que cette fermeture est intervenue en août 2006, soit un an et demi après la rupture. En toute hypothèse, la fermeture d'un site implique une décision préalable qui nécessite, dès lors, de la part du co-contractant, un préavis à la fin des relations contractuelles.

Sur la durée de celui-ci, Areva ne peut se prévaloir du contrat-type de sous-traitance, lequel a pour objet, comme son intitulé l'indique, les relations entre les sociétés de transports; ce que n'est pas la société Areva.

Par ailleurs, le préavis requis par l'article L. 442-6-I-5 n'est pas celui qui est fixé par un contrat entre les parties, mais un préavis suffisant et raisonnable eu égard à l'ancienneté des relations. En effet, la responsabilité de l'article L. 442-6-I-5 est une responsabilité délictuelle et non pas contractuelle.

Il appartient donc à la juridiction saisie de déterminer le préavis dû en fonction de l'ancienneté des relations commerciales. La durée de cinq mois qu'a fixée le tribunal apparaît comme pertinente.

Sur le quantum de l'indemnité, Egetra estime que les dommages et intérêts compensateurs du préjudice subi du fait de la rupture abusive doivent être égaux à la marge brute que la victime de la rupture aurait réalisée durant le préavis dû.

Elle demande dans ces conditions la confirmation du jugement ayant fixé le préjudice à l'équivalent de 5 mois de marge brute moyenne.

Enfin, elle demande 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

Attendu, sur la prescription, que selon l'article L. 133-6 du Code de commerce, les actions pour avaries, pertes ou retards, auxquelles peut donner lieu contre le voiturier le contrat de transport, sont prescrites dans le délai d'un an, sans préjudice des cas de fraude ou d'infidélité; que ce texte ajoute que toutes les autres actions auxquelles ce contrat peut donner lieu, tant contre le voiturier ou le commissionnaire que contre l'expéditeur ou le destinataire, aussi bien que celles qui naissent des dispositions de l'article 1269 du Code de procédure civile, sont prescrites dans le délai d'un an;

Attendu qu'en l'espèce l'action engagée est une action délictuelle fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6, 5° du Code de commerce, qui repose non sur un des contrats de transport qui ont lié les parties, mais sur la rupture brutale, par Areva, d'une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels; qu'il n'importe, à cet égard, que la relation commerciale établie qui aurait été brutalement rompue ait [consisté] en une succession de contrats de transport;

Attendu, au fond, qu'Egetra justifie, par la production de pièces de sa comptabilité (pièces 2 à 36) de ses relations commerciales avec la société Areva T & D depuis 1996; qu'il résulte des pièces 48 et 49 que ces relations concernent non Egetra et diverses sociétés du groupe Areva, mais Egetra et la seule société Areva T & D, par l'intermédiaire de différents de ses établissements;

Attendu que le chiffre d'affaires généré par ces relations s'est établi à 333 482 euro en 1996, à 316 642 euro en 1997, à 309 998 euro en 1998, à 492 678 euro en 1999, à 686 608 euro en 2000, à 757 433 euro en 2001, à 845 548 euro en 2002, à 1 073 488 euro en 2003 et à 565 975 euro en 2004;

Attendu qu'Egetra démontre, par la production de ses pièces comptables qu'à partir du 5 mai 2005, Areva a cessé de s'adresser à elle pour lui confier des transports;

Attendu que si le chiffre d'affaires qu'Egetra a fait avec Areva avait diminué à la somme de 565 975 euro sur l'exercice 2004, il n'en était pas moins resté volumineux et avait correspondu au chiffre d'affaires moyen sur les sept exercices précédant l'année 2003, qui avait marqué un pic exceptionnel ; que de même, en 2005 et jusqu'au 5 mai, Areva avait continué à confier à Egetra des transports, selon un rythme et un volume qui ne dénotaient pas une diminution significative; que la cessation de toute relation commerciale le 5 mai 2005 est ainsi constitutive d'une rupture brutale (et non pas d'une rupture progressive, comme l'allègue Areva) des relations commerciales établies;

Attendu qu'Areva, à qui incombe la charge de cette preuve, ne justifie pas avoir donné à Egetra un préavis;

Attendu qu'Areva fait encore valoir que la rupture des relations commerciales serait justifiée par le fait que l'équipe transports industriels d'Egetra aurait démissionné et qu'à défaut de tout interlocuteur au sein de cette société pour prendre ses commandes, elle n'aurait pu les effectuer; que cependant, elle n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de cette allégation;

Attendu qu'Areva fait encore valoir que la cessation des relations contractuelles serait justifiée par la fermeture de son unité de Saint-Ouen ;

Attendu cependant que cette fermeture n'est intervenue qu'en août 2006, soit très postérieurement à la cessation brusque des relations commerciales incriminée; qu'en toute hypothèse, si la fermeture d'un site pouvait parfaitement légitimer la cessation des relations commerciales, elle ne dispensait pas Areva de faire précéder une telle fermeture - qui est une décision qui doit nécessairement être anticipée - d'un préavis de rupture consécutive des relations commerciales que l'exploitation de ce site générait;

Attendu en conséquence que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a retenu le principe du bien fondé de la demande d'Egetra;

Attendu en ce qui concerne le montant du préjudice, que compte tenu de la durée et de l'importance des relations commerciales ayant existé entre les parties, le délai de cinq mois de préavis retenu par les premiers juges apparaît comme justifié;

Attendu que les pièces produites par Egetra pour justifier de son préjudice sont des pièces comptables qui présentent toutes garanties de fiabilité et qui seront retenues; qu'elles permettent de déterminer la marge bénéficiaire d'Egetra; que, pour les motifs pertinents retenus par le tribunal, le quantum de l'indemnité qu'il a déterminée sera confirmé;

Attendu que l'équité conduit à condamnation d'Areva à payer à Egetra la somme de 4 000 euro pour frais irrépétibles d'appel, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Par ces motifs, Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme, dans les limites de l'appel, le jugement déféré en toutes ses dispositions, précision étant apportée que le quatrième articulat du dispositif de cette décision doit se lire comme : "dit Egetra recevable et partiellement bien fondée en sa demande", Statuant plus avant, Condamne Areva à payer à Egetra la somme complémentaire de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, La condamne aux dépens, Admet la SCP Jupin-Algrin, avoués, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.