CA Reims, ch. soc., 30 août 2006, n° 04-02517
REIMS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Nord Est Peinture (SA)
Défendeur :
Mellot
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Scheibling
Conseillers :
MM. Kunlin, Mansion
Avocats :
SCP Billy, Société juridique, fiscale de Champagne
Madame Mellot a été embauchée en qualité de VRP par la SA Nord Est Peinture (l'employeur) par contrat à effet du 13 mars 2002.
Suite à notification de son licenciement le 15 avril 2003, Madame Mellot a saisi le Conseil de prud'hommes de Châlons-en-Champagne pour contester cette rupture et réclamer, notamment, contrepartie financière à une clause de non-concurrence.
Par jugement du 11 octobre 2004, cette juridiction a débouté l'intéressée de sa demande en contestation du licenciement mais lui a octroyé diverses sommes dont celle de 22 684,25 euro à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence sous réserve de déduction des charges sociales correspondantes.
L'employeur a interjeté appel limité sur le chef de la clause de non-concurrence le 19 octobre 2004.
Il soutient que le contrat de travail devant lier les parties et comportant une clause de non-concurrence n'a pas été signé par Madame Mellot, ce qui vaudrait absence d'existence et donc d'effets juridiques.
De plus, la lettre de licenciement à défaut de rappeler l'intéressée au respect d'une non-concurrence valait liberté pour l'intimée d'exercer toutes activités y compris concurrentes.
Madame Mellot conclut au caractère abusif de son licenciement et à l'irrégularité de la procédure préalable.
Elle affirme que la clause de non-concurrence est valable par le jeu du contrat signé par les parties, lequel se réfère à l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, d'où confirmation du jugement sur ce point; et réclame paiement de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Il sera renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et demandes des parties aux conclusions reprises à l'oral à l'audience du 24 mai 2006.
Motifs
Sur la procédure :
Au regard des articles 548, 550, 551 et 562 du nouveau Code de procédure civile, l'intimé en cas d'appel principal restreint à certains chefs du jugement querellé peut appeler incidemment de tous les autres chefs non visés par l'appel principal et ce dans les mêmes formes que pour les demandes incidentes, en tout état de cause sauf dommages et intérêts en cas d'appel tardif traduisant une intention dilatoire.
Ici, l'appel principal de l'employeur en date du 19 octobre 2004 est limité au " chef de la clause de non-concurrence dans le jugement rendu le 11 octobre 2004 "
Cependant, Madame Mellot par conclusions écrites établies pour l'audience du 15 février 2006, communiquées à son adversaire, et reprises à l'audience du 24 mai 2006 entend contester la validité de son licenciement, ce qui vaut appel incident nonobstant l'appel principal limité.
Par ailleurs, parce que l'appel principal est recevable comme exercé dans le délai légal suite à notification du jugement le 14 octobre 2004, l'appel incident limité doit également être examiné par la cour.
Sur le licenciement :
1°) L'article L. 122-14 du Code du travail dispose qu'en cas de licenciement envisagé, l'employeur doit convoquer le salarié à un entretien préalable, ladite convocation devant, en l'absence d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise, rappeler la possibilité de se faire assister par un conseiller de son choix inscrit sur une liste spécifique et préciser l'adresse des services, à savoir l'inspection du travail et la mairie selon l'article L. 122-3 du même code, où la liste de ces conseillers est tenue à la disposition des salariés.
A défaut, le salarié a droit à une indemnisation qui ne peut être supérieure à un mois de salaire conformément aux dispositions de l'article L. 122-14-4 du Code du travail.
En l'espèce, les lettres de convocation à un entretien préalable des 28 mars et 3 avril 2003 indiquent que la liste précitée peut être consultée à la mairie de Vitry-le-François 51 300 et à l'inspection du travail de Châlons-en-Champagne, cité administrative Thirlet 51 000, ce qui vaut adresses et information suffisante au regard des dispositions légales rappelées.
Il en résulte rejet de la demande et confirmation du jugement sur ce point.
2°) Il appartient à la cour, en application des dispositions de l'article L. 122-14-3 du Code du travail, de vérifier si les motifs allégués pour fonder le licenciement reposent sur une cause réelle et sérieuse, soit des éléments objectifs matériellement vérifiables.
L'insuffisance de résultat ne peut à elle seule caractériser une cause réelle et sérieuse, mais doit s'apprécier par rapport aux objectifs définis, s'ils sont raisonnables et compatibles avec le secteur professionnel concerné, et devant ainsi traduire soit une faute du salarié soit une insuffisance professionnelle.
En l'espèce, la lettre de licenciement du 15 avril 2003 comporte deux séries de griefs l'une reprochant une baisse très importante du chiffre d'affaires sur le secteur et donc un non-respect de chiffre d'affaires demandé, l'autre reposant sur une absence de suivi technique et de suivi client, outre une impossibilité de la joindre par téléphone, une utilisation abusive de ce téléphone et une mention excessive de kilométrage parcouru le 26 février 2003 incompatible avec la visite de clients.
Au vu des éléments produits en première instance et versés au débat par l'appelant principal, force est de constater que la prétendue baisse du chiffre d'affaires ne repose que sur un tableau comparatif établi par les soins de l'employeur et traduisant, pour le site de Chaumont, des totaux de 592 899,33 en 2000, 667 153,65 en 2001, 598 070,19 en 2002 début des fonctions de Madame Mellot et 576 022,96 en 2003 (avec arrêt d'activité en octobre).
Ces chiffres ne caractérisent pas une baisse très importante mais au contraire des résultats en 2002 et 2003 pour une année incomplète comparables à 2000 mais inférieurs à 2001.
Par ailleurs, l'employeur n'établit aucun objectif chiffré imposé au salarié, ni qu'il est à l'origine d'un marché public passé avec l'office HLM de la Haute Marne constitutif de façon décisive du chiffre d'affaires alors que l'intimée ne démarchait, selon l'employeur, que deux clients pour des montants respectifs de 687,69 euro et 290,10 euro.
Sur la seconde série de griefs, l'employeur produit les attestations de MM. Filipi et Barlier, ses employés en qualité de magasiniers qui affirment que Madame Mellot manquait de professionnalisme en étant rarement à l'agence, ne pouvant être jointe, arrivant en retard par rapport aux horaires des artisans et ayant été témoins du mécontentements de certains.
S'il ne peut être reproché à un VRP ses absences fréquentes à l'agence, sa fonction principale l'amenant à des déplacements fréquents sur le secteur géographique défini par les parties, le mécontentement des clients résulte des seules lettres datées postérieurement au licenciement de MM. Magnier, Dhyèvre et Marie indiquant soit une absence de contact, soit des difficultés pour la joindre par téléphone et une absence de rappel en cas de messages.
Les autres griefs relevés pour les journées des 25, 26 et 28 février 2003 ne reposent sur aucun élément probant autre que les affirmations de l'employeur.
En conséquence, les seuls reproches avérés et résultant des courriers de MM. Magnier, Dhyèvre et Marie sont insuffisants à caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Le jugement du 11 octobre 2004 sera infirmé de ce chef de demande et l'employeur condamné à payer à Madame Mellot la somme de 4 000 euro, l'intéressée ayant moins de deux ans d'ancienneté au moment de la présentation de la lettre de licenciement, et ce en fonction du préjudice subi.
Sur la clause de non-concurrence:
L'article L. 121-1 du Code du travail autorise les parties à matérialiser le contrat de travail à durée indéterminée dans les formes qui leur conviennent.
Le contrat non signé par le salarié mais par l'employeur rend inopposable les clauses ainsi définies au salarié sauf s'il s'en prévaut volontairement par l'effet de l'article 1134 du Code civil. Il appartient alors à l'employeur qui invoque l'inexistence juridique d'un tel contrat d'en apporter la preuve.
Par ailleurs, la clause de non-concurrence limitée dans le temps et dans l'espace doit comporter obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, notamment lorsqu'une telle obligation résulte de l'application d'un accord collectif auquel le contrat de travail se réfère expressément.
En l'espèce, l'employeur soutient que le contrat de travail, à durée indéterminée, en date du 13 mars 2002, signé par son représentant légal et prévoyant en son article 12 une clause de non-concurrence d'une durée de deux ans et sur le territoire de la Meuse et de la Haute Marne en application: "de l'article 17 de la convention collective de commerce des VRP", est inexistant et dépourvu d'effet juridique alors qu'il a reçu entière exécution tant par l'employeur lui-même à travers le paiement des salaires pour une activité de VRP en vente de peinture, vitrerie, papier peint, revêtement de sols et murs et pour un forfait fixe mensuel de 1 372,04 euro comme prévu à ce contrat, que par Madame Mellot dont il est reproché dans la procédure de licenciement une activité insuffisante notamment sur le secteur de la Haute Marne.
De plus, l'article 17 de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975, prévoit contrepartie financière mensuelle à la clause de non-concurrence égale, pour une interdiction supérieure à un an, à 2/3 de la rémunération moyenne mensuelle des 12 derniers mois après déduction des frais professionnels.
En conséquence, l'employeur doit paiement à l'intimée, sur la base d'une moyenne mensuelle de 1 417,78 euro, de la somme de 22 684,25 euro par rapport à la durée de la relation contractuelle mais sans déduction des charges sociales correspondantes, condition non prévue par le texte et retenue à tort par le conseil de prud'hommes.
Sur les autres demandes
1°) L'employeur dans le cadre de son appel principal limité s'est borné à faire valoir des arguments peu pertinents et sans portée réelle sur son obligation à paiement de la contrepartie financière due.
Cette procédure abusive implique préjudice pour le salarié et paiement de dommages et intérêts en réparation à hauteur de 1 500 euro.
2°) L'employeur paiera à Madame Mellot une somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et verra sa propre demande fondée sur le même texte rejetée.
3°) L'employeur supportera les dépens d'appel.
Par ces motifs, LA COUR statuant après débat public et par décision contradictoire ; Reçoit, en la forme, l'appel principal limité formé par la SA Nord Est Peinture contre le jugement du Conseil de prud'hommes de Châlons-en-Champagne en date du 11 octobre 2004, Reçoit l'appel incident limité formé par Madame Mellot contre ce même jugement, Confirme ce jugement, dans les limites des appels, uniquement en ce qu'il a condamné la SA Nord Est Peinture à payer à Madame Mellot la somme de 22 684,25 euro contrepartie financière d'une clause de non-concurrence, L'infirme pour le surplus, Statuant à nouveau : Dit qu'il n'y a pas lieu de déduire de la somme susvisée de 22 684,25 euro les charges sociales correspondantes, Dit que le licenciement de Madame Mellot ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, Condamne la SA Nord Est Peinture à payer à Madame Mellot les sommes de : 4 000 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, 1 500 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive, 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes les autre demandes, Condamne la SA Nord Est Peinture aux dépens d'appel.