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Décisions

ADLC, 26 juin 2009, n° 09-A-32

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif à un accord dérogatoire aux délais de paiement dans le secteur de l'optique lunetterie

ADLC n° 09-A-32

26 juin 2009

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu les lettres du 17 mars 2009 et 2 avril 2009, enregistrées sous les numéros 09/0036 A et 09/0055 A, par lesquelles le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement dans le secteur de l'optique lunetterie ; Vu la loi 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement entendus au cours de la séance du 23 juin 2009 ; Les représentants des organisations professionnelles signataires de l'accord dérogatoire entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce. Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations suivantes :

1. Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi, le 17 mars 2009 et le 2 avril 2009, l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement concernant le secteur de l'optique lunetterie au titre de l'article 21-III, de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008.

2. Ce dernier texte a instauré un délai de paiement maximal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets pour les transactions entre entreprises, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2009. L'article L. 441-6 du Code de commerce, neuvième alinéa, dans sa rédaction issue de l'article 21 de la loi de modernisation de l'économie, dispose en effet que, à compter du 1er janvier 2009, " le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture ". En l'absence de convention, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Les professionnels qui ne respecteraient pas ces dispositions s'exposent aux sanctions de l'article L. 442-6-III du Code de commerce, et notamment à une amende civile.

3. Toutefois, l'article 21-III de la loi du 4 août 2008 prévoit une possibilité de dérogation temporaire. Un accord interprofessionnel permet en effet de différer l'application du délai légal de paiement dans le secteur économique concerné à la condition que des raisons économiques particulières à ce secteur justifient ce report et qu'une réduction progressive des délais pratiqués soit mise en place par cet accord pour parvenir au délai légal au plus tard le 1er janvier 2012.

4. L'accord doit être approuvé par un décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence, qui peut prévoir son extension à l'ensemble des entreprises dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord.

5. La disposition législative est rédigée dans les termes suivants :

" III. Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que des accords interprofessionnels dans un secteur déterminé définissent un délai de paiement maximum supérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 du Code de commerce, sous réserve :

1°) Que le dépassement du délai légal soit motivé par des raisons économiques objectives et spécifiques à ce secteur, notamment au regard des délais de paiement constatés dans le secteur en 2007 ou de la situation particulière de rotation des stocks ;

2°) Que l'accord prévoie la réduction progressive du délai dérogatoire vers le délai légal et l'application d'intérêts de retard en cas de non-respect du délai dérogatoire fixé dans l'accord ;

3°) Que l'accord soit limité dans sa durée et que celle-ci ne dépasse pas le 1er janvier 2012.

Ces accords conclus avant le 1er mars 2009, sont reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis du Conseil de la concurrence.

Ce décret peut étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".

I. Le cadre économique et juridique des accords dérogatoires en matière de délais de paiement

6. Le crédit que les entreprises s'accordent dans leurs échanges commerciaux, communément dénommé délais de paiement, recouvre des enjeux économiques et concurrentiels.

a) Le contexte économique

7. Le crédit commercial interentreprises représente, selon les données de la centrale des bilans de la Banque de France pour l'année 2005, un montant de 604 milliards d'euro pour l'ensemble de l'économie, qui est à rapprocher de l'encours de 133 milliards d'euro pour le crédit bancaire à court terme.

8. Au plan international, les comparaisons effectuées par la Banque de France pour 6 pays (Allemagne, France, Espagne, Italie, Japon et États-Unis), montrent que la France est, après l'Italie, le pays ayant les règlements les plus tardifs, avec une tendance longue à l'augmentation du poids des dettes fournisseurs dans le total des bilans des entreprises.

9. Les délais de paiement importants accordés aux clients pèsent sur la trésorerie des entreprises, lorsqu'ils ne sont que partiellement compensés par les délais obtenus des fournisseurs. Le besoin de financement ainsi créé par l'exploitation est couvert par l'endettement bancaire, direct (crédits de trésorerie) ou indirect (mobilisation des créances commerciales et affacturage), ce qui pose deux problèmes aux entreprises.

10. En premier lieu, le volume de financement et son coût dépendent de la taille de l'entreprise et de la perception de son secteur d'activité par la banque : autant de critères peu favorables d'une façon générale aux PME et aux entreprises en position de sous-traitance.

11. En second lieu, les ressources mobilisées le sont aux dépens du financement de la croissance de l'activité, de l'innovation et de l'investissement. Une telle situation est préjudiciable au développement de l'entreprise, mais aussi à la pérennité et à la vitalité du tissu industriel de PME, dès lors que le phénomène est généralisé à un secteur d'activité.

12. Les délais excessifs représentent, en conséquence, un risque économique et financier pour le partenaire le plus faible, la filière concernée, voire l'économie locale.

13. L'importance du crédit interentreprises accroît les risques de défaillances en cascade d'entreprises, le défaut de paiement se propageant aux entreprises de la filière ainsi qu'aux autres fournisseurs, avec leurs conséquences économiques et sociales à l'échelle d'une localité ou d'une région.

b) L'enjeu concurrentiel

14. Parallèlement, les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et viennent réduire le prix de revient effectif de ses achats.

15. Les délais de paiement affectent ainsi les conditions de concurrence. Les délais obtenus de ses fournisseurs par une entreprise et sa capacité à obtenir leur allongement ont un impact direct sur sa compétitivité par rapport à ses concurrents sur le marché, en lui procurant une trésorerie gratuite pour financer son exploitation et son développement.

16. A côté d'autres éléments, comme par exemple le prix unitaire, la politique de remises, le volume acheté, la durée du contrat ou l'achalandage, les délais de paiement doivent être appréciés comme un des éléments de la relation commerciale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques.

17. Il est ainsi dans la logique de la concurrence entre les formes de distribution que chacune se distingue quant à certains éléments constitutifs de la relation commerciale.

c) L'extension des accords dérogatoires à l'ensemble des entreprises d'un secteur

18. Un accord dérogatoire a pour effet de donner aux entreprises concernées la possibilité d'obtenir, dans leurs relations avec leurs fournisseurs, des délais de paiement plus favorables que le délai légal de 60 jours nets, pendant la durée de la validité de l'accord. Les entreprises couvertes par l'accord dérogatoire bénéficient ainsi d'un avantage.

19. Une distorsion de concurrence pourrait résulter de ce qu'un accord ne s'applique pas à l'ensemble des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité.

20. Ce risque potentiel pour le jeu de la concurrence est pris en compte par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008, qui ouvre la possibilité pour le décret validant un accord interprofessionnel conclu dans un secteur déterminé " d'étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".

21. L'extension par décret d'un accord dérogatoire a ainsi pour effet pratique d'appliquer le dispositif de cet accord à la totalité des entreprises relevant des organisations professionnelles signataires, que ces entreprises soient adhérentes ou non à l'une de ces organisations.

22. A titre général, l'Autorité de la concurrence considère donc que l'extension est souhaitable pour toutes les demandes d'accord dérogatoire en matière de délais de paiement.

23. Ce principe posé, plusieurs questions peuvent être soulevées au regard de l'objectif d'assurer la plus grande neutralité possible des accords dérogatoires au regard de la concurrence.

24. En premier lieu, le champ retenu par le décret d'extension devra être traité. Les accords déjà conclus donnent en effet lieu à des demandes d'adhésion de la part d'organisations professionnelles qui n'étaient pas parties aux négociations. Il semble peu conciliable avec le jeu de la concurrence de laisser aux seules organisations signataires de l'accord initial la décision d'accepter ou de refuser ces nouvelles demandes, sans qu'ait lieu un contrôle minimal de la part du pouvoir réglementaire.

25. L'Autorité recommande en ce sens au ministre de préciser le champ d'application de l'extension dans le décret, afin de faciliter l'application et le contrôle des règles en matière de délais de paiement et du pouvoir réglementaire.

26. L'autre question concerne le cas des entreprises présentes sur différents secteurs ou activités, dont une activité, sans constituer l'activité principale, est couverte par un accord dérogatoire existant. Cette situation concerne les cas de figure distincts de la grande distribution généraliste et des industriels multi-activités.

27. Premier cas de figure, la grande distribution généraliste (hypermarchés et supermarchés) est en concurrence, au moins sur une partie de l'offre, avec les distributeurs spécialisés. Elle pourrait ainsi souhaiter bénéficier des accords dérogatoires en matière de délais de paiement conclus par des distributeurs spécialisés avec leurs fournisseurs.

28. Pour se prononcer sur ce point, l'Autorité procèdera, dans chaque cas d'espèce, à une analyse et à une comparaison des caractéristiques de l'offre commerciale de chaque circuit de distribution.

29. Toutefois, deux remarques générales peuvent être avancées. D'une part, les délais de paiement ne constituent qu'un élément parmi d'autres définissant la relation commerciale entre un acheteur et son fournisseur. Comme il a déjà été dit, il est dans la logique de la concurrence entre les différentes formes de distribution que chacune se singularise sur tel ou tel élément de la relation commerciale.

30. D'autre part, le droit de la concurrence reconnaît que les conditions et les modalités de concurrence entre les opérateurs n'ont pas à être identiques, dans la mesure où les différenciations relèvent de considérations objectives.

31. Le second cas de figure porte sur les fournisseurs présents, non pas à titre principal mais pour une partie moins importante de leur activité, dans un secteur couvert par un accord dérogatoire.

32. Dans cette hypothèse, l'accord dérogatoire peut créer une distorsion de concurrence entre les fournisseurs relevant des organisations signataires, qui pourront appliquer des délais plus longs jusqu'à fin 2011, et ceux non couverts par l'accord, qui sont face à l'alternative de se placer dans l'illégalité ou de risquer de perdre un client si celui-ci leur demande d'appliquer le délai dérogatoire.

33. Ces risques de distorsion, qui n'appellent pas de réponse évidente à la lecture des dispositions législatives précitées, devront être traités au cas par cas, en gardant à l'esprit qu'ils n'auront qu'une durée limitée, compte tenu de la portée seulement transitoire des accords dérogatoires.

II. L'accord dérogatoire présenté

a) Organisations professionnelles signataires

34. L'accord dérogatoire a été conclu le 11 décembre 2008 entre des organisations représentatives des fournisseurs et des distributeurs.

35. Pour les fournisseurs, il s'agit des différentes composantes suivantes du GIFO (Groupement des Industriels et Fabricants de l'Optique) : la Chambre Syndicale des Verres de Lunettes et Lunetteries (CSVL), le Syndicat national Lunettes de France et le Syndicat des Importateurs d'Optique et de Lunetterie (SIDOL).

36. Pour les distributeurs, l'organisation signataire est le SYNOPE (Syndicat des Opticiens sous Enseignes).

37. Par avenant du 27 février 2009, se sont jointes à l'accord trois organisations supplémentaires représentatives de distributeurs : le CASOPI (Syndicat des Centrales d'Achat au Service des Opticiens Indépendants), la FNOF (Fédération Nationale des Opticiens de France) et le SYNOM (Syndicat National des centres d'Optique Mutualiste).

38. Le préambule de l'avenant précise notamment que " afin d'éviter que s'instaure sur le marché une situation duale, la FNOF, le CASOPI et le SYNOM ont consenti à devenir parties à l'accord, permettant ainsi à de nouveaux opticiens de bénéficier des mêmes conditions que les adhérents potentiels du SYNOPE ".

39. Le GIFO regroupe une grande partie des fabricants de verres et de lunettes et compte dans ses rangs 130 entreprises représentant un chiffre d'affaires estimé à 3 milliards d'euro.

40. Le SYNOPE rassemble les sociétés commerciales d'optique lunetterie constituées de cinq groupements coopératifs, de franchises et succursalistes, soit douze enseignes (Afflelou, Atol, Générale d'Optique, Grand Optical, Krys, Lissac, Lynx, Lun's, Optic 2000, Plurielles, Vision Originale et Vision Plus), ainsi que leurs adhérents (opticiens sous enseigne, franchisés). Il représente 3 894 points de vente réalisant un chiffre d'affaires d'environ 2,5 milliards d'euro.

41. Le CASOPI est un syndicat créé en février 2009 à l'initiative des centrales d'achat Alliance Optique, Luz et Rev, qui représente 2 817 opticiens, soit environ 27% des points de vente français, avec une part de marché en valeur estimée entre 20 et 25 %.

42. La FNOF est un syndicat patronal regroupant exclusivement des opticiens indépendants. Il représenterait plus de 1 300 points de vente et 590 entreprises hors enseigne (11 % des entreprises d'optique). Depuis le 18 mai 2009, le CASOPI est membre associé de la FNOF.

43. Le SYNOM créé en novembre 2008, représente des groupements gestionnaires adhérents au réseau " les Opticiens Mutualistes " et compte dans ses rangs 633 magasins dont le chiffre d'affaires est évalué en 2008 à 516 millions d'euro.

44. La représentativité des industriels membres du GIFO est évaluée par la profession à 90% du chiffre d'affaires et à 70 % des entreprises du secteur.

45. S'agissant des distributeurs sous enseigne, la profession estime que le SYNOPE représente environ 57 % du chiffre d'affaires, et 40 % des points de vente du secteur.

46. La FNOF et le CASOPI représenteraient 80 % des opticiens indépendants et réaliseraient 43 % du marché de l'optique.

47. La représentativité du SYNOM, qui est membre de la Mutualité Française, est estimée à 15 % de part de marché.

b) Le secteur d'activité

48. Pour renouveler ses lunettes, le client se rend chez un ophtalmologiste qui lui fait une prescription. Les organismes complémentaires d'assurance (OCAM) contribuent au financement des lunettes, la prise en charge par la CPAM étant en moyenne de 8 euro pour un adulte et 38 euro pour un enfant. Le client se procure le produit chez un opticien dont la profession est régie par le Code de la santé publique. Les opticiens lunetiers s'approvisionnent soit directement auprès des fabricants, soit par l'intermédiaire de centrales d'achat. Depuis 2007, les opticiens peuvent renouveler des lunettes (sous certaines conditions) sans nouvelle ordonnance sur la base d'une réfraction (détermination de la correction nécessaire pour l'adaptation des verres de lunettes), exception faite des verres pour les enfants de moins de 16 ans.

49. Le marché de l'optique en France représentait 5,1 milliards d'euro en 2007, dont 4,3 milliards d'euro remboursés par les organismes sociaux, avec différentes catégories de produits : les verres de correction (2,66 milliards d'euro), les montures optiques (1,3 milliards), les solaires (453 millions), la contactologie (lentilles et produits d'entretien 439 millions) et les accessoires et autres produits (256 millions) (source étude XERFI novembre 2008).

50. Au niveau des fabricants, si la lunetterie est une industrie à faible degré de concentration, tel n'est pas le cas de la fabrication de verres ophtalmiques et de produits de contactologie.

51. L'industrie de la lunette est en effet très atomisée avec une population d'entreprises constituée à 90 % de PME. Les deux départements lunetiers sont le Jura, avec Morez centre de la lunette métallique, où les entreprises locales assurent 50 % de la production nationale de lunettes, et l'Ain, avec Oyonnax berceau de la lunette en plastique, où sont présents 630 établissements spécialisés. Ce faible degré de concentration confère d'emblée un avantage de poids aux centrales d'achat d'opticiens.

52. Certains fabricants français de montures disposent néanmoins d'un portefeuille de marques et de licences, mais sont largement concurrencés sur le haut de gamme par des entreprises italiennes comme Safilo, ou Luxottica qui détient notamment des licences Chanel, Bulgari ou Prada. Les industriels subissent également, sur le bas de gamme, la concurrence de la Chine avec une hausse de près de 4 % des importations en provenance de ce pays en 2008.

53. L'industrie du verre ophtalmique est très concentrée avec une entreprise française leader mondial le groupe Essilor (720 millions d'euro de chiffre d'affaires en 2007), suivie de loin par Carl Zeiss Vision numéro deux mondial.

54. En ce qui concerne la distribution, le nombre de points de vente d'optique n'a cessé de croître depuis 2004, atteignant plus de 18 000 en 2007. Les groupements coopératifs représentaient 34,5 % des ventes, les indépendants près de 30 % et les franchises-succursales 26,2 %.

55. Les groupes développés sous forme de groupement coopératif ou de franchises dominent le secteur avec des acteurs tels que Gadol-Optic 2000, Guildvision ou Atol. Ces acteurs dont certains sont des groupes internationaux comme Grandvision et Afflelou possèdent tous des centrales d'achat qui les placent en position de force vis-à-vis des fournisseurs.

56. S'agissant des indépendants, ils représentent 50 % des magasins et 53 % des entreprises. Ils sont pour la plupart rattachés à des centrales d'achat ou de référencement dites sans enseigne, comme l'entreprise Alliance Optique ou le GIE Visaudio pour les opticiens mutualistes.

c) Le périmètre de l'accord

57. L'accord dérogatoire s'applique entre les fournisseurs de matériel optique et les distributeurs.

58. S'agissant des fournisseurs sont concernés : les fabricants et/ou importateurs de matériel optique, à l'exception des entreprises relevant de l'optique photonique (fabricants de lasers) et de la contactologie (le Syndicat des Fabricants et Fournisseurs d'Optique de Contact, membre du GIFO, n'étant pas signataire de l'accord). Il est précisé que les adhérents du GIFO relèvent principalement du secteur de la métallurgie et pour certains d'entre eux, du secteur du commerce de gros.

59. Pour la distribution relèvent de l'accord : les opticiens sous enseigne et leurs centrales d'achat, ainsi que les opticiens indépendants ou mutualistes et leurs centrales d'achat ayant un statut de mandataires ou de grossistes.

60. L'accord concerne également les relations entre donneurs d'ordre et sous-traitants.

61. Les produits entrant dans le champ d'application de l'accord sont énumérés à l'article 1-2. Il s'agit des verres correcteurs et/ou solaires, des montures de lunettes, de leurs composants et accessoires, des matériels servant à la transformation des verres et des lunettes (meuleuses, instruments de prises de mesure), ainsi que les matériels servant à déterminer la réfraction (appareils servant à mesurer la vue). A contrario, les lentilles de contact et leurs produits d'entretien ainsi que l'optique photonique, sont exclus de l'accord.

III. L'analyse de l'Autorité de la concurrence

62. La reconnaissance par décret d'un accord dérogatoire est soumise à une double condition.

63. En premier lieu, le secteur concerné doit présenter une ou plusieurs raisons économiques objectives et spécifiques, celles-ci pouvant notamment expliquer des niveaux élevés de délais de paiement et de stocks constatés en 2007 dans cette activité.

64. En second lieu, l'accord doit mettre en place une réduction progressive des délais de paiement dérogatoires afin de parvenir au délai légal de 45 jours fin de mois ou 60 jours nets date de facturation, au plus tard le 1er janvier 2012.

65. En complément de ces critères posés par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008, l'accord dérogatoire ne doit pas comporter de clauses contraires aux règles de concurrence. L'exercice du contrôle sur ce point va de soi, dès lors que le législateur a prévu l'avis de l'Autorité de la concurrence préalablement à l'adoption du décret validant un accord.

66. Ces différentes questions seront abordées successivement.

a) Le niveau des stocks et des délais de paiement de l'activité en 2007

67. Concernant les industriels, le GIFO a commandé début 2009 à l'Institut I + C une enquête sur les délais de paiement portant sur l'année 2008, à l'appui de sa demande d'accord dérogatoire. L'enquête réalisée auprès de 43 entreprises adhérentes du GIFO concerne des données générales et par familles de produits, et porte sur les délais moyens et maximum nets.

68. Elle fait apparaître un délai moyen de 72 jours nets (57 jours fin de mois), avec 34 % des entreprises de l'échantillon dépassant les 80 jours. Le délai maximum atteint en moyenne 116 jours (101 jours fin de mois).

69. Les délais moyens et maximum par type de produits peuvent être synthétisés dans le tableau suivant :

<emplacement tableau>

70. Par ailleurs, une enquête réalisée par la FCGA (Fédération des Centres de Gestion Agréés) basée sur les déclarations fiscales de 2006 de 727 magasins d'optique, évalue le crédit fournisseur à 56 jours et les stocks à 154 jours.

71. Enfin, une étude interne à l'un des groupements adhérents du SYNOPE de 2007, représentant plus de 1 500 magasins de détail, estime la rotation moyenne des stocks des montures optiques à 276 jours, et celle des solaires à 228 jours. Le SYNOPE indique, sans donner de chiffres, qu'une partie des verres de correction " standard " font l'objet d'un stockage dans les plates formes des centrales d'achat des enseignes.

72. Selon le CASOPI et la FNOF, les verres, qui représentent 50 % des achats, ne sont stockés ni par l'opticien, ni par les centrales d'achat sans enseigne, car ces produits de prescription sont commandés à la demande et réglés dans le cadre du tiers payant avant facturation par les organismes sociaux.

73. Ces résultats mettent en évidence que le financement des magasins d'optique et en particulier des groupements d'enseignes, repose sur le crédit fournisseur. Ce constat peut être renforcé, si l'on se réfère aux résultats d'une enquête PLIMSOLL réalisée en janvier 2009, qui évalue le délai de règlement de deux enseignes importantes à 105 jours et 127 jours nets.

74. Les données de l'Observatoire des délais de paiements de la Banque de France permettent de mettre en perspective les chiffres transmis par la profession, à partir d'une appréciation extérieure.

75. L'Observatoire dispose pour 2007 d'un compte " commerce de détail d'optique " (NAF 47.78A) qui est établi sur la base de 848 entreprises personnes morales du secteur dont la quasi-totalité sont des PME :

<emplacement tableau>

76. Les niveaux du crédit fournisseur et surtout des stocks calculés par l'Observatoire pour les opticiens, se révèlent nettement inférieurs à ceux avancés par la profession. Ils sont toutefois légèrement plus élevés par rapport aux résultats du commerce de détail pris toutes activités confondues.

77. Pour trouver un délai comparable à celui communiqué par la profession, il faut se référer au 3ème quartile des statistiques de l'Observatoire (58,2 jours), c'est-à-dire aux valeurs extrêmes de l'échantillon d'entreprises étudié.

78. Il faut donc s'attacher aux entreprises du secteur les plus fragiles financièrement pour considérer que le secteur supporte des délais de paiement importants.

b) L'existence de raisons économiques spécifiques au secteur

Les organisations signataires font état de plusieurs raisons économiques qui seraient spécifiques à leur activité pour justifier leur demande de dérogation : les délais de transformation pour la fabrication des produits en amont et aval ; la saisonnalité de certains produits tels les montures solaires commandées en une seule fois en pré-saison ; l'augmentation des délais de paiement du fait de la dépendance des distributeurs aux tiers payants ; et la prépondérance des petites entreprises au stade de la distribution.

Les délais de fabrication des produits

79. La profession évalue de 4 à 5 mois le délai de fabrication des produits comme les montures de lunettes avant leur livraison à l'opticien. En effet, les créateurs-distributeurs ont recours à la sous-traitance dans le pôle lunetier du Jura. La réalisation par les lunetiers français de produits complexes, souvent haut de gamme et innovants (design, matériaux, confort et résistance des montures), nécessite un temps de fabrication plus long que pour les produits bas de gamme.

80. Ce constat contribue à peser sur les besoins de financement du cycle d'exploitation des fabricants de lunettes et donc leur capacité à supporter un crédit fournisseur important à l'égard de leurs clients. Mais un tel argument plaiderait plutôt en faveur de l'application immédiate du délai légal de paiement.

La saisonnalité des montures solaires et masques de ski

81. La profession a indiqué que le cycle de vente de ces produits nécessitait des commandes de pré-saison, avec l'obligation de constituer des stocks 6 mois à l'avance.

82. La FNOF nous a communiqué une étude du paneliste GFK retraçant de mars 2008 à mars 2009 les chiffres d'affaires par produits :

<emplacement tableau>

83. Ce tableau montre que les chiffres d'affaires mensuels réalisés sur les solaires sont trois fois plus élevés pendant la période d'été (mai à août) qu'en automne et hiver.

84. Les solaires, selon GFK, représenteraient 8,8 % du marché de l'optique en valeur en 2008.

85. Par ailleurs, l'étude réalisée en 2007 auprès d'un groupement adhérent du SYNOPE, met en évidence la concentration des ventes de solaires et de masques de ski autour de deux périodes : mars et novembre/ décembre avec un léger pic en juillet pouvant s'expliquer par un nécessaire réassort.

<emplacement tableau>

L'augmentation des délais de paiements du fait de la dépendance des distributeurs au tiers payant

86. La part remboursée par l'assurance maladie pour les adultes est minime, et la prise en charge par les assurances complémentaires de santé est très variable selon les produits. Entre 26 et 42 % du prix d'achat restent à la charge du client pour les verres simples, et de 53 à 70 % pour l'optique complexe (verres progressifs).

87. En pratique, les magasins de détail sont dépendants pour leur fonctionnement des délais de paiement de la part tiers-payant des équipements par les complémentaires de santé. Le SYNOPE estime le remboursement sur facture par la complémentaire entre 30 et 45 jours, avec des délais pouvant dépasser 90 jours. Selon l'association EDI Optique, 40 % des assurances mutuelles complémentaires remboursent comptant et 60 % à 35 jours.

La prépondérance des petites entreprises au stade des détaillants :

88. Les entreprises de petites tailles représentent la majorité des points de vente, (plus de 60 % des magasins comptant moins de 5 salariés).

89. Dans ce contexte, le financement de l'installation de ces entreprises est en partie assuré par des délais de paiement plus importants consentis par les fournisseurs.

90. Les centrales d'achat (sous enseigne et hors enseigne) accordent en effet des facilités de trésorerie pour aider à la création de magasins. Pour le CASOPI, la pratique des centrales adhérentes de ce syndicat pour toute création de magasin, est d'augmenter les délais de paiement à 60 jours et plus rarement à 90 jours pour une durée limitée à un an.

91. L'application immédiate des délais légaux pourrait ainsi entraîner des difficultés d'installation des nouveaux magasins, faute de pouvoir tabler sur le crédit fournisseur pour financer leur démarrage.

92. La taille des entreprises de distribution a aussi des conséquences sur leurs conditions de financement, avec les difficultés usuelles inhérentes à ce type d'entreprises pour leur accès au crédit bancaire et donc leur dépendance vis-à-vis du maintien de délais de paiement importants obtenus de leurs fournisseurs.

93. En définitive, la saisonnalité des ventes pour le solaire, la pratique de délais plus importants pour les installations de magasins et la faible surface financière des opticiens indépendants, peuvent être considérés comme des facteurs susceptibles de répondre à l'existence d'une spécificité économique de la profession concernée, que la loi demande pour justifier un accord dérogatoire au délai légal de paiement.

b) Le calendrier de réduction des délais de paiement convenu par les parties

94. L'article 21-III de la loi de modernisation de l'économie demande la mise en place par l'accord interprofessionnel d'une réduction progressive des délais de paiement dérogatoires, afin de parvenir au délai légal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets au plus tard le 1er janvier 2012.

95. L'accord du 18 décembre 2008 prévoit deux calendriers : le premier, concerne les verres correcteurs, les montures ainsi que leurs composants et accessoires, et les matériels (transformation des produits, matériels de réfraction), le second, est relatif aux montures solaires, masques de ski et montures solaires de sport pour les commandes de pré-saison hors réassortiment.

96. Les deux échéanciers peuvent être synthétisés dans le tableau suivant :

<emplacement tableau>

97. S'agissant de l'échéancier général, les délais maximum déclarés par la profession sont de 101 jours pour l'ensemble des produits, ce qui donne une réduction progressive et répartie de manière homogène sur la période d'ajustement pour atteindre le délai légal au 1er janvier 2012. La baisse des délais est en effet de 11 jours au 1er janvier 2009, puis de 15 jours par an sur le reste de la période.

98. Les délais dérogatoires prévus pour les montures solaires ne paraissent pas cohérents avec les délais actuels pour ces produits déclarés par la profession. L'étude précitée du GIFO évalue le délai moyen actuel à 80 jours nets et le délai maximal à 102 jours pour ces produits. Les engagements prévus conduiraient ainsi à un allongement de 20 à 40 jours, ce qui est en contradiction avec la loi de 2008.

99. L'application d'un seul calendrier, prévoyant les mêmes délais dérogatoires pour les solaires que pour les autres produits sur l'ensemble de la période, apparaît donc souhaitable.

c) Les articles 9 et 10 de l'accord dérogatoire suscitent des réserves

100. L'article 9 de l'accord, créant un observatoire des délais de paiement composé à parité des représentants de la distribution et de la fabrication, chargé d'établir un état des lieux sur l'application des délais dérogatoires par des rencontres régulières, suscite des réserves.

101. La mission même de l'Observatoire national des délais de paiement étant le suivi des pratiques en la matière, on peut s'interroger sur la nécessité de créer un observatoire spécifique à la filière, qui pourrait de plus servir de support à une concertation entre les entreprises parties prenantes en allant au-delà de la question du suivi de l'accord dérogatoire.

102. L'article 10 modifié par l'avenant du 27 février 2009 ouvrant la possibilité pour certains signataires de dénoncer l'accord, et qui complète la représentation de l'Observatoire suscite les mêmes réserves que l'article 9.

103. A la suite de l'instruction, toutes les organisations signataires se sont engagées, par écrit, à supprimer ces deux articles ainsi que les annexes IV et V s'y rapportant.

d) Les distorsions de concurrence éventuelles inhérentes au périmètre de l'accord dérogatoire

104. Les parties à l'accord ont demandé au ministre son extension à l'ensemble des opérateurs de la filière dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires.

105. A titre général, l'extension est souhaitable, afin d'éviter des distorsions de concurrence entre des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité, mais aussi pour ne pas lier le bénéfice de l'accord à la condition d'appartenance aux organisations signataires.

106. S'agissant des fournisseurs qui sont des fabricants et des grossistes importateurs, il est proposé d'étendre le bénéfice de l'accord aux entreprises non adhérentes du GIFO mais relevant, à titre principal, de l'activité couverte par l'accord.

107. S'agissant des distributeurs, l'extension de l'accord aux entreprises non adhérentes du SYNOPE, de la FNOF, du CASOPI et du SYNOM, mais concernées, à titre principal, par le périmètre de l'accord, est recommandée.

CONCLUSION

L'Autorité émet un avis favorable à l'accord du 18 décembre 2008 complété par l'avenant du 27 février 2009 et propose son extension aux opérateurs placés dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité.

Elle formule cependant la recommandation de supprimer les articles 9 et 10 de l'accord modifié par l'avenant et de mettre en place un seul calendrier de réduction, avec les mêmes délais dérogatoires, pour les articles solaires et les autres produits.

Délibéré sur le rapport oral de M. Joël Ayache et l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mme Anne Perrot et M. Patrick Spilliaert, vice-présidents.