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Décisions

ADLC, 28 septembre 2009

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Sur la révision du règlement (CE) n° 2790-99 et des lignes directrices concernant les restrictions verticales

ADLC

28 septembre 2009

NB : Les principales observations présentées par l'Autorité en réponse à la consultation publique organisée par la Commission européenne sont synthétisées en début d'avis en français et en anglais.

The gist of the Autorité's observations in response to the public consultation launched by the European Commission is summarized in the opening section of the opinion, in French and in English.

SYNTHÈSE

1. L'Autorité salue le maintien d'un règlement d'exemption et de lignes directrices dédiés aux relations verticales, sous une forme destinée à tenir compte de l'enrichissement de l'analyse économique et à intégrer les évolutions intervenues dans le monde de la distribution depuis dix ans. La modernisation et l'enrichissement de ces textes doivent cependant se faire à niveau de pédagogie et de prévisibilité constants, dans l'intérêt des entreprises ainsi que des autorités et des juridictions de contrôle.

2. Compte tenu du peu de preuves concrètes, à ce jour, des effets pro-concurrentiels des restrictions portant sur les prix de revente, qui sont qualifiées de restrictions caractérisées par les textes actuels, il est légitime de conserver cette qualification, en ligne avec le consensus international.

3. Pour autant, il est fondamental de rappeler que de telles pratiques peuvent être justifiées au titre de l'article 81, paragraphe 3, du traité CE, d'encourager les entreprises à faire valoir les raisons d'efficacité économique susceptibles de les fonder, et de souligner que les autorités de concurrence prendront ce type d'arguments au sérieux.

4. Pour sa part, le traitement des restrictions concernant d'autres modalités de vente que les prix doit chercher à promouvoir le bien-être des consommateurs. Il doit dans le même temps veiller à préserver la diversité des stratégies de distribution qui concourent à ce bien-être, dès lors qu'elles sont fondées sur une logique de concurrence.

5. En particulier, il est important d'assurer dans la durée la coexistence du commerce en ligne et des réseaux de distribution en dur, qui sont de nature à répondre à des préférences différentes des consommateurs en termes de prix, de choix, de qualité et de proximité, en prévoyant les outils de " réglage fin " nécessaires pour assurer un équilibre équitable entre ces deux activités.

6. Enfin, l'évolution préconisée du mode de calcul du seuil de part de marché conditionnant l'applicabilité du règlement d'exemption par catégorie devrait conduire les autorités de concurrence à appréhender plus finement le pouvoir de marché de l'ensemble des agents de la chaîne de distribution, en se préoccupant des cas de verrouillage de nature à porter une atteinte sensible à la concurrence.

EXECUTIVE SUMMARY

1. The Autorité welcomes the renewal of a block exemption regulation and of guidelines dedicated to vertical relations, as well as the modernization process, which is aimed at keeping up with economic analysis and with the changes that have occurred in the distribution world during the last decade. This modernization and fine-tuning should however go hand in hand with a high level of guidance and predictability, for the benefit of market players as well as of enforcement agencies and review courts.

2. Given the current lack of actual evidence of pro-competitive effects of price-related vertical restraints, which are characterized as hardcore restraints in the current texts, it is legitimate to retain such a characterization, in line with the international consensus in that regard.

3. Nevertheless, it is crucial to stress that such practices can be justified by Article 81, paragraph 3, of the EC Treaty ; to incentivize firms to come up with efficiency gains liable to ground such a justification ; and to make it clear that competition authorities will take such claims seriously.

4. For its part, the approach to non-price related vertical restraints must strive to promote consumer welfare. It must at the same time take care not to inhibit the variety of distribution strategies that contribute to this welfare, insofar as they are grounded on competition principles.

5. In particular, it is important to guarantee in the long run the coexistence between online trade and physical distribution networks, which are such as to satisfy varying consumer preferences in terms of price, choice, quality and proximity, by providing for the "fine-tuning" instruments necessary to ensure a fair balance between these two activities.

6. Finally, the foreseen evolution of the method applied for calculating the market share threshold conditioning the availability of the block exemption regulation should allow competition authorities to assess more precisely the market power of firms all along the distribution channel, by targeting cases of forclusion liable to appreciably impede competition.

INTRODUCTION

La Commission européenne (ci-après, la " Commission ") a invité, le 28 juillet 2009, les intéressés à lui faire part de leurs éventuelles observations sur deux projets de textes - un règlement et des lignes directrices - destinés à moderniser la politique communautaire de concurrence en matière de relations entre opérateurs intervenant à différents stades de la chaîne de valeur.

A l'heure actuelle, ces relations, dites " verticales ", sont appréhendées par le règlement (CE) n° 2790-99 de la Commission du 22 décembre 1999 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3 CE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées (1) (ci-après, le " règlement d'exemption "), complété par la communication n° 2000-C 291-01 de la Commission du 13 octobre 2000 portant lignes directrices sur les restrictions verticales (2) (ci-après, les " lignes directrices ").

Ces textes, qui ont constitué depuis leur adoption un puissant incitatif à approfondir l'analyse économique des possibles effets pro-concurrentiels (3) et anticoncurrentiels (4) des restrictions verticales, sont aussi un important vecteur de transparence et sécurité juridique. Ils contribuent notablement à assurer l'interprétation et l'application uniformes du droit communautaire en ce domaine. Cette fonction est devenue encore plus importante depuis l'entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil du 16 décembre 2002 sur la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 CE (5), qui a abouti à confier aux autorités nationales de concurrence (ci-après les " ANC ") et aux juges nationaux la responsabilité de traiter une part majeure du contentieux relatif aux restrictions verticales.

Pour s'en tenir à la France, l'Autorité a, au cours des dernières années, appliqué le règlement d'exemption et/ou les lignes directrices dans quatre avis et dans quarante-deux décisions, dont dix-huit portant sur des prix imposés, dix-sept sur des questions liées à la distribution sélective, deux sur la distribution exclusive et huit sur des clauses d'exclusivité ou de non-concurrence (voir annexe 1). L'Autorité a donc acquis une expérience significative de la mise en œuvre de ces textes.

Cette multiplication des " acteurs " habilités à mettre en œuvre le droit communautaire de la concurrence s'étant accompagnée d'une suppression du mécanisme de notification préalable qui caractérisait antérieurement le système communautaire de régulation de la concurrence, le besoin de prévisibilité auquel répondent le règlement et les lignes directrices est fondamental pour les entreprises, que celles-ci soient en mesure de bénéficier d'une " zone de sécurité " parce que leur part de marché est inférieure à 30 % ou qu'elles aient à évaluer par elles-mêmes, au cas par cas, la légalité de leurs pratiques commerciales ou de leurs contrats.

L'Autorité se félicite par conséquent du choix de la Commission de reconduire ces textes.

Deux facteurs justifiaient néanmoins leur modernisation. D'une part, les configurations de marché ont considérablement évolué depuis dix ans. De nouvelles formes de commerce sont apparues ou montées en puissance, par exemple le commerce en ligne. Dans le même temps, certains équilibres ont pu se modifier, comme l'illustre notamment la croissance du pouvoir de négociation de nombre de détaillants de biens et de services. D'autre part, le recours plus large à l'analyse économique initié par ces textes a considérablement progressé au cours des dix dernières années, notamment en matière de gains d'efficience, justifiant donc leur " mise à jour ".

Dans sa réponse à la consultation publique, l'Autorité concentrera ses observations sur les trois principales évolutions envisagées par la Commission, qui concernent les restrictions caractérisées en matière de prix (1), l'articulation entre le commerce en ligne et le commerce physique (2) et la modification des modalités de calcul du seuil de part de marché déterminant l'application du règlement (3). Elle évoquera plus brièvement d'autres points (4).

1. LA MODERNISATION DU TRAITEMENT DES RESTRICTIONS CARACTÉRISÉES DEVRAIT STIMULER LA DISCUSSION RELATIVE AUX GAINS D'EFFICIENCE ÉCONOMIQUE

Le rééquilibrage de la politique communautaire relative aux restrictions verticales préconisé par la Commission (1.1) est bienvenu : tout en continuant à juste titre à approcher les restrictions portant sur les prix de revente avec réserve (1.2), l'architecture retenue dans le projet de lignes directrices devrait en effet inciter les entreprises à amorcer un véritable dialogue avec les ANC en matière de gains d'efficacité (1.3).

1.1. Le projet de lignes directrices entreprend de rétablir l'équilibre entre l'interdiction de restreindre la concurrence intra-marque et la possibilité de s'en justifier

La Commission propose de " rééquilibrer le curseur " en soulignant que les restrictions dites " caractérisées " (6) (notamment l'imposition de prix de revente minimum), bien qu'elles continuent d'être considérées comme des pratiques interdites par l'article 81, paragraphe 1, CE, peuvent parfaitement être admises au bénéfice d'une exemption individuelle au titre de l'article 81, paragraphe 3, CE si elles sont justifiées par des gains d'efficacité économique dont une partie équitable est retransmise aux consommateurs.

Cette évolution est conforme à la lettre du traité CE, qui ne prive pas a priori tel ou tel type de restrictions verticales du bénéfice de son article 81, paragraphe 3. Il ne faut pas pour autant en minimiser la portée pratique, mais au contraire la saluer. Elle envoie en effet un signal très positif aux acteurs économiques, dont certains ont parfois déduit de la jurisprudence, notamment communautaire, des cinquante dernières années que la notion de restriction caractérisée aboutissait en pratique à rendre non seulement improbable, mais peut-être même quasiment impossible, à l'image d'une interdiction per se, l'exemption individuelle de pratiques telles que des prix de revente imposés.

L'adoption des nouveaux textes lèvera les ambiguïtés qui pourraient exister à cet égard et permettra de distinguer clairement la politique communautaire en matière de restrictions verticales de celle, plus sévère, menée à l'égard des cartels : seules ces derniers continueront à l'avenir d'être considérés en pratique comme " injustifiables ", en raison de leurs effets particulièrement nocifs sur le bien-être des consommateurs.

1.2. Le maintien de la notion de restriction caractérisée est conforme au consensus international et à l'expérience concrète, à ce stade, d'une majorité d'autorités de concurrence

Le projet de lignes directrices s'inscrit dans la filiation du texte actuel, en expliquant dans un premier temps que les restrictions caractérisées sont présumées avoir un objet anticoncurrentiel, de sorte qu'elles ne peuvent pas prétendre au bénéfice de l'exemption par catégorie instaurée par le projet de règlement.

Cette approche apparaît justifiée, en l'état actuel de l'expérience acquise par l'Autorité, en particulier en matière de prix de revente imposés. Pour mémoire, l'Autorité les qualifie, conformément aux lignes directrices, de restrictions par objet et se dispense par conséquent de tout examen de leurs effets actuels ou potentiels sur la concurrence au stade de leur qualification au regard de l'article 81, paragraphe 1, CE. Néanmoins, le code de commerce français prévoit que les amendes prononcées pour violation du droit de la concurrence sont fonction de " l'importance du dommage causé à l'économie " et non seulement de la durée ou de la gravité des pratiques en cause. De ce fait, l'Autorité est amenée à se forger une conviction sur le scénario économique et sur la " theory of harm " expliquant le cas d'espèce y compris en présence de prix de revente imposés, ainsi qu'à faire une appréciation qualitative de l'impact de ce type de pratiques sur le bien-être des consommateurs et sur l'économie. C'est cette appréciation qui a justifié, à plusieurs reprises, le prononcé d'amendes conséquentes, et non simplement le constat de l'existence d'une restriction par objet.

Cette appréciation concrète de la portée négative qu'ont fréquemment les pratiques de prix imposés pour le bien-être des consommateurs contraste avec le peu de preuves tangibles que possède à ce stade l'Autorité en ce qui concerne leurs effets pro-concurrentiels - alors même que la littérature économique relative à ces effets s'est considérablement développée au cours des dernières années. Il est donc logique qu'elle serve de point de départ à la réforme préconisée par la Commission et aboutisse au maintien d'une présomption d'objet anticoncurrentiel.

Au demeurant, la suppression du recours à cette notion serait allée à rebours du consensus international sur la portée pro- ou anticoncurrentielle des pratiques de prix imposés, tel qu'il s'est notamment exprimé à l'occasion de la table ronde du comité de la concurrence de l'OCDE sur ce thème en octobre 2008. Les discussions, parfois très vives, qui se sont fait jour - et se poursuivent - aux États-Unis depuis le revirement de jurisprudence opéré dans l'arrêt Leegin (7) montrent certes que ce consensus pourrait à terme être réévalué, mais aussi que tel n'est pas encore le cas à l'heure actuelle.

1.3. L'examen des effets réels de certaines restrictions caractérisées est cependant appelé à monter en puissance

Tout en maintenant donc la notion de restriction caractérisée, les projets de textes présentés par la Commission (8) redessinent la façon dont l'article 81 CE est appelé à être mis en œuvre au cas par cas. Le projet de lignes directrices énonce très clairement que la qualification d'objet anticoncurrentiel - qui équivaut à une présomption d'effet(s) anticoncurrentiel(s) - est réfragable, ce qui va dans le bon sens. La présence d'une telle restriction conduit certes à exclure la possibilité de faire jouer le règlement d'exemption, mais ne fait en aucun cas obstacle au jeu de l'article 81, paragraphe 3, CE, comme l'illustre par anticipation la dernière décision rendue par l'Autorité en ce domaine (9).

Cette précision bienvenue conduit logiquement la Commission à clarifier, dans son projet de lignes directrices, les modalités de fonctionnement de la charge de la preuve des conditions d'application de l'article 81, paragraphe 3, CE. Celle-ci incombe en premier lieu aux entreprises mises en cause, conformément au règlement n° 1-2003. Mais il va de soi que, en présence d'allégations selon lesquelles une pratique donnée engendre des gains d'efficacité (ou, en d'autres termes, des effets pro-concurrentiels, qui peuvent d'ailleurs être tant actuels que potentiels), il revient aux ANC d'examiner dans un premier temps si les arguments et les éléments de preuve invoqués à l'appui prouvent effectivement l'existence de tels gains d'efficacité, avant de faire dans un second temps le " bilan " concurrentiel de la pratique en cause. Cette seconde étape impose à l'évidence d'évaluer les effets anticoncurrentiels (eux aussi actuels ou potentiels) qui ont été présumés dans le cadre de l'examen mené au titre de l'article 81, paragraphe 1, CE (10), afin de pouvoir les comparer aux effets pro-concurrentiels démontrés par l'entreprise concernée.

L'architecture retenue par la Commission permet donc, sans déplacer radicalement le centre de gravité de la politique communautaire en matière de restrictions verticales ni compliquer inutilement sa mise en œuvre, de mieux prendre en compte d'éventuels gains d'efficacité au cas par cas que cela n'a pu être fait dans le passé. Elle devrait dès lors encourager les entreprises à construire des raisonnements économiques concrets et convaincants à destination des ANC et des juges, à l'image des évolutions intervenues depuis dix ans en matière de concentrations (11) et plus récemment d'abus de position dominante (12).

Le projet de lignes directrices fait d'ailleurs preuve de pédagogie à cet égard, en décrivant les différents effets, aussi bien positifs (13) que négatifs (14), que peuvent engendrer les pratiques verticales les plus fréquemment rencontrées. Ces développements sont extrêmement bienvenus dans la perspective des évaluations au cas par cas que les ANC et les juges nationaux seront amenés à conduire. Ce guide d'analyse n'interdit cependant pas de prendre en considération d'autres éléments que ceux décrits dans le projet de lignes directrices, dans la mesure où ils revêtiraient de l'importance dans tel ou tel cas d'espèce donné ; de tels éléments pourraient tenir, par exemple, à la forme des contrats passés entre distributeurs et fournisseurs (15), aux modalités de négociation entre détaillants et fournisseurs ou encore à l'appréhension du risque par les différents acteurs.

En définitive, l'évolution progressive et maîtrisée proposée par la Commission recueille le plein assentiment de l'Autorité. Elle n'interdit nullement d'aller plus loin dans une seconde étape, lorsque les incitations à construire des raisonnements en termes d'efficacités économiques auront fonctionné et que les ANC auront acquis une expérience plus étoffée dans le traitement de ces raisonnements.

2. LA PRISE EN COMPTE DU COMMERCE PAR INTERNET TEND À ASSURER L'ÉQUILIBRE ENTRE LES DIFFÉRENTES STRATÉGIES DE DISTRIBUTION CONTRIBUANT AU BIEN-ÊTRE DES CONSOMMATEURS

Le commerce en ligne, qui a connu un essor sans précédent au cours de la dernière décennie, constitue une révolution pour les consommateurs. Il démultiplie leurs possibilités de choix et intensifie la concurrence par les prix. Son incidence sur les autres paramètres du bien-être des consommateurs - la proximité et la qualité - est néanmoins plus ambivalente, voire paradoxale. A moins de disposer par ailleurs de points de vente physiques, le commerçant en ligne est, en quelque sorte, accessible à la fois partout et nulle part ; à la différence du produit exposé en vitrine, celui proposé sur internet peut faire l'objet de comparaisons infinies, immédiates et sans effort, mais il est dans le même temps hors de portée. Cette double caractéristique - ubiquité et dématérialisation - explique tant les potentialités que les limites actuelles du commerce en ligne, à la fois source d'opportunités nouvelles pour les consommateurs et substitut imparfait du commerce physique. Elle explique aussi que les arbitrages effectués, en termes de bien-être, puissent varier d'un consommateur à l'autre, certains privilégiant davantage le prix tandis que d'autres se détermineront plutôt en fonction de la qualité ou de l'image du produit en cause.

Un même constat peut être fait du point de vue des entreprises. La plupart d'entre elles devraient y voir une opportunité nouvelle d'accéder aux consommateurs et d'innover, et donc investir progressivement ce nouveau canal de distribution. Pour autant, le recours à la vente en ligne peut aussi avoir des incidences plus large sur leur stratégie de distribution - stratégie qui peut être fondée sur des arbitrages variables, d'une entreprise à l'autre, entre les différents paramètres de concurrence que sont, pour n'en citer que quelques uns, le prix, les possibilités de choix, la qualité, les services associés au produit ou encore l'image de ce dernier. Ces différences de stratégie ne sont, en elles-mêmes, pas une source de préoccupation pour le droit de la concurrence et les autorités chargées d'assurer la régulation concurrentielle des marchés : dans le modèle d'économie de marché choisi par l'Europe, les entreprises ont l'obligation de se faire concurrence, mais sont libres de choisir comment elles se font concurrence.

En pratique, l'essor du commerce en ligne induit donc, à tous points de vue, des évolutions profondes des formes de distribution. Ses effets sur la concurrence inter-marques sont plutôt positifs : il accroît les ventes totales, diminue les coûts de transaction et permet, dans certains cas, de diversifier les services offerts. Ces effets peuvent également se traduire sur la concurrence intra-marque, mais dans ce domaine, l'internet est aussi susceptible d'engendrer des externalités négatives au sein des réseaux de détaillants (16) - distorsions qui peuvent être particulièrement marquées lorsque la stratégie de distribution du fabricant repose sur l'image de marque, sur la rotation et la variété des stocks, sur la qualité de l'environnement de vente et sur des services professionnels ne pouvant être offerts qu'à travers un réseau de distribution physique. La vente sur internet peut par ailleurs être délicate à concilier avec des exclusivités territoriales.

Dans ce contexte, les lignes directrices méritaient d'être précisées. Elles transposaient aux ventes sur internet les interdictions traditionnelles visant la restriction des ventes passives (dans le cadre de la distribution exclusive) ou passives et actives (au sein de réseaux de distributeurs agréés sélectionnés par les fournisseurs sur le fondement de critères qualitatifs). Mais, compte tenu des mutations technologiques intervenues depuis dix ans, il convenait de préciser ce texte afin de prévenir le risque d'un " décrochage " qui aurait laissé, à certains égards, les entreprises dans l'incertitude juridique et pratique quant aux moyens qu'elles peuvent mettre en œuvre pour articuler des stratégies concurrentielles et des réseaux de distribution assurant la cohérence entre leur activité de vente en ligne et leur activité de vente physique.

Le projet de lignes directrices, qui est en phase avec les grands équilibres de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence françaises, tend à apporter la sécurité juridique nécessaire aux opérateurs et aux autorités de contrôle, en actualisant la distinction entre ventes passives et ventes actives (2.1), en précisant la portée de l'interdiction des restrictions apportées à la vente en ligne (2.2) et en donnant aux fournisseurs les outils nécessaires pour traduire leur stratégie concurrentielle dans leurs outils contractuels (2.3). Il gagnerait toutefois à être précisé ou clarifié sur certains points fondamentaux, qui seront évoqués en tant que de besoin.

2.1. La distinction entre ventes passives et actives, qui est indispensable pour appréhender la distribution exclusive et la franchise, est maintenue et actualisée

On le sait, seules les restrictions des ventes actives sont autorisées dans le cadre de la distribution exclusive. Il est donc nécessaire de conserver la distinction entre vente active et vente passive et d'en clarifier les modalités d'application à la vente en ligne, sauf à bouleverser fondamentalement l'activité des opérateurs ayant choisi la distribution exclusive comme stratégie concurrentielle, en considérant arbitrairement - d'un point de vue technique - qu'un site internet constitue en toute hypothèse le support de ventes, soit actives, soit passives.

Il faut toutefois demeurer conscient des contraintes pesant sur cet exercice de clarification : chercher à tracer des frontières trop fines et trop figées entre différentes modalités de vente en ligne, en fonction de leurs caractéristiques techniques, apparaît délicat, voire vain d'un point de vue pratique, le futur règlement et les futures lignes directrices étant en principe appelés à s'appliquer jusqu'en 2019. Surtout, des distinctions trop subtiles constitueraient autant de sources d'insécurité juridique pour les entreprises et, potentiellement, de " foyers contentieux " pour les autorités et les juridictions de contrôle.

En définitive, il apparaît justifié de considérer que la notion de vente active est centrée sur les actions de promotion ciblées sur une clientèle déterminée, quelles qu'en soient les modalités techniques, la notion de vente passive s'appliquant aux actions de promotion générale sans lesquelles le détaillant ne pourrait s'adresser à sa clientèle réservée et à la clientèle non réservée à d'autres détaillants, ainsi qu'aux ventes effectuées sur demande spontanée du client (17).

2.2. Les projets s'efforcent, à juste titre, de préciser la portée de l'interdiction des restrictions de ventes passives et actives effectuées en ligne

L'interdiction de vendre en ligne constitue, comme il vient d'être dit, une limitation des ventes passives et, dans certains cas, des ventes actives. Elle doit donc être analysée au regard des critères posés par les articles 4, sous b) et c), du projet de règlement d'exemption.

Le projet de lignes directrices apporte des précisions utiles à cet égard. En particulier, il précise que l'ouverture d'un site internet ne peut être assimilée à l'ouverture d'un nouveau point de vente (18), approche qui est cohérente avec celle développée en France. L'Autorité, approuvée par les juridictions françaises (19), considère elle aussi qu'un site internet n'est pas un lieu de vente, mais un moyen de vente. L'Autorité a ainsi eu l'occasion de préciser " qu'un site internet n'est pas un lieu de commercialisation mais un moyen de vente alternatif utilisé, comme la vente directe en magasin ou la vente par correspondance, par les distributeurs d'un réseau disposant de points de vente physiques " (20). La Cour de cassation française a retenu la même approche en jugeant que l'ouverture d'un site internet par un franchiseur n'est pas de nature à violer la garantie contractuelle d'exclusivité territoriale qu'il avait concédée à son franchisé (21).

De même, le projet de lignes directrices précise (22), en cohérence également avec la pratique décisionnelle française (23), les cas, d'ores et déjà prévus par les lignes directrices actuelles (24), dans lesquelles une interdiction absolue de vendre en ligne peut apparaître objectivement nécessaire et échapper, sans plus ample examen, à l'interdiction prévue par l'article 81, paragraphe 1, CE. Il est désormais clarifié que cette exception, d'interprétation stricte, équivaut en substance à une réserve d'ordre public, applicable par exemple pour faire respecter une interdiction générale de vendre des substances dangereuses par internet pour des raisons de sécurité ou de santé publiques. De toute évidence, cette approche n'empêche en rien les opérateurs de convaincre une ANC ou un juge qu'une interdiction catégorique de vendre en ligne qui ne serait pas justifiée " en amont " par ce type de raisons d'ordre public et tomberait donc sous le coup de l'interdiction prévue par l'article 81, paragraphe 1, CE, doit néanmoins bénéficier, au cas d'espèce, d'une exemption individuelle au titre de l'article 81, paragraphe 3, CE au motif qu'elle est justifiée par des gains d'efficacité économiques. Le traitement des restrictions verticales portant sur les modalités de vente est, de ce point de vue, identique à celui des restrictions portant sur les prix, évoqué dans la première partie des présentes observations.

2.3. Le nouveau projet de lignes directrices vise à permettre la coexistence à long terme de toutes les stratégies concurrentielles envisageables, au bénéfice des consommateurs

Dans la mesure où les entreprises ont le libre choix de leur stratégie de distribution, dès lors que celle-ci est conforme aux règles de concurrence, il faut saluer l'architecture retenue par la Commission dans son projet de lignes directrices, qui tire enseignement des questions rencontrées par les ANC dans leur pratique décisionnelle, et vise à permettre un déploiement cohérent des différentes stratégies de distribution susceptibles d'être mises en œuvre au sein du marché unique, à commencer par la distribution sélective dont la légitimité, les éléments structurants et l'intérêt pour les consommateurs sont ancrés dans la jurisprudence communautaire depuis des décennies. Les lignes de force de cette architecture sont les suivantes.

En premier lieu, la Commission estime (25) qu'il est interdit d'interdire aux détaillants autorisés à intégrer un réseau de distribution d'avoir une activité de vente en ligne - sous réserve de la clause d'ordre public évoquée au point précédent et de la possibilité donnée aux fabricants de justifier, au cas par cas, l'existence d'une telle interdiction au moyens de gains d'efficacité de nature à bénéficier aux consommateurs. L'Autorité soutient pleinement cette approche, qui ne devrait au demeurant concerner qu'un petit nombre de cas, tant les échanges qu'elle a pu avoir avec les parties prenantes ont montré que les entreprises dont la stratégie concurrentielle repose sur la distribution sélective ou exclusive sont généralement favorables à l'essor de la vente en ligne, pour autant que celui-ci se fasse selon des modalités cohérentes avec leur " business model ". Il est en effet légitime et logique, dès lors qu'un détaillant est admis à participer à un réseau de distribution au motif qu'il répond aux critères auxquels est conditionné son accès (26), qu'il puisse pratiquer la vente en ligne et non seulement la vente en dur. Des raisons d'efficacité économique conduisant à vouloir fermer catégoriquement ce canal de vente peuvent exister, mais elles doivent faire l'examen d'un examen approfondi au cas par cas, au titre de l'article 81, paragraphe 3, CE.

En deuxième lieu, et par symétrie, le projet de lignes directrices retient qu'il est loisible à des fournisseurs d'imposer l'exploitation d'un lieu de vente physique (" magasin traditionnel ") aux détaillants qui souhaiteraient intégrer leur réseau de distribution (27). L'Autorité soutient là aussi cette approche, qui se fonde sur la pratique antérieure de la Commission (28), également suivie par la pratique décisionnelle française (29). La raison qui la fonde est simple. Le déploiement et la pérennité d'un réseau de distribution reposent au premier chef sur la solidarité et l'investissement collectifs de ses membres ; il ne serait donc guère admissible, en particulier lorsque la stratégie concurrentielle du fabricant privilégie non seulement l'image de marque et la qualité des produits, mais aussi l'existence de services de proximité qualifiés tels que le conseil professionnel, que certains détaillants ne jouent pas le jeu et bénéficie de l'effort commun sans y contribuer à proportion. L'appartenance au réseau implique en effet des droits, mais aussi des devoirs.

En définitive, le point d'équilibre préconisé par la Commission est donc articulé autour d'un " mix " entre la vente en dur et la vente en ligne, que l'on pourrait appeler le " brick and click ".

En troisième et dernier lieu, le projet de lignes directrices prévoit des mécanismes permettant de maintenir durablement cet équilibre. Cet effort est bienvenu : il serait paradoxal de chercher à garantir aux consommateurs la possibilité de tirer profit du potentiel que leur offre internet, tout en cessant de leur garantir les moyens de s'orienter, selon leurs préférences individuelles, vers d'autres formes de commerce tout aussi légitimes du point de vue de la concurrence.

En l'état des projets de règlement et de lignes directrices, ces outils existent, qu'il s'agisse de la faculté d'adapter les critères régissant la vente " en dur " à l'activité en ligne (critères qui peuvent n'être pas nécessairement identiques, compte tenu des différences de nature entre ces modes de distribution, comme le montre l'expérience de l'Autorité (30), mais qui doivent poursuivre le même objectif et permettre d'atteindre des résultats comparables (31)) ; de la possibilité d'imposer aux détaillants agréés de contribuer à l'investissement collectif qui constitue le coeur de la valeur ajoutée du réseau, en réalisant une quantité donnée de ventes via leur magasin physique (32) ; du droit de s'assurer que les distributeurs demandant à être intégrés à un réseau de distribution sélective ne se bornent pas à faire du " window dressing " en ouvrant un point de vente physique pour la forme, tout en axant l'essentiel de leur activité sur la vente en ligne, mais " jouent vraiment le jeu " du réseau (33) ; ou de la possibilité de prévenir les ventes à des distributeurs non agréés (34). Les termes dans lesquels est rédigé l'article 4, sous b), troisième tiret, du projet de règlement d'exemption créent toutefois une ambiguïté inutile à cet égard, qui n'existait pas dans le texte actuel. Si cette nouvelle formulation devait être conservée, elle pourrait aisément être clarifiée, sans modification de portée, en précisant que les restrictions territoriales sont interdites, " sauf s'il s'agit de restreindre les ventes par les membres d'un système de distribution sélective à des distributeurs non agréés sur les marchés où ce système est organisé ou appliqué ". Cette précision refléterait le fait que de tels systèmes ne se mettent à l'évidence pas en place d'un coup de " baguette magique ", mais se déploient au contraire progressivement sur le marché intérieur.

Il faut cependant rappeler que ces outils, s'ils sont effectivement mis en œuvre au cas par cas, le seront sous le contrôle éventuel des ANC et des juges nationaux. Il serait donc précieux pour les autorités de contrôle que les lignes directrices introduisent la description, quelque peu technique, de ces outils par un exposé des convictions " philosophiques " qui les sous-tendent - de la même manière que les lignes directrices, loin de se limiter à énumérer des exemples spécifiques de pratiques susceptibles de constituer des restrictions des ventes passives, exposent au préalable la " politique " d'ensemble qui guide cette énumération. Faire clairement comprendre à l'ensemble des garants du droit communautaire de la concurrence que l'objectif poursuivi par la Commission consiste à assurer un équilibre équitable entre les différentes stratégies concurrentielles légitimes au regard de l'article 81 CE, de façon à garantir durablement la coexistence des différents modes de distribution contribuant au bien être des consommateurs, aiderait chacun, de l'ANC spécialisée au juge national généraliste occasionnellement appelé à se pencher sur une affaire de restriction verticale, à appréhender ces outils de façon unifiée.

L'objectif premier des lignes directrices - qui est de contribuer à assurer l'interprétation et l'application cohérentes du droit communautaire de la concurrence dans un système de mise en œuvre décentralisé des règles - serait ainsi parfaitement assuré.

3. LA PRISE EN COMPTE DE LA PART DE MARCHÉ DES DISTRIBUTEURS AUX FINS DU CALCUL DU SEUIL PRÉVU PAR LE RÈGLEMENT PERMETTRA UN TRAITEMENT PLUS FIN DES RISQUES DE VERROUILLAGE

Dans certains secteurs, la puissance d'achat des distributeurs s'est considérablement accrue au fil des ans, en raison de facteurs tels que les barrières à l'entrée réglementaires (autorisations spécifiques à l'urbanisme commercial, modalités de négociations entre détaillants et fournisseurs) ou non réglementaires (coûts d'entrée élevés), de la rationalisation des achats et du référencement, ainsi que de l'essor des marques de distributeurs. L'analyse économique récente montre qu'un tel contexte favorise les effets de verrouillage et peut être de nature à freiner l'entrée de nouveaux produits ou le développement d'entreprises concurrentes sur les marchés situés en aval. Par exemple, lorsque l'installation d'un système de distribution est coûteuse, la capacité des fournisseurs à s'adresser aux distributeurs déjà présents sur le marché aval est cruciale.

Si l'accès à ces distributeurs est réduit, en raison d'accords d'exclusivité d'approvisionnement de durée ou de portée trop importantes, l'intensité de la concurrence s'en trouve réduite dans la mesure où l'entrée de nouveaux produits est freinée (35). De façon symétrique, de tels accords peuvent venir renforcer la position d'un distributeur et entraver le développement d'entreprises concurrentes sur le marché aval. Ces observations militent contre une présomption mécanique de légalité des accords dans lesquels l'une au moins des parties concernées possède une part de marché élevée.

A titre d'illustration, dans sa récente décision concernant les accords d'exclusivité entre Apple et Orange pour la distribution de l'iPhone, le Conseil de la concurrence, approuvé par la cour d'appel de Paris, a démontré que les risques d'atteinte à la concurrence entre opérateurs, liés à la durée exceptionnellement longue et à l'étendue des accords d'exclusivité conclus en l'occurrence, étaient d'autant plus grands que la position du bénéficiaire de l'exclusivité sur le marché des services de téléphonie mobile était importante et que la concurrence était peu intense sur ce marché (36).

La modification des modalités de calcul du seuil de 30 % déterminant l'applicabilité du règlement d'exemption apparaît donc tout à fait justifiée, d'un point de vue économique, dans son principe (37). Elle rejoint aussi les préoccupations exprimées en France par le parlement et le gouvernement, dans le cadre de l'adoption de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 (38), sur les relations entre producteurs et distributeurs.

Dans le même temps, le règlement d'exemption ne présume nullement de l'illégalité des accords conclus entre des entreprises dont une au moins possède une part de marché supérieure à 30 %. Au-delà de ce seuil, il convient seulement, en l'absence de toute présomption de légalité ou d'illégalité, de mener une analyse économique individualisée, en fonction de paramètres tels que la nécessité d'amortissement des investissements, le partage du risque, les modes de reconduction et de résiliation des contrats ou encore la dispersion de la demande.

On peut concevoir que le fait d'avoir à mener une telle analyse au cas par cas puisse, malgré ses justifications économiques, apparaître moins " sécurisant " qu'une présomption de légalité pour les entreprises concernées - et ce d'autant que des lignes directrices ne peuvent évidemment pas prédéfinir le marché de produit et géographique à prendre en considération pour déterminer si tel ou tel accord est couvert par le règlement d'exemption, un telle définition relevant de la compétence de l'ANC concernée au terme d'une analyse juridique et économique du cas.

Pour autant, il faut rappeler que la modification du mode de calcul du seuil conditionnant l'applicabilité du règlement d'exemption vise en premier lieu à permettre aux ANC de traiter plus finement les cas de verrouillage de nature à porter une atteinte sensible au bien-être des consommateurs, et non, bien entendu, de faire du " micro-management " généralisé des accords de distribution en l'absence de risque sensible pour la concurrence. Dans l'affaire de l'iPhone précitée, le marché aval était ainsi de dimension nationale. On peut imaginer des cas dans lesquels le marché aval sera de dimension géographique plus réduite, mais les ANC, qui peuvent pour la plupart prioriser les affaires qu'elles traitent, cibleront vraisemblablement celles dans lesquelles une des parties à l'accord dispose d'une puissance de marché significative, faisant craindre un risque de verrouillage à examiner in concreto.

4. L'ARTICULATION DES NOUVEAUX TEXTES AVEC LES AUTRES INSTRUMENTS DE LA POLITIQUE COMMUNAUTAIRE DE CONCURRENCE

La révision des instruments concernant la politique communautaire relative aux relations verticales étant à appréhender dans le contexte plus large de la modernisation du droit communautaire de la concurrence, l'Autorité fait ci-après quelques observations visant a optimiser la cohérence avec d'autres textes en cours de révision ou susceptibles de l'être à court terme : le règlement n° 1-2003 (4.1), le règlement sur les accords de transfert de technologie (4.2) et le règlement concernant la distribution automobile (4.3).

4.1. L'articulation avec le règlement (CE) n° 1-2003 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité CE

Il serait sans doute utile de mettre l'article 6, paragraphe 2 du règlement d'exemption en cohérence avec l'article 29, paragraphe 2 du règlement n° 1-2003, comme le suggère le paragraphe 74 du projet de lignes directrices, afin d'unifier le pouvoir de retrait conféré aux ANC. En l'état actuel du projet, le règlement d'exemption continue en effet à limiter la faculté de retrait du bénéfice de l'exemption à un seul accord donné. Or, dans les cas où le marché pertinent présente toutes les caractéristiques d'un marché géographique distinct ou ceux où des accords similaires sont conclus sur son seul territoire, une ANC devrait pouvoir retirer le bénéfice de l'exemption, pour l'avenir, sur la totalité du marché concerné.

4.2. L'articulation avec le règlement (CE) n° 772-2004 relatif aux accords de transfert de technologie

L'inclusion du savoir-faire parmi les droits de propriété intellectuelle définis à l'article 1er, sous b), du règlement constitue un choix d'opportunité, qui peut se fonder sur des raisons relevant tant du droit de la concurrence que du droit de la propriété intellectuelle.

Cela étant, cette précision peut avoir des conséquences sur le traitement de la franchise, qui implique un transfert de savoir-faire. Afin d'éviter toute ambiguïté quant au traitement de cette dernière, il serait bienvenu d'indiquer plus clairement que le règlement (CE) n° 772-2004 de la Commission du 27 avril 2004 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, CE à des catégories d'accords de transfert de technologie (39) ne s'applique pas aux accords de franchise qui n'ont pas pour objet essentiel le transfert de droits de propriété intellectuelle car ils sont directement liés à l'utilisation, la vente ou la revente des biens ou services par l'acheteur ou ses clients.

4.3. L'articulation avec le règlement (CE) n° 1400-2002 sur la distribution des véhicules automobiles

L'évolution envisagée du traitement des accords relevant du règlement (CE) n° 1400-2002 de la Commission du 31 juillet 2002 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, CE aux accords verticaux et pratiques concertées dans le secteur des véhicules automobiles (40) doit, indépendamment de sa portée et de ses modalités temporelles, être faite en cohérence avec l'évolution du droit commun des restrictions verticales.

En particulier, l'évolution des modalités de calcul du seuil de part de marché, si elle est également retenue dans ce cadre, peut permettre aux ANC de mieux appréhender les accords présentant des risques sensibles de verrouillage pour la concurrence, sans disperser leurs ressources sur des cas moins prioritaires du point de vue du bien-être des consommateurs.

CONCLUSION

L'application du règlement et des lignes directrices sur les restrictions verticales a donné lieu à une pratique décisionnelle abondante en France. Cette pratique n'a pas révélé de difficulté particulière, mais elle a permis à l'Autorité de traiter de nombreuses questions juridiques et économiques nouvelles, en apportant des réponses qui ont, comme celles de beaucoup d'autres ANC, contribué à nourrir la réflexion menée au sein du Réseau des autorités européennes de concurrence (REC) dans le cadre de la révision de ces textes.

L'Autorité se félicite des options politiques retenues par la Commission, ainsi que des propositions techniques destinées à les transcrire dans les projets de textes. Ces derniers poursuivent l'effort de modernisation de l'analyse économique entrepris depuis le début des années 2000, tout en préservant l'équilibre global entre le traitement au cas par cas qu'implique nécessairement cette évolution, d'une part, et la nécessité de règles aussi claires, simples et prévisibles que possible pour les entreprises, d'autre part. Sur le fond, ils sont de nature à permettre aux ANC - et aux juges nationaux - de garantir plus finement le bien-être des consommateurs, sans les conduire à empiéter sur les choix stratégiques ou commerciaux des acteurs économiques, dès lors que ceux-ci ne posent pas de problèmes de concurrence.

Cette application décentralisée du droit communautaire pourrait cependant justifier, sur quelques points techniques particuliers, des précisions destinées à optimiser la sécurité juridique et, en définitive, la mise en œuvre cohérente des règles par les autorités de contrôle. C'est dans cet esprit que l'Autorité continuera à contribuer au fructueux exercice de réflexion collective engagée au sein du REC.

Notes :

1 JOCE n° L 336 du 29 décembre 1999, p. 21

2 JOCE n° C 291 du 13 octobre 2000, p. 1

3 Notamment la lutte contre le parasitisme, l'ouverture de nouveaux marchés ou de nouveaux investissements, la réduction de la double marge, ou encore la promotion de la qualité des produits et des services offerts aux consommateurs

4 Tels que la limitation de la concurrence intra-marque ou les effets de verrouillage

5 JOUE n° L 1 du 4 janvier 2003, p.1

6 Les restrictions caractérisées sont recensées à l'article 4 du règlement. La présence d'une clause imposant une telle restriction dans un contrat entraîne une présomption d'illégalité de l'ensemble du contrat

7 Dans son arrêt Leegin du 28 juin 2007 (Leegin creative leather products, inc. v. PSKS, 551 US 877), la Cour suprême des Etats-Unis a invité les Circuit courts à ne plus considérer les pratiques de prix imposés comme des pratiques anticoncurrentielles per se mais à ne les condamner que lorsque le plaignant démontre leur effet anticoncurrentiel. La Cour suprême n'a, pour autant, pas exclu le jeu de présomptions, lorsqu'elles sont justifiées (points 898 et 899 de l'arrêt). Quatre juges ont exprimé une opinion dissidente. Cette jurisprudence n'est pas suivie par toutes les Circuit courts

8 Article 4, sous a), du projet de règlement et paragraphes 47 à 49 et 219 à 225 du projet de lignes directrices

9 Décision n° 08-D-25 du Conseil de la concurrence du 29 octobre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle vendus sur conseils pharmaceutiques

10 Paragraphe 47 ; voir également arrêt du Tribunal de première instance des CE du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services c/ Commission (affaire T-168-01, sous pourvoi)

11 Voir notamment la communication de la Commission n° (2008) 265 portant lignes directrices sur l'appréciation des concentrations non horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JOUE n° C 265 du 18 octobre 2008, p. 6)

12 Voir la communication n° C(2009) 864 de la Commission portant orientations sur les priorités retenues pour l'application de l'article 82 CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes (JOUE n° C 45 du 24 février 2009, p. 7)

13 Pour ce qui concerne les prix de revente imposés, les paragraphes 221, 222 et 225 contiennent des développements relatifs à l'élimination de la double marge ou encore sur les campagnes promotionnelles

14 Voir, pour les prix de revente imposés, les paragraphes 220, 223 et 224

15 Notamment les modalités de fixation de la rémunération (tarifs linéaires, non linéaires, tarifs binômes avec partie fixe, primes de référencement et contrats de coopération commerciale), les clauses d'exclusivité d'approvisionnement et les contreparties commerciales

16 Voir la décision n° 06-D-24 du Conseil de la concurrence du 24 juillet 2006 relative à la distribution des montres commercialisées par Festina France (paragraphe 70)

17 Paragraphes 50 à 53 des lignes directrices

18 Paragraphe 58

19 Voir l'arrêt de la Cour de cassation (chambre commerciale) du 14 mars 2006, Flora Partners, cassant l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux du 26 février 2003, qui avait estimé que le site internet ouvert par un franchisé constituait un nouveau point de vente couvrant l'ensemble du territoire national

20 Voir la décision n° 08-D-25 précitée (paragraphe 63)

21 Voir l'arrêt de la Cour de cassation (chambre commerciale) du 14 mars 2006 précité

22 Paragraphes 50 et 54

23 Voir la décision n° 08-D-25 précitée

24 Paragraphes 14, 15, 16, 18 alinéa 2, 49 in fine et 51

25 Paragraphes 52 et 54

26 Critères qui doivent, selon la jurisprudence communautaire, être objectifs et non discriminatoires

27 Paragraphe 54

28 Voir, par exemple, la décision de la Commission dans l'affaire Yves Saint Laurent Parfums (JOCE n° L 12 du 18 janvier 1992), confirmée par l'arrêt du Tribunal de première instance des C.E. du 12 décembre 1996, Groupement d'achat Edouard Leclerc c/ Commission (aff. T-19-92, Rec. p. II-1851)

29 Voir, par exemple, la décision n° 06-D-24 précitée

30 Voir la décision n° 06-D-28 du Conseil de la concurrence du 5 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution sélective de matériels hi-fi et home cinéma

31 Paragraphes 51 et 57

32 Note de bas de page 29

33 Mêmes références

34 Note de bas de page 31

35 Voir notamment Patrick Rey et Thibaud Vergé, " The economics of vertical restraints ", dans Handbook of Antitrust Economics, MIT Press, avril 2008

36 Décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans la distribution des iPhones (paragraphe 174)

37 Article 3 du règlement et paragraphes 83 à 88 des lignes directrices

38 Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (JORF n° 0181 du 5 août 2008, p. 12471)

39 JOUE n° L 123 du 7 avril 2004, p. 11

40 JOUE n° L 203 du 1er août 2002, p. 30