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Décisions

ADLC, 26 juin 2009, n° 09-A-31

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif à un accord dérogatoire aux délais de paiement dans le secteur de la pisciculture continentale et marine

ADLC n° 09-A-31

26 juin 2009

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre du 17 mars 2009, enregistrée sous le numéro 09/0047 A, par laquelle le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement dans le secteur de la pisciculture continentale et marine. Vu la loi 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint entendus au cours de la séance du 23 juin 2009 ; Les représentants des organisations professionnelles signataires de l'accord dérogatoire entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce. Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations suivantes :

1. Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi, le 17 mars 2009, l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement concernant le secteur de la pisciculture continentale et marine au titre de l'article 21-III, de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008.

2. Ce dernier texte a instauré un délai de paiement maximal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets pour les transactions entre entreprises, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2009. L'article L. 441-6 du Code de commerce, neuvième alinéa, dans sa rédaction issue de l'article 21 de la loi de modernisation de l'économie, dispose en effet que, à compter du 1er janvier 2009, " le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture ". En l'absence de convention, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Les professionnels qui ne respecteraient pas ces dispositions s'exposent aux sanctions de l'article L. 442-6-III du Code de commerce, et notamment à une amende civile.

3. Toutefois, le III de l'article 21 de la loi du 4 août 2008 prévoit une possibilité de dérogation temporaire. Un accord interprofessionnel permet en effet de différer l'application du délai légal de paiement dans le secteur économique concerné à la condition que des raisons économiques particulières à ce secteur justifient ce report et qu'une réduction progressive des délais pratiqués soit mise en place par cet accord pour parvenir au délai légal au plus tard le 1er janvier 2012.

4. L'accord doit être approuvé par un décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence, qui peut prévoir son extension à l'ensemble des entreprises dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord.

5. La disposition législative est rédigée dans les termes suivants :

" III. Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que des accords interprofessionnels dans un secteur déterminé définissent un délai de paiement maximum supérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 du Code de commerce, sous réserve :

Que le dépassement du délai légal soit motivé par des raisons économiques objectives et spécifiques à ce secteur, notamment au regard des délais de paiement constatés dans le secteur en 2007 ou de la situation particulière de rotation des stocks ;

Que l'accord prévoie la réduction progressive du délai dérogatoire vers le délai légal et l'application d'intérêts de retard en cas de non-respect du délai dérogatoire fixé dans l'accord ;

Que l'accord soit limité dans sa durée et que celle-ci ne dépasse pas le 1er janvier 2012.

Ces accords conclus avant le 1er mars 2009, sont reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis du Conseil de la concurrence.

Ce décret peut étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".

I. Le cadre économique et juridique des accords dérogatoires en matière de délais de paiement

6. Le crédit que les entreprises s'accordent dans leurs échanges commerciaux, communément dénommé délais de paiement, recouvre des enjeux économiques et concurrentiels.

a) Le contexte économique

7. Le crédit commercial interentreprises représente, selon les données de la centrale des bilans de la Banque de France pour l'année 2005, un montant de 604 milliards d'euro pour l'ensemble de l'économie, qui est à rapprocher de l'encours de 133 milliards d'euro pour le crédit bancaire à court terme.

8. Au plan international, les comparaisons effectuées par la Banque de France pour 6 pays (Allemagne, France, Espagne, Italie, Japon et États-Unis), montrent que la France est, après l'Italie, le pays ayant les règlements les plus tardifs, avec une tendance longue à l'augmentation du poids des dettes fournisseurs dans le total des bilans des entreprises.

9. Les délais de paiement importants accordés aux clients pèsent sur la trésorerie des entreprises, lorsqu'ils ne sont que partiellement compensés par les délais obtenus des fournisseurs. Le besoin de financement ainsi créé par l'exploitation est couvert par l'endettement bancaire, direct (crédits de trésorerie) ou indirect (mobilisation des créances commerciales et affacturage), ce qui pose deux problèmes aux entreprises.

10. En premier lieu, le volume de financement et son coût dépendent de la taille de l'entreprise et de la perception de son secteur d'activité par la banque : autant de critères peu favorables d'une façon générale aux PME et aux entreprises en position de sous-traitance.

11. En second lieu, les ressources mobilisées le sont aux dépens du financement de la croissance de l'activité, de l'innovation et de l'investissement. Une telle situation est préjudiciable au développement de l'entreprise, mais aussi à la pérennité et à la vitalité du tissu industriel de PME, dès lors que le phénomène est généralisé à un secteur d'activité.

12. Les délais excessifs représentent, en conséquence, un risque économique et financier pour le partenaire le plus faible, la filière concernée, voire l'économie locale.

13. L'importance du crédit interentreprises accroît les risques de défaillances en cascade d'entreprises, le défaut de paiement se propageant aux entreprises de la filière ainsi qu'aux autres fournisseurs, avec leurs conséquences économiques et sociales à l'échelle d'une localité ou d'une région.

b) L'enjeu concurrentiel

14. Parallèlement, les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et viennent réduire le prix de revient effectif de ses achats.

15. Les délais de paiement affectent ainsi les conditions de concurrence. Les délais obtenus de ses fournisseurs par une entreprise et sa capacité à obtenir leur allongement ont un impact direct sur sa compétitivité par rapport à ses concurrents sur le marché, en lui procurant une trésorerie gratuite pour financer son exploitation et son développement.

16. A côté d'autres éléments, comme par exemple le prix unitaire, la politique de remises, le volume acheté, la durée du contrat ou l'achalandage, les délais de paiement doivent être appréciés comme un des éléments de la relation commerciale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques.

17. Il est ainsi dans la logique de la concurrence entre les formes de distribution que chacune se distingue quant à certains éléments constitutifs de la relation commerciale.

c) L'extension des accords dérogatoires à l'ensemble des entreprises d'un secteur

18. Un accord dérogatoire a pour effet de donner aux entreprises concernées la possibilité d'obtenir, dans leurs relations avec leurs fournisseurs, des délais de paiement plus favorables que le délai légal de 60 jours nets, pendant la durée de la validité de l'accord. Les entreprises couvertes par l'accord dérogatoire bénéficient ainsi d'un avantage.

19. Une distorsion de concurrence pourrait résulter de ce qu'un accord ne s'applique pas à l'ensemble des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité.

20. Ce risque potentiel pour le jeu de la concurrence est pris en compte par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008, qui ouvre la possibilité pour le décret validant un accord interprofessionnel conclu dans un secteur déterminé " d'étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".

21. L'extension par décret d'un accord dérogatoire a ainsi pour effet pratique d'appliquer le dispositif de cet accord à la totalité des entreprises relevant des organisations professionnelles signataires, que ces entreprises soient adhérentes ou non à l'une de ces organisations.

22. A titre général, l'Autorité de la concurrence considère donc que l'extension est souhaitable pour toutes les demandes d'accord dérogatoire en matière de délais de paiement.

23. Ce principe posé, plusieurs questions peuvent être soulevées au regard de l'objectif d'assurer la plus grande neutralité possible des accords dérogatoires au regard de la concurrence.

24. En premier lieu, le champ retenu par le décret d'extension devra être traité. Les accords déjà conclus donnent en effet lieu à des demandes d'adhésion de la part d'organisations professionnelles qui n'étaient pas parties aux négociations. Il semble peu conciliable avec le jeu de la concurrence de laisser aux seules organisations signataires de l'accord initial la décision d'accepter ou de refuser ces nouvelles demandes, sans qu'ait lieu un contrôle minimal de la part du pouvoir réglementaire.

25. L'Autorité recommande en ce sens au ministre de préciser le champ d'application de l'extension dans le décret, afin de faciliter l'application et le contrôle des règles en matière de délais de paiement et du pouvoir réglementaire.

26. L'autre question concerne le cas des entreprises présentes sur différents secteurs ou activités, dont une activité, sans constituer l'activité principale, est couverte par un accord dérogatoire existant. Cette situation concerne les cas de figure distincts de la grande distribution généraliste et des industriels multi-activités.

27. Premier cas de figure, la grande distribution généraliste (hypermarchés et supermarchés) est en concurrence, au moins sur une partie de l'offre, avec les distributeurs spécialisés. Elle pourrait ainsi souhaiter bénéficier des accords dérogatoires en matière de délais de paiement conclus par des distributeurs spécialisés avec leurs fournisseurs.

28. Pour se prononcer sur ce point, l'Autorité procèdera, dans chaque cas d'espèce, à une analyse et à une comparaison des caractéristiques de l'offre commerciale de chaque circuit de distribution.

29. Toutefois, deux remarques générales peuvent être avancées. D'une part, les délais de paiement ne constituent qu'un élément parmi d'autres définissant la relation commerciale entre un acheteur et son fournisseur. Comme il a déjà été dit, il est dans la logique de la concurrence entre les différentes formes de distribution que chacune se singularise sur tel ou tel élément de la relation commerciale.

30. D'autre part, le droit de la concurrence reconnaît que les conditions et les modalités de concurrence entre les opérateurs n'ont pas à être identiques, dans la mesure où les différenciations relèvent de considérations objectives.

31. Le second cas de figure porte sur les fournisseurs présents, non pas à titre principal mais pour une partie moins importante de leur activité, dans un secteur couvert par un accord dérogatoire.

32. Dans cette hypothèse, l'accord dérogatoire peut créer une distorsion de concurrence entre les fournisseurs relevant des organisations signataires, qui pourront appliquer des délais plus longs jusqu'à fin 2011, et ceux non couverts par l'accord, qui sont face à l'alternative de se placer dans l'illégalité ou de risquer de perdre un client si celui-ci leur demande d'appliquer le délai dérogatoire.

33. Ces risques de distorsion, qui n'appellent pas de réponse évidente à la lecture des dispositions législatives précitées, devront être traités au cas par cas, en gardant à l'esprit qu'ils n'auront qu'une durée limitée, compte tenu de la portée seulement transitoire des accords dérogatoires.

II. Les parties et l'activité concernée par l'accord dérogatoire

a) Organisation professionnelle signataire

34. L'accord dérogatoire a été conclu par le Comité interprofessionnel des produits de l'aquaculture, dénommé CIPA, qui représente à la fois les producteurs de poissons et d'alevins, les transformateurs, et les fabricants d'aliments.

35. Le CIPA est composé de 3 collèges :

- le collège des producteurs avec la Fédération française de l'aquaculture qui représente les pisciculteurs en eau douce et en eau de mer ;

- le collège des fabricants d'aliments avec le Syndicat professionnel des producteurs d'aliments aquacoles ;

- le collège des transformateurs avec l'Association des transformateurs de truite qui était à l'origine signataire de l'accord dans le projet soumis au ministre et transmis à l'Autorité. Après un nouvel examen de la situation économique du secteur, les parties ont estimé que sa présence à l'accord n'était pas justifiée au regard des délais de paiement pratiqués entre producteurs de poissons et transformateurs de truite. Le collège des transformateurs de truite a donc informé l'Autorité de son retrait de l'accord qui doit être formalisé par un avenant.

36. Le CIPA regroupe 100 % des entreprises du secteur, car il s'agit d'une interprofession agricole reconnue par les pouvoirs publics. Les entreprises de la filière sont donc légalement tenues d'adhérer au comité.

b) L'activité concernée par l'accord

37. Le secteur d'activité concerné par l'accord dérogatoire est celui de la pisciculture en eau douce (bassin) et en eau de mer.

38. L'accord porte sur les relations commerciales entre, d'une part, les producteurs d'aliments et les écloseurs et, d'autre part, les éleveurs de poissons.

39. L'accord ne concerne pas la pisciculture d'étangs, dont le fonctionnement repose en partie sur des particuliers et qui surtout n'utilise pas d'aliments pour les poissons, ni l'activité aval de transformation des poissons d'élevage.

40. Le marché français de la pisciculture a été estimé pour l'année 2007 à environ 250 millions d'euro pour une production totale de près de 50 000 tonnes. Le secteur comprend la pisciculture marine et la pisciculture d'eau douce dont les chiffres d'affaires respectifs étaient de 72 et 85 millions d'euro en 2007. Les entreprises de pisciculture marine exportent en moyenne les deux tiers de leur production, notamment pour les éleveurs à destination de la Grèce qui est le premier producteur européen de bars et de daurades.

41. Le chiffre d'affaires de la production française d'aliments à destination de la pisciculture est d'environ 70 millions d'euro avec une production de l'ordre de 59 000 tonnes, dont 42 000 tonnes à destination de l'élevage en bassin.

42. La filière de l'eau douce en bassin a produit 37 000 tonnes de poissons en 2008. La truite arc-en-ciel représente 95 % de ce total. Il existe 600 sites de production en France, principalement en Bretagne et en Aquitaine. La production est consommée à hauteur de 80 %, les 20 % restant se répartissent entre la pêche de loisir et le repeuplement des rivières.

43. Réparties sur l'ensemble du littoral français avec une forte concentration en Méditerranée, les entreprises de pisciculture marine sont au nombre de soixante, dont environ cinquante sont spécialisées dans le grossissement. Le solde est constitué par des écloseries d'alevins.

44. Pour l'année 2007, la filière marine a produit environ 9 000 tonnes de poisson dont 4 300 tonnes de bar, 1900 tonnes de daurade royale, 800 tonnes de turbot, 1 200 tonnes de saumon, 300 tonnes de maigre et 100 tonnes d'esturgeon. La France produit également 18 tonnes de caviar qui sont majoritairement exportés.

45. La pisciculture en eau douce et en eau de mer est une activité très capitalistique puisque pour amortir la création d'une structure de production de poissons une dizaine d'années est nécessaire.

46. Les principaux acteurs du secteur de la fabrication d'aliments sont Skretting, Le Gouessan et Biomar. A l'exception de Le Gouessan, elles sont spécialisées dans la production d'aliments pour la pisciculture. Elles ne fournissent pas d'aliments à destination des poissons d'aquarium et n'ont donc pas de relations avec les entreprises du secteur des animaux de compagnie, dont l'accord fait l'objet d'un avis favorable précédent (09-A-13) de l'Autorité.

47. A l'aval de la filière, les ventes au consommateur sont réalisées principalement par les grandes surfaces alimentaires (73 % du total en 2005). Le solde du chiffre d'affaires est partagé entre la vente sur les marchés et les poissonneries.

III. L'analyse concurrentielle

48. La reconnaissance par décret d'un accord dérogatoire est soumise à une double condition.

49. En premier lieu, le secteur concerné doit présenter une ou plusieurs raisons économiques objectives et spécifiques, celles-ci pouvant notamment expliquer des niveaux élevés de délais de paiement et de stocks constatés en 2007 dans cette activité.

50. En second lieu, l'accord doit mettre en place une réduction progressive des délais de paiement dérogatoires afin de parvenir au délai légal de 45 jours fin de mois ou 60 jours nets date de facturation, au plus tard le 1er janvier 2012.

51. En complément de ces critères posés par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008, l'accord dérogatoire ne doit pas comporter de clauses contraires aux règles de concurrence. L'exercice du contrôle sur ce point va de soi, dès lors que le législateur a prévu l'avis de l'Autorité de la concurrence préalablement à l'adoption du décret validant un accord.

52. Ces différentes questions seront abordées successivement.

a) Le niveau des stocks et des délais de paiement pour l'activité en 2007

53. Le CIPA a fourni, dans son projet d'accord et lors de l'instruction de sa demande, des données sur le fonctionnement économique de l'activité pour l'année 2008, qui portent sur un volume de 54 000 tonnes d'aliments auprès des trois principales sociétés d'aliments pour poissons.

54. Le CIPA précise que la part de l'aliment dans la production de truites correspond à environ 45 % du coût total de la production, l'achat de l'alevin ne représentant qu'environ 5 % de ce coût. Pour ce qui concerne la pisciculture marine, le coût de l'aliment varie selon les espèces de 16 à 36 % du coût global, et le coût de l'alevin est de l'ordre de 8 à 15 %.

55. Le délai de paiement moyen généralement pratiqué entre les fabricants d'aliments et les pisciculteurs est supérieur à 60 jours fin de mois, et peut dépasser les 120 jours fin de mois pour certains clients. Le CIPA a communiqué les délais de paiement des aliments par les éleveurs, selon leur durée.

<emplacement tableau>

56. Par ailleurs sur cet aspect, le CIPA souligne l'aggravation des difficultés économiques des producteurs de poissons résultant d'une augmentation de 20 % du prix des aliments pour poissons pour l'année 2008.

57. Concernant les achats d'alevins par les éleveurs, le CIPA a communiqué un second tableau, qui indique les délais de paiement pratiqués en 2007 et 2008 par les éleveurs (français et étrangers).

<emplacement tableau>

58. On peut remarquer que ces délais de paiement par les clients des producteurs d'alevins, bien que déjà élevés, ont continué d'augmenter en 2008.

59. Le taux de rotation des stocks est particulièrement lent en raison de la période nécessaire à l'élevage des poissons et varie selon le type de pisciculture et les espèces élevées :

- pour la salmoniculture en eau douce le cycle d'élevage varie de 8 à 30 mois selon qu'il s'agit d'une truite portion, d'une grande truite ou d'une très grande truite ;

- pour la pisciculture marine, les cycles d'élevage sont plus longs que pour la salmoniculture d'eau douce et varient de 18 mois à 3 ans selon la taille et l'espèce ;

- pour le caviar le cycle d'élevage est particulièrement long puisqu'il ne peut être récolté que lorsque la femelle est âgée de 7 ans. Pour ce type de production, le CIPA précise qu'il est fréquent que les éleveurs aient un an de chiffre d'affaires immobilisé dans leurs bassins.

60. L'Observatoire des délais de paiement a établi pour 2007 un compte NAF 03.21Z " Aquaculture en mer ", à partir de 79 entreprises personnes morales du secteur, dont le champ ne recoupe que partiellement le secteur d'activité objet de l'accord. La pisciculture en eau douce n'est pas intégrée dans ce compte qui comprend par ailleurs des activités qui ne font pas partie de l'accord : ostréiculture, conchyliculture, crustacés, élevage de poissons ornementaux.

<emplacement tableau>

61. Le niveau des stocks calculé par l'Observatoire des délais de paiement est inférieur aux données fournies par le CIPA : 99 jours de stock pour l'Observatoire et de 8 à 24 mois pour le CIPA. Cet écart est très important, mais peut s'expliquer par la différence des périmètres respectifs pris en compte, le champ couvert par la nomenclature NAF se révélant bien plus large que celui du CIPA.

62. Le niveau des délais de paiement calculé par l'Observatoire est également moindre que celui mentionné par le CIPA. L'écart constaté entre la valeur moyenne des délais tient vraisemblablement aux différences de périmètre déjà évoquées ainsi qu'aux échantillons respectifs.

63. Une des conséquences de ce niveau de stock est un besoin en fonds de roulement particulièrement important pour les entreprises du secteur. L'Observatoire des délais de paiement a établi le tableau suivant :

<emplacement tableau>

64. Les données chiffrées mettent ainsi en évidence une tendance générale pour l'activité de pisciculture, qui se caractérise par un taux de rotation des stocks lent inhérent à la nature de cette activité et un besoin en fonds de roulement très élevé.

65. A l'aval de la filière, la vente des produits de la pisciculture aux détaillants s'effectue déjà dans les conditions posées par la LME. Le CIPA ne considère pas que cela soulève des difficultés particulières pour le secteur, les raisons ayant justifié la signature de l'accord étant surtout présentes au stade des relations commerciales entre producteurs d'aliments et éleveurs de poissons.

b) L'existence de raisons économiques objectives et spécifiques au secteur

66. L'organisation signataire de l'accord fait état du modèle économique de la pisciculture, qui repose sur une faible vitesse de rotation des stocks, des achats d'aliments et des ventes de poissons en grande quantité, ainsi que sur la part importante de la production marine exportée.

67. Afin de réduire les frais de transport et de main d'œuvre, le secteur de la pisciculture s'est organisé selon un fonctionnement d'achats d'aliments et de ventes de poissons spécifique. Ainsi, dans le cadre de leurs achats d'aliments, les pisciculteurs effectuent des commandes qui sont livrées par camion de 25 tonnes, correspondant chaque fois à un montant d'environ 20 000 euro.

68. Le capital engagé par les producteurs de poissons lors de chaque achat d'aliments est donc conséquent au regard de la surface économique des exploitations. Pour une entreprise moyenne du secteur qui réalise 400 000 euro de chiffre d'affaires par an, cela représente pour une seule commande 5 % de son chiffre d'affaires annuel. Les ventes de poissons sont réalisées selon le même principe afin de réduire les coûts de revient. Les montants financiers engagés dans chaque opération d'achat ou de vente montrent qu'il est nécessaire de réduire progressivement les délais de paiement existant dans ce secteur.

69. Cette situation est d'autant plus marquée pour les entreprises productrices d'alevins en pisciculture marine car elles exportent les deux tiers de leur production (Espagne, Italie, et Grèce). La valeur d'un camion d'alevins peut atteindre les 100 000 euro notamment dans le cas où il est destiné à être exporté. Ce mode de fonctionnement permet de comprendre pourquoi les écloseries sont parfois réglées en dix versements et dans des délais extrêmement longs.

70. La part importante de la production de poissons et d'alevins exportée avec des délais de règlement parfois supérieurs à un an est un élément caractéristique de ce secteur qui a conduit l'interprofession à établir un calendrier prévoyant une réduction très progressive des délais de paiement.

71. Le secteur de la pisciculture en eau douce connaît également depuis plusieurs années des difficultés structurelles puisque la production de truite depuis 1995 a diminué de plus de 50 000 tonnes à 37 000 tonnes. La concurrence du saumon importé des pays nordiques a fortement affecté les exploitants français.

72. En conséquence, le secteur a besoin d'un délai de transition pour s'adapter aux nouvelles règles de délais de paiement et envisage d'utiliser en totalité la période d'adaptation ouverte par la loi jusqu'au 1er janvier 2012, afin de mettre en œuvre une dégressivité des délais de paiement.

IV. Les engagements pris dans le cadre de l'accord dérogatoire

73. Les engagements pris par les signataires portent sur la pisciculture marine et d'eau douce.

a) Le calendrier de réduction des délais de paiement convenu par les parties

74. L'article 21-III, de la loi du 4 août 2008 prévoit la mise en place par l'accord interprofessionnel d'une réduction progressive des délais de paiement dérogatoires, afin de parvenir au délai légal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets au plus tard le 1er janvier 2012.

75. Le CIPA s'est engagé sur un calendrier de réduction des délais de paiement dérogatoires exprimé en jours nets et en jours fin de mois :

<emplacement tableau>

76. L'effort de réduction est régulier sur la durée de l'accord dérogatoire, avec une baisse des délais de 15 jours entre 2009 et 2010, de 20 jours entre 2010 et 2011, et enfin de 25 jours entre 2011 et 2012.

77. La réserve à formuler porte sur la baisse consentie chaque année par ce calendrier. La réduction des délais devrait être plus forte les premières années afin d'éviter que l'effort à réaliser la dernière année ne soit trop important pour les entreprises du secteur. Un ajustement en conséquence des délais prévus pour les années 2010 et 2011 permettrait de rendre plus réaliste ce calendrier.

78. L'accord dérogatoire devrait également indiquer explicitement, qu'il s'agit de délais maximum, et que les entreprises ayant des délais de paiement inférieurs au 1er janvier 2009 ne pourront pas les augmenter.

b) Les dispositions prévues à l'article 3 de l'accord dérogatoire

79. L'article 3, intitulé " état des lieux annuel " stipule : " Un état des lieux annuel sur l'application du présent accord est fait par l'interprofession sur la base des informations fournies par les collèges. Cet état des lieux est établi au cours du 1er trimestre de chaque année pour l'année civile précédente et peut éventuellement déboucher sur une renégociation de l'accord interprofessionnel pour une réduction plus rapide des délais ".

80. Cet article ne doit pas donner lieu à une forme de police de la profession pour faire respecter les délais de paiement de leur accord dérogatoire, dont il faut encore une fois rappeler le caractère de délais maximum, les entreprises pouvant librement décider de délais plus courts pour régir leurs relations bilatérales.

81. Les parties ont eu conscience de ce problème, puisque l'accord a précisé que : " une réduction plus rapide des délais peut être convenue entre les opérateurs ". La réduction retenue était toutefois équivoque quant à sa finalité, et a été modifiée par avenant en prévoyant désormais la possibilité pour les entreprises de fixer des délais plus courts. Une révision du niveau des délais dérogatoires reste certainement préférable.

82. Cet article pourrait également être interprété comme donnant la possibilité aux parties de réviser leur accord en cours d'application, ce qui est exclu par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008 organisant la possibilité de déroger au délai légal de paiement.

83. L'existence de cet article au sein d'un accord dérogatoire n'est donc pas justifiée au regard de la bonne application des règles de concurrence.

84. Sollicité sur ce point, le CIPA s'est formellement engagé à retirer cet article de l'accord.

c) Les distorsions de concurrence éventuelles inhérentes au périmètre de l'accord dérogatoire

85. Le CIPA est un cas particulier au sein des accords dérogatoires transmis à l'Autorité puisqu'il n'est pas un syndicat professionnel commun, mais une interprofession regroupant de droit la totalité des acteurs de la filière. Toutefois, quelques rares entreprises ne payant pas leur cotisation au CIPA il pourrait en résulter des difficultés quant à l'application de l'accord dans l'hypothèse où celui-ci ne serait pas étendu à l'ensemble des opérateurs de ce secteur.

86. L'Autorité de la concurrence estime que si les accords sont validés par le pouvoir réglementaire, ils doivent évidemment être étendus à tous les acteurs non adhérents aux organisations signataires afin de ne pas créer des distorsions de concurrence entre opérateurs concurrents en raison de leur appartenance à une organisation professionnelle.

87. L'extension est souhaitable afin d'éviter des distorsions de concurrence entre des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité mais aussi pour ne pas lier le bénéfice de l'accord à la condition d'appartenance à l'organisation signataire.

CONCLUSION

L'Autorité de la concurrence émet un avis favorable à la validation de l'accord, dans sa version corrigée du 29 mai 2009, comme satisfaisant aux conditions posées par la loi, et propose son extension à l'ensemble des opérateurs relevant du CIPA pour l'exercice de leur activité. L'Autorité recommande par ailleurs :

- la suppression de l'article 3 de l'accord ;

- et une réduction des délais de paiement prévus actuellement par l'accord, afin d'avoir un délai dérogatoire moins élevé les premières années et donc un effort de baisse des délais mieux réparti sur l'ensemble de la période de dérogation.

Délibéré sur le rapport oral de M. Philippe Sauze et l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mme Anne Perrot et M. Patrick Spilliaert, vice-présidents.