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Décisions

ADLC, 24 juin 2009, n° 09-A-22

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif à un accord dérogatoire aux délais de paiement dans le secteur des agroéquipements

ADLC n° 09-A-22

24 juin 2009

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre du 17 mars 2009, enregistrée sous le numéro 09/0035 A, par laquelle le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement dans le secteur des agroéquipements ; Vu la loi 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint et le commissaire du Gouvernement, entendus au cours de la séance du 16 juin 2009 ; Les représentants des organisations professionnelles signataires de l'accord dérogatoire entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce.

Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations suivantes.

1. Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi, le 17 mars 2009, l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement concernant le secteur des agroéquipements, au titre de l'article 21/III, de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008.

2. Ce dernier texte a instauré un délai de paiement maximal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets pour les transactions entre entreprises, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2009. L'article L. 441-6 du Code de commerce, neuvième alinéa, dans sa rédaction issue de l'article 21 de la loi de modernisation de l'économie, dispose en effet que, à compter du 1er janvier 2009, " le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture ". En l'absence de convention, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Les professionnels qui ne respecteraient pas ces dispositions s'exposent aux sanctions de l'article L. 442-6-III du Code de commerce, et notamment à une amende civile.

3. Toutefois, l'article 21/III de la loi du 4 août 2008 prévoit une possibilité de dérogation temporaire. Un accord interprofessionnel permet en effet de différer l'application du délai légal de paiement dans le secteur économique concerné à la condition que des raisons économiques particulières à ce secteur justifient ce report et qu'une réduction progressive des délais pratiqués soit mise en place par cet accord pour parvenir au délai légal au plus tard le 1er janvier 2012.

4. L'accord doit être approuvé par un décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence, qui peut prévoir son extension à l'ensemble des entreprises dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord.

5. La disposition législative est rédigée dans les termes suivants :

" III. Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que des accords interprofessionnels dans un secteur déterminé définissent un délai de paiement maximum supérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l'article L.441-6 du Code de commerce, sous réserve :

1°) Que le dépassement du délai légal soit motivé par des raisons économiques objectives et spécifiques à ce secteur, notamment au regard des délais de paiement constatés dans le secteur en 2007 ou de la situation particulière de rotation des stocks ;

2°) Que l'accord prévoie la réduction progressive du délai dérogatoire vers le délai légal et l'application d'intérêts de retard en cas de non-respect du délai dérogatoire fixé dans l'accord ;

3°) Que l'accord soit limité dans sa durée et que celle-ci ne dépasse pas le 1er janvier 2012.

Ces accords conclus avant le 1er mars 2009, sont reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis du Conseil de la concurrence.

Ce décret peut étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".

I. Le cadre économique et juridique des accords dérogatoires en matière de délais de paiement

6. Le crédit que les entreprises s'accordent dans leurs échanges commerciaux, communément dénommé délais de paiement, recouvre des enjeux économiques et concurrentiels.

a) Le contexte économique

7. Le crédit commercial interentreprises représente, selon les données de la centrale des bilans de la Banque de France pour l'année 2005, un montant de 604 milliards d'euro pour l'ensemble de l'économie, qui est à rapprocher de l'encours de 133 milliards d'euro pour le crédit bancaire à court terme.

8. Au plan international, les comparaisons effectuées par la Banque de France pour 6 pays (Allemagne, France, Espagne, Italie, Japon et États-Unis), montrent que la France est, après l'Italie, le pays ayant les règlements les plus tardifs, avec une tendance longue à l'augmentation du poids des dettes fournisseurs dans le total des bilans des entreprises.

9. Les délais de paiement importants accordés aux clients pèsent sur la trésorerie des entreprises, lorsqu'ils ne sont que partiellement compensés par les délais obtenus des fournisseurs. Le besoin de financement ainsi créé par l'exploitation est couvert par l'endettement bancaire, direct (crédits de trésorerie) ou indirect (mobilisation des créances commerciales et affacturage), ce qui pose deux problèmes aux entreprises.

10. En premier lieu, le volume de financement et son coût dépendent de la taille de l'entreprise et de la perception de son secteur d'activité par la banque : autant de critères peu favorables d'une façon générale aux PME et aux entreprises en position de sous-traitance.

11. En second lieu, les ressources mobilisées le sont aux dépens du financement de la croissance de l'activité, de l'innovation et de l'investissement. Une telle situation est préjudiciable au développement de l'entreprise, mais aussi à la pérennité et à la vitalité du tissu industriel de PME, dès lors que le phénomène est généralisé à un secteur d'activité.

12. Les délais excessifs représentent, en conséquence, un risque économique et financier pour le partenaire le plus faible, la filière concernée, voire l'économie locale.

13. L'importance du crédit interentreprises accroît les risques de défaillances en cascade d'entreprises, le défaut de paiement se propageant aux entreprises de la filière ainsi qu'aux autres fournisseurs, avec leurs conséquences économiques et sociales à l'échelle d'une localité ou d'une région.

b) L'enjeu concurrentiel

14. Parallèlement, les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et viennent réduire le prix de revient effectif de ses achats.

15. Les délais de paiement affectent ainsi les conditions de concurrence. Les délais obtenus de ses fournisseurs par une entreprise et sa capacité à obtenir leur allongement ont un impact direct sur sa compétitivité par rapport à ses concurrents sur le marché, en lui procurant une trésorerie gratuite pour financer son exploitation et son développement.

16. A côté d'autres éléments, comme par exemple le prix unitaire, la politique de remises, le volume acheté, la durée du contrat ou l'achalandage, les délais de paiement doivent être appréciés comme un des éléments de la relation commerciale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques.

17. Il est ainsi dans la logique de la concurrence entre les formes de distribution que chacune se distingue quant à certains éléments constitutifs de la relation commerciale.

c) L'extension des accords dérogatoires à l'ensemble des entreprises d'un secteur

18. Un accord dérogatoire a pour effet de donner aux entreprises concernées la possibilité d'obtenir, dans leurs relations avec leurs fournisseurs, des délais de paiement plus favorables que le délai légal de 60 jours nets, pendant la durée de la validité de l'accord. Les entreprises couvertes par l'accord dérogatoire bénéficient ainsi d'un avantage.

19. Une distorsion de concurrence pourrait résulter de ce qu'un accord ne s'applique pas à l'ensemble des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité.

20. Ce risque potentiel pour le jeu de la concurrence est pris en compte par l'article 21/III de la loi du 4 août 2008, qui ouvre la possibilité pour le décret validant un accord interprofessionnel conclu dans un secteur déterminé " d'étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".

21. L'extension par décret d'un accord dérogatoire a ainsi pour effet pratique d'appliquer le dispositif de cet accord à la totalité des entreprises relevant des organisations professionnelles signataires, que ces entreprises soient adhérentes ou non à l'une de ces organisations.

22. A titre général, l'Autorité de la concurrence considère donc que l'extension est souhaitable pour toutes les demandes d'accord dérogatoire en matière de délais de paiement.

23. Ce principe posé, plusieurs questions peuvent être soulevées au regard de l'objectif d'assurer la plus grande neutralité possible des accords dérogatoires au regard de la concurrence.

24. En premier lieu, le champ retenu par le décret d'extension devra être traité. Les accords déjà conclus donnent en effet lieu à des demandes d'adhésion de la part d'organisations professionnelles qui n'étaient pas parties aux négociations. Il semble peu conciliable avec le jeu de la concurrence de laisser aux seules organisations signataires de l'accord initial la décision d'accepter ou de refuser ces nouvelles demandes, sans qu'ait lieu un contrôle minimal de la part du pouvoir réglementaire.

25. L'Autorité recommande en ce sens au ministre de préciser le champ d'application de l'extension dans le décret, afin de faciliter l'application et le contrôle des règles en matière de délais de paiement et du pouvoir réglementaire.

26. L'autre question concerne le cas des entreprises présentes sur différents secteurs ou activités, dont une activité, sans constituer l'activité principale, est couverte par un accord dérogatoire existant. Cette situation concerne les cas de figure distincts de la grande distribution généraliste et des industriels multi-activités.

27. Premier cas de figure, la grande distribution généraliste (hypermarchés et supermarchés) est en concurrence, au moins sur une partie de l'offre, avec les distributeurs spécialisés. Elle pourrait ainsi souhaiter bénéficier des accords dérogatoires en matière de délais de paiement conclus par des distributeurs spécialisés avec leurs fournisseurs.

28. Pour se prononcer sur ce point, l'Autorité procèdera, dans chaque cas d'espèce, à une analyse et à une comparaison des caractéristiques de l'offre commerciale de chaque circuit de distribution.

29. Toutefois, deux remarques générales peuvent être avancées. D'une part, les délais de paiement ne constituent qu'un élément parmi d'autres définissant la relation commerciale entre un acheteur et son fournisseur. Comme il a déjà été dit, il est dans la logique de la concurrence entre les différentes formes de distribution que chacune se singularise sur tel ou tel élément de la relation commerciale.

30. D'autre part, le droit de la concurrence reconnaît que les conditions et les modalités de concurrence entre les opérateurs n'ont pas à être identiques, dans la mesure où les différenciations relèvent de considérations objectives.

31. Le second cas de figure porte sur les fournisseurs présents, non pas à titre principal mais pour une partie moins importante de leur activité, dans un secteur couvert par un accord dérogatoire.

32. Dans cette hypothèse, l'accord dérogatoire peut créer une distorsion de concurrence entre les fournisseurs relevant des organisations signataires, qui pourront appliquer des délais plus longs jusqu'à fin 2011, et ceux non couverts par l'accord, qui sont face à l'alternative de se placer dans l'illégalité ou de risquer de perdre un client si celui-ci leur demande d'appliquer le délai dérogatoire.

33. Ces risques de distorsion, qui n'appellent pas de réponse évidente à la lecture des dispositions législatives précitées, devront être traités au cas par cas, en gardant à l'esprit qu'ils n'auront qu'une durée limitée, compte tenu de la portée seulement transitoire des accords dérogatoires.

II. L'accord dérogatoire présenté

a) Organisations professionnelles signataires

34. L'accord dérogatoire a été conclu le 11 décembre 2008 entre les organisations représentatives des constructeurs de l'agroéquipement et leurs clients distributeurs.

35. Pour les constructeurs, il s'agit de l'AXEMA (Union des Industriels de l'Agroéquipement) qui regroupe le Syndicat des Entreprises de Commerce International de matériels agricoles et d'espaces verts (SECIMA), le Syndicat National des Constructeurs de Véhicules Agricoles et Matériels connexes (SNCVA) et le Syndicat Général des Constructeurs de Tracteurs et Machines Agricoles (SYGMA).

36. Les organisations professionnelles signataires pour les distributeurs sont : le SECIMA (Syndicat National des Entreprises de Service et Distribution du Machinisme Agricole), la FNAR (Fédération Nationale des Artisans et petites entreprises en milieu rural) et le SMJ (Union Nationale des spécialistes en matériels de parcs et jardins).

37. L'AXEMA rassemble l'ensemble des industriels constructeurs et importateurs d'agroéquipement et de matériels pour espaces verts. Elle compte dans ses rangs 230 entreprises dont des PME et des grands groupes internationaux, représentant un chiffre d'affaires évalué à 7 milliards d'euro en 2008.

38. Le SECIMA représente 750 entreprises de service et de distribution du machinisme agricole. Il regroupe 70 % des concessionnaires français en agroéquipement dont le chiffre d'affaires est estimé à 5,5 milliards d'euro. La taille des concessions évaluées en nombre de salariés varie de 5,6 salariés à environ 420 pour le groupe le plus important.

39. La FNAR est formée des unions et syndicats régionaux d'artisans ruraux relevant de la réparation-distribution d'agroéquipement et de matériel pour espaces verts. 3 200 entreprises de taille artisanale (5 à 6 salariés en moyenne) représentant un chiffre d'affaires d'environ 750 millions d'euro sont adhérentes à cette fédération.

40. Le SMJ est un syndicat regroupant 2 500 entreprises spécialisées dans le service, la distribution et la location de matériels de parcs et jardins, dont le chiffre d'affaires est de l'ordre de 450 millions d'euro. Ses adhérents sont principalement des structures de moins de 20 salariés, implantées en zone rurale et en agglomération

41. La représentativité des industriels membres de l'AXEMA est évaluée par la profession à 90 % pour les agroéquipements et à 85 % pour les espaces verts.

42. S'agissant des distributeurs membres du SECIMA, de la FNAR et du SMJ, ils représenteraient 90 % du chiffre d'affaires de la distribution du matériel d'agroéquipement et environ 65 % pour les matériels et équipements de parcs et jardins.

b) Le secteur d'activité

43. Le marché français des agroéquipements a atteint 4,85 milliards d'euro en 2008. Les importations assuraient 69 % de l'activité, les tracteurs représentant 30 % du matériel acheté à l'étranger.

44. La fabrication de machines agricoles est principalement divisée en deux segments de marché : la fabrication de tracteurs (tracteurs agricoles et forestiers, motoculteurs) et la fabrication de matériel agricole (matériel de travail du sol, de traitement et d'entretien des récolte, d'élevage). La réparation de matériel ne représente que 2 % de l'activité.

45. Les spécialistes du machinisme agricole ciblent deux principaux marchés clients : les agriculteurs exploitants des surfaces (céréalières, fourragères, oléagineuses, légumières), et les entreprises spécialisées, les collectivités locales ou les particuliers pour l'entretien des espaces verts.

46. La filière française de la fabrication de machines agricoles est dominée par des entreprises généralistes. Les deux leaders américains du secteur Agco et John Deere France qui ont réalisé chacun plus d'1 milliard d'euro de chiffres d'affaires en 2008, sont présents sur la quasi-totalité des segments du marché. Le groupe allemand Claas (517 millions d'euro) et l'entreprise suisse Kuhn (452 millions d'euro) contrôlent de nombreuses filiales spécialisées sur certains types de produits. Les concurrents des 4 grands leaders généralistes sont des entreprises spécialisées à l'instar du japonais Honda, à travers sa filiale Hpe, fabriquant exclusivement des machines d'aménagement des espaces verts.

47. Dans le secteur de la distribution, les filiales de vente des grands groupes internationaux occupent une place prépondérante. Ainsi, le néerlandais CNH propriété du constructeur Fiatdomine la distribution de machines agricoles grâce à sa filiale CNH France (près de 1,4 milliards d'euro en 2007), suivi de Claas France. De nombreux généralistes sont également présents comme Same Deutz Fahr et le réseau de concessionnaires Socodicor. Il existe toutefois des spécialistes, notamment sur le segment des espaces verts, comme le japonais Kubota Europe (405 millions d'euro en 2008) et l'allemand Andreas Stihl (215 millions d'euro).

c) Le périmètre de l'accord

48. L'achat de matériel agricole ou d'espaces verts s'opère au travers de trois maillons : le constructeur, le concessionnaire/ distributeur, l'utilisateur final (agriculteur, paysagiste, particulier).

49. L'accord qui, selon les organisations signataires, a été initié par les constructeurs concerne exclusivement le périmètre constructeur/ distributeur et ne vise ni la filière amont, ni la filière aval.

50. En ce qui concerne les fournisseurs, la fabrication de matériel agricole et de tracteurs représentait 78 % du chiffre d'affaires du secteur et le commerce de gros environ 17 %. (source SESSI données 2007).

51. S'agissant des distributeurs, la vente en gros concernait 96,6 % du chiffre d'affaires sectoriel, les services et la réparation représentant des activités très marginales.

52. L'article 1er précise que l'accord porte sur le matériel d'agroéquipement, le matériel et les équipements de parcs, jardins et forêts ainsi que sur les pièces détachées et le matériel de démonstration.

53. Entrent donc dans le champ d'application les produits suivants : les tracteurs (agricoles, vinicoles et forestiers) et les motoculteurs, le matériel agricole qui comprend les machines viticoles et vinicoles (machines à vendanger), le matériel de travail des sols, de semis et fertilisation (charrues, semoirs, distributeurs d'engrais), les matériels de récolte et automoteurs (moissonneuses-batteuses, ensileuses automotrices), les matériels de fenaison (presses à balles carrées et rondes, faucheuses conditionneuses), le matériel d'élevage (équipements de traite) et les matériels pour espaces verts (tondeuses à gazon, motobineuses, débroussailleuses ).

III. L'analyse de l'Autorité de la concurrence

54. La règle fixée par l'article 21, III, de la loi du 4 août 2008 demande que l'application temporaire de délais de paiement dérogatoires soit justifiée par des raisons économiques objectives et spécifiques à l'activité concernée. La loi donne comme raison possible, mais non exclusive, l'existence de délais de paiement et de stocks importants constatée pour 2007.

a) L'existence de raisons économiques spécifiques au secteur

55. Les organisations signataires font état de raisons économiques propres à leur activité pour justifier leur demande de dérogation tenant : au caractère saisonnier de leur activité, et à l'importance de l'investissement représenté par l'achat des matériels concernés.

La saisonnalité des ventes

56. Les professionnels ont précisé que les matériels visés par l'accord sont des produits à utilisation saisonnière, dont le cycle de vente se caractérise par une commande du réseau de distribution à l'industriel et une livraison avant la période d'utilisation des produits par les clients.

57. Les activités agricoles et d'espaces verts sont en effet fortement liées aux cycles de la nature, ce qui nécessite l'anticipation de la production des matériels en amont accompagnée d'un système de commandes/ livraisons de pré-saison.

Cette organisation saisonnière des ventes apporte aux fabricants la possibilité de lisser leur production, leurs stocks et leurs expéditions sur l'année. Elle permet aux distributeurs de s'assurer un approvisionnement progressif et d'étaler la réception des marchandises en pré- saison, afin de préparer, équiper et essayer les machines pour répondre à la demande de leurs clients dès le démarrage de la saison. Cette dernière peut de plus être retardée en raison des aléas climatiques.

58. Pour les matériels d'agroéquipements, les commandes de matériels et leur livraison sont donc calées sur leur période d'utilisation. Ainsi, les commandes des moissonneuses-batteuses aux fournisseurs s'effectuent entre septembre et décembre, pour des livraisons échelonnées chez le distributeur entre décembre et juin, avec une utilisation par le client en juillet et août.

59. S'agissant des matériels pour espaces verts, chaque famille de produits a également son propre rythme de commandes, de livraisons et de ventes. Ainsi, les matériels de printemps (tondeuses, débroussailleuses, motobineuses) sont commandés lors des salons de septembre, les livraisons sont échelonnées d'octobre à fin mars, et les ventes sont réalisées de mars à avril selon les aléas climatiques, les premiers paiements étant effectués par les clients utilisateurs en avril/mai. Pour les matériels d'automne/hiver (tronçonneuses, broyeuses de branche), les commandes s'effectuent en juin, les livraisons entre juillet et fin octobre, les ventes démarrant début octobre et les paiements des utilisateurs en novembre/décembre.

60. Les ventes de pré-saison peuvent représenter, selon la profession, entre 60 et 80 % du chiffre d'affaires des sociétés, avec de très fortes concentrations certains mois.

Le poids des investissements en matériels

61. Pour la partie matériel agricole, le prix unitaire des machines est élevé, allant de 10 000 à 300 000 euro, avec une complexité technologique du fait des nombreuses variantes et options possibles pour s'adapter aux besoins de chaque client. Les équipements pour espaces verts sont en revanche des produits standardisés de grande série d'un prix plus faible, variant de 500 à 1 500 euro.

62. Il en découle donc un besoin de financement du cycle d'exploitation important pour les distributeurs, en sachant que la plupart de ces entreprises sont des PME. Selon les organisations signataires, il y aurait plus de 6 000 distributeurs en France avec un effectif moyen de 5 salariés.

63. Les distributeurs de matériels agricoles doivent donc supporter le financement des matériels de démonstration dans leurs points de vente, la constitution d'un stock minimum de matériels neufs avant le début des ventes saisonnières, ainsi que le portage des matériels d'occasion repris. En effet, la vente d'un matériel neuf s'accompagne généralement de la reprise d'un matériel d'occasion, dont la valeur peut représenter 50 % du prix du neuf, avec une revente intervenant souvent lors de la récolte suivante. Le délai de paiement accordé par le fournisseur pour la vente des matériels neufs est ainsi un des moyens facilitant le stockage par le distributeur du matériel d'occasion dans l'attente de sa revente.

64. L'importance du facteur de saisonnalité des ventes pour l'activité agroéquipements ainsi que la valeur unitaire élevée des produits peuvent donc être considérées comme des facteurs susceptibles de répondre à l'existence d'une spécificité économique de la profession concernée, que la loi demande pour justifier un accord dérogatoire de délais de paiement.

b) Le niveau des stocks et des délais de paiement constatés en 2007

Les données communiquées par la profession

65. Les organisations signataires ont communiqué deux études réalisées auprès de leurs entreprises adhérentes sur le niveau des délais de paiement pratiqués et des stocks dans le secteur.

66. La première étude effectuée par la SEDIMA, à partir d'un échantillon de 217 distributeurs dont l'effectif moyen est de 30 salariés, fait apparaître un délai moyen de paiement (tous types de produits confondus) de 51 jours, avec des valeurs allant de 35 jours (1er quartile de l'échantillon) à 63 jours (4ème quartile).

67. Concernant les stocks, l'étude établit une rotation moyenne de 84 jours, avec une durée de 74 jours pour le quartile inférieur de l'échantillon et de 113 jours pour le quartile supérieur.

68. L'AXEMA a transmis une seconde étude auprès des fabricants adhérents de l'organisation, qui portait cette fois sur les délais de paiement maximum constatés par type de produits.

<emplacement tableau>

69. Pour les machines agricoles, les délais de paiement maximum étaient ainsi en moyenne de 390 jours fin de mois pour les commandes de pré-saison, ce qui correspond à 60-80 % des commandes totales et inclut les matériels de démonstration, et de 150 jours pour les ventes hors saison.

70. Pour les équipements espaces verts, les délais maximum de règlement atteignent 180 jours pour les commandes de pré-saison, et 90 jours pour les commandes hors saison.

Mise en perspective avec les données de l'Observatoire des délais de paiement

71. L'Observatoire dispose d'un compte " commerce de gros (commerce interentreprises) de matériel agricole " (NAF 46.61 Z), qui est établi sur la base de 1 644 entreprises personnes morales du secteur et pour la quasi-intégralité des PME. On dispose ainsi de données pouvant être comparées avec celles transmises par la profession.

<emplacement tableau>

72. Le niveau moyen des stocks calculé par l'Observatoire est équivalent à celui annoncé par la profession (respectivement 82,8 jours et 84 jours). Ce niveau est par ailleurs supérieur de plus de moitié à ceux constatés par l'Observatoire pour l'ensemble du commerce de gros en France (41,3 jours) ou l'ensemble du commerce de détail (46,3 jours) en 2007.

73. On peut donc considérer que les chiffres communiqués par les signataires pour les valeurs moyennes des stocks et les délais moyens de paiement sont validés par comparaison avec ceux de l'Observatoire.

74. La saisonnalité de l'activité, associée au niveau des investissements que représentent les matériels concernés, demandent donc aux distributeurs, qui sont majoritairement des PME, de constituer des stocks importants de produits aujourd'hui financés par le crédit fournisseurs.

75. Sur ces bases, une période de transition pour l'application du délai de paiement semble justifiée.

IV. Les engagements pris dans le cadre de l'accord dérogatoire

a) Le calendrier de réduction des délais de paiement convenu par les parties

76. L'article 21, III, de la loi de modernisation de l'économie demande la mise en place par l'accord interprofessionnel d'une réduction progressive des délais de paiement dérogatoires, afin de parvenir au délai légal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets au plus tard le 1er janvier 2012.

77. L'accord du 11 décembre 2008 prévoyait deux calendriers différents pour le matériel espaces verts et pour le matériel d'agroéquipement pour les raisons énoncées précédemment.

78. Lors de l'instruction, les parties ont précisé que les deux échéanciers concernaient les délais maximum pour les commandes de matériels, matériels de démonstration et pièces détachées, pour la période commerciale de pré-saison et en distinguant les produits pour l'agriculture et les produits pour espaces verts.

79. Les deux calendriers peuvent être synthétisés dans le tableau ci-dessous :

<emplacement tableau>

80. S'agissant des matériels pour espaces verts, les délais maximum actuels selon la profession sont de 180 jours, ce qui donne une réduction progressive et répartie de manière relativement homogène sur la période d'ajustement pour atteindre le délai légal au 1er janvier 2012. La baisse des délais est, en effet, de 60 jours au 1er janvier 2009, puis de 30 jours sur les deux années suivantes, et enfin de 15 jours sur la dernière année.

81. Pour les matériels d'agroéquipements, les délais maximum estimés par la profession atteignent 390 jours, ce qui donne une réduction considérable de 120 jours au 1er janvier 2009, puis de 30 jours au 1er janvier 2010, 60 jours au 1er janvier 2011 et enfin 135 jours la dernière année. Ce calendrier ne répond pas à la progressivité prévue par la loi, l'effort étant concentré sur la première et la dernière année.

82. Au vu des ces constatations, l'instruction a préconisé pour l'agroéquipement une échelle de réduction ayant un profil mieux équilibré sur l'ensemble de la période.

83. Une nouvelle échelle de réduction a été proposée par les parties dans le cadre d'un avenant du 29 mai 2009, répondant davantage à l'exigence de dégressivité, mais qui conserve néanmoins un déséquilibre, en prévoyant pour le matériel d'agroéquipement les délais maximum suivants.

au 1er janvier 2009 270 jours fin de mois (sans modification)

au 1er janvier 2010 180 jours fin de mois (au lieu de 240 jours)

au 1er janvier 2011 120 jours fin de mois (au lieu de 180 jours)

au 1er janvier 2012 application du délai légal

b) Les réserves concernant deux points de l'accord

84. Le point 9, prévoyant un suivi de l'accord par des rencontres régulières entre les parties signataires, n'a pas sa place dans un accord dérogeant au délai légal de paiement. A la suite d'une demande de l'Autorité, l'avenant communiqué par la profession le 29 mai 2009 a supprimé cet article.

85. Le point 10 demande aux pouvoirs publics que le secteur bénéficie du plan d'action en faveur des PME et en particulier reçoive des aides financières adaptées.

86. Il n'appartient pas à l'Autorité de se prononcer sur ce dernier point, mais celui-ci n'a pas juridiquement sa place dans un accord fixant des délais de paiement entre entreprises dérogeant au délai légal. Étant donné le nombre important d'accords dérogatoires, la multiplication de ce type de clause étrangère à l'objet strict de l'accord prévu par la loi conduirait à créer une nouvelle source de droit dérivé.

c) Les distorsions de concurrence éventuelles inhérentes au périmètre de l'accord dérogatoire

87. Les parties à l'accord ont demandé au ministre son extension à l'ensemble des opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires.

88. A titre général, l'extension est souhaitable, afin d'éviter des distorsions de concurrence entre des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité, mais aussi pour ne pas lier le bénéfice de l'accord à la condition d'appartenance aux organisations signataires.

89. S'agissant des constructeurs (fabricants et grossistes importateurs), il est proposé d'étendre le bénéfice de l'accord aux entreprises non adhérentes de l'AXEMA, mais relevant, à titre principal, de l'activité couverte par l'accord.

90. De même, l'accord devra être étendu aux entreprises non adhérentes du SEDIMA, de la FNAR et du SMJ, mais concernées à titre principal par le périmètre de l'accord.

CONCLUSION

L'Autorité de la concurrence émet un avis favorable à la validation de l'accord dérogatoire dans le secteur des agroéquipements conclu le 11 décembre 2008 par les organisations professionnelles et modifié par l'avenant du 29 mai 2009 comme satisfaisant aux conditions posées par la loi, et propose son extension aux opérateurs non adhérents exerçant à titre principal l'activité relevant des organisations signataires de l'accord.

Elle recommande la suppression de l'article 10 de l'accord relatif à une demande de soutien de la distribution par les pouvoirs publics.

Délibéré sur le rapport oral de M. Joël Ayache et sur l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mmes Anne Perrot et Élisabeth Flüry-Hérard, vice-présidentes.