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Décisions

ADLC, 2 juin 2009, n° 09-A-17

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif à deux accords dérogatoires aux délais de paiement dans le secteur de l'industrie graphique

ADLC n° 09-A-17

2 juin 2009

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 17 mars 2009, enregistrée sous les numéros 09/0038 A et 09/0039 A, par laquelle le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur des accords dérogatoires en matière de délais de paiement concernant le secteur de l'industrie graphique ; Vu la loi 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, et la commissaire du Gouvernement entendus au cours de la séance du 13 mai 2009 ; Les représentants de l'AFDP (Association Française des Distributeurs de Papier), du SIPG (Syndicat National des Fournisseurs d'Equipement pour les Industries Papetières et Graphiques), de l'UNIC (Union Nationale de l'Imprimerie et de la Communication) et le GMI (Groupement des Métiers de l'Imprimerie) entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations suivantes.

1. Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi, le 17 mars 2009, l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur deux accords dérogatoires en matière de délais de paiement concernant le secteur de l'industrie graphique, au titre de l'article 21-III, de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008.

2. Ce dernier texte a instauré un délai de paiement maximal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets pour les transactions entre entreprises, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2009. L'article L. 441-6 du Code de commerce, neuvième alinéa, dans sa rédaction issue de l'article 21 de la loi de modernisation de l'économie, dispose en effet que, à compter du 1er janvier 2009, " le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date d'émission de la facture ". En l'absence de convention, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Les professionnels qui ne respecteraient pas ces dispositions s'exposent aux sanctions de l'article L. 442-6-III du Code de commerce, et notamment à une amende civile.

3. Toutefois, l'article 21-III de la loi du 4 août 2008 prévoit une possibilité de dérogation temporaire. Un accord interprofessionnel permet en effet de différer l'application du délai légal de paiement dans le secteur économique concerné à la condition que des raisons économiques particulières à ce secteur justifient ce report et qu'une réduction progressive des délais pratiqués soit mise en place par cet accord pour parvenir au délai légal au plus tard le 1er janvier 2012.

4. L'accord doit être approuvé par un décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence, qui peut prévoir son extension à l'ensemble des entreprises dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord.

5. La disposition législative est rédigée dans les termes suivants :

" III. Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que des accords interprofessionnels dans un secteur déterminé définissent un délai de paiement maximum supérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 du Code de commerce, sous réserve :

1°) Que le dépassement du délai légal soit motivé par des raisons économiques objectives et spécifiques à ce secteur, notamment au regard des délais de paiement constatés dans le secteur en 2007 ou de la situation particulière de rotation des stocks ;

2°) Que l'accord prévoie la réduction progressive du délai dérogatoire vers le délai légal et l'application d'intérêts de retard en cas de non-respect du délai dérogatoire fixé dans l'accord ;

3°) Que l'accord soit limité dans sa durée et que celle-ci ne dépasse pas le 1er janvier 2012.

Ces accords conclus avant le 1er mars 2009, sont reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis du Conseil de la concurrence.

Ce décret peut étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord. "

I. Le cadre économique et juridique des accords dérogatoires en matière de délais de paiement

6. Le crédit que les entreprises s'accordent dans leurs échanges commerciaux, communément dénommé délais de paiement, recouvre des enjeux économiques et concurrentiels.

Le contexte économique

7. Le crédit commercial interentreprises représente, selon les données de la centrale des bilans de la Banque de France pour l'année 2005, un montant de 604 milliards d'euro pour l'ensemble de l'économie, qui est à rapprocher de l'encours de 133 milliards d'euro pour le crédit bancaire à court terme.

8. Au plan international, les comparaisons effectuées par la Banque de France pour 6 pays (Allemagne, France, Espagne, Italie, Japon et Etats Unis), montrent que la France est, après l'Italie, le pays ayant les règlements les plus tardifs, avec une tendance longue à l'augmentation du poids des dettes fournisseurs dans le total des bilans des entreprises.

9. Les délais de paiement importants accordés aux clients pèsent sur la trésorerie des entreprises, lorsqu'ils ne sont que partiellement compensés par les délais obtenus des fournisseurs. Le besoin de financement ainsi créé par l'exploitation est couvert par l'endettement bancaire, direct (crédits de trésorerie) ou indirect (mobilisation des créances commerciales et affacturage), ce qui pose deux problèmes aux entreprises.

10. En premier lieu, le volume de financement et son coût dépendent de la taille de l'entreprise et de la perception de son secteur d'activité par la banque : autant de critères peu favorables d'une façon générale aux PME et aux entreprises en position de sous-traitance.

11. En second lieu, les ressources mobilisées le sont aux dépens du financement de la croissance de l'activité, de l'innovation et de l'investissement. Une telle situation est préjudiciable au développement de l'entreprise, mais aussi à la pérennité et à la vitalité du tissu industriel de PME, dès lors que le phénomène est généralisé à un secteur d'activité.

12. Les délais excessifs représentent, en conséquence, un risque économique et financier pour le partenaire le plus faible, la filière concernée, voire l'économie locale.

13. L'importance du crédit interentreprises accroît les risques de défaillances en cascade d'entreprises, le défaut de paiement se propageant aux entreprises de la filière ainsi qu'aux autres fournisseurs, avec leurs conséquences économiques et sociales à l'échelle d'une localité ou d'une région.

L'enjeu concurrentiel

14. Parallèlement, les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et viennent réduire le prix de revient effectif de ses achats.

15. Les délais de paiement affectent ainsi les conditions de concurrence. Les délais obtenus de ses fournisseurs par une entreprise et sa capacité à obtenir leur allongement ont un impact direct sur sa compétitivité par rapport à ses concurrents sur le marché, en lui procurant une trésorerie gratuite pour financer son exploitation et son développement.

16. A côté d'autres éléments, comme par exemple le prix unitaire, la politique de remises, le volume acheté, la durée du contrat ou l'achalandage, les délais de paiement doivent être appréciés comme un des éléments de la relation commerciale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques.

17. Il est ainsi dans la logique de la concurrence entre les formes de distribution que chacune se distingue quant à certains éléments constitutifs de la relation commerciale.

L'extension des accords dérogatoires à l'ensemble des entreprises d'un secteur

18. Un accord dérogatoire a pour effet de donner aux entreprises concernées la possibilité d'obtenir, dans leurs relations avec leurs fournisseurs, des délais de paiement plus favorables que le délai légal de 60 jours nets, pendant la durée de la validité de l'accord. Les entreprises couvertes par l'accord dérogatoire bénéficient ainsi d'un avantage.

19. Une distorsion de concurrence pourrait résulter de ce qu'un accord ne s'applique pas à l'ensemble des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité.

20. Ce risque potentiel pour le jeu de la concurrence est pris en compte par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008, qui ouvre la possibilité pour le décret validant un accord interprofessionnel conclu dans un secteur déterminé " d'étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".

21. L'extension par décret d'un accord dérogatoire a ainsi pour effet pratique d'appliquer le dispositif de cet accord à la totalité des entreprises relevant des organisations professionnelles signataires, que ces entreprises soient adhérentes ou non à l'une de ces organisations.

22. A titre général, l'Autorité de la concurrence considère donc que l'extension est souhaitable pour toutes les demandes d'accord dérogatoire en matière de délais de paiement.

23. Ce principe posé, plusieurs questions peuvent être soulevées au regard de l'objectif d'assurer la plus grande neutralité possible des accords dérogatoires au regard de la concurrence.

24. En premier lieu, le champ retenu par le décret d'extension devra être traité. Les accords déjà conclus donnent en effet lieu à des demandes d'adhésion de la part d'organisations professionnelles qui n'étaient pas parties aux négociations. Il semble peu conciliable avec le jeu de la concurrence de laisser aux seules organisations signataires de l'accord initial la décision d'accepter ou de refuser ces nouvelles demandes, sans qu'ait lieu un contrôle minimal de la part du pouvoir réglementaire.

25. L'Autorité recommande en ce sens au ministre de préciser le champ d'application de l'extension dans le décret, afin de faciliter l'application et le contrôle des règles en matière de délais de paiement et du pouvoir réglementaire.

26. L'autre question concerne le cas des entreprises présentes sur différents secteurs ou activités, dont une activité, sans constituer l'activité principale, est couverte par un accord dérogatoire existant. Cette situation concerne les cas de figure distincts de la grande distribution généraliste et des industriels multi-activités.

27. Premier cas de figure, la grande distribution généraliste (hypermarchés et supermarchés) est en concurrence, au moins sur une partie de l'offre, avec les distributeurs spécialisés. Elle pourrait ainsi souhaiter bénéficier des accords dérogatoires en matière de délais de paiement conclus par des distributeurs spécialisés avec leurs fournisseurs.

28. Pour se prononcer sur ce point, l'Autorité procèdera, dans chaque cas d'espèce, à une analyse et à une comparaison des caractéristiques de l'offre commerciale de chaque circuit de distribution.

29. Toutefois, deux remarques générales peuvent être avancées. D'une part, les délais de paiement ne constituent qu'un élément parmi d'autres définissant la relation commerciale entre un acheteur et son fournisseur. Comme il a déjà été dit, il est dans la logique de la concurrence entre les différentes formes de distribution que chacune se singularise sur tel ou tel élément de la relation commerciale.

30. D'autre part, le droit de la concurrence reconnaît que les conditions et les modalités de concurrence entre les opérateurs n'ont pas à être identiques, dans la mesure où les différenciations relèvent de considérations objectives.

31. Le second cas de figure porte sur les fournisseurs présents, non pas à titre principal mais pour une partie moins importante de leur activité, dans un secteur couvert par un accord dérogatoire.

32. Dans cette hypothèse, l'accord dérogatoire peut créer une distorsion de concurrence entre les fournisseurs relevant des organisations signataires, qui pourront appliquer des délais plus longs jusqu'à fin 2011, et ceux non couverts par l'accord, qui sont face à l'alternative de se placer dans l'illégalité ou de risquer de perdre un client si celui-ci leur demande d'appliquer le délai dérogatoire.

33. Ces risques de distorsion, qui n'appellent pas de réponse évidente à la lecture des dispositions législatives précitées, devront être traités au cas par cas, en gardant à l'esprit qu'ils n'auront qu'une durée limitée, compte tenu de la portée seulement transitoire des accords dérogatoires.

II. Les accords dérogatoires soumis à l'Autorité

34. La filière graphique comporte les activités suivantes : la pré-presse (composition, photogravure, traitement numérique des textes) représentant 6,4 % du chiffre d'affaires de l'industrie graphique en 2008, l'impression, 89,5 %, et les activités de post-presse (finition, reliure, routage) 4,1 %.

35. Le secteur compte près de 6 000 entreprises réalisant un chiffre d'affaires d'environ 9 milliards d'euro, se qui traduit une atomisation du secteur et une présence massive de TPE (près de 3 établissements sur 4 comptent moins de 10 salariés).

36. L'industrie graphique, bien que composée majoritairement d'entreprises indépendantes, tend à se concentrer autour de grandes filiales des groupes nationaux ou européens.

37. Dans le secteur de l'industrie graphique, il peut se trouver des entreprises de taille importante qui sont dominantes dans leur segment d'activité aux différents stades de la chaîne de valeur. Pour l'imprimerie proprement dite, le groupe Circle Printers (anciennement Quebecor) contrôle Didier Mary, leader du marché (187,5 millions d'euro de chiffre d'affaires en 2007), et vient d'acquérir Maury Imprimeur (117 millions en 2007). L'entreprise française Sego occupe la première place dans les activités pré-presse. De leur côté CPI et Jouve jouent les premiers rôles dans le secteur du livre et de la finition. Enfin les cartonniers CPC et Ileos figurent parmi les leaders des imprimés de conditionnement (source étude XERFI imprimerie et industrie graphique janvier 2009).

Organisations professionnelles signataires

38. Les deux accords concernent les relations entre les imprimeurs et leurs fournisseurs de papier et de consommables. Ils ne s'appliquent pas à la filière aval.

39. Le premier accord dérogatoire a été conclu par les distributeurs de papier représentés par l'AFDP (Association française des distributeurs de papier) et leurs clients de la filière graphique représentés par l'UNIC et le GMI (Groupement des métiers de l'imprimerie).

40. L'AFDP regroupe 9 entreprises (8 distributeurs de papier et 1 distributeur d'emballage) qui sont des grossistes répartiteurs, auprès desquels se fournissent les TPE/PME du secteur. Selon les données fournies par la profession, l'association représenterait 95 % des acteurs de la distribution de papier avec 1,1 millions de tonnes distribués. Elle compte dans ses rangs des grands groupes à l'instar de la société Antalis mais aussi des PME.

41. Le GMI regroupe plus de 550 professionnels de la branche, qui sont essentiellement des TPE dont l'effectif moyen est de 18 salariés par entreprise. Les deux syndicats des imprimeurs UNIC et GMI représentent plus des trois quarts du chiffre d'affaires de la branche évalué à 9 milliards d'euro.

42. Le second accord dérogatoire a été conclu entre les fournisseurs de matériels et de consommables dédiés à l'industrie graphique représentés par le SIPG (Syndicat national des fournisseurs d'équipements pour les industries papetières et graphiques) et les entreprises de la pré-presse, de l'impression et de la finition représentées par l'UNIC (Union nationale de l'imprimerie et de la communication).

43. Le SIPG regroupe 40 adhérents réalisant un chiffre d'affaires d'environ 400 millions d'euro, qui sont essentiellement des entreprises d'importation de matériel d'impression et d'art graphique (agents et distributeurs de matériel) dont certains groupes importants comme KDA, Heidelberg, Kodak ou Agfa. Aucun fabricant n'est membre du syndicat.

44. L'UNIC regroupe 1 380 adhérents qui représentent environ 78 % du chiffre d'affaires de la branche de la filière graphique. L'UNIC est composée essentiellement de PME dont l'effectif moyen est de 49 salariés mais compte dans ses rangs quelques grands groupes.

b) L'activité concernée par les accords

45. Le premier accord s'applique entre les distributeurs de papier, qui ont le statut de grossistes répartiteurs, et leurs clients imprimeurs. Il convient de signaler que les producteurs de papier (80 % des fabricants sont des multinationales scandinaves), auprès desquels des opérateurs importants de la filière graphique s'approvisionnent directement, ne sont pas parties à l'accord.

46. Les produits les plus divers de l'activité papetière sont concernés par cet accord, et en premier lieu, ce sont les papiers couchés et les papiers offset qui constituent le principal support utilisé par les imprimeurs pour leurs différents travaux, notamment pour l'impression des documents administratifs, commerciaux et publicitaires. En second lieu, ce sont des produits plus spécialisés comme l'autocopiant (papier chimique), le carton et les adhésifs qui sont utilisés dans les activités de conditionnement comme les étiquettes, ainsi que des produits tels que le calque et de nombreux supports innovants.

47. Le second accord s'applique entre les fournisseurs de matériel et consommables, qui sont essentiellement des importateurs ayant le statut d'agents ou de distributeurs, et leurs clients imprimeurs.

48. Les produits concernés par le champ de l'accord sont définis à l'article 2 et recouvrent notamment les catégories suivantes :

- chimie pré-presse et impression (additifs de mouillage, produits laveurs automatiques) ;

- films, plaques et supports jets d'encre ;

- consommables pour la pré-presse, l'impression et la finition ;

- colles et vernis.

49. En revanche, l'article 2 exclut expressément du champ de cet accord les matériels d'impression (presses et autres machines lourdes), les pièces détachées et les prestations de maintenance associées. En effet, le matériel d'impression constitue un investissement et non une fourniture au sens des délais de paiement. Ce matériel très coûteux fait l'objet de modalités de financement arrêtées avec le fabricant et associe le plus souvent un financement bancaire ou un crédit-bail.

III. L'analyse de l'Autorité de la concurrence

50. La règle fixée par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008, consiste à justifier l'application temporaire de délais de paiement dérogatoires par des raisons économiques objectives et spécifiques à l'activité concernée. La loi donne comme raison possible, mais non exclusive, l'existence de délais de paiement et de stocks importants constatée pour 2007.

a) Les niveaux des stocks et des délais de paiement de l'activité en 2007

51. Les organisations professionnelles représentatives ont transmis des éléments succincts en matière de délais de paiement. Le délai moyen de règlement par les imprimeurs est évalué à 90 jours fin de mois avec des délais maximum atteignant 120 jours.

52. De plus les fournisseurs ont souligné l'asymétrie existant à leur niveau en matière de délais de paiement. Etant donné la quasi-absence des fabricants nationaux, ils doivent s'adresser à des industriels pour la plupart étrangers, notamment scandinaves pour le papier et allemands pour les matériels et consommables, qui imposent des règlements à 30 jours.

53. S'agissant de la rotation des stocks, les parties n'ont pas été en mesure de communiquer des données pour ce secteur et ont repris les résultats de la centrale des bilans de la Banque de France portant sur les comptes des imprimeries de labeur (Code NAF 1812Z) qui sont établis à partir d'un échantillon de 327 entreprises de l'industrie graphique.

54. Le tableau suivant regroupe les résultats pour l'année 2007 :

<emplacement tableau>

55. Concernant les délais de paiement, la Banque de France obtient un délai moyen variant de 70 à 74 jours selon la taille des entreprises. Ces moyennes apparaissent inférieures au délai moyen de 90 jours établi par la profession et il faut considérer les résultats correspondant aux 3/4 de l'échantillon d'entreprises étudié (3ème quartile) pour retrouver un chiffre proche de 90 jours.

56. Pour les stocks, la Banque de France, qui est au cas présent la seule source d'information disponible, indique un niveau de stocks allant de 48 à 65 jours en fonction de la taille des entreprises.

57. Dans les deux séries de données il faut souligner que les entreprises réalisant moins de 4 millions d'euro de chiffres d'affaires ont les niveaux de stocks et de crédit fournisseur les plus élevés. Ce constat peut être rapproché du fait que les PME sont prépondérantes dans ce secteur où selon l'UNIC 80 % des entreprises employaient moins de 100 salariés en 2007.

58. Les informations limitées obtenues auraient justifié que l'Autorité procède à sa propre étude à partir des bilans d'un échantillon d'entreprises membres des organisations signataires, mais ce travail n'a pu être réalisé étant donné les délais impartis à l'instruction et le grand nombre d'entreprises de petite taille dans ce secteur.

59. Nonobstant ces remarques, un délai de paiement de 70 à 74 jours, selon les chiffres de la Banque de France, peut être considéré comme une valeur élevée, notamment lorsqu'on le rapproche de la moyenne de 53,8 jours pour l'ensemble de l'industrie.

L'existence de raisons économiques objectives et spécifiques au secteur

60. Le secteur de l'imprimerie est un secteur très capitalistique, nécessitant un investissement initial et de renouvellement (presses, rotatives et autres matériels lourds) particulièrement important, alors que les entreprises soumises à une forte pression concurrentielle des donneurs d'ordre ne dégagent que des résultats financiers faibles. Ces caractéristiques économiques du secteur ont pour conséquence, que l'activité d'imprimerie est perçue comme étant risquée par les banques et les assureurs-crédits, ce qui a conduit ceux-ci à se désengager.

61. La part prédominante prise dans l'activité par les PME, voire les TPE, peut aussi être rappelée.

Une faible capacité d'autofinancement

62. Les organisations signataires justifient leurs accords en faisant état des faibles résultats dégagés par les entreprises du secteur.

63. A l'appui de cette motivation, l'UNIC reprend une étude réalisée par le ministère de l'industrie pour l'année 2006. Cette étude fait apparaître un résultat courant avant impôt équivalent à 1,3 % du chiffre d'affaires et surtout une capacité d'autofinancement, exprimée par le ratio marge brute d'autofinancement sur valeur ajoutée, réduite avec 8,2 %.

Le poids prépondérant des PME et des TPE

64. Les signataires soulignent que le secteur de l'imprimerie très atomisé et composé majoritairement de TPE et de PME, doit faire face à un environnement très concentré, tant en amont, où des fournisseurs majoritairement étrangers appliquent des délais de règlement courts, qu'en aval où les donneurs d'ordre constitués par des grands groupes d'édition, des plates-formes d'achats ou des clients grands comptes font pression sur les conditions de paiement.

65. Dans ce contexte, les entreprises du secteur craignent d'être prises dans un étau économique, sans moyen de pression vis-à-vis des papetiers et fournisseurs de consommables, tout en devant concéder à leurs clients des compensations financières à l'application du délai légal de paiement.

66. La fragilité économique structurelle du secteur de l'imprimerie ne permet pas ainsi une application immédiate du délai de paiement légal, car il serait de nature à compromettre la pérennité de nombreuses entreprises.

Le calendrier de réduction des délais de paiement convenu par les parties

67. L'article 21-III de la loi du 4 août 2008, autorise la mise en œuvre par l'accord interprofessionnel d'une réduction progressive des délais de paiement dérogatoires, afin de parvenir au délai légal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets au plus tard le 1er janvier 2012.

68. Les deux accords dérogatoires (filière papetière et graphique en date du 29 décembre 2008 et consommables et matériels pour l'industrie graphique du 27 février 2009) prévoient le même calendrier de réduction progressive des délais de paiement interentreprises vers le délai légal de 45 jours fin de mois, selon l'échéancier suivant :

- au 1er janvier 2009 : 80 jours fin de mois ;

- au 1er juillet 2009 : 65 jours fin de mois ;

- au 1er janvier 2010 : 45 jours fin de mois.

69. La durée de la période de transition pour atteindre le délai de paiement légal est donc limitée à une seule année.

70. Sur la base d'un délai de paiement moyen constaté dans le secteur de 90 jours fin de mois, l'effort de réduction serait de 10 jours au 1er janvier 2009, puis de 15 jours entre le 1er janvier et le 1er juillet 2009, et enfin de 20 jours sur les six derniers mois de l'année 2009.

71. La brièveté de la période d'ajustement et sa régularité attestent de la crédibilité des accords dérogatoires présentés.

Les articles 5, 7 et 8 de l'accord relatif au secteur des matériels et consommables des industries graphiques suscitent des réserves

72. L'article 5 de l'accord, intitulé : " Création d'un observatoire des délais de paiement dédié au secteur de la filière graphique ", est ainsi rédigé : " Compte tenu du partenariat de filière que représente le présent accord, les parties signataires conviennent de construire un observatoire des délais de paiement qui aura vocation à mesurer par marché l'impact du dispositif desdits délais de l'amont à l'aval "

73. La mission même de l'Observatoire national des délais de paiement étant le suivi des pratiques en la matière, on doit s'interroger sur la nécessité de créer un observatoire spécifique à la filière, qui pourrait de plus servir de support à une concertation entre les entreprises parties prenantes, et serait susceptible d'aller au-delà de la question du suivi de l'accord dérogatoire.

74. L'Autorité de la concurrence est, par principe, très réticente à ce qu'un texte réglementaire, tel le décret approuvant un accord interprofessionnel en matière de délais de paiement, soit employé pour mettre en place une instance, qui réunirait les principales entreprises d'une filière échangeant des informations, constitutives du prix de vente, comme le sont les délais de paiement.

75. L'article 7 de l'accord, intitulé : " Lancement d'un projet de fonds de garantie pour la branche ", dispose : " Afin de sécuriser les rapports fournisseurs/client et éviter les défaillances liées à l'insolvabilité des acteurs de la filière graphique, les parties s'attacheront à lancer les bases d'un fonds de garantie collectif assurant notamment la sécurité juridique des paiements "

76. L'objectif parait louable, mais n'a pas sa place dans un accord fixant des délais de paiements dérogatoires au délai légal.

77. L'article 8 de l'accord, prévoyant l'organisation d'une filière graphique, appelle les mêmes commentaires et les mêmes réserves que l'article 7 quant à sa place dans un accord dérogeant au délai légal de paiement.

78. Les parties entendues au cours de la séance ont admis le bien fondé des observations faites par le rapporteur et se sont engagées à supprimer ces trois articles.

Les distorsions de concurrence éventuelles inhérentes au périmètre des accords

79. Les parties aux deux accords demandent au ministre leur extension à l'ensemble des entreprises de la filière relevant des organisations professionnelles signataires.

80. A titre général, l'extension est souhaitable, afin d'éviter des distorsions de concurrence entre des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité, mais à condition de ne pas lier le bénéfice de l'accord à la condition d'appartenance aux organisations signataires.

81. S'agissant des imprimeurs il est proposé d'étendre le bénéfice de l'accord papeterie pour l'industrie graphique du 29 décembre 2008 aux entreprises non adhérentes de l'UNIC et du GMI mais relevant à titre principal de l'activité couverte par cet accord.

82. Cette extension devrait permettre d'inclure les membres du SIN (Syndicat de l'Impression Numérique et Graphique) qui ont demandé à être rattachés à l'accord entre l'AFDP, l'UNIC et le GMI.

CONCLUSION

L'Autorité de la concurrence émet un avis favorable à la validation de l'accord papeterie pour l'industrie graphique du 29 décembre 2008 et de l'accord matériels et consommables pour l'industrie graphique du 27 février 2009 et propose leur extension aux opérateurs placés dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité.

Elle émet cependant des réserves à l'égard des articles 5, 7 et 8 de l'accord du 27 février 2009 entre le SIPG et l'UNIC, étant donné l'effet potentiellement anticoncurrentiel de l'article 5 et l'objet étranger à l'accord des articles 7 et 8 et propose leur suppression.

Délibéré sur le rapport oral de M. Joël Ayache et sur l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Aubert vice-présidente, présidente de séance, Mme Anne Perrot et M. Patrick Spilliaert, vice-présidents.