ADLC, 25 juin 2009, n° 09-A-29
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Avis
Relatif à un accord dérogatoire aux délais de paiement dans le secteur du cuir
L'Autorité de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre du 17 mars 2009, enregistrée sous le numéro 09/0043 A, par laquelle le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement dans le secteur du cuir ; Vu la loi 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint et le commissaire du Gouvernement, entendus au cours de la séance du 23 juin 2009 ; Les représentants des organisations professionnelles signataires de l'accord dérogatoire entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce. Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations suivantes :
1. Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi, le 17 mars 2009, l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement concernant le secteur du cuir, au titre de l'article 21-III, de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008.
2. Ce dernier texte a instauré un délai de paiement maximal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets pour les transactions entre entreprises, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2009. L'article L. 441-6 du Code de commerce, neuvième alinéa, dans sa rédaction issue de l'article 21 de la loi de modernisation de l'économie, dispose en effet que, à compter du 1er janvier 2009, " le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture ". En l'absence de convention, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Les professionnels qui ne respecteraient pas ces dispositions s'exposent aux sanctions de l'article L. 442-6-III du Code de commerce, et notamment à une amende civile.
3. Toutefois, l'article 21-III de la loi du 4 août 2008 prévoit une possibilité de dérogation temporaire. Un accord interprofessionnel permet en effet de différer l'application du délai légal de paiement dans le secteur économique concerné à la condition que des raisons économiques particulières à ce secteur justifient ce report et qu'une réduction progressive des délais pratiqués soit mise en place par cet accord pour parvenir au délai légal au plus tard le 1er janvier 2012.
4. L'accord doit être approuvé par un décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence, qui peut prévoir son extension à l'ensemble des entreprises dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord.
5. La disposition législative est rédigée dans les termes suivants :
" III. Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que des accords interprofessionnels dans un secteur déterminé définissent un délai de paiement maximum supérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 du Code de commerce, sous réserve :
1°) Que le dépassement du délai légal soit motivé par des raisons économiques objectives et spécifiques à ce secteur, notamment au regard des délais de paiement constatés dans le secteur en 2007 ou de la situation particulière de rotation des stocks ;
2°) Que l'accord prévoie la réduction progressive du délai dérogatoire vers le délai légal et l'application d'intérêts de retard en cas de non-respect du délai dérogatoire fixé dans l'accord ;
3°) Que l'accord soit limité dans sa durée et que celle-ci ne dépasse pas le 1er janvier 2012.
Ces accords conclus avant le 1er mars 2009, sont reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis du Conseil de la concurrence.
Ce décret peut étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".
I. Le cadre économique et juridique des accords dérogatoires en matière de délais de paiement
6. Le crédit que les entreprises s'accordent dans leurs échanges commerciaux, communément dénommé délais de paiement, recouvre des enjeux économiques et concurrentiels.
a) Le contexte économique
7. Le crédit commercial interentreprises représente, selon les données de la centrale des bilans de la Banque de France pour l'année 2005, un montant de 604 milliards d'euro pour l'ensemble de l'économie, qui est à rapprocher de l'encours de 133 milliards d'euro pour le crédit bancaire à court terme.
8. Au plan international, les comparaisons effectuées par la Banque de France pour 6 pays (Allemagne, France, Espagne, Italie, Japon et Etats Unis), montrent que la France est, après l'Italie, le pays ayant les règlements les plus tardifs, avec une tendance longue à l'augmentation du poids des dettes fournisseurs dans le total des bilans des entreprises.
9. Les délais de paiement importants accordés aux clients pèsent sur la trésorerie des entreprises, lorsqu'ils ne sont que partiellement compensés par les délais obtenus des fournisseurs. Le besoin de financement ainsi créé par l'exploitation est couvert par l'endettement bancaire, direct (crédits de trésorerie) ou indirect (mobilisation des créances commerciales et affacturage), ce qui pose deux problèmes aux entreprises.
10. En premier lieu, le volume de financement et son coût dépendent de la taille de l'entreprise et de la perception de son secteur d'activité par la banque : autant de critères peu favorables d'une façon générale aux PME et aux entreprises en position de sous-traitance.
11. En second lieu, les ressources mobilisées le sont aux dépens du financement de la croissance de l'activité, de l'innovation et de l'investissement. Une telle situation est préjudiciable au développement de l'entreprise, mais aussi à la pérennité et à la vitalité du tissu industriel de PME, dès lors que le phénomène est généralisé à un secteur d'activité.
12. Les délais excessifs représentent, en conséquence, un risque économique et financier pour le partenaire le plus faible, la filière concernée, voire l'économie locale.
13. L'importance du crédit interentreprises accroît les risques de défaillances en cascade d'entreprises, le défaut de paiement se propageant aux entreprises de la filière ainsi qu'aux autres fournisseurs, avec leurs conséquences économiques et sociales à l'échelle d'une localité ou d'une région.
b) L'enjeu concurrentiel
14. Parallèlement, les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et viennent réduire le prix de revient effectif de ses achats.
15. Les délais de paiement affectent ainsi les conditions de concurrence. Les délais obtenus de ses fournisseurs par une entreprise et sa capacité à obtenir leur allongement ont un impact direct sur sa compétitivité par rapport à ses concurrents sur le marché, en lui procurant une trésorerie gratuite pour financer son exploitation et son développement.
16. A côté d'autres éléments, comme par exemple le prix unitaire, la politique de remises, le volume acheté, la durée du contrat ou l'achalandage, les délais de paiement doivent être appréciés comme un des éléments de la relation commerciale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques.
17. Il est ainsi dans la logique de la concurrence entre les formes de distribution que chacune se distingue quant à certains éléments constitutifs de la relation commerciale.
c) L'extension des accords dérogatoires à l'ensemble des entreprises d'un secteur
18. Un accord dérogatoire a pour effet de donner aux entreprises concernées la possibilité d'obtenir, dans leurs relations avec leurs fournisseurs, des délais de paiement plus favorables que le délai légal de 60 jours nets, pendant la durée de la validité de l'accord. Les entreprises couvertes par l'accord dérogatoire bénéficient ainsi d'un avantage.
19. Une distorsion de concurrence pourrait résulter de ce qu'un accord ne s'applique pas à l'ensemble des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité.
20. Ce risque potentiel pour le jeu de la concurrence est pris en compte par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008, qui ouvre la possibilité pour le décret validant un accord interprofessionnel conclu dans un secteur déterminé " d'étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".
21. L'extension par décret d'un accord dérogatoire a ainsi pour effet pratique d'appliquer le dispositif de cet accord à la totalité des entreprises relevant des organisations professionnelles signataires, que ces entreprises soient adhérentes ou non à l'une de ces organisations.
22. A titre général, l'Autorité de la concurrence considère donc que l'extension est souhaitable pour toutes les demandes d'accord dérogatoire en matière de délais de paiement.
23. Ce principe posé, plusieurs questions peuvent être soulevées au regard de l'objectif d'assurer la plus grande neutralité possible des accords dérogatoires au regard de la concurrence.
24. En premier lieu, le champ retenu par le décret d'extension devra être traité. Les accords déjà conclus donnent en effet lieu à des demandes d'adhésion de la part d'organisations professionnelles qui n'étaient pas parties aux négociations. Il semble peu conciliable avec le jeu de la concurrence de laisser aux seules organisations signataires de l'accord initial la décision d'accepter ou de refuser ces nouvelles demandes, sans qu'ait lieu un contrôle minimal de la part du pouvoir réglementaire.
25. L'Autorité recommande en ce sens au ministre de préciser le champ d'application de l'extension dans le décret, afin de faciliter l'application et le contrôle des règles en matière de délais de paiement et du pouvoir réglementaire.
26. L'autre question concerne le cas des entreprises présentes sur différents secteurs ou activités, dont une activité, sans constituer l'activité principale, est couverte par un accord dérogatoire existant. Cette situation concerne les cas de figure distincts de la grande distribution généraliste et des industriels multi-activités.
27. Premier cas de figure, la grande distribution généraliste (hypermarchés et supermarchés) est en concurrence, au moins sur une partie de l'offre, avec les distributeurs spécialisés. Elle pourrait ainsi souhaiter bénéficier des accords dérogatoires en matière de délais de paiement conclus par des distributeurs spécialisés avec leurs fournisseurs.
28. Pour se prononcer sur ce point, l'Autorité procèdera, dans chaque cas d'espèce, à une analyse et à une comparaison des caractéristiques de l'offre commerciale de chaque circuit de distribution.
29. Toutefois, deux remarques générales peuvent être avancées. D'une part, les délais de paiement ne constituent qu'un élément parmi d'autres définissant la relation commerciale entre un acheteur et son fournisseur. Comme il a déjà été dit, il est dans la logique de la concurrence entre les différentes formes de distribution que chacune se singularise sur tel ou tel élément de la relation commerciale.
30. D'autre part, le droit de la concurrence reconnaît que les conditions et les modalités de concurrence entre les opérateurs n'ont pas à être identiques, dans la mesure où les différenciations relèvent de considérations objectives.
31. Le second cas de figure porte sur les fournisseurs présents, non pas à titre principal mais pour une partie moins importante de leur activité, dans un secteur couvert par un accord dérogatoire.
32. Dans cette hypothèse, l'accord dérogatoire peut créer une distorsion de concurrence entre les fournisseurs relevant des organisations signataires, qui pourront appliquer des délais plus longs jusqu'à fin 2011, et ceux non couverts par l'accord, qui sont face à l'alternative de se placer dans l'illégalité ou de risquer de perdre un client si celui-ci leur demande d'appliquer le délai dérogatoire.
33. Ces risques de distorsion, qui n'appellent pas de réponse évidente à la lecture des dispositions législatives précitées, devront être traités au cas par cas, en gardant à l'esprit qu'ils n'auront qu'une durée limitée, compte tenu de la portée seulement transitoire des accords dérogatoires.
II. L'accord dérogatoire présenté
A. LES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES SIGNATAIRES
34. L'accord dérogatoire concerne les activités de la filière cuir, allant de la première transformation des peaux d'animaux jusqu'au commerce de détail spécialisé dans les articles en cuir manufacturés.
35. Une annexe à l'accord identifie précisément les activités en cause par renvoi aux codes NAF correspondants.
36. L'accord a été conclu au sein du Conseil National du Cuir (CNC), qui se présente comme l'organisation interprofessionnelle de producteurs et utilisateurs de cuir et par extension, de tous ceux qui contribuent à la production, à l'utilisation ou à la distribution du cuir. Constitué sous forme de confédération, il regroupe 20 fédérations ou syndicats professionnels de la filière française du cuir (source site du CNC).
37. L'accord dérogatoire a été signé par 12 de ces organisations, qui étaient directement concernées. Les signataires sont présentés dans le tableau ci-dessous.
<emplacement tableau>
38. Trois organisations adhérentes du CNC, qui auraient eu vocation à signer l'accord, n'ont pas souhaité s'y joindre.
39. Le Syndicat National des Matériels & Articles de Protection (SYNAMAP) s'est prononcé pour une application pure et simple du dispositif retenu par la loi en matière de délai de paiement. Ce syndicat regroupe en effet les fabricants et les distributeurs spécialisés de produits en cuir ou en autres matériaux destinés à un usage professionnel. S'agissant d'équipements de protection individuelle ou collective réalisés dans des matériaux très disparates, le cuir ne concerne que les fabricants de gants de protection et de chaussures de sécurité, qui concernent très peu le grand public.
40. La Chambre Syndicale Nationale des Bottiers de France regroupe des entreprises occupant une niche de haut de gamme (chaussures sur mesure) et n'était pas désireuse de signer l'accord.
41. Enfin, la Fédération des Syndicats de Négociants en Cuirs et Crépins de France et Professions Connexes compte peu de membres et n'était pas intéressée.
B. L'ACTIVITÉ CONCERNÉE PAR L'ACCORD
1) Données générales
42. Les chiffres clés pour l'année 2007 de l'activité concernée par l'accord dérogatoire, communiqués par les parties à l'accord, sont les suivants :
- 8 000 entreprises ;
- 80 000 salariés ;
- 12 milliards d'euro de chiffre d'affaires.
43. La répartition du chiffre d'affaires global entre les différents stades de fabrication et de commercialisation des produits cuir fait l'objet du graphique ci-dessous.
<emplacement tableau>
44. La distribution est largement prépondérante, représentant, avec plus de 8,7 milliards d'euro, près de 75 % du chiffre d'affaires global couvert par l'accord.
45. Selon la profession, l'accord concerne près de 8 000 entreprises, se répartissant à hauteur de 2 % dans la première transformation, 4 % la fabrication (chaussures, maroquinerie, vêtements), 36 % pour les détaillants en maroquinerie et 64 % pour les détaillants en chaussures.
2) La filière amont et ses spécificités
46. Le cuir se définit comme " le produit de la transformation de la peau d'animaux " (source CNC). L'amont de la filière porte ainsi sur le traitement des peaux et leur utilisation pour fabriquer des chaussures, des articles de maroquinerie et des vêtements.
47. La première transformation se fait en trois étapes principales :
- l'apprêt prépare la peau brute au tannage ;
- le tannage permet de rendre imputrescible la peau à l'aide d'agents tanins et de la doter de caractéristiques distinctes en termes de souplesse, d'élasticité ou d'aptitude à la teinture ;
- le corroyage et le finissage donnent au cuir tanné des propriétés différentes selon son utilisation finale (habillement, ameublement, chaussure).
48. La transformation des peaux constitue une industrie à dominante de main d'œuvre, la production faisant appel à un personnel important et qualifié et n'étant guère susceptible d'employer des procédés de fabrication mécanisés. Cette particularité est présentée par la profession comme gage de qualité, mais est aussi un facteur d'allongement inévitable des délais et des coûts de fabrication.
49. Les stades de la production et de la transformation comprennent quelques métiers spécifiques.
50. Les tanneurs et les mégissiers exercent en fait la même activité, mais interviennent sur des produits différents. Aux tanneurs revient la transformation des peaux de gros animaux (bovins et porcins principalement), aux mégissiers le travail sur des peaux d'animaux plus petits et/ou plus rares, plus en relation avec l'industrie du luxe.
51. Ces premières étapes indispensables à la fabrication d'articles en cuir sont incluses dans le champ de l'accord (Syndicat général des Cuirs et Peaux, Syndicat de la Tannerie Française, Union de la Mégisserie Française et Fédération Française de la Tannerie Mégisserie).
52. La part des importations dans l'approvisionnement en peaux traitées par les tanneurs et mégissiers est prépondérante : 73 % en 2007, 70 % en 2008.
53. Les cuirs issus des tanneries et mégisseries sont ensuite vendus aux circuits de fabrication, eux-mêmes représentés par plusieurs organisations signataires : Fédération des Chambres Syndicales de la Ganterie de Peau de France, Fédération Française de la Chaussure, Fédération Française de la Maroquinerie, Articles de Voyage, Chasse-Sellerie, Gainerie et Bracelets Cuir.
54. Les peaux produites par les tanneurs et mégissiers se répartissent entre plusieurs circuits de fabrication, comme indiqué dans le graphique suivant :
<emplacement tableau>
55. Trois catégories de débouchés possibles pour les peaux traitées n'entrent pas dans le champ d'application de l'accord.
56. Les fabricants de vêtements en cuir ne sont pas compris dans le champ de l'accord. L'accord dérogatoire signé par les professionnels du textile, de l'habillement et de la distribution comprend en revanche la fabrication de vêtements en cuir (codes NAF 14.12Z et 14.11Z).
57. L'accord n'englobe pas non plus le secteur de l'ameublement, le mobilier en cuir (canapés) étant rattaché à l'Union Nationale des Industries Françaises de l'Ameublement (UNIFA).
58. Le secteur de la chaussure de sport n'est pas non plus compris dans le champ d'application de l'accord, à l'exception des rares chaussures de sport fabriquées par des industriels français qui sont distribuées par les succursalistes ou par les détaillants spécialisés. Pour le reste, les marques de sport ayant des positions fortes sur le marché français n'adhèrent pas à la Fédération Française de la Chaussure.
59. Au total, la filière du cuir amont (production, transformation et fabrication) comptait ainsi, en 2007 417 entreprises et employait 22 541 personnes. Le nombre d'entreprises ainsi que les effectifs du secteur sont en baisse continue et régulière depuis le début des années 1980.
60. Les variations du chiffre d'affaires sont moins linéaires. La tendance à long terme est à la baisse : 4,5 milliards d'euro en 1989 (sommet des 27 dernières années), contre 3,1 milliards d'euro en 2007. Néanmoins, après une baisse continue entre 2000 et 2005 (plus mauvaise année depuis 1980), le chiffre d'affaires de l'activité est en hausse depuis, avec une augmentation de 3 % en 2007.
61. La production française d'articles de maroquinerie a notamment progressé de 7 % entre 2006 et 2007. On constate également la progression de l'emploi du cuir dans cette production (54 % des articles en 2007 contre 49 % en 2004).
62. A l'instar de l'apprêt et de la production de peaux, le secteur de la fabrication se caractérise également par des importations très importantes. Les industriels français de la chaussure ont ainsi produit 36 millions de paires de chaussures en 2007, tandis que 445 millions de paires étaient importées cette même année. Pour les produits de maroquinerie, les importations ont continué à augmenter rapidement en 2007 (1,91 milliard d'euro soit une hausse de 18 %), à un rythme beaucoup plus rapide que les exportations (2,86 milliards d'euro soit + 2 %).
3) La distribution des produits cuir
63. Les activités de commerce de gros et d'importation de chaussures sont incluses dans le champ de l'accord et sont en l'espèce représentées par la Fédération Française de la Chaussure (FFC) et par l'Union Française des Distributeurs Grossistes et Importateurs en Chaussures (UDIC). La FFC est néanmoins plus centrée sur la fabrication tandis que l'UDIC reflète l'évolution du secteur et notamment le développement des activités d'importation et de distribution de marques sous licence (Converse, Disney). Les groupes Eram et Vivarte, qui détiennent les deux tiers des magasins sous enseigne spécialisée dans la vente de chaussures au détail, sont ainsi passés de la FFC à l'UDIC.
64. Enfin, sont également couvertes par l'accord les activités de vente au détail d'articles en cuir, soit par l'intermédiaire de groupes succursalistes, soit par celui de détaillants indépendants (Fédération Nationale des Détaillants en Chaussures, Fédération Nationale des Détaillants en Maroquinerie et Voyage, Syndicat National du Commerce Succursaliste de la Chaussure).
65. Les circuits de distribution des chaussures laissent apparaître la prépondérance des détaillants ou succursalistes spécialisés.
Circuit de distribution Part du volume
Détaillants 19 %
Succursalistes boutiques 17 %
Succursalistes GSS 24 %
Grandes surfaces alimentaires 6 %
Grands magasins 1 %
Autres (magasins de sport, VPC, habillement, etc.) 33 %
66. Les circuits de distribution des articles de maroquinerie laissent apparaître la prépondérance des détaillants spécialisés.
Circuit de distribution Part du volume
Détaillants maroquiniers 28 %
Hypermarchés, supermarchés 16 %
Marchés 10 %
Grands magasins 6 %
Magasins de sport 5 %
Magasins de chaussures 4 %
Magasins de vêtements 4 %
Magasins spécialistes d'une marque 3 %
Autres (magasin d'usine, VPC, Internet, Tabac presse ) 24 %
III. L'analyse de l'Autorité de la concurrence
67. La règle fixée par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008 consiste à justifier l'application temporaire de délais de paiement dérogatoires par des raisons économiques objectives et spécifiques à l'activité concernée. La loi donne comme raison possible mais non exclusive, l'existence de délais de paiement et de stocks importants constatée pour 2007.
A. LE NIVEAU DES STOCKS ET DES DÉLAIS DE PAIEMENT
68. Les organisations signataires ont fourni des données en matière de délais de paiement et de niveau des stocks aux différents stades de la filière.
69. L'Union de la Mégisserie Française fait état " d'usages de facturation " à 60 jours fin de mois.
70. La Fédération de la ganterie a mentionné des délais pratiqués par les grands magasins et grandes surfaces sous la forme de billets à ordre de 60 à 90 jours, voire à 100 jours sous prétexte d'un contrôle qualité-quantité ou, de façon plus crédible, d'un démarrage lent de la saison. Ce type de distribution n'est, toutefois, pas concerné par l'accord.
71. La Fédération Française de la Chaussure a effectué en 2008 une enquête auprès des industriels du secteur. Au vu des réponses de 28 entreprises, il en ressortait les éléments suivants :
- 82 % des entreprises ont des délais de paiement contractuels avec les détaillants indépendants de 60 jours fin de mois ;
- les 18 % restants pratiquant des délais contractuels supérieurs ;
- 63 % accordent néanmoins des facilités de règlement aux détaillants sous forme de paiements en plusieurs échéances.
72. La Fédération des détaillants en maroquinerie a calculé des ratios médians (les ratios moyens étant selon elle peu significatifs en raison d'une trop grande disparité entre maroquiniers) à partir des bilans 2007 d'un panel de 157 magasins sur 34 départements :
- le délai de paiement des fournisseurs effectif est de 83 jours ;
- le niveau de stock de 145 jours.
73. La Fédération des détaillants en chaussures a effectué en mars 2008 une enquête auprès de ses adhérents, donnant les résultats suivants :
- dans 97 % des cas, les délais de paiement pratiqués sont supérieurs ou égaux à 60 jours (28 % à 60 jours, 55 % à 90 jours et 14 % à 120 jours) ;
- la durée moyenne des stocks est de 180 jours.
74. Les commerces succursalistes de la chaussure annoncent des délais de paiement communément pratiqués dans la profession de 60 jours fin de mois.
75. Ces données communiquées par les organisations professionnelles peuvent être rapprochées des résultats de l'Observatoire des délais de paiement de la Banque de France, pour l'ensemble de l'industrie, ainsi que pour l'ensemble du commerce de gros et de détail.
<emplacement tableau>
76. Par rapport à ces résultats généraux, le niveau des délais de paiement et des stocks dans le secteur cuir, tel que déclarés par les parties, apparaît supérieur.
77. L'Observatoire ne dispose de données détaillées pour le secteur cuir qu'au stade du commerce de gros des cuirs et peaux (compte de l'activité identifiée sous le Code NAF 46.24Z), soit une appréciation très partielle des pratiques en matière de délais de paiement de la filière cuir. Les résultats calculés en matière de stocks moyens (61 jours) et de délais de règlement consentis par ces grossistes à leurs clients (64 jours), sont à la fois élevés par rapport aux moyennes générales précitées et témoignent des pratiques de la filière cuir.
78. En définitive, on peut conclure sur la base des différentes sources d'information disponibles que le secteur du cuir connaît des niveaux de stocks et de crédits fournisseurs plus élevés que l'ensemble de l'économie.
B. LES RAISONS ÉCONOMIQUES OBJECTIVES ET SPÉCIFIQUES À L'APPUI DE LA DEMANDE DE DÉROGATION
79. Les différentes organisations signataires soulignent les particularités économiques de leur secteur, ayant trait à la spécificité des méthodes de fabrication et des produits, à la saisonnalité des ventes, ainsi qu'à la prédominance des PME voire des très petites entreprises. a) Les spécificités des produits
80. L'importance du travail manuel dans le travail des peaux et dans la fabrication des articles en cuir a été avancée par les signataires pour expliquer la longue durée des délais de fabrication.
81. Pour les fabricants de chaussures, la multiplication des pointures par rapport aux autres biens de consommation est un facteur qui influe sur la faible rotation des produits. Les signataires du secteur de la chaussure avancent en effet une spécificité qui contribue à la faible rotation des stocks et à l'élévation du niveau de stocks : l'obligation de proposer à la vente au moins dix pointures différentes pour chaque modèle. Ce nombre de pointures minimales étant décliné par modèle, coloris, matière, etc. Un tel argument est en effet recevable.
82. La conjugaison d'une industrie de main d'œuvre et de l'obligation d'avoir des stocks importants de produits finis, conduit à une faible rentabilité dégagée par l'activité.
b) Des cycles d'exploitation à forte saisonnalité aux différents stades de la filière
83. Les fabricants de chaussures font état d'une saisonnalité des produits basée sur 6 mois. Les industriels présentent leur collection six mois avant la livraison des collections chez les distributeurs, qui présentent eux-mêmes ces collections pendant six mois aux consommateurs finaux, tout en sachant que la totalité des collections n'est pas vendue chaque saison.
84. Pour les détaillants en chaussures, le cycle d'exploitation est particulier. Le taux moyen de rotation des stocks de 180 jours précité, correspond aux deux périodes de ventes printemps-été et automne-hiver. Ces détaillants n'ont pas le pouvoir de marché leur permettant de commander leurs chaussures en fonction des ventes réalisées et doivent donc supporter et financer les stocks correspondant à une saison entière.
85. Les fabricants d'articles de maroquinerie sont également confrontés au cycle de vente sur la base de deux saisons printemps-été et automne-hiver. Ils doivent aussi répondre à une demande des consommateurs de plus en plus exigeante en matière de diversité de l'offre, ce qui influe assurément sur le niveau des stocks.
86. Au niveau des détaillants en maroquinerie, ces mêmes phénomènes se retrouvent et imposent des livraisons précoces par rapport aux ventes : les produits pour le printemps/été sont ainsi livrés courant janvier alors que l'essentiel des ventes a lieu fin mai (fête des mères).
87. La fédération des maroquiniers détaillants fait également valoir que la durée de vie moyenne d'un article en magasin est longue et donc lourde à financer. Il faut un minimum de choix pour déclencher commercialement une vente. Un rayon comme le gant (article avec des tailles) nécessite par exemple d'immobiliser un gros stock, sous forme d'une diversité d'articles disponibles dans chacune des pointures. Par ailleurs, les ventes tendent à se concentrer sur la période ses fêtes, le mois de décembre représente ainsi selon la profession environ un tiers du chiffre d'affaires annuel.
c) Les enjeux financiers pour une majorité de TPE-PME
88. Le secteur cuir est caractérisé par le fait que la plupart des entreprises sont des PME et ce à tous les stades de l'activité (cf. tableau ci-après). Pour ce type d'entreprise, une réduction importante et immédiate du crédit inter-entreprises ne peut pas être compensée à court terme par une augmentation des fonds propres ou un recours aux crédits de trésorerie bancaires.
<emplacement tableau>
89. Dans ce contexte, il convient de prendre en considération le risque encouru par la production française du fait d'une application des délais de droit commun dès 2009. Les parties à l'accord ont ainsi fait état de la promotion par des fabricants de chaussures étrangers auprès de distributeurs français de délais de paiement pouvant atteindre 180 jours.
C. LE CALENDRIER DE RÉDUCTION DES DÉLAIS DE PAIEMENT CONVENU PAR LES PARTIES
90. Les signataires ont fixé leur calendrier de réduction progressive en reprenant celui prévu par l'accord textile, en arguant de la volonté de ne pas créer de complications supplémentaires pour les nombreuses entreprises qui distribuent à la fois du textile, des chaussures et de la maroquinerie.
Échéances délai de paiement en jours fin de mois
1er janvier 2009 : 75
1er janvier 2010 : 65
1er janvier 2011 : 55
1er janvier 2012 : 45
91. En retenant un ordre de grandeur de 80 jours, comme délai moyen de paiement pratiqué par le secteur, l'engagement de réduction pris apparaît réaliste et progressif sur la période de dérogation, avec une baisse de 10 jours par an.
D. LES RÉSERVES À L'ENCONTRE DE PLUSIEURS ARTICLES DE L'ACCORD
92. Ces réserves concernent les articles 1 et 7, dans la rédaction initiale de l'accord, et l'article 2 actuel.
93. Deux dispositions de l'accord initial apparaissaient ne pas avoir leur place dans un accord dérogatoire en matière de délais de paiement.
94. Il s'agissait de l'article 1er, 3ème alinéa, réservant l'application ultérieure de l'accord aux organismes adhérents du CNC (article 1, 3ème alinéa). Ce faisant, les parties se substituaient au pouvoir réglementaire pour décider du périmètre d'une extension éventuelle de l'accord.
95. Par ailleurs, l'article 7 créait un comité de suivi et ouvrait la possibilité aux parties de modifier leur accord après son approbation par décret. Une telle éventualité de révision d'un accord dérogatoire était à la fois contraire à l'article 21/III de la loi du 4 août 2008, ainsi qu'à l'ordre juridique général en permettant à un accord entre personnes privées de modifier un texte approuvé par décret.
96. Les organisations signataires ont supprimé ces dispositions par un avenant modifiant le texte de l'accord initial en date du 9 juin 2009.
97. Enfin, la rédaction de l'article 2.1 de l'accord, concernant le point de départ à retenir pour le calcul des délais de paiement, n'est pas conforme à l'article L. 441-6 du Code de commerce. La loi retient, comme point de départ, la date d'émission de la facture, à laquelle l'article 2.1 de l'accord ajoute une alternative non prévue par les textes en vigueur, consistant en : " ou [la date] de réception des marchandises, selon le choix des parties indiqué dans le contrat ".
98. Ce dernier membre de phrase devra donc être supprimé.
E. LES DISTORSIONS DE CONCURRENCE ÉVENTUELLES INHÉRENTES AU PÉRIMÈTRE DE L'ACCORD
99. L'Union du commerce de Centre Ville (UCV) a demandé à bénéficier de l'accord dérogatoire cuir en cas de sa validation par le pouvoir réglementaire.
100. L'UCV regroupe huit grandes enseignes de centre ville : les grands magasins (Printemps, Galeries Lafayette, BHV, Bon Marché), les magasins populaires de la chaîne Monoprix, et des grands magasins spécialisés (C&A, Virgin, Habitat).
101. L'UCV estime que certains de ses membres présentent des caractéristiques similaires aux opérateurs économiques couverts par les organisations signataires de l'accord cuir, lequel fausserait la concurrence s'il n'était pas étendu à ses membres, et considère être assimilée à tort par les signataires de l'accord cuir à la grande distribution généraliste.
102. Pour l'UCV, les grands magasins de centre ville constituent un regroupement sur un même site de commerces spécialisés ayant chacun des caractéristiques similaires à celles des distributeurs spécialisés, en termes de profondeur de gamme (présence constante d'une offre significative en magasin), de modalités de vente (personnel qualifié et nombreux) et de rotation des stocks.
103. Deux enseignes adhérentes de l'UCV ont communiqué des données relatives à leurs délais de paiement et à leurs niveaux de stocks. Aux fins de comparaison, les données communiquées par les organisations professionnelles des détaillants en maroquinerie et en chaussures sont reprises.
<emplacement tableau>
104. Pour les articles de maroquinerie, le niveau des stocks comme les délais de paiement apparaissent comparables dans les deux formes de distribution. En revanche, pour les chaussures, ces données s'avèrent supérieures pour la distribution spécialisée par rapport aux grands magasins de centre ville.
105. Ces informations, parcellaires, ne peuvent constituer qu'un indice d'une distorsion éventuelle des conditions de concurrence que créerait l'accord de la filière cuir. Il faudrait, au minimum, que les enseignes concernées communiquent au ministre des données certifiées par leurs commissaires aux comptes, concernant le niveau de leurs stocks et l'importance du crédit fournisseurs pour leurs rayons chaussures et maroquinerie, afin d'apprécier l'opportunité d'une application de l'accord dérogatoire cuir.
106. Par ailleurs, il est de pratique constante de l'Autorité de considérer, dans son examen des accords dérogatoires de délais de paiement, que la distribution spécialisée est placée dans une situation économique et commerciale différente de celle de la distribution généraliste (cf. avis n° 09-A-04 relatif à la bijouterie-horlogerie, n° 09-A-03, jouets, ou n° 09-A-02, bricolage).
107. Cette différence de situation tient, d'abord, à l'exercice par les distributeurs spécialisés d'une seule et unique activité, avec pour corollaire l'impossibilité de compenser une baisse de leur activité par les résultats des autres activités.
108. Elle s'explique, notamment, aussi par la prépondérance des petites entreprises chez les distributeurs spécialisés, leur pouvoir de marché limité, ou la nature et le nombre de références de leur offre commerciale.
109. Concernant l'activité chaussures, les magasins de centre ville et les distributeurs spécialisés ne supportent pas les mêmes charges en matière de stocks. En séance, le représentant des fabricants de chaussures a ainsi précisé, que contrairement aux détaillants spécialisés les grands magasins ne sont pas, en général, propriétaires des stocks de chaussures détenus en magasins. La commercialisation des chaussures de marque en grand magasin s'effectue en effet sous forme de stands dédiés à une marque, qui sont exploités par le fabricant concerné avec son propre personnel et des produits lui appartenant. L'octroi de délais de paiement dérogatoires pour faire face à l'importance des stocks n'apparaît donc pas justifié.
110. Enfin, les délais de paiement ne constituent que l'un des éléments de la relation commerciale, le droit de la concurrence reconnaissant que les conditions et les modalités de concurrence entre les opérateurs n'ont pas à être identiques dans la mesure où les différenciations relèvent de considérations objectives. Il est ainsi dans la logique de la concurrence entre les différentes formes de distribution que chacune se distingue quant à certains éléments constitutifs de la relation commerciale.
111. Hormis le cas particulier des enseignes membres de l'UCV, l'Autorité rappelle par ailleurs sa position de principe d'une extension de l'accord dérogatoire à l'ensemble des entreprises relevant des organisations professionnelles signataires même si elles n'en sont pas membres. CONCLUSION
L'Autorité de la concurrence émet un avis favorable à la validation de l'accord dérogatoire, en tenant compte des modifications adoptées par les parties dans leur avenant du 9 juin 2009, et propose son extension aux opérateurs placés dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité.
Une modification matérielle de la rédaction actuelle de l'article 2.1 est toutefois nécessaire, afin de se conformer au texte de la loi quant au point de départ pour le calcul des délais de paiement.
Concernant la demande de l'UCV de bénéficier de l'accord dérogatoire des professions du cuir, l'Autorité considère qu'au vu des informations à sa disposition et des conditions de fonctionnement différentes, cette demande ne semble pas fondée.
Notes
1 Parmi les signataires figure un non adhérent au CNC, la Fédération Française de la Tannerie Mégisserie, qui regroupe cependant deux adhérents signataires : le Syndicat de la Tannerie Française et l'Union de la Mégisserie Française.
2 19 % des détaillants en chaussures n'ont pas de salarié ; 81 % emploient en moyenne 3,9 salariés.
Délibéré sur le rapport oral de M. Emmanuel Protassieff et l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mme Anne Perrot et M. Patrick Spilliaert, vice-présidents.