ADLC, 26 juin 2009, n° 09-A-30
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Avis
Relatif à un accord dérogatoire aux délais de paiement dans le secteur du textile habillement
L'Autorité de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre du 20 mars 2009, enregistrée sous le numéro 09/0051 A, par laquelle le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement dans le secteur du textile habillement ; Vu la loi 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint et le commissaire du Gouvernement entendus au cours de la séance du 16 juin 2009 ; Les représentants des organisations professionnelles signataires de l'accord dérogatoire entendus sur le fondement des dispositions de l'article L.463-7 du Code de commerce ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations suivantes.
1. Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi, le 20 mars 2009, l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement concernant le secteur du textile habillement au titre de l'article 21-III, de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008.
2. Ce dernier texte a instauré un délai de paiement maximal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets pour les transactions entre entreprises, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2009. L'article L. 441-6 du Code de commerce, neuvième alinéa, dans sa rédaction issue de l'article 21 de la loi de modernisation de l'économie, dispose en effet que, à compter du 1er janvier 2009, " le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture ". En l'absence de convention, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Les professionnels qui ne respecteraient pas ces dispositions s'exposent aux sanctions de l'article L. 442-6-III du Code de commerce, et notamment à une amende civile.
3. Toutefois, l'article 21-III de la loi du 4 août 2008 prévoit une possibilité de dérogation temporaire. Un accord interprofessionnel permet en effet de différer l'application du délai légal de paiement dans le secteur économique concerné à la condition que des raisons économiques particulières à ce secteur justifient ce report et qu'une réduction progressive des délais pratiqués soit mise en place par cet accord pour parvenir au délai légal au plus tard le 1er janvier 2012.
4. L'accord doit être approuvé par un décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence, qui peut prévoir son extension à l'ensemble des entreprises dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord.
5. La disposition législative est rédigée dans les termes suivants :
" III. Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que des accords interprofessionnels dans un secteur déterminé définissent un délai de paiement maximum supérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l'article L.441-6 du Code de commerce, sous réserve :
1°) Que le dépassement du délai légal soit motivé par des raisons économiques objectives et spécifiques à ce secteur, notamment au regard des délais de paiement constatés dans le secteur en 2007 ou de la situation particulière de rotation des stocks ;
2°) Que l'accord prévoie la réduction progressive du délai dérogatoire vers le délai légal et l'application d'intérêts de retard en cas de non-respect du délai dérogatoire fixé dans l'accord ;
3°) Que l'accord soit limité dans sa durée et que celle-ci ne dépasse pas le 1er janvier 2012.
Ces accords conclus avant le 1er mars 2009, sont reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis du Conseil de la concurrence.
Ce décret peut étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord. "
I. Le cadre économique et juridique des accords dérogatoires en matière de délais de paiement
6. Le crédit que les entreprises s'accordent dans leurs échanges commerciaux, communément dénommé délais de paiement, recouvre des enjeux économiques et concurrentiels.
a) Le contexte économique
7. Le crédit commercial interentreprises représente, selon les données de la centrale des bilans de la Banque de France pour l'année 2005, un montant de 604 milliards d'euro pour l'ensemble de l'économie, qui est à rapprocher de l'encours de 133 milliards d'euro pour le crédit bancaire à court terme.
8. Au plan international, les comparaisons effectuées par la Banque de France pour 6 pays (Allemagne, France, Espagne, Italie, Japon et Etats Unis), montrent que la France est, après l'Italie, le pays ayant les règlements les plus tardifs, avec une tendance longue à l'augmentation du poids des dettes fournisseurs dans le total des bilans des entreprises.
9. Les délais de paiement importants accordés aux clients pèsent sur la trésorerie des entreprises, lorsqu'ils ne sont que partiellement compensés par les délais obtenus des fournisseurs. Le besoin de financement ainsi créé par l'exploitation est couvert par l'endettement bancaire, direct (crédits de trésorerie) ou indirect (mobilisation des créances commerciales et affacturage), ce qui pose deux problèmes aux entreprises.
10. En premier lieu, le volume de financement et son coût dépendent de la taille de l'entreprise et de la perception de son secteur d'activité par la banque : autant de critères peu favorables d'une façon générale aux PME et aux entreprises en position de sous-traitance.
11. En second lieu, les ressources mobilisées le sont aux dépens du financement de la croissance de l'activité, de l'innovation et de l'investissement. Une telle situation est préjudiciable au développement de l'entreprise, mais aussi à la pérennité et à la vitalité du tissu industriel de PME, dès lors que le phénomène est généralisé à un secteur d'activité.
12. Les délais excessifs représentent, en conséquence, un risque économique et financier pour le partenaire le plus faible, la filière concernée, voire l'économie locale.
13. L'importance du crédit interentreprises accroît les risques de défaillances en cascade d'entreprises, le défaut de paiement se propageant aux entreprises de la filière ainsi qu'aux autres fournisseurs, avec leurs conséquences économiques et sociales à l'échelle d'une localité ou d'une région.
b) L'enjeu concurrentiel
14. Parallèlement, les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et viennent réduire le prix de revient effectif de ses achats.
15. Les délais de paiement affectent ainsi les conditions de concurrence. Les délais obtenus de ses fournisseurs par une entreprise et sa capacité à obtenir leur allongement ont un impact direct sur sa compétitivité par rapport à ses concurrents sur le marché, en lui procurant une trésorerie gratuite pour financer son exploitation et son développement.
16. A côté d'autres éléments, comme par exemple le prix unitaire, la politique de remises, le volume acheté, la durée du contrat ou l'achalandage, les délais de paiement doivent être appréciés comme un des éléments de la relation commerciale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques.
17. Il est ainsi dans la logique de la concurrence entre les formes de distribution que chacune se distingue quant à certains éléments constitutifs de la relation commerciale.
c) L'extension des accords dérogatoires à l'ensemble des entreprises d'un secteur
18. Un accord dérogatoire a pour effet de donner aux entreprises concernées la possibilité d'obtenir, dans leurs relations avec leurs fournisseurs, des délais de paiement plus favorables que le délai légal de 60 jours nets, pendant la durée de la validité de l'accord. Les entreprises couvertes par l'accord dérogatoire bénéficient ainsi d'un avantage.
19. Une distorsion de concurrence pourrait résulter de ce qu'un accord ne s'applique pas à l'ensemble des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité.
20. Ce risque potentiel pour le jeu de la concurrence est pris en compte par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008, qui ouvre la possibilité pour le décret validant un accord interprofessionnel conclu dans un secteur déterminé " d'étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".
21. L'extension par décret d'un accord dérogatoire a ainsi pour effet pratique d'appliquer le dispositif de cet accord à la totalité des entreprises relevant des organisations professionnelles signataires, que ces entreprises soient adhérentes ou non à l'une de ces organisations.
22. A titre général, l'Autorité de la concurrence considère donc que l'extension est souhaitable pour toutes les demandes d'accord dérogatoire en matière de délais de paiement.
23. Ce principe posé, plusieurs questions peuvent être soulevées au regard de l'objectif d'assurer la plus grande neutralité possible des accords dérogatoires au regard de la concurrence.
24. En premier lieu, le champ retenu par le décret d'extension devra être traité. Les accords déjà conclus donnent en effet lieu à des demandes d'adhésion de la part d'organisations professionnelles qui n'étaient pas parties aux négociations. Il semble peu conciliable avec le jeu de la concurrence de laisser aux seules organisations signataires de l'accord initial la décision d'accepter ou de refuser ces nouvelles demandes, sans qu'ait lieu un contrôle minimal de la part du pouvoir réglementaire.
25. L'Autorité recommande en ce sens au ministre de préciser le champ d'application de l'extension dans le décret, afin de faciliter l'application et le contrôle des règles en matière de délais de paiement et du pouvoir réglementaire.
26. L'autre question concerne le cas des entreprises présentes sur différents secteurs ou activités, dont une activité, sans constituer l'activité principale, est couverte par un accord dérogatoire existant. Cette situation concerne les cas de figure distincts de la grande distribution généraliste et des industriels multi-activités.
27. Premier cas de figure, la grande distribution généraliste (hypermarchés et supermarchés) est en concurrence, au moins sur une partie de l'offre, avec les distributeurs spécialisés. Elle pourrait ainsi souhaiter bénéficier des accords dérogatoires en matière de délais de paiement conclus par des distributeurs spécialisés avec leurs fournisseurs.
28. Pour se prononcer sur ce point, l'Autorité procèdera, dans chaque cas d'espèce, à une analyse et à une comparaison des caractéristiques de l'offre commerciale de chaque circuit de distribution.
29. Toutefois, deux remarques générales peuvent être avancées. D'une part, les délais de paiement ne constituent qu'un élément parmi d'autres définissant la relation commerciale entre un acheteur et son fournisseur. Comme il a déjà été dit, il est dans la logique de la concurrence entre les différentes formes de distribution que chacune se singularise sur tel ou tel élément de la relation commerciale.
30. D'autre part, le droit de la concurrence reconnaît que les conditions et les modalités de concurrence entre les opérateurs n'ont pas à être identiques, dans la mesure où les différenciations relèvent de considérations objectives.
31. Le second cas de figure porte sur les fournisseurs présents, non pas à titre principal mais pour une partie moins importante de leur activité, dans un secteur couvert par un accord dérogatoire.
32. Dans cette hypothèse, l'accord dérogatoire peut créer une distorsion de concurrence entre les fournisseurs relevant des organisations signataires, qui pourront appliquer des délais plus longs jusqu'à fin 2011, et ceux non couverts par l'accord, qui sont face à l'alternative de se placer dans l'illégalité ou de risquer de perdre un client si celui-ci leur demande d'appliquer le délai dérogatoire.
33. Ces risques de distorsion, qui n'appellent pas de réponse évidente à la lecture des dispositions législatives précitées, devront être traités au cas par cas, en gardant à l'esprit qu'ils n'auront qu'une durée limitée, compte tenu de la portée seulement transitoire des accords dérogatoires.
II. L'accord dérogatoire présenté
a) Organisations professionnelles signataires
34. L'accord dérogatoire et son avenant ont été conclus entre les organisations représentatives des fournisseurs et des distributeurs de textile habillement.
35. Pour les fournisseurs, il s'agit de l'Union Nationale des Industries Textiles (UNIT), l'Union Française des Industries de l'Habillement (UFIH) et la Fédération Française de la Couture, du Prêt-à-porter des Couturiers et des Créateurs de Mode.
36. Les organisations professionnelles signataires pour les distributeurs sont : la Fédération des Entreprises du Commerce et de la Distribution (FCD), l'Union du grand Commerce de Centre Ville (UCV), la Fédération Nationale de l'Habillement (FNH), la Fédération des Enseignes de l'Habillement (FEH) et par la Fédération du e-commerce et de la Vente à Distance (FEVAD).
37. L'Union des Industries Textiles regroupe les entreprises exerçant leurs activités dans des domaines aussi variés que la filature, le tissage, l'ennoblissement, la fabrication des articles de maille, la production de linge de maison ainsi que la confection d'articles de lingerie et de balnéaire. Ses adhérents ont réalisé un chiffre d'affaires d'environ 15 milliards d'euro sur trois marchés principaux : l'habillement, la maison et les textiles à usage technique.
38. L'UFIH rassemble les entreprises de mode présentes dans le secteur de la création, de la fabrication et des marques. Elle regroupe environ 4000 entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires de 13,4 milliards d'euro.
39. La Fédération Française de la Couture, du Prêt à porter des Couturiers et des Créateurs de Mode regroupe une centaine de marques de création et de prêt à porter de notoriété internationale et fortement exportatrices.
40. La FCD (Fédération des Entreprises du Commerce et de la Distribution) représente l'ensemble des enseignes de la distribution à prédominance alimentaire, à l'exception de Leclerc et Intermarché. Elle compte également parmi ses membres des enseignes de la distribution spécialisées dans le sport et l'équipement de la maison. Selon l'IFM (Institut Français de la Mode) les enseignes de la grande distribution avaient en 2008 une part de marché de 13,4 % dans l'habillement et de 30,2 % dans le linge de maison.
41. L'UCV (Union du Grand Commerce de Centre Ville) regroupe notamment les grands magasins (Galeries Lafayette, BHV, Printemps, Bon Marché), des enseignes spécialisées dans l'habillement (C&A) et l'équipement de la maison (Habitat), ainsi que des magasins populaires (Monoprix), qui réalisent en 2008 un chiffre d'affaires total de plus de 9 milliards d'euro. Selon la profession, le textile représente entre 50 et 60 % du chiffre d'affaires des 4 enseignes grands magasins, plus de 80 % pour C& A et un peu moins de 20 % pour les magasins populaires.
42. La FNH (Fédération Nationale de l'Habillement) est l'organisation professionnelle des détaillants indépendants du secteur habillement-articles textiles : ses adhérents peuvent être multimarques, affiliés ou franchisés à une enseigne, avoir un ou plusieurs magasins dans ce secteur. La branche professionnelle du commerce de détail de l'habillement et des articles textiles compte près de 43 000 entreprises.
43. La FEH (Fédération des Enseignes de l'Habillement) compte dans ses rangs toutes les grandes chaînes tant françaises (Etam, Celio..) qu'étrangères (Zara, H&M, Gap ) ; Cette branche représente aujourd'hui un chiffre d'affaires de 16 milliards d'euro et compte 15 000 points de vente. Les enseignes concèdent également des franchises à 9000 magasins réalisant un chiffre d'affaires de 9 milliards d'euro, portant l'activité totale de la branche en France à 22 milliards d'euro.
44. La FEVAD (Fédération du E-Commerce et de la Vente à Distance) rassemble près de 400 entreprises et 700 sites Internet. En 2007 le poids du textile était de l'ordre de 36 % de l'ensemble du chiffre d'affaires de la vente à distance (VAD) des produits, avec plus de 50 % pour les entreprises de ventes par catalogues.
b) Le secteur d'activité
45. Le marché de l'habillement est estimé en 2008 à 26, 37 milliards d'euro. La fabrication de vêtements de dessus est la principale composante de la filière et générait en 2007 plus de la moitié du chiffre d'affaires et de l'emploi total. Ce secteur des vêtements de dessus est composé de trois grandes catégories d'opérateurs : les maisons de couture qui proposent des lignes de prêt-à- porter haut de gamme masculin et féminin, et appartiennent pour la plupart à des multinationales de luxe (LVMH, PPR, Prada), les opérateurs de sportswear tels Lafuma qui figurent parmi les principaux intervenants de la mode masculine, et les spécialistes de la mode pour enfants qui enregistrent des bonnes performances grâce à un important portefeuille de marques (Source étude XERFI mai 2008).
46. La répartition par segment de marché est la suivante : les femmes (15 ans et plus) représentaient en 2008 plus de la moitié de l'activité avec 13 389 milliards d'euro, les hommes (15 ans et plus) 8 585 milliards et les enfants (0 à 14 ans) environ 3,4 milliards (Source Institut Français de la Mode).
47. Plusieurs circuits de distribution interviennent. Leur part de marché a évolué comme suit depuis 1996 :
<emplacement tableau>
48. On constate que les chaines spécialisées (habillement et spécialistes sport) représentent le circuit de distribution qui a le plus progressé sur une décennie avec 33,8 % de part de marché en valeur en 2008, le commerce indépendant multimarques a perdu des parts de marché mais reste le deuxième circuit avec 17, 2 % et la grande distribution pèse 13, 4 %.
49. La représentativité des signataires de la distribution est estimée par la profession à environ 84 % de parts de marché.
50. Le marché du linge et textiles de maison est évalué par l'IFM (Institut Français de la Mode) à environ 2,6 milliards d'euro (Annexe 3 de l'accord) La grande distribution (30, 2 % de part de marché en valeur en 2008) et la vente à distance (spécialistes catalogues 26,7 % en 2008) représentent les principaux circuits de vente de ces produits. Les autres canaux de distribution ont chacun une part de marché variant entre 5 et 8 % (commerce indépendant 5,1 %, GSS 6,9 %, magasins de meubles et décoration 7,3 %, grands magasins 7,4 %, chaînes spécialisées 7,5 %).
51. La représentativité des organismes signataires est également évaluée sur ce segment par les professionnels à une part de marché de 84 %.
c) Le périmètre de l'accord
52. L'accord s'applique aux relations entre tout fournisseur de produits textiles ou d'habillement et tout distributeur.
53. Le périmètre d'application de l'accord dérogatoire est identifié par la mention dans une annexe n°2 des codes d'activité en nomenclature NAF qui sont concernés. Le champ de l'accord est ainsi précisément délimité, tant quant aux produits en cause que pour les formes de commerce.
54. Au stade de la fabrication, les industriels du textile (tissage, filature, ennoblissement), les fabricants de tapis et moquettes, de linge de maison, de vêtements en cuir, de vêtements de dessus et de dessous, de même que les fabricants d'articles chaussants à maille, sont ainsi engagés par l'accord.
55. Entrent donc dans le champ d'application de l'accord les produits nécessaires à la confection de vêtements (fils, tissus, teintures, étoffes, ficelles, rubans, dentelles), les vêtements de dessus y compris les vêtements de cuir et les vêtements de sport, les vêtements de dessous, les articles chaussants à maille (collants, bas, chaussettes) ainsi que le linge de maison (linge de table, linge de cuisine, linge de toilette) et d'ameublement (rideaux).
56. En revanche, les vêtements professionnels (identifiables par le Code NAF 18-2A) apparaissent exclus de l'accord, faute de figurer à l'annexe 2 précitée. L'exclusion des vêtements professionnels a suscité des demandes pour rejoindre l'accord de la part de la confédération de distributeurs/grossistes en vêtements de travail et de protection et du syndicat regroupant les sociétés de location-entretien de linge (GEIST).
57. Pour la distribution, l'accord couvre : le commerce de gros de textiles, le commerce de gros de linge de maison, les centrales d'achat et les magasins de la grande distribution, les magasins de centre ville, les chaînes spécialisées, le commerce de détail indépendant et la vente à distance sur catalogue général ou spécialisé.
58. L'accord s'applique également à l'ensemble des relations interentreprises au sein de la filière (fabricants, grossistes, centrales d'achat, détaillants, donneurs d'ordre, sous-traitants).
III. L'analyse de l'Autorité de la concurrence
59. L'article 21-III de la loi du 4 août 2008 impose que l'application temporaire de délais de paiement dérogatoires puisse être justifiée par des raisons économiques objectives et spécifiques à l'activité concernée ; la loi donnant comme raison possible mais non exclusive, l'existence de délais de paiement et de niveaux de stocks importants constatés pour 2007.
a) L'existence de raisons économiques spécifiques au secteur
60. Les organisations signataires font état des raisons économiques propres à leur activité pour justifier leur demande de dérogation, tenant : d'une part, au caractère saisonnier des articles du secteur du textile-habillement, et d'autre part, aux conditions particulières d'achat concernant principalement les détaillants indépendants.
61. L'activité du secteur textile-habillement s'organise au cours de l'année autour des trois points forts que sont : l'existence pour les articles de deux collections (printemps-été et automne-hiver), ainsi que le caractère déterminant pour les ventes annuelles, des chiffres d'affaires réalisés en décembre pour les fêtes de Noël et lors des périodes de soldes. A ces caractéristiques structurant l'activité, s'ajoute la forte dépendance du secteur aux aléas climatiques.
La saisonnalité des ventes :
Les graphiques ci-dessous établis par l'IFM mettent en évidence la concentration des ventes autour des 3 périodes correspondant respectivement : au mois de janvier (solde d'hiver), à juin-juillet (solde d'été) et au mois de décembre (fêtes de Noël) :
<emplacement tableau>
62. Les périodes de pointes des ventes n'apparaissent pas affectées lorsque sont distinguées la clientèle féminine et masculine, seule l'intensité de ces pointes de consommation est différente. 18 % du total des ventes de vêtements masculins sont ainsi réalisées en janvier, contre 11,5 % pour les vêtements féminins.
63. Dans les deux cas, la concentration des ventes sur les trois périodes de l'année précitées peut être constatée :
<emplacement tableau>
64. Le même constat peut globalement être reconduit pour l'habillement enfants, tout au plus une part moins importante des ventes réalisées pendant les mois de janvier (9,1 % des ventes totales) et de décembre (10,5 %) peut être relevé :
<emplacement tableau>
65. Ainsi, la répartition des ventes par mois selon la clientèle ne permet pas de considérer qu'il existerait une saisonnalité différente des ventes par clientèle, et donc conduit à écarter une possible compensation des flux annuels d'activité entre les différents produits. L'importance du facteur de saisonnalité des ventes pour l'activité textile-habillement peut donc être considérée comme établie.
66. S'agissant du linge de maison, la saisonnalité est moins marquée que pour les articles d'habillement. Cependant une partie non négligeable des achats (10,3 % selon l'IFM) est effectuée entre Noël et la mi-janvier (mois du blanc), mais cela concerne surtout les hypermarchés. La période de soldes d'été représente 11,6 % des achats et concerne certains produits spécifiques comme les draps de plage. Enfin 10 % des achats sont réalisés lors de la sortie des catalogues de vente à distance en septembre.
Les conditions particulières d'achat concernant les détaillants indépendants :
67. L'activité des détaillants indépendants est structurée par le rythme de deux saisons par an : printemps-été et automne-hiver. Ces saisons, identifiées chacune à une collection de vêtements sous marque propre, représentent 50 à 70 % du chiffre d'affaires des détaillants et bénéficient en conséquences de conditions d'achat particulières auprès des fabricants.
68. Les achats des collections sont effectués 7 à 9 mois en avance lors des salons professionnels ou du passage des représentants et des agents des marques, et ces collections sont mises en place suivant les modalités suivantes :
- achats en janvier et février pour la collection automne-hiver, qui est livrée en magasin à partir de la fin des soldes d'été, c'est-à-dire en juillet-août ;
- achats de juillet à septembre pour la collection printemps-été, qui est livrée en magasin à partir de la fin des soldes d'hiver, c'est-à-dire en février.
69. Les livraisons interviennent le plus souvent de manière échelonnée en fonction des sorties de production, qui sont spécifiques à chaque fournisseur et ses contraintes propres (délocalisation, transport, stockage, problèmes logistiques, ).
70. Il existe donc un décalage entre la prise des commandes (mois M), le début de l'offre des articles à la vente dans les magasins (M + 7 mois), la réalisation effective des ventes aux consommateurs (étalée sur M + 7, M + 8 et M + 9), et enfin, la fin de la saison par le solde des articles résiduels de la collection en cause. Selon la profession, ces ventes de fin de saison peuvent peser relativement lourd dans le chiffre d'affaires des magasins, avec une part des ventes effectuées soldes susceptible d'atteindre 25 % du chiffre d'affaires annuel.
71. Ces particularités de fonctionnement des détaillants indépendants se traduisent indéniablement par un besoin important de trésorerie, qui est aujourd'hui assuré pour l'essentiel par le crédit consenti par les fabricants.
72. Les fabricants accordent ainsi aux détaillants indépendants des modalités de règlement particulières pour leurs achats de collection, dénommées " Plans de financement ", qui consistent en un paiement échelonné en 4 ou 5 échéances d'un montant égal de la collection achetée, que ce soit pour l'automne-hiver ou le printemps-été.
73. Selon la profession, les pratiques d'achat ont commencé à évoluer, avec une diminution progressive des achats effectués à l'avance pour l'ensemble d'une saison, qui représenteraient actuellement environ 70 % des achats.
74. Les détaillants indépendants ne sont ainsi qu'au début de l'adaptation de leur mode de fonctionnement et apparaissent en conséquence dans l'incapacité de supporter financièrement une application du délai légal de règlement sans période de transition.
b) Le niveau des stocks et délais de paiements constatés en 2007
75. Les organisations professionnelles signataires évaluent le délai moyen généralement pratiqué dans le secteur du textile-habillement (tous circuits de distribution confondus) à 90 jours fin de mois, à rapprocher d'une durée moyenne des stocks de 103,5 jours.
76. La profession, représentée par ses différentes organisations professionnelles, a également transmis des données selon les circuits de distribution.
<emplacement tableau>
77. Ces chiffres apparaissent dans l'ensemble cohérents et montrent des niveaux élevés de stocks et de délais de paiement ainsi qu'une large couverture des stocks par le crédit fournisseurs.
78. Le rapport de l'Observatoire des délais de paiement de la Banque de France permet de mettre en perspective les chiffres transmis par la profession à partir d'une appréciation extérieure.
79. L'Observatoire dispose d'un compte " Commerce de détail de textiles en magasin spécialisé " (NAF 47.51Z), qui est établi sur la base de 156 entreprises personnes morales du secteur et pour la quasi-intégralité des PME. On dispose donc de données directement comparables avec celles avancées par la profession :
<emplacement tableau>
80. Le niveau des stocks calculé par l'Observatoire est nettement supérieur (plus de 40 %) à la valeur du stock moyen constaté pour le commerce de détail, mais le troisième quartile (103,1 jours) de l'échantillon correspond aux chiffres communiqués par la profession (103,5 jours).
81. Le délai de paiement moyen calculé par l'Observatoire (53,4 jours) est également nettement moins important que le délai moyen estimé par la profession (90 jours), et dans ce cas, même la valeur extrême représentée par le 3ème quartile reste très éloignée de ce dernier.
82. Les arguments économiques de la saisonnalité des ventes du secteur textile-habillement, ainsi que les modalités particulières de fonctionnement et de financement des distributeurs indépendants, doivent donc être considérés comme la justification possible à un accord de délais de paiement dérogatoire.
IV. Les engagements pris dans le cadre de l'accord dérogatoire
a) Le calendrier de réduction des délais de paiement convenu par les parties
83. L'article 21-III de la loi du 4 août 2008 demande la mise en place par l'accord interprofessionnel d'une réduction progressive des délais de paiement dérogatoires, afin de parvenir au délai légal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets au plus tard le 1er janvier 2012.
84. Les parties ont communiqué successivement au ministre un accord général, puis un avenant daté du 23 décembre 2008 portant sur les distributeurs bénéficiant de " plan de financement " de la part de leurs fabricants. Le calendrier des délais dérogatoires résultant de ces deux textes peut être synthétisé dans le tableau ci-dessous :
<emplacement tableau>
85. Les délais actuels déclarés par la profession sont en moyenne de 90 jours et de 105 jours dans le cadre des plans de financement, ce qui donne une réduction progressive et répartie de manière homogène sur la période d'ajustement des délais dérogatoires pour atteindre le délai légal au 1er janvier 2012. La baisse des délais de paiement est en effet de 15 jours au 1er janvier 2009, puis de 10 jours chacune des 3 années de l'accord, avec pour exception l'année 2011 pour la situation des distributeurs dans le cadre des plans de financement avec une baisse de 15 jours cette dernière année. Sur cet aspect l'accord dérogatoire n'apparaît pas contestable.
86. Les difficultés proviennent en revanche de la mise en œuvre des délais dérogatoires sur deux points : le point de départ pour le calcul du délai de paiement, et le champ d'application des délais dérogatoires prévus au titre des plans de financement.
Le point de départ pour le calcul des délais :
87. L'article 2 de l'accord dérogatoire prévoit que les délais de paiement " sont décomptés à partir de la date d'émission de la facture. C'est à dire la date de réalisation de la vente, au sens commercial du terme, et plus précisément au moment de la livraison du bien ou de sa mise à disposition ".
88. Le mode de calcul des délais de paiement est fixé par le Code de commerce et résulte de la combinaison des articles L. 441-3, 2e alinéa, et L. 441-6, 9e alinéa. Le premier article dispose en effet que : " Le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou de la prestation de service. ", tandis que le second dispose que " Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture ".
89. Le délai de paiement commence donc à courir à partir de la date de la facture, et non de celle de la livraison du produit comme l'envisage l'article 2 de l'accord. Les dispositions ajoutées viennent contredire la loi en vigueur, en se référant à la livraison du produit pour le point de départ du délai de paiement.
90. Parallèlement dans le cas des délais dérogatoires des plans de financement, il faut rappeler que le règlement de sa commande par le détaillant en 4 ou 5 échéances, ne peut pas avoir pour effet de prolonger le délai maximum de paiement prévu, par l'application de ce délai au paiement de chacune des échéances.
91. Sur ce point, l'Autorité considère que le texte de la loi, tel que figurant à l'article L. 441-3, 2e alinéa, doit être repris par l'accord dérogatoire en l'état, sans complément ni modification.
Les cas des délais dérogatoires spécifiques à l'existence d'un plan de financement :
92. L'existence concomitante de deux calendriers d'ajustement au sein d'un même accord, destinés à répondre à des situations différentes, n'est pas en soi contestable. L'Autorité s'est d'ailleurs prononcée favorablement sur des accords dérogatoires dans d'autres secteurs d'activité comportant également plusieurs calendriers.
93. Mais s'agissant de déroger à une loi normalement applicable, le champ d'application de chaque dérogation doit être précisément et complètement délimité, pour des raisons tant pratiques de fonctionnement des entreprises concernées, que juridiques de contrôle par l'administration et le juge.
94. Au cas présent, cette définition précise des entreprises ou des produits bénéficiant des délais dérogatoires prévus au titre des plans de financement, n'est pas donnée par l'accord. Celui-ci se limite à mentionner dans l'article 2.3 concerné : " Les entreprises pratiquant des plans de financement dans le cadre de leurs relations commerciales notamment avec les détaillants indépendants, peuvent prévoir pour les années 2009 et 2010 une majoration de 15 jours et une majoration de 10 jours pour l'année 2011 par rapport aux délais prévus à l'article 2.2 ".
95. La rédaction non exhaustive retenue quant aux bénéficiaires (" notamment "), ainsi que le fait pour les commerçants quelle que soit leur catégorie ont signé l'avenant introduisant cette partie du dispositif, amènent à considérer que tout magasin vendant des vêtements dans le cadre de collections (automne-hiver ou printemps-été) pourrait bénéficier de ces délais de paiement allongés ou faire pression sur ses fabricants pour les obtenir. Dès lors les délais dérogatoires plus longs prévus pour les plans de financement, tendraient à s'appliquer à la majorité des commandes.
96. Deux aménagements de ce dispositif sont envisageables.
97. L'avis du Conseil du Commerce de France (non signataire de l'accord dérogatoire) est d'appliquer le dispositif à l'ensemble des distributeurs, qui bénéficiait d'un plan de financement au 1er janvier 2009. Cette solution présente le double inconvénient d'élargir le périmètre des entreprises concernées probablement bien au-delà des distributeurs indépendants à l'origine du dispositif, et de priver tout nouvel entrant sur le marché d'un avantage financier non négligeable. Cette dernière conséquence aurait pour effet de créer une distorsion de concurrence, ce qui conduit à écarter cette solution.
98. L'autre possibilité est de réserver les délais de paiement dérogatoires allongés au titre des plans de financement aux seuls détaillants indépendants. Cette solution répond au besoin particulier de ces commerçants tel qu'avancé par les parties signataires, et identifie les bénéficiaires du dispositif à une forme de distribution, sans introduire de discrimination entre les entreprises existantes et celles créées après le 1er janvier 2009.
99. L'Autorité recommande donc de supprimer l'adverbe 'notamment' dans l'article 2.3 de l'accord issu de l'avenant du 23 décembre 2008.
b) Les réserves sur l'article 7 de l'accord
100. L'article 7 de l'accord instituant un Comité de suivi composé de représentants conjointement désignés par les signataires suscite des réserves quant à sa place dans un accord dérogeant au délai légal de paiement.
101. L'ensemble des organisations signataires se sont engagées, par écrit, lors de l'instruction, à supprimer cet article.
c) Les distorsions de concurrence éventuelles inhérentes au périmètre de l'accord dérogatoire
102. Les organisations signataires demandent l'extension de leur accord à l'ensemble du secteur du textile-habillement, telles qu'elles le définissent par renvoi aux codes d'activités NAF concernés en annexe de l'accord.
103. L'extension à toutes les entreprises relevant du périmètre ainsi délimité apparaît nécessaire, afin d'éviter des distorsions de conditions de concurrence entre des entreprises partageant le même mode de mise en marché des produits.
104. L'Autorité rappelle sa position de principe sur le sujet des accords dérogatoires de délais de paiement recommandant au ministre l'extension des accords validés à l'ensemble des entreprises, dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires comme la possibilité en est ouverte par la loi de 2008.
105. Au cas présent, les organisations signataires apparaissent représenter la quasi-intégralité du secteur du textile-habillement.
106. L'Autorité a seulement connaissance de deux situations particulières : les grandes surfaces généralistes non représentées par une organisation signataire (en l'occurrence la FCD et l'UCV) et la vente des vêtements professionnels.
107. Concernant les grandes surfaces généralistes non représentées à l'accord et n'ayant pas vocation à être membres de la FCD ou de l'UCV, leur présence sur le marché de la vente de vêtements aux consommateurs finaux n'est pas contestable. Il peut donc être recommandé au ministre de dégager une solution juridique leur permettant de bénéficier de l'accord dérogatoire.
108. Pour les vêtements professionnels, plusieurs intervenants sur cette activité ont appelé l'attention de l'Autorité sur leur exclusion de l'accord textile-habillement.
109. La spécificité de ces produits conduit toutefois à conclure à l'absence de distorsions significatives de concurrence, que l'accord dérogatoire pourrait créer. En effet, les vêtements professionnels se distinguent de l'ensemble des produits textiles par : leurs caractéristiques techniques, leurs clients finaux (entreprise et artisans), l'absence de saisonnalité des ventes et des pratiques commerciales de collections ou d'obsolescence rapide des produits suite aux effets de mode, ainsi que par leur circuit de distribution.
CONCLUSION
L'Autorité émet un avis favorable à l'accord dérogatoire dans le secteur du textile-habillement et l'avenant qui l'accompagne, ainsi qu'à leur extension, sous les réserves suivantes :
- la rédaction de l'article 2.2 doit être corrigée, afin de reprendre en l'état les dispositions prévues au Code de commerce relatives au point de départ pour le calcul du délai de paiement ;
- le bénéfice des plans de financement doit être réservé aux seuls détaillants indépendants, en corrigeant le texte de l'article 2.3 de l'accord dérogatoire, tel que modifié par son avenant, par la suppression de l'adverbe 'notamment'.
Délibéré sur le rapport oral de M. Joël Ayache et l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mme Elisabeth Flüry-Hérard et Mme Anne Perrot, vice-présidentes.