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Décisions

ADLC, 26 juin 2009, n° 09-A-36

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif à un accord dérogatoire aux délais de paiement dans le secteur des médicaments non remboursables

ADLC n° 09-A-36

26 juin 2009

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre du 2 mars 2009, enregistrée sous le numéro 09/0021 A, par laquelle le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement dans le secteur des médicaments non remboursables ; Vu la loi 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement, entendus au cours de la séance du 16 juin 2009 ; Les représentants des organisations professionnelles signataires de l'accord dérogatoire entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations suivantes :

1. Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi, le 2 mars 2009, l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement concernant le secteur des médicaments non remboursables au titre de l'article 21-III, de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008.

2. Ce dernier texte a instauré un délai de paiement maximal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets pour les transactions entre entreprises, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2009. L'article L. 441-6 du Code de commerce, neuvième alinéa, dans sa rédaction issue de l'article 21 de la loi de modernisation de l'économie, dispose en effet que, à compter du 1er janvier 2009, " le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture ". En l'absence de convention, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Les professionnels qui ne respecteraient pas ces dispositions s'exposent aux sanctions de l'article L. 442-6-III du Code de commerce, et notamment à une amende civile.

3. Toutefois, l'article 21-III de la loi du 4 août 2008 prévoit une possibilité de dérogation temporaire. Un accord interprofessionnel permet en effet de différer l'application du délai légal de paiement dans le secteur économique concerné à la condition que des raisons économiques particulières à ce secteur justifient ce report et qu'une réduction progressive des délais pratiqués soit mise en place par cet accord pour parvenir au délai légal au plus tard le 1er janvier 2012.

4. L'accord doit être approuvé par un décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence, qui peut prévoir son extension à l'ensemble des entreprises dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord.

5. La disposition législative est rédigée dans les termes suivants :

" III. Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que des accords interprofessionnels dans un secteur déterminé définissent un délai de paiement maximum supérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 du Code de commerce, sous réserve :

1°) Que le dépassement du délai légal soit motivé par des raisons économiques objectives et spécifiques à ce secteur, notamment au regard des délais de paiement constatés dans le secteur en 2007 ou de la situation particulière de rotation des stocks ;

2°) Que l'accord prévoie la réduction progressive du délai dérogatoire vers le délai légal et l'application d'intérêts de retard en cas de non-respect du délai dérogatoire fixé dans l'accord ;

3°) Que l'accord soit limité dans sa durée et que celle-ci ne dépasse pas le 1er janvier 2012.

Ces accords conclus avant le 1er mars 2009, sont reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis du Conseil de la concurrence.

Ce décret peut étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord".

I. Le cadre économique et juridique des accords dérogatoires en matière de délais de paiement

6. Le crédit que les entreprises s'accordent dans leurs échanges commerciaux, communément dénommé délais de paiement, recouvre des enjeux économiques et concurrentiels.

a) Le contexte économique

7. Le crédit commercial interentreprises représente, selon les données de la centrale des bilans de la Banque de France pour l'année 2005, un montant de 604 milliards d'euro pour l'ensemble de l'économie, qui est à rapprocher de l'encours de 133 milliards d'euro pour le crédit bancaire à court terme.

8. Au plan international, les comparaisons effectuées par la Banque de France pour 6 pays (Allemagne, France, Espagne, Italie, Japon et États-Unis), montrent que la France est, après l'Italie, le pays ayant les règlements les plus tardifs, avec une tendance longue à l'augmentation du poids des dettes fournisseurs dans le total des bilans des entreprises.

9. Les délais de paiement importants accordés aux clients pèsent sur la trésorerie des entreprises, lorsqu'ils ne sont que partiellement compensés par les délais obtenus des fournisseurs. Le besoin de financement ainsi créé par l'exploitation est couvert par l'endettement bancaire, direct (crédits de trésorerie) ou indirect (mobilisation des créances commerciales et affacturage), ce qui pose deux problèmes aux entreprises.

10. En premier lieu, le volume de financement et son coût dépendent de la taille de l'entreprise et de la perception de son secteur d'activité par la banque : autant de critères peu favorables d'une façon générale aux PME et aux entreprises en position de sous-traitance.

11. En second lieu, les ressources mobilisées le sont aux dépens du financement de la croissance de l'activité, de l'innovation et de l'investissement. Une telle situation est préjudiciable au développement de l'entreprise, mais aussi à la pérennité et à la vitalité du tissu industriel de PME, dès lors que le phénomène est généralisé à un secteur d'activité.

12. Les délais excessifs représentent, en conséquence, un risque économique et financier pour le partenaire le plus faible, la filière concernée, voire l'économie locale.

13. L'importance du crédit interentreprises accroît les risques de défaillances en cascade d'entreprises, le défaut de paiement se propageant aux entreprises de la filière ainsi qu'aux autres fournisseurs, avec leurs conséquences économiques et sociales à l'échelle d'une localité ou d'une région.

b) L'enjeu concurrentiel

14. Parallèlement, les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et viennent réduire le prix de revient effectif de ses achats.

15. Les délais de paiement affectent ainsi les conditions de concurrence. Les délais obtenus de ses fournisseurs par une entreprise et sa capacité à obtenir leur allongement ont un impact direct sur sa compétitivité par rapport à ses concurrents sur le marché, en lui procurant une trésorerie gratuite pour financer son exploitation et son développement.

16. A côté d'autres éléments, comme par exemple le prix unitaire, la politique de remises, le volume acheté, la durée du contrat ou l'achalandage, les délais de paiement doivent être appréciés comme un des éléments de la relation commerciale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques.

17. Il est ainsi dans la logique de la concurrence entre les formes de distribution que chacune se distingue quant à certains éléments constitutifs de la relation commerciale.

c) L'extension des accords dérogatoires à l'ensemble des entreprises d'un secteur

18. Un accord dérogatoire a pour effet de donner aux entreprises concernées la possibilité d'obtenir, dans leurs relations avec leurs fournisseurs, des délais de paiement plus favorables que le délai légal de 60 jours nets, pendant la durée de la validité de l'accord. Les entreprises couvertes par l'accord dérogatoire bénéficient ainsi d'un avantage.

19. Une distorsion de concurrence pourrait résulter de ce qu'un accord ne s'applique pas à l'ensemble des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité.

20. Ce risque potentiel pour le jeu de la concurrence est pris en compte par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008, qui ouvre la possibilité pour le décret validant un accord interprofessionnel conclu dans un secteur déterminé " d'étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".

21. L'extension par décret d'un accord dérogatoire a ainsi pour effet pratique d'appliquer le dispositif de cet accord à la totalité des entreprises relevant des organisations professionnelles signataires, que ces entreprises soient adhérentes ou non à l'une de ces organisations.

22. A titre général, l'Autorité de la concurrence considère donc que l'extension est souhaitable pour toutes les demandes d'accord dérogatoire en matière de délais de paiement.

23. Ce principe posé, plusieurs questions peuvent être soulevées au regard de l'objectif d'assurer la plus grande neutralité possible des accords dérogatoires au regard de la concurrence.

24. En premier lieu, le champ retenu par le décret d'extension devra être traité. Les accords déjà conclus donnent en effet lieu à des demandes d'adhésion de la part d'organisations professionnelles qui n'étaient pas parties aux négociations. Il semble peu conciliable avec le jeu de la concurrence de laisser aux seules organisations signataires de l'accord initial la décision d'accepter ou de refuser ces nouvelles demandes, sans qu'ait lieu un contrôle minimal de la part du pouvoir réglementaire.

25. L'Autorité recommande en ce sens au ministre de préciser le champ d'application de l'extension dans le décret, afin de faciliter l'application et le contrôle des règles en matière de délais de paiement et du pouvoir réglementaire.

26. L'autre question concerne le cas des entreprises présentes sur différents secteurs ou activités, dont une activité, sans constituer l'activité principale, est couverte par un accord dérogatoire existant. Cette situation concerne les cas de figure distincts de la grande distribution généraliste et des industriels multi-activités.

27. Premier cas de figure, la grande distribution généraliste (hypermarchés et supermarchés) est en concurrence, au moins sur une partie de l'offre, avec les distributeurs spécialisés. Elle pourrait ainsi souhaiter bénéficier des accords dérogatoires en matière de délais de paiement conclus par des distributeurs spécialisés avec leurs fournisseurs.

28. Pour se prononcer sur ce point, l'Autorité procèdera, dans chaque cas d'espèce, à une analyse et à une comparaison des caractéristiques de l'offre commerciale de chaque circuit de distribution.

29. Toutefois, deux remarques générales peuvent être avancées. D'une part, les délais de paiement ne constituent qu'un élément parmi d'autres définissant la relation commerciale entre un acheteur et son fournisseur. Comme il a déjà été dit, il est dans la logique de la concurrence entre les différentes formes de distribution que chacune se singularise sur tel ou tel élément de la relation commerciale.

30. D'autre part, le droit de la concurrence reconnaît que les conditions et les modalités de concurrence entre les opérateurs n'ont pas à être identiques, dans la mesure où les différenciations relèvent de considérations objectives.

31. Le second cas de figure porte sur les fournisseurs présents, non pas à titre principal mais pour une partie moins importante de leur activité, dans un secteur couvert par un accord dérogatoire.

32. Dans cette hypothèse, l'accord dérogatoire peut créer une distorsion de concurrence entre les fournisseurs relevant des organisations signataires, qui pourront appliquer des délais plus longs jusqu'à fin 2011, et ceux non couverts par l'accord, qui sont face à l'alternative de se placer dans l'illégalité ou de risquer de perdre un client si celui-ci leur demande d'appliquer le délai dérogatoire.

33. Ces risques de distorsion, qui n'appellent pas de réponse évidente à la lecture des dispositions législatives précitées, devront être traités au cas par cas, en gardant à l'esprit qu'ils n'auront qu'une durée limitée, compte tenu de la portée seulement transitoire des accords dérogatoires.

II. L'accord dérogatoire présenté

1. LES PARTIES ET L'ACTIVITÉ CONCERNÉES PAR L'ACCORD DÉROGATOIRE

a) Organisations professionnelles signataires

34. L'accord dérogatoire a été conclu entre l'unique syndicat de l'industrie pharmaceutique et les syndicats de pharmaciens titulaires d'officines : pour l'industrie pharmaceutique par le Syndicat " Les entreprises du médicament " (LEEM), pour les syndicats de pharmaciens par la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF), par l'Union Nationale des Pharmacies de France (UNPF) et par l'Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine (USPO).

35. Il est précisé que l'Association Française de l'Industrie Pharmaceutique pour une Automédication Responsable (AFIPA), qui n'est pas signataire de l'accord et qui représente les entreprises exploitant des médicaments de prescription médicale facultative non remboursables, a mandaté le LEEM pour " ouvrir une négociation en vue de parvenir à la conclusion d'un accord visant à maintenir, pour une durée déterminée, la possibilité de délais de paiement supérieurs aux délais légaux ".

Pour l'industrie pharmaceutique

36. Le LEEM est l'unique syndicat de l'industrie pharmaceutique. Il est représentatif de 99 % de l'activité du médicament en France (environ 300 laboratoires) et de la totalité du secteur de la fabrication des produits non remboursables et non prescrits par un médecin, objet de l'accord. L'association AFIPA qui est membre du LEEM, a pour adhérents les entreprises du médicament de prescription facultative. Avec 45 laboratoires adhérents, elle représente plus de 80 % du marché de l'automédication.

Pour les syndicats de pharmaciens titulaires d'officine

* L'UNPF est l'un des trois syndicats nationaux représentatifs des pharmaciens titulaires d'officine (1). Elle est représentative des pharmacies générant les chiffres d'affaires les plus importants. Selon l'information donnée par son président, les adhérents de l'UNPF réalisent un chiffre d'affaires de l'ordre de 1,6 fois la recette moyenne des officines (1,6 millions d'euro en 2008, selon l'enquête XERFI). Selon l'enquête de représentativité, l'UNPF avec un effectif de 771 adhérents représentait en 2001, 3,3 % des 23 368 officines et 2,7 % des 28 412 pharmaciens d'officine. Le nombre des adhérents de l'UNPF serait actuellement de l'ordre du millier.

* L'USPO est l'un des trois syndicats nationaux représentatifs des pharmaciens titulaires d'officine. Selon l'enquête de représentativité, l'USPO avec un effectif de 1 975 adhérents représentait en 2001, 7,8 % des 23 368 officines et 6,4 % des 28 412 pharmaciens d'officine.

* La FSPF est l'un des trois syndicats nationaux représentatifs des pharmaciens titulaires d'officine. Selon l'enquête de représentativité, la FSPF avec un effectif de 10 878 adhérents représentait en 2001, 46,5 % des 23 368 officines et 38,2 % des 28 412 pharmaciens d'officine.

37. L'enquête de représentativité permet de déterminer à contrario la part des officines non représentées par l'un des trois syndicats considéré comme représentatif (42,3 %) ainsi que celle des pharmaciens d'officine non représentés (52,6 %). Il s'agit d'officines ou de pharmaciens relevant de syndicats non représentatifs ou non syndiqués.

b) Le secteur d'activité concerné par l'accord

Les activités éligibles

38. Le secteur d'activité concerné par l'accord dérogatoire est, selon la terminologie de l'accord celui de la vente au consommateur en officine de " médicaments de prescription médicale facultative ne faisant pas l'objet d'une inscription sur la liste des médicaments remboursables(2) ". Il s'agit de médicaments non remboursables dont le prix est libre et qui sont dépourvus de vignette.

Régime des produits visés par l'accord

39. Les médicaments non prescriptibles et non remboursables, vendus exclusivement en officine, disposent d'une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) délivrée par l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS) après avis d'une commission d'experts garantissant l'efficacité, la sécurité et l'innocuité des médicaments autorisés.

40. Ils sont prévus pour être utilisés sans l'intervention d'un médecin, pour le traitement des symptômes de pathologies bénignes pouvant être diagnostiqués par le patient. L'achat peut être spontané ou nécessiter le conseil du pharmacien. Ils sont disponibles sans ordonnance, mais peuvent être prescrits par un médecin.

41. Ces médicaments sont pris en charge financièrement par le consommateur, même quand ils sont prescrits. Leur prix fournisseur et le prix de vente au client sont libres, à la différence du prix des médicaments remboursables. Ils supportent une TVA au taux de 5,5 % au lieu de 2,1 % pour les remboursables.

La place des médicaments non prescriptibles et non remboursables

42. Le marché des médicaments de Prescription Médicale Facultative Non Remboursables représente un volume de 388 millions d'unités et un chiffre d'affaires de 1 354 millions d'euro (en prix fournisseur hors taxes : PFHT), soit 13,1 % des volumes et 6,5 % du chiffre d'affaires du marché pharmaceutique global (source : communication UNPF au rapporteur).

43. Selon des données complémentaires fournies par la FSPF, les médicaments non prescriptibles et non remboursables représenteraient en janvier 2009, un chiffre d'affaires client de 2,1 milliards d'euro (TTC) soit 6 % du chiffre d'affaires total des pharmacies d'officines et 11 % des volumes. A titre de comparaison, les médicaments remboursables, dont les prix et les marges sont encadrés par les pouvoirs publics, représentent 77 % des volumes et 81 % des recettes des officines. Le solde des ventes correspond à la parapharmacie et à des prestations de services.

44. Les médicaments non prescriptibles et non remboursables sont constitués par 3 000 produits référencés sur les 8 000 références pharmaceutiques des officines. Les ventes sont concentrées autour d'un ensemble de 500 produits assurant environ 80 % du chiffre d'affaires de ce segment particulier. 40 % des volumes vendus sont réalisés à partir de 2 700 produits.

45. Le marché des médicaments non prescriptibles et non remboursables devrait continuer à se développer, notamment (3) grâce à la mise en place récente du libre accès à certains médicaments dans les pharmacies. Le décret n° 2008-641 du 30 juin 2008 relatif aux " médicaments de prescription officinale " autorise en effet la mise à disposition de certains médicaments devant le comptoir des pharmacies d'officine, en accès direct, dans un espace spécialement dédié à cet effet. L'AFSAPS a été chargée de définir la liste des médicaments concernés (4). On observe que parmi les 3000 références concernées, environ 200 sont en accès direct devant le comptoir des pharmacies officinales.

Les circuits de distribution concernés

46. Le réseau de distribution est constitué par 22 500 pharmacies d'officine au 1er janvier 2008, disposant d'un monopole légal, encadré par le Code de la santé publique (prix et marges de distribution des médicaments remboursables fixés par l'État), sur la distribution de détail du médicament.

47. La distribution de gros des médicaments est assurée vers les pharmacies, soit directement par les laboratoires (3,7 % des ventes aux consommateurs), soit par l'intermédiaire d'une dizaine de grossistes répartiteurs (82,7 %) ou d'une trentaine de dépositaires (13,6 %). Les répartiteurs sont propriétaires des produits distribués, alors que les dépositaires sont des commissionnaires qui interviennent pour le compte des laboratoires. Ces intermédiaires sont dotés d'un statut d'établissement pharmaceutique. Leur activité est encadrée de manière plus (répartiteurs (5)) ou moins contraignante (dépositaires) par le Code de la santé publique. Par la vente directe aux officines (en interne ou en passant par les dépositaires), les laboratoires tentent de faire contrepoids à la distribution par répartition.

48. S'agissant des médicaments non prescriptibles et non remboursables, la distribution est réalisée à raison de 70 % des volumes sous la forme de ventes directes par les laboratoires (Source : UNPF). Selon les informations communiquées par ailleurs au rapporteur, ces ventes par les laboratoires ou par l'intermédiaire de dépositaires correspondraient à 50 % de l'ensemble des ventes par les officines.

III. L'analyse de l'Autorité de la concurrence

1. LES RAISONS ÉCONOMIQUES SUSCEPTIBLES DE JUSTIFIER L'ACCORD DÉROGATOIRE

49. La règle fixée par l'article 21-III, de la loi du 4 août 2008 consiste à justifier l'application temporaire de délais de paiement dérogatoires par des raisons économiques objectives et spécifiques à l'activité concernée. La loi donne, comme raison possible mais non exclusive l'existence de délais de paiement et de stocks importants constatée pour 2007.

a) L'existence de délais de paiement importants et d'un taux de rotation faible

Les ratios d'exploitation communiqués par les signataires de l'accord

* Concernant les médicaments de prescription facultative non remboursables, les signataires font état dans leur accord, de délais de paiement usuellement pratiqués de 180 jours voire de 360 jours pour les médicaments saisonniers (gammes hivernales et allergies). Ces données dont la source n'a pu être précisée ne sont corroborées par aucune étude ou enquête professionnelle. Lors de l'instruction, il a été précisé au rapporteur que les délais de paiement de 97 % des médicaments vendus en officine (remboursables ou non) sont d'ores et déjà conformes aux délais légaux. Pour le solde, correspondant aux ventes directes par les laboratoires ou par l'intermédiaire des dépositaires, un tiers des ventes serait déjà réglé dans un délai de 45 jours fin de mois, les deux tiers restants, excédant ce seuil. Par conséquent, une part résiduelle du marché des médicaments (2 % estimée à 450 millions d'euro en prix fournisseur) serait directement concernée par l'accord dérogatoire.

* L'accord ne fournit pas de données particulières concernant la rotation des stocks. Il ressort de l'instruction que " le niveau de stock minimum habituellement constaté en officine pour les médicaments non remboursables est de 95 jours... (avec) une très grande disparité entre petites, moyennes et grandes officines… (Certaines) mises en place de stocks pourraient dépasser 180 jours, pour des produits à faible rotation " (source : UNPF). 2 700 des 3 000 produits référencés seraient caractérisés par une rotation lente. Un document statistique communiqué par la FSPF, relatif au stock et au chiffre d'affaires des pharmacies d'officine, fait état en janvier 2009, d'un stock de 108 jours de ventes annuelles concernant les médicaments non remboursables de prescription médicale facultative. A titre de comparaison, le même ratio pour les médicaments remboursables est de 30 jours.

Les ratios de l'Observatoire des délais de paiement

50. Le rapport de l'Observatoire des délais de paiement (établi à partir du fichier interbancaire de la Banque de France portant sur 220 000 entreprises personnes morales) permet de mettre en perspective les chiffres mentionnés par les signataires et de disposer d'une appréciation extérieure.

51. Les moyennes nationales pour le secteur du commerce pris dans son ensemble peuvent être rappelées :

<emplacement tableau>

52. Les résultats de l'Observatoire des délais de paiement et ceux communiqués par les signataires ne peuvent être directement comparés. L'Observatoire a établi pour 2007 un compte NAF 47.73Z " Commerce de détail de produits pharmaceutiques en magasin spécialisé ", à partir de 6 847 entreprises personnes morales du secteur, dont le champ recoupe minoritairement le secteur d'activité objet de l'accord, limité à 6 % du marché des médicaments (hors remboursables, parapharmacie et services).

53. Les délais fournisseurs ressortant de l'observatoire, associés à des niveaux de rotation des stocks compatibles, se révèlent inférieurs aux délais légaux, y compris pour les valeurs du 3e quartile, dès lors qu'ils sont représentatifs de l'ensemble de l'activité officinale :

<emplacement tableau>

54. Les données de l'observatoire ne permettent donc pas de mettre en évidence une tendance générale cohérente avec les ratios très différenciés, propres au segment des médicaments non remboursables.

55. Ce constat conduit à ne pas limiter l'appréciation de la pertinence de l'accord dérogatoire aux seules valeurs du cycle d'exploitation et à prendre aussi en considération les raisons économiques propres au secteur.

b) L'existence de raisons économiques objectives et spécifiques au secteur

56. Au niveau de leur accord, les organisations signataires ne font état d'aucune raison économique objective et spécifique de nature à justifier un report d'application du délai légal.

57. L'accompagnement de la mise en œuvre des zones d'accès direct pour les médicaments de prescription médicale non remboursables ne saurait tenir lieu de raison économique justifiant la demande de délais dérogatoires, au sens de la loi du 4 août 2008.

58. De même, les motifs d'ordre conjoncturel invoqués par les signataires en cours d'instruction, tenant à la situation financière ou comptable de certaines officines, ne sont pas recevables en tant que spécificité sectorielle.

59. Les délais dérogatoires ne sauraient constituer un instrument correctif destiné à rétablir l'équilibre financier des opérateurs concernés, dès lors qu'ils ont été conçus par le législateur pour prolonger une situation des délais de paiement, justifiée par des raisons économiques objectives et spécifiques au secteur.

60. Au cours de l'instruction, les signataires ont fait valoir plusieurs causes à la rotation lente (plus de 3 mois) du stock des produits concernés. Il s'agit :

* du faible volume annuel généré par les médicaments non remboursables ;

* de la fréquence de passage moyenne des délégués commerciaux des laboratoires ;

* des quantités minimales de ventes imposées par les laboratoires ;

* du stock minimum pour assurer la visibilité et l'accessibilité des produits afin de favoriser leur achat spontané.

Le faible volume annuel généré par les médicaments non remboursables

61. Selon l'UNPF, parmi les 2 000 produits (3 000 références) concernés par l'accord, 95 % font moins d'un million d'unités vendues annuellement, soit moins de 4 unités par mois et par pharmacie. De même, 70 % de ces produits font moins de 100 000 unités annuelles, soit moins de 5 unités par an et par pharmacie.

62. Cette faible rotation, induite par un mode de commercialisation fondé sur une initiative du consommateur, plus ou moins suscitée par le pharmacien, peut générer un stock moyen important, nonobstant la faiblesse des quantités minimales imposées par la ligne en vente directe.

Les contraintes industrielles

63. Pour des motifs de rentabilité et de logistique des commandes directes adressées par les pharmaciens, les sociétés pharmaceutiques fixent une quantité minimum par ligne, de l'ordre de 6 à 12 unités. Dès lors que ces quantités excèdent les ventes moyennes mensuelles de l'officine, elles créent un stock imposé au pharmacien qui doit en supporter le coût.

64. La fréquence de passage moyenne des délégués commerciaux, qui est de 3 à 4 mois, suscite un volume de commandes directes correspondant à un stock minimum équivalent lors de la mise en place. Les officines sont fortement incitées à stocker dans cette durée par des taux de remise attractif consentis par les laboratoires sur les ventes directes. A défaut, elles doivent recourir aux grossistes répartiteurs pour ajuster de manière permanente le stock aux besoins, mais perdre alors de l'ordre de 20 à 30 points de marge selon le produit.

65. La taille des réseaux commerciaux (35 personnes en moyenne par société pharmaceutique pour une amplitude de 20 à 90 personnes) influe sur la couverture des pharmacies visitées (6 )(du tiers des officines à la totalité) sans affecter sensiblement la fréquence de passage (de 3 à 4 passages annuels). Le potentiel commercial d'une officine est alors le déterminant principal de la couverture et de la fréquence de passage. Ceci explique que les grosses officines (4 000 points de ventes) possèdent un stock moyen de 1 à 2 mois, alors que les autres (18 000) possèdent un stock d'une durée de 6 mois à un an.

Les nécessités commerciales des officines

66. Pour assurer la visibilité et l'accessibilité des produits (cf. " libre-accès "), le nombre de produits exposés sur un linéaire doit être suffisant pour susciter l'achat spontané ou conseillé. La capacité de stockage en linéaire dépasse alors souvent les ventes mensuelles moyennes de ces produits.

67. En définitive, le mode de développement de la distribution des médicaments de prescription facultative non remboursables en pharmacie d'officine, a demandé aux distributeurs la constitution de stocks ayant une rotation lente financés par le crédit fournisseur consenti par les laboratoires. Ces caractéristiques, plus marquées pour les petites officines, correspondent à la spécificité économique exigée par la loi.

68. En conséquence, pour le segment considéré, le secteur a besoin d'un délai de transition pour s'adapter aux nouvelles règles de délais de paiement et envisage d'utiliser en partie la période d'adaptation ouverte par la loi du 4 août 2008, jusqu'au 1er janvier 2012, afin de mettre en œuvre une dégressivité des délais de paiement.

IV. Les engagements pris dans le cadre de l'accord dérogatoire

69. L'accord joint à la saisine ministérielle du 27 février 2009 n'a donné lieu qu'à des engagements en matière de réduction des délais de paiement.

a) Champ d'application

70. L'article 1er limite la présentation du champ de l'accord à la définition réglementaire des produits concernés.

71. Eu égard aux précisions données au cours de l'instruction, il semble souhaitable de le limiter aux ventes directes entre laboratoires et officines, avec ou sans intermédiation des dépositaires, et d'exclure expressément les ventes par les grossistes répartiteurs, dont les délais de paiement sont d'ores et déjà conformes aux délais légaux.

b) Le calendrier de réduction des délais de paiement convenu par les parties

72. L'article 21-III de la loi LME du 4 août 2008 demande la mise en place par l'accord interprofessionnel d'une réduction progressive des délais de paiement dérogatoires, afin de parvenir au délai légal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets au plus tard le 1er janvier 2012.

73. Les parties signataires se sont engagées sur le calendrier suivant de réduction des délais de paiement dérogatoires, calculé en délais nets (date de facture) ou fin de mois :

<emplacement tableau>

74. L'ajustement est réalisé en 2 ans à compter du 1er janvier 2009.

75. L'échéancier de réduction présenté prévoit deux paliers, le premier étant exprimé en délais nets et le second en délais fin de mois, sans fixer la date à laquelle le délai cible sera atteint. La progressivité et l'équilibre de l'ajustement ne peuvent donc être appréciés au vu des seuls éléments du calendrier proposé. Si l'on fait l'hypothèse de correspondance, d'une part entre un délai net de 90 jours et un délai fin de mois de 75 jours, d'autre part entre un délai net de 75 jours et un délai fin de mois de 60 jours, l'échéancier proposé satisfait la nécessité d'un ajustement équilibré et progressif au cours de la période transitoire.

76. La présentation de l'échéancier devrait assurer la cohérence des échelles de réduction selon les deux modes de calcul et faire ressortir les paliers intermédiaires ainsi que le délai cible.

77. L'échéancier suivant pourrait être suggéré aux parties :

<emplacement tableau>

78. Dans la mesure où certains opérateurs pratiquent d'ores et déjà des délais de règlement en deçà des délais dérogatoires voire conformes aux délais légaux, il paraît nécessaire d'insérer dans l'accord une clause figeant les délais constatés au 1er janvier 2009, afin d'éviter que le délai maximum offre, pour des motifs de trésorerie, une possibilité de retour à des délais plus longs.

79. Dès lors que la pratique actuelle de facturation par les laboratoires fait apparaître un délai de règlement unique par facture, il y a un risque d'appliquer le délai dérogatoire à l'ensemble des produits figurant sur la facture, qu'ils relèvent ou non de l'accord. Pour éviter la confusion des délais de paiement et assurer l'application du délai légal, il est vivement recommandé aux laboratoires de procéder à une facturation séparée des produits relevant de l'accord, à défaut d'une dualité des délais de règlement à l'intérieur d'une même facture.

c) Les distorsions de concurrence éventuelles inhérentes au périmètre de l'accord dérogatoire

80. L'article 7 de l'accord, qui prévoit son entrée en application au 1er janvier 2009, réserve l'opportunité de son extension à tous les opérateurs du secteur, par voie de décret ministériel pris après avis de l'Autorité de la concurrence.

81. A titre général, l'extension est souhaitable afin d'éviter des distorsions de concurrence entre des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité mais aussi pour ne pas lier le bénéfice de l'accord à la condition d'appartenance aux organisations signataires.

82. Du côté des fabricants du secteur des médicaments de prescription médicale facultative non remboursables le LEEM représente l'ensemble des professionnels concernés, de sorte qu'il n'y a pas lieu de préconiser une extension de l'accord.

83. Du côté des officines, il est proposé d'étendre l'accord aux opérateurs membres de syndicats autres que l'UNPF, l'USPO ou la FSPF et notamment aux membres de l'Action Pharmaceutique Libérale d'Union Syndicale (APLUS) ainsi qu'aux opérateurs non affiliés à un syndicat professionnel.

84. Dès lors que les établissements hospitaliers du secteur public ainsi que les cliniques privées ne sont pas en concurrence avec les pharmacies d'officine pour la distribution des médicaments de prescription médicale facultative non remboursables, le dispositif d'extension ne doit pas leur être appliqué.

CONCLUSION

L'Autorité donne un avis favorable à l'accord dérogatoire et propose son extension aux opérateurs placés dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité. Cet avis est accompagné des recommandations suivantes :

1) exclure du champ d'application de l'accord les ventes réalisées par l'intermédiaire de grossistes répartiteurs ;

2) aménager la grille de réduction des délais de paiement afin d'assurer une présentation cohérente selon la nature des délais et intégrant le délai cible dans les deux modes de calcul ;

3) introduire une clause figeant les délais constatés au 1er janvier 2009, dès lors qu'ils sont inférieurs aux délais dérogatoires et a fortiori aux délais légaux ;

4) adapter la facturation par les laboratoires, afin de permettre l'application respective des délais de paiement dérogatoires et des délais légaux, selon les médicaments concernés.

Notes

1 Source des données en matière de représentativité : rapport d'enquête de représentativité des syndicats de pharmaciens titulaires d'officine du 27 février 2003 (ministère des affaires sociales et ministère de la santé).

2 Liste des médicaments remboursables : 1er alinéa de l'article L. 162-1 du Code de la sécurité sociale.

3 Les vagues de déremboursement de mars 2006 et de janvier 2008 ont mécaniquement développé le marché de l'automédication.

4 Il s'agit en définitive de 217 spécialités pharmaceutiques, de 12 médicaments à base de plante et de 19 médicaments homéopathiques.

5 Principales obligations des répartiteurs : référencement d'au moins 90% des médicaments ; livraison au pharmacien dans les 24H suivant la commande ; stock équivalent à 15 jours de ventes.

6 Selon l'UNPF, un réseau de 20 commerciaux ne pourra couvrir que 7 000 officines à raison de 3 passages annuelles alors qu'un réseau de 90 assurera une couverture complète des 22 000 officines à raison de 4 passages par an.

Délibéré sur le rapport oral de M. Gilles Vaury et l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mmes Anne Perrot et Elisabeth Flüry-Hérard, vice-présidentes.