ADLC, 4 novembre 2009, n° 09-A-55
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Avis
Sur le secteur du transport public terrestre de voyageurs
L'Autorité de la concurrence (commission permanente),
Vu la décision n° 09-SOA-01 du 18 mai 2009 de l'Autorité de la concurrence relative à une saisine d'office pour avis dans le secteur du transport public terrestre de voyageurs ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et notamment son article L. 462-4 ; Le rapporteur, la rapporteure générale et le commissaire du Gouvernement entendus au cours de la séance du 29 septembre 2009 ; Les représentants des établissements publics SNCF, RFF, de la société Veolia Transport et ceux du Groupement des Autorités responsables de transport entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Adopte l'avis suivant :
1. Le processus d'ouverture graduelle à la concurrence du transport ferroviaire engagé par la Communauté économique européenne au début des années quatre-vingt-dix, et visant à une ouverture complète de ce secteur en Europe à échéance de cinq à dix ans, s'apprête à franchir une nouvelle étape.
2. En effet, la libéralisation des services ferroviaires internationaux de transport des voyageurs est prévue au plus tard le 1er janvier 2010, conformément à la directive 91-440-CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au développement de chemins de fer communautaires, telle que modifiée par la directive 2007-58-CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007. Par ailleurs, le règlement (CE) n° 1370-2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, dit règlement " OSP " (pour " obligations de service public "), entrera en vigueur à la fin de cette année. Il soumet, au terme d'une période transitoire et à l'exception de quelques cas expressément visés, l'attribution des contrats de service public de transports terrestres de voyageurs aux règles de mise en concurrence communautaires.
3. Les pouvoirs publics ont pris en compte et préparé cette évolution du secteur ferroviaire dans le cadre du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, le 22 septembre 2009, relatif à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports. Ce projet de loi instaure un régulateur sectoriel, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), et crée au sein de la Société nationale des chemins de fers français (SNCF) un service chargé de la gestion de la circulation ferroviaire, placé sous l'autorité du gestionnaire d'infrastructure, Réseau ferré de France (RFF).
4. Le Conseil de la concurrence a rendu un avis sur ce projet de loi (avis n° 08-A-17 du 3 septembre 2008) dans lequel il attirait l'attention du Gouvernement notamment sur l'intérêt " de replacer la création de cette autorité indépendante dans le cadre plus général de l'ouverture à la concurrence de l'ensemble des moyens de transport nécessitant l'intervention d'un régulateur " ainsi que sur " la nécessité de revoir le partage des moyens entre la SNCF et RFF pour donner à ce dernier une véritable capacité de gestion de son propre réseau ".
5. L'Autorité de la concurrence, à l'instar du Conseil de la concurrence pour d'autres ouvertures à la concurrence de secteurs d'activité relevant en France de monopoles publics, estime que l'action de l'opérateur historique tant sur son marché d'origine que sur les marché connexes doit faire l'objet d'une attention particulière afin que les nouveaux entrants puissent accéder au marché français dans les conditions prévues par la réglementation communautaire.
6. L'enjeu de l'ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire est de définir les conditions permettant d'assurer un accès équitable aux diverses ressources nécessaires à l'exercice d'une concurrence loyale, non seulement sur le marché où opèrent les entreprises ferroviaires mais aussi sur les autres marchés de transports publics, compte tenu notamment des problématiques d'inter-modalité.
7. Par sa décision n° 09-SOA-01 du 18 mai 2009, l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office, sur le fondement du nouvel article L. 462-4 du Code de commerce, pour avis dans le secteur du transport public terrestre de voyageurs. Dans cette décision, l'Autorité se fixe notamment pour objectif de déterminer :
" - d'une part, si d'éventuelles restrictions de concurrence relatives aux gares sont susceptibles d'avoir des répercussions sur le secteur des transports publics terrestres de voyageurs et/ou sur le marché de l'inter-modalité, s'il existe ;
- d'autre part, si la diversification de l'opérateur historique nécessite que celui-ci prenne des précautions particulières afin de préserver la concurrence. "
8. L'Autorité de la concurrence rappelle qu'il ne lui appartient pas, dans le cadre d'une telle saisine, de qualifier les comportements sur un marché au regard des articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne et des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code du commerce. Seule la mise en œuvre d'une procédure pleinement contradictoire, telle qu'elle est organisée par l'article L. 463-1 du Code du commerce, lui permet de porter une telle appréciation.
9. Le présent avis s'attachera à présenter, tout d'abord, les principaux marchés de transports publics terrestres de voyageurs (I). Il traitera, ensuite, des questions de concurrence soulevées par les gares ferroviaires dans le cadre de l'ouverture partielle à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs (II) ainsi que par les besoins d'inter-modalité et la diversification de l'opérateur historique (III). Enfin, l'avis émettra des recommandations relatives à ces différentes problématiques (IV).
I. Les marchés de transport public terrestre de voyageurs
A. LE CADRE JURIDIQUE DES TRANSPORTS PUBLICS EN FRANCE
10. Les transports publics en France sont organisés par la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs (ci-après la " LOTI "). Cette loi fixe un cadre général d'organisation du service public des transports et confie cette mission à l'Etat, aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. A cette fin, l'article 5 dispose que " [s]ont considérés comme des transports publics tous les transports de personnes ou de marchandises, à l'exception des transports qu'organisent pour leur propre compte des personnes publiques ou privées ". Il définit par ailleurs la mission du service public des transports qui doit assurer :
" a) La réalisation et la gestion d'infrastructures et d'équipements affectés au transport et leur mise à la disposition des usagers dans des conditions normales d'entretien, de fonctionnement et de sécurité ;
b) La réglementation des activités de transport et le contrôle de son application ainsi que l'organisation des transports pour la défense ;
c) Le développement de l'information sur le système de transports ;
d) Le développement de la recherche, des études et des statistiques de nature à faciliter la réalisation des objectifs assignés au système de transports ;
e) L'organisation du transport public. ( ) "
11. Aux termes de l'article 4 de la LOTI, l'élaboration et la mise en œuvre de la politique globale des transports sont assurées conjointement par l'Etat et les collectivités territoriales en tant qu'autorités compétentes pour l'organisation des transports et la gestion des infrastructures. Le Groupement des autorités responsables de transport (GART) a recensé environ 380 autorités organisatrices des transports à différents niveaux administratifs, dont 264 autorités organisatrices des transports urbains (AOTU).
12. L'Etat est non seulement responsable de la politique globale des transports intérieurs, mais également de l'articulation entre les différents modes de transport à l'échelon national. Il a ainsi fixé aux collectivités territoriales compétentes des objectifs de développement de l'inter-modalité.
13. Depuis la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi " SRU ", les régions se sont vu confier la tâche d'organiser les services ferroviaires régionaux de voyageurs ainsi que les services routiers effectués en substitution de ces services ferroviaires. En vertu de l'article 21-1 de la LOTI, les régions décident, sur l'ensemble de leur ressort territorial, le contenu du service public de transport régional de voyageurs et notamment les dessertes, la tarification, la qualité du service et l'information de l'usager en tenant compte du schéma régional des infrastructures et des transports. Des conventions passées entre les régions et la SNCF fixent les conditions d'exploitation et de financement des services ferroviaires régionaux de voyageurs (article 21-4 de la LOTI).
14. Les départements ont compétence pour l'organisation des transports interurbains, ce qui comprend, en vertu de l'article 29 de la LOTI, les services réguliers et les services à la demande, à l'exclusion des liaisons d'intérêt régional ou national. Cette compétence peut être exercée soit de façon individuelle, soit en coordination avec d'autres autorités organisatrices.
15. Enfin, les communes, ainsi que leurs groupements, sont compétents pour l'organisation des transports urbains dans le cadre d'un périmètre de transports urbains défini par elles et constaté par le préfet. Un plan de déplacements urbains (PDU) définit les principes de l'organisation des transports en vue d'assurer un usage coordonné des différents modes de déplacements. L'élaboration d'un PDU est obligatoire dans les périmètres de transports urbains inclus dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants ou recoupant celles-ci (article 28 de la LOTI).
B. LE TRANSPORT FERROVIAIRE DE VOYAGEURS
1. CADRE JURIDIQUE NATIONAL : LE MONOPOLE DE LA SNCF
16. Les transports ferroviaires ont été nationalisés en 1937, les compagnies concessionnaires privées ne parvenant pas à assurer l'exploitation de leurs lignes sans avoir recours à des concours publics. Un décret-loi du 31 août 1937 a approuvé la convention conclue le même jour entre l'Etat et les principales compagnies de chemin de fer de l'époque, nationalisant les différents réseaux et créant la SNCF sous la forme d'une société anonyme d'économie mixte au sein de laquelle l'Etat est majoritaire.
17. A l'expiration de la convention le 31 décembre 1982, la SNCF a été transformée en établissement public industriel et commercial (EPIC), ayant pour objet d'exploiter, d'aménager et de développer, selon les principes du service public, le réseau ferré national (article 18 de la LOTI dans sa version initiale).
18. L'établissement public ainsi créé s'est vu remettre en dotation l'ensemble des biens immobiliers et mobiliers antérieurement concédés à la société anonyme d'économie mixte.
19. La SNCF détient le monopole public du transport ferroviaire de voyageurs en France. En effet, elle a pour objet, aux termes de l'article 18 de la LOTI, " d'exploiter, selon les principes du service public, les services de transport ferroviaire de voyageurs sur le réseau ferré national ".
20. Le domaine public ferroviaire dont dispose la SNCF pour accomplir ses missions appartient au domaine public de l'Etat. La SNCF en est affectataire et exerce tous pouvoirs de gestion sur les biens immobiliers qui lui sont remis ou qu'elle acquiert (article 20 de la LOTI).
21. Un cahier des charges, approuvé par décret en Conseil d'Etat, fixe notamment les droits et obligations de la SNCF ainsi que les conditions d'exécution du service public (article 24 de la LOTI). Dans le cadre de son autonomie de gestion, la SNCF définit la consistance des services nationaux de transport de voyageurs en tenant compte des orientations générales de la politique de l'Etat en matière de transports.
2. CADRE JURIDIQUE COMMUNAUTAIRE : VERS L'OUVERTURE A LA CONCURRENCE
22. La directive 91-440 a défini les grands principes qui encadrent l'ouverture progressive à la concurrence du secteur ferroviaire, en prévoyant notamment la séparation entre entreprise ferroviaire et gestionnaire d'infrastructure et en introduisant la notion de droit d'accès au réseau ferroviaire.
23. Après la libéralisation du marché des services de fret ferroviaires nationaux et internationaux (en France, l'ensemble des services de fret ferroviaire est ouvert à la concurrence depuis le 31 mars 2006), le troisième " paquet ferroviaire " pose les bases de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs en Europe. En particulier, la directive 2007-58, modifiant la directive 91-440, prévoit que, au plus tard le 1er janvier 2010, les entreprises ferroviaires établies dans un Etat membre se voient accorder " un droit d'accès à l'infrastructure de tous les Etats membres aux fins de l'exploitation de services internationaux de transport de voyageurs " (article 10, paragraphe 3 bis, de la directive 91-440).
24. De plus, les liaisons transfrontalières sont assorties d'un droit de cabotage, c'est-à- dire la possibilité de desservir des gares étrangères situées sur le parcours du train. Ce droit peut être exercé à la condition que l'objet principal du service soit le transport de voyageurs entre des gares situées dans des Etats membres différents. Il peut également être limité par l'autorité compétente dans l'éventualité où la desserte compromettrait l'équilibre économique d'un contrat de service public.
25. Le troisième " paquet ferroviaire " coïncide avec l'adoption du règlement OSP qui entrera en vigueur le 3 décembre 2009. Ce règlement énonce le principe de soumission de l'attribution des contrats de service public de transports de voyageurs par chemin de fer et par route aux règles de mise en concurrence communautaires, notamment pour les services publics locaux de transport de voyageurs, et ce au plus tard le 3 décembre 2019.
26. Il fait une application cependant raisonnée du principe de mise en concurrence en tenant compte des exigences inhérentes au service public et réserve une possibilité d'attribution directe des contrats de service public dans certains cas expressément visés (article 5, paragraphes 2, 4, 5 et 6). Cela concerne en particulier les services ferroviaires dont l'équilibre économique ne peut être assuré sans soutien public comme certains services ferroviaires régionaux et certains services ferroviaires de longue distance.
3. REPARTITION DU DOMAINE PUBLIC FERROVIAIRE ET DES COMPETENCES LIEES A LA GESTION DE L'INFRASTRUCTURE FERROVIAIRE ENTRE RFF ET LA SNCF
27. Dans le cadre de la transposition de la directive 91-440, la loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement public " Réseau Ferré de France " (RFF) en vue du renouveau du transport ferroviaire a été adoptée. Cette loi organise la séparation entre la gestion de l'infrastructure ferroviaire, confiée à RFF, et la fourniture des services de transport ferroviaire par la SNCF.
28. A cette fin, un partage est opéré entre la SNCF et RFF qui se voit transférer en pleine propriété les biens constitutifs de l'infrastructure ferroviaire. Ces biens comprennent, au titre de l'article 5 de la loi n° 97-135, " les voies, y compris les appareillages fixes associés, les ouvrages d'art et les passages à niveau, les quais à voyageurs et à marchandises, les triages et les chantiers de transport combiné, les installations de signalisation, de sécurité, de traction électrique et de télécommunications liées aux infrastructures, les bâtiments affectés au fonctionnement et à l'entretien des infrastructures ". RFF est ainsi l'un des rares EPIC propriétaires du domaine public dont il a la charge, ce qui n'est pas le cas de la SNCF.
29. Il convient de relever que sont expressément exclus de ce transfert à RFF les biens dévolus à l'exploitation des services de transport, ce qui inclut notamment les gares, et les ateliers de fabrication, de maintenance et de stockage des équipements liés à l'infrastructure ainsi que les immeubles administratifs.
30. En ce qui concerne la gestion de l'infrastructure ferroviaire, RFF a notamment pour mission d'attribuer les sillons aux entreprises ferroviaires souhaitant circuler sur le réseau ferré national. La directive 2001-14-CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2001, concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire, la tarification de l'infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité, définit un sillon comme " la capacité d'infrastructure requise pour faire circuler un train donné d'un point à un autre à un moment donné ".
31. Les redevances d'infrastructure de RFF se sont élevées à environ 2,676 milliards d'euro en 2008. La gestion du réseau fait l'objet d'un contrat pluriannuel de performance entre RFF et l'Etat. Le contrat en vigueur date de 2008. Dans le cadre de ce contrat et pour la durée de celui-ci, le coût complet du réseau ferré national est évalué à 6,2 milliards d'euro. L'un des objectifs du contrat de performance est de parvenir à couvrir 60 % du coût complet du réseau par des recettes commerciales d'ici 2012 (sachant qu'elles couvraient moins de 50 % du coût complet en 2007) et de se rapprocher, à concours publics constants, de l'équilibre.
32. Compte tenu des impératifs de sécurité et de continuité du service public, la SNCF a été chargée, au titre de l'article 1er de la loi n° 97-135, de la gestion du trafic et des circulations ainsi que de l'entretien du réseau ferré national pour le compte de RFF, qui la rémunère à cet effet. La rémunération de la SNCF pour son rôle de gestionnaire d'infrastructure délégué était de 2,950 milliards d'euro en 2008.
33. Ce rôle de gestionnaire d'infrastructure délégué se reflète dans l'organisation de la SNCF, qui comprend cinq branches :
. SNCF Geodis (Transport et Logistique) : activités de fret ferroviaire et, par l'intermédiaire d'un certain nombre de filiales, activités dans le secteur du transport de marchandises et de la logistique ;
. SNCF Voyages : activités grandes lignes, TGV, lignes internationales ;
. SNCF Proximités: activités TER, Transilien et Corail Intercités ;
. SNCF Infra : gestion de l'infrastructure pour le compte de RFF ;
. Gares & Connexions : créée le 7 avril 2009 et chargée de la gestion des gares.
34. La répartition des compétences concernant la gestion de l'infrastructure ferroviaire est amenée à évoluer dans le cadre de l'adoption du projet de loi relatif à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports mentionné au paragraphe 3. Ce projet de loi institue en effet au sein de la SNCF un service exerçant, pour le compte et selon les objectifs et principes de gestion définis par RFF, les missions de gestion du trafic et des circulations sur le réseau ferré national " dans des conditions assurant l'indépendance des fonctions essentielles ainsi exercées garantissant une concurrence libre et loyale et l'absence de toute discrimination ".
4. LA CREATION D'UN REGULATEUR SECTORIEL
35. Ledit projet de loi instaure, en outre, un régulateur sectoriel ayant pour mission générale l'observation des conditions d'accès au réseau ferroviaire. L'article 4 prévoit notamment que l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) ainsi créée, sous la forme d'une autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, " veille à ce que l'accès aux capacités d'infrastructure sur le réseau et aux différentes prestations associées soit accordé de manière équitable et non discriminatoire. Elle s'assure de la cohérence des dispositions économiques, contractuelles et techniques mises en œuvre par les gestionnaires d'infrastructure et les entreprises ferroviaires, avec leurs contraintes économiques, juridiques et techniques ".
36. L'ARAF pourra en outre émettre un avis conforme sur la fixation des redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national au regard des principes et des règles de tarification applicables sur celui-ci.
37. L'ARAF est par ailleurs investie d'un pouvoir de règlement des différends pouvant conduire à fixer les conditions techniques et financières de l'accès au réseau ferroviaire. Est visée, en particulier, " la fourniture des prestations minimales, complémentaires ou connexes liées à l'infrastructure ainsi qu'à l'accès aux infrastructures de services y compris les gares ".
38. Le régulateur sectoriel disposera enfin dans le cadre des missions définies par la loi de pouvoirs d'enquête, d'accès à l'information comptable et de sanctions.
5. ECONOMIE GENERALE DU TRANSPORT FERROVIAIRE DE VOYAGEURS EN FRANCE
39. L'existence d'un marché du " transport ferroviaire de voyageurs " de dimension nationale a été rappelée par le Conseil de la concurrence (décision du Conseil de la concurrence n° 09-D-06 du 5 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par la SNCF et Expedia Inc. dans le secteur de la vente de voyages en ligne).
40. Le Conseil de la concurrence a notamment délimité ce marché en se fondant sur l'article 18 de la LOTI, qui confie à la SNCF la mission d'exploiter sur le réseau ferré national les services de transport ferroviaire de voyageurs.
41. Le mode ferroviaire est affecté par la concurrence d'autres modes de transport, comme l'automobile ou le transport aérien. Toutefois, il conserve un avantage sur ces autres modes dans une limite de 3 heures de trajet, particulièrement en ce qui concerne le TGV.
42. Selon les chiffres du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, la demande globale de transport en France était de 881 milliards de voyageurs-kilomètres en 2007. Les transports publics constituent la principale alternative à l'utilisation de la voiture particulière, qui représentait 82,6 % des déplacements intérieurs en 2007, la part cumulée des transports ferrés et routiers en représentant 15,8 % et le transport aérien intérieur 1,5 %. En particulier, le transport ferroviaire de voyageurs assuré par la SNCF en 2007 représentait 80,3 milliards de voyageurs-kilomètres, soit une part modale de 9,11 %.
43. De manière générale, la concurrence en matière de transport ferroviaire peut se traduire aussi bien par une concurrence sur le marché que pour le marché. La première consiste en une concurrence entre plusieurs opérateurs ayant accès simultanément au réseau, tandis que la seconde repose sur une mise en concurrence périodique en vue de l'attribution d'un marché à un seul opérateur. La directive 91-440, telle que modifiée par la directive 2007-58, va rendre possible la concurrence sur le marché du transport international de voyageurs, alors que, en prévoyant l'attribution des contrats de service public de transports terrestres de voyageurs dans le cadre d'une procédure de mise en concurrence préalable, le règlement OSP rend possible une concurrence pour le marché entre les différents opérateurs.
44. L'organisation de l'industrie ferroviaire s'articule autour de la séparation fondamentale entre l'exploitation des services de transport et la gestion des infrastructures. Les infrastructures ferroviaires, à forte intensité de capital, connaissent des rendements d'échelle croissants et constituent un monopole naturel qu'il ne serait pas efficace de dupliquer. L'exploitation des services ferroviaires quant à elle est à rendements d'échelle constants.
45. Le mode ferroviaire présente des barrières à l'entrée très importantes pour un nouvel entrant ne disposant pas déjà des moyens nécessaires à l'exploitation. L'acquisition de matériel roulant doit se faire à une échelle conséquente afin de permettre des fréquences significatives, et ce matériel doit pouvoir accéder à des installations notamment de maintenance afin d'en permettre l'entretien. Un nouvel opérateur dispose en outre de peu d'options de revente de ses matériels et installations s'il veut se retirer du marché.
46. Le transport ferroviaire se caractérise par des effets de réseaux importants, bien que difficilement mesurables, puisque l'augmentation de la demande des voyageurs, en influençant le nombre ou la fréquence des dessertes offertes, exerce des externalités positives sur les usagers.
47. La gestion des infrastructures et l'exploitation des services ferroviaires nécessitent une programmation très complexe de la circulation qui doit permettre d'assurer de nombreuses correspondances, non seulement entre les différents trains, mais aussi avec les autres modes de transports urbains ou interurbains, tout en tenant compte des contraintes liées aux phénomènes de congestion. En effet, la capacité de coordonner les transports ferroviaires avec les autres modes de transports collectifs peut avoir un impact significatif sur l'efficacité des opérateurs.
48. En France, le transport ferroviaire de voyageurs est assuré selon deux modalités : les trains commerciaux (TGV, Corail Téoz, Corail Lunéa, Corail Intercités) et les trains conventionnés (TER). Ces derniers sont exploités pour le compte des autorités organisatrices de transport dans le cadre de conventions passées avec la SNCF. Les trains commerciaux sont exploités par la SNCF pour son propre compte et ne font l'objet d'aucun concours public.
49. La SNCF exploite cependant pour son propre compte certaines dessertes non conventionnées présentant un déficit d'exploitation récurrent.
50. En 2008, la SNCF a réalisé un chiffre d'affaires global de 25,2 milliards d'euro dont 7,5 milliards d'euro pour la branche SNCF Voyages et 6,3 milliards d'euro pour la branche SNCF Proximités. Les concours publics apportés à la SNCF par l'État et les collectivités se sont élevés à 1,377 milliard d'euro.
51. Enfin, il convient de souligner que, via sa filiale SNCF Participations, le groupe SNCF détient des participations notamment dans le capital des sociétés Keolis (45,4 %), spécialisée dans le transport public de voyageurs et Effia (filiale à 100 %), dont l'activité est tournée vers les prestations liées à la mobilité. Celle-ci exerce diverses missions relatives notamment à la gestion de parcs de stationnement, à des prestations pour le compte de la SNCF ou des autorités organisatrices de transport, à l'assistance à la maîtrise d'ouvrage, à des fonctions d'enquête et d'étude pour différents donneurs d'ordres dont lesdites autorités, et à la conception de systèmes de navigation pour les usagers (notamment recherche d'itinéraire).
C. LES AUTRES MARCHES DE TRANSPORT PUBLIC TERRESTRE DE VOYAGEURS
1. LES TRANSPORTS URBAINS DE VOYAGEURS
52. Dans sa décision n° 05-D-38 du 5 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du transport public urbain de voyageurs, le Conseil de la concurrence a identifié l'existence d'un marché national du transport public urbain de voyageurs, hors Ile-de-France.
53. Les réseaux de transports publics urbains peuvent regrouper plusieurs modes de transport. Les agglomérations peuvent en effet utiliser des réseaux de bus, mais aussi se doter de transports en commun en site propre (TCSP) comme le métro ou le tramway.
54. Il s'agit d'un secteur concentré, dont un rapport de la Cour des comptes a souligné la faiblesse de la concurrence (Cour des comptes, Les transports publics urbains, avril 2005, p. 105). Le chiffre d'affaires global des transports urbains de voyageurs était de 5,849 milliards d'euro en 2005. Hors Ile-de-France, 65 % des réseaux de transport urbain étaient exploités par trois grands groupes nationaux qui cumulaient 77 % du nombre de voyages en 2007. Ces trois mêmes groupes, Keolis, Veolia Transport et Transdev, assuraient également près de 80 % des voyages en 2007 pour les réseaux d'agglomérations disposant de TCSP lourds et 76 % des voyages pour les réseaux d'agglomérations de plus de 100 000 habitants. Les autres réseaux urbains sont exploités soit par des opérateurs indépendants, soit en régie. Quelques opérateurs étrangers ont réussi à s'implanter en France, mais détiennent une part de marché estimée à moins de 1 %.
55. Les réseaux de transports publics urbains faisaient l'objet en 2007 pour 89 % d'entre eux d'une gestion déléguée, dont une très grande majorité en délégation de service public (GART, L'année 2007 des transports urbains, p. 8). Les réseaux non délégués sont gérés en régie par les collectivités.
56. Il convient également de mentionner dans le cadre de ce marché le développement des modes dits " doux ", qui correspondent à des modes de déplacements individuels alternatifs reposant essentiellement sur le vélo (location, libre-service, vélo à assistance électrique) et la voiture (auto-partage, covoiturage, automobiles en libre-service, véhicules électriques). A la suite du succès des systèmes de vélos en libre-service dans certaines agglomérations telles que Lyon ou Paris, un nombre croissant d'appels d'offres pour des délégations de service public de transport urbain incluent un volet portant sur ce type de systèmes.
2. LES TRANSPORTS INTERURBAINS DE VOYAGEURS
57. Les transports routiers non urbains de personnes comprennent, en vertu de l'article 29 de la LOTI, quatre catégories de services : les services réguliers publics, au sein desquels se distinguent les lignes régulières proprement dites et les transports scolaires, les services à la demande, les services occasionnels publics et les services privés.
58. Ces services sont généralement assurés par autocars qui, aux termes de l'article R. 311-1 du Code de la route, sont des autobus, répondant à des caractéristiques définies par arrêté du ministre chargé des transports, affectés au transport de personnes sur de longues distances et permettant le transport des occupants du véhicule principalement en places assises.
59. Les transports réguliers interurbains et les transports scolaires représentent environ 51 % du nombre de voyageurs empruntant l'autocar en 2005.
60. Le secteur des transports interurbains de voyageurs est caractérisé par un grand nombre d'établissements et de groupes indépendants. En 2007, Keolis, Veolia Transport et Transdev détenaient 38,4 % du chiffre d'affaires de ce secteur.
3. LES OPERATEURS MAJEURS
61. Le chiffre d'affaires de Keolis est de 3,2 milliards d'euro réalisé pour 56 % en France. Cette part est ventilée entre 34 % du chiffre d'affaires pour le transport urbain et 19 % pour le transport interurbain. Keolis est détenu à hauteur de 45,4 % par la SNCF. Toutefois, cette dernière a récemment entrepris de prendre le contrôle de Keolis.
62. Keolis exploite 85 réseaux de transport urbain dont les réseaux de Lyon, Lille, Bordeaux et Rennes, ainsi que les réseaux de Brest, Angers, Le Mans, Tours, Besançon, Dijon, Lens ou encore Nîmes.
63. Veolia Transport est une filiale à 100 % de Veolia Environnement qui assure les activités de transport de ce groupe. Veolia Transport est présent dans plusieurs pays et a réalisé un chiffre d'affaires de 6,059 milliards d'euro, dont environ un tiers en France. Le transport public terrestre de voyageurs pour le compte de collectivités territoriales représente 95 % de son activité.
64. Veolia Transport exploite 57 réseaux urbains en France. Les plus importants (en général, ceux représentant un chiffre d'affaires supérieur à 10 millions d'euro) sont Nancy, Nice, Rouen, St-Etienne, Toulon, le Havre, Calais, Dunkerque, Aix en Provence, Cannes, Chambéry, Valence et Vannes. Cette société est également présente sur le transport interurbain et exerce des activités de transport en Ile-de- France dans le cadre d'Optile.
65. Transdev SA est une filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations, et compte parmi ses actionnaires la Régie autonome des transports parisiens (RATP) qui détient des participations dans le capital de la société holding, Financière Transdev. Le groupe Transdev a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 2,266 milliards d'euro. Les partenariats de ce groupe, du fait notamment de ses relations avec des sociétés d'économie mixte, génèrent un chiffre d'affaires géré de 3,265 milliards d'euro dont 40 % sont réalisés en France.
66. Le chiffre d'affaires de Transdev en France se décompose en 557 millions d'euro réalisés dans le cadre de réseaux urbains avec tramways et métros, 350 millions d'euro pour les réseaux urbains composés de bus seuls (sans TCSP) et 384 millions d'euro pour les réseaux interurbains. Transdev est présent notamment sur les réseaux urbains de Strasbourg, Grenoble, Nantes, Montpellier, Valenciennes et Reims. Par ailleurs, un projet de rapprochement est en cours, au terme duquel Transdev pourrait passer sous le contrôle de Veolia Transport.
D. SPECIFICITE DU TRANSPORT PUBLIC DE VOYAGEURS EN ILE-DE-FRANCE
67. La région Ile-de-France fait l'objet d'une réglementation spécifique dérogeant en partie aux dispositions de la LOTI, puisque la mission d'autorité organisatrice des transports a été confiée, en application de l'ordonnance n° 59-151 du 7 janvier 1959 relative à l'organisation des transports de voyageurs en Ile-de-France, à un syndicat, devenu le Syndicat des transports parisiens (STP), puis le Syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF). Doté d'un budget propre, le STIF a le statut d'établissement public administratif et a notamment pour mission d'élaborer le plan de déplacements urbains en vertu de l'article 28-3 de la LOTI. Il été décentralisé par la loi SRU et regroupe la région Ile-de-France, la ville de Paris et les sept autres départements franciliens.
68. En vertu des dispositions combinées de l'article 19 de la loi n° 64-707 du 10 juillet 1964 portant réorganisation de la région parisienne et du décret n° 69-672 du 14 juin 1969 pris en application de celle-ci, le STIF est propriétaire des biens affectés, à la date du 1er janvier 1968, aux exploitations confiées à la RATP. Le patrimoine constitué ultérieurement appartient à la RATP, ce qui inclut les prolongements de lignes.
69. Le STIF a également pour mission de coordonner les activités de la RATP, de la SNCF et des transporteurs privés intervenant en Ile-de-France. Les relations avec les opérateurs de transport reposent sur une base contractuelle dans le cadre de laquelle sont définies les obligations de production, de service (vente, information) ainsi que les services qui doivent être rendus à l'ensemble des voyageurs franciliens, y compris ceux du réseau Transilien, et des opérateurs de bus privés.
70. La RATP est en situation de monopole pour assurer l'ensemble des transports collectifs de Paris et de sa proche banlieue (métro, tramway, bus). La RATP est un EPIC qui regroupe environ 44 000 salariés et exploite 14 lignes de métro, 2 lignes de RER conjointement avec la SNCF, 3 lignes de tramways et environ 350 lignes de bus. Elle assure le transport de 3 milliards de voyageurs par an en Ile-de-France.
71. La RATP a réalisé un chiffre d'affaires d'environ 4 milliards d'euro pour 2008. Elle est également affectataire de 730 hectares de patrimoine. Son réseau ferroviaire a la particularité de disposer de lignes dédiées et d'assurer uniquement le transport de voyageurs. Il compte 300 stations de métros et 65 gares RER sur le réseau RATP. Le métro représente 50 % du trafic réalisé, le RER 15 % et les bus et tramways 35 %.
72. Le trafic lié au transport public en Ile-de-France est sensiblement équivalent à l'ensemble du transport urbain hors Ile-de-France. La RATP réalise environ 75 % du trafic.
73. Le transport ferroviaire de voyageurs en Ile-de-France est assuré conjointement par la RATP et la SNCF par le biais du Réseau express régional (RER) et du Transilien. La RATP n'est pour l'heure pas concernée par l'ouverture à la concurrence du transport international de voyageurs, dans la mesure où elle n'exploite pas de lignes sur le réseau ferré national. Elle sera néanmoins concernée par l'entrée en vigueur du règlement OSP qui rend obligatoire la conclusion de contrats de service public pour les services publics locaux de transport de voyageurs.
II. Les gares dans le cadre de l'ouverture partielle à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs
A. UN ENJEU CENTRAL DE L'OUVERTURE A LA CONCURRENCE
74. La perspective de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire international de voyageurs opère une transformation en profondeur du modèle ferroviaire français fondé jusqu'ici sur le monopole public de la SNCF. Dans ce contexte, les gares de voyageurs du réseau ferré national vont être les premières concernées par cette ouverture, puisque, à partir du 1er janvier 2010, de nouveaux opérateurs seront non seulement autorisés à emprunter le réseau, mais également à desservir sous certaines conditions les gares situées sur le trajet des liaisons transfrontalières.
75. Le rapport du 12 février 2009 de M. Hubert Haenel, sur la libéralisation des transports ferroviaires dans l'Union européenne, soulignait notamment que, " selon une estimation de la SNCF, 30 % du trafic intérieur et 80% des trains grandes lignes seraient susceptibles d'intéresser une concurrence " (rapport d'information de M. Hubert Haenel, fait au nom de la commission des Affaires européennes - Sénat n° 220 - 2008/2009, p. 27).
76. Cette évolution a été anticipée par l'opérateur historique qui a créé en son sein une nouvelle branche dédiée à la gestion et à l'aménagement des gares, Gares & Connexions. Cette branche d'activité recouvre à la fois les missions de gestion et d'exploitation de gares voyageurs ainsi que les activités d'aménagement, de maintenance et de développement des gares.
77. Les gares ferroviaires de voyageurs en France représentent un coût d'exploitation estimé à environ 900 millions d'euro pour 2009. Le réseau national compte environ 3 000 gares. Parmi elles, 230 accueillent plus de 300 000 voyageurs par an, dont une trentaine dessert les grandes métropoles régionales, incluant notamment les 6 grandes gares parisiennes et la gare de Lyon Part-Dieu. Ces chiffres n'intègrent pas les 65 gares franciliennes qui sont gérées par la RATP sur les deux lignes de RER qu'elle exploite.
78. L'ouverture à la concurrence du transport international de voyageurs à compter du 1er janvier 2010 pose la question de l'accès aux gares et, partant, de la propriété et de la gestion des gares ferroviaires. En France, celles-ci font partie du domaine public affecté à la SNCF en vertu de l'article 19 de la LOTI et ont été expressément exclues du transfert d'infrastructures à RFF en vertu de l'article 5 de la loi n° 97-135.
79. Combinée avec l'entrée en vigueur du règlement OSP, l'ouverture à la concurrence du transport international de voyageurs se traduira par l'arrivée de nouveaux opérateurs sur le réseau ferré national auxquels l'opérateur historique devra fournir certaines prestations en gare.
1. LA QUALIFICATION POSSIBLE DES GARES AU REGARD DU DROIT DE LA CONCURRENCE
80. Les gares ferroviaires paraissent pouvoir présenter les caractéristiques d'infrastructures essentielles au transport ferroviaire. Elles sont en effet indispensables à un opérateur économique pour pouvoir offrir un service ou un produit sur un marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel se trouvent ces infrastructures.
81. Dans son avis n° 02-A-08 du 22 mai 2002 relatif à la saisine de l'Association pour la promotion de la distribution de la presse, repris par la décision n° 09-D-06 précitée, le Conseil de la concurrence a rappelé que la limitation de la liberté contractuelle du détenteur d'une infrastructure essentielle s'applique lorsque :
* " En premier lieu, l'infrastructure est possédée par une entreprise qui détient un monopole (ou une position dominante) ;
* En deuxième lieu, l'accès à l'infrastructure est strictement nécessaire (ou indispensable) pour exercer une activité concurrente sur un marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel le détenteur de l'infrastructure détient un monopole (ou une position dominante) ;
* En troisième lieu, l'infrastructure ne peut être reproduite dans des conditions économiques raisonnables par les concurrents de l'entreprise qui la gère ;
* En quatrième lieu, l'accès à cette infrastructure est refusé ou autorisé dans des conditions restrictives injustifiées ;
* En cinquième lieu, l'accès à l'infrastructure est possible. "
82. A cet égard, les gares ferroviaires sont détenues par la SNCF qui est en situation de monopole légal sur le marché considéré. La SNCF n'est certes pas propriétaire des facilités essentielles que sont les gares mais, comme évoqué au paragraphe 20 ci-dessus, est affectataire du domaine public ferroviaire auquel celles-ci appartiennent.
83. Celles-ci sont de plus indispensables à l'activité de concurrents en matière d'accès au réseau ferroviaire. Cette stricte nécessité a été reconnue très tôt par la jurisprudence du Conseil d'Etat qui, dans un arrêt du 22 juillet 1848 - ministère des Travaux publics c/ Tournois - a jugé qu'" un chemin de fer ne peut pas se composer seulement de la voie sur laquelle s'opère la traction ; il y a un certain nombre d'accessoires qui forment les dépendances nécessaires de ces nouvelles voies de communication : telles sont les stations de voyageurs ".
84. Les gares ferroviaires sont par ailleurs difficilement reproductibles sans engager pour un nouvel entrant souhaitant pouvoir disposer de bâtiments voyageurs dédiés des investissements extrêmement lourds. A titre d'exemple, le projet de nouvelle gare à Rouen est évalué à environ 1 milliard d'euro et devrait être construit sur un site de plus de 30 hectares. Les gares, historiquement construites à la périphérie des villes, ont été englobées dans l'expansion urbaine. Elles disposent de situations parfois centrales en ville, représentent des pôles d'échanges de première importance dans la plupart des agglomérations, en particulier en cas de desserte par un mode de transport en commun en site propre (métro, tramway). L'emprise de la gare ne se limite pas aux seuls bâtiments voyageurs, mais inclut également tous les éléments du domaine public ferroviaire qui permettent aux voyageurs d'accéder aux quais.
85. Enfin, l'accès aux gares ferroviaires est rendu possible par l'attribution à l'entreprise ferroviaire d'un sillon particulier par le gestionnaire d'infrastructure. Le sillon programme l'utilisation de l'infrastructure et les arrêts situés sur le parcours du train. Ainsi, dès lors que l'arrêt dans une gare est inclus dans le sillon attribué, rien ne s'oppose à ce que le train puisse accéder à celle-ci.
86. Quant au quatrième critère, il permet de qualifier un éventuel abus de position dominante par le détenteur de l'infrastructure essentielle. La présente procédure étant une procédure non contentieuse et l'ouverture à la concurrence n'étant pas encore effective, il n'y a pas lieu, en l'état, de le considérer.
2. LE GESTIONNAIRE DE GARES DE L'OPERATEUR HISTORIQUE
87. Dans son rapport intitulé "La gare contemporaine ", remis au Premier ministre le 10 mars 2009, Mme Fabienne Keller, sénatrice du Bas-Rhin, a recommandé, en vue de l'ouverture prochaine du secteur à la concurrence, la séparation de l'activité de gestionnaire de gares de la SNCF de son activité concurrentielle de transporteur ferroviaire.
88. Après la publication de ce rapport, la SNCF a annoncé la création d'une nouvelle branche d'activité directement rattachée à son président, dénommée Gares & Connexions. Cette branche d'activité recouvre à la fois les missions de gestion et d'exploitation de gares de voyageurs (environ 3 000 gares sur le réseau national) et les activités d'aménagement, de maintenance et de développement des gares. Ces activités concernent 13 000 personnes dans le groupe.
89. La création de cette nouvelle branche doit s'accompagner d'une séparation comptable, puisque la branche Gares & Connexions, à compter du prochain exercice aura des comptes distincts au sein de la SNCF, ce qui est déjà le cas pour les gares principales. Cette séparation sera étendue à toutes les gares à partir du 1er janvier 2010 et Gares & Connexions sera dotée d'un bilan et d'un compte de résultat qui lui seront propres.
90. Pour accomplir ses missions, Gares & Connexions agrège ou rassemble des services ou activités qui étaient auparavant intégrées au sein d'autres branches de l'opérateur historique. Les attributions de Gares & Connexions étaient précédemment exercées notamment par la direction des gares et de l'escale de la branche SNCF Voyages, qui assurait l'exploitation des 168 plus grandes gares du réseau, ainsi que par la direction de l'architecture et de l'aménagement des bâtiments (DAAB) qui, au sein de la branche Infrastructure, était chargée de la maîtrise d'œuvre et plus largement du développement des gares du réseau.
91. Le personnel propre de Gares & Connexions regroupera à terme entre 2 500 et 4 000 personnes, l'effectif cible n'étant pour l'heure pas stabilisé dans la mesure où les transferts de personnels notamment de la branche Proximités sont en cours de réalisation.
92. Gare & Connexions disposera de huit " agences territoriales gares " directement rattachées au siège et compétentes sur un périmètre géographique donné. Ces agences fixeront des objectifs quantitatifs et qualitatifs aux 43 établissements voyageurs rattachés aux directeurs de régions et qui seront les prestataires de Gares & Connexions.
93. Gares & Connexions a mis en place une classification à quatre niveaux des gares, venant se substituer à la précédente classification opérée par la SNCF entre les branches SNCF Voyages et SNCF Proximités. Ces catégories concernent : les gares accueillant plus de 300 000 voyageurs par an, ce qui inclut les six grandes gares parisiennes et la gare de Lyon Part-Dieu ; les gares du réseau francilien, concernées pour la plupart par un trafic de type pendulaire ; les gares régionales de taille moyenne ; enfin, les gares mono-transporteur qui offrent peu de possibilité de connexions avec d'autres modes de transport que la voiture particulière.
94. Parallèlement, la SNCF met actuellement en place une " Plateforme de Service aux Entreprises Ferroviaires " destinée à jouer le rôle d'interface entre l'établissement public et les nouveaux entrants (fret ou voyageurs) souhaitant accéder aux prestations proposées par la SNCF (hors gestion déléguée de l'infrastructure de RFF). Cette plateforme, qui sera rattachée à la direction de la stratégie ferroviaire et de la régulation, servira de point d'entrée pour les nouveaux entrants pour la commande des prestations en gare, conditionnée par l'octroi de sillon. Cette plateforme, dont il est prévu qu'elle préservera la confidentialité des données que la SNCF recevra, sera garante de l'accès non discriminatoire des entreprises ferroviaires aux prestations de base disponibles en gare et assurera la traçabilité des services fournis. Elle assurera également des fonctions d'études en amont et élaborera des devis pour les prestations demandées. Elle sera enfin en liaison avec Gares & Connexions pour la fourniture des prestations de base.
95. Il convient également de signaler que le groupe A2C, la filiale chargée de la valorisation des espaces commerciaux en gare, a été rattaché à l'autorité fonctionnelle de Gares & Connexions, de même que le groupe AREP qui est le bureau d'étude aménageur de la SNCF.
3. COMPARAISONS EUROPÉENNES
96. En Allemagne, les gares de voyageurs sont la propriété de Deutsche Bahn. Elles sont gérées par la société DB Station & Service AG, filiale à 100 % de la holding du groupe Deutsche Bahn AG. Une autre filiale à 100 % de la holding, DB Netz AG, est chargée de la gestion du réseau ferré. Cette filiale détient elle-même une filiale, DB RegioNetz Infrastruktur GmbH, qui assure la gestion de quelques gares au niveau régional.
97. En Italie, une filiale de Ferrovio dello Stato, FS Sistemi Urbani, gère les 116 principales gares du pays mais elle en concède l'exploitation à deux sociétés filiales : Grandi Stazioni gère les 13 principales gares et Centostazioni les 103 autres. Le gestionnaire d'infrastructure, RFI (lui-même filiale de Ferrovio dello Stato), gère les 2 087 autres gares italiennes.
98. Au Royaume-Uni, le gestionnaire d'infrastructure Network Rail, société privée à but non lucratif, est le propriétaire des 2 514 gares. Il en concède en franchise 2 496 aux Station Facility Owners (SFO) qui sont généralement les exploitants ferroviaires principaux des gares.
99. La Suède est pour sa part dotée d'un système de séparation complète entre l'exploitant ferroviaire, Statens Järnvägar (SJ), le gestionnaire d'infrastructure, Bankverkert, et un gestionnaire de gares, Jernhusen AB, distinct des deux autres et rattaché au ministère de l'industrie et du commerce. Le gestionnaire de gares mène une politique sélective de développement commercial des gares dont il est chargé, ce qui peut se traduire par la démolition des gares jugées sans potentiel. Il peut également négocier des redevances d'accès avec les opérateurs de réseaux urbains. Cette même entité gère une quarantaine d'ateliers-garages (installations de maintenance) qui sont loués aux opérateurs.
B. LES PRESTATIONS LIEES A L'ACCES EN GARE
1. PRESTATIONS DE BASE
100. A compter du 1er janvier 2010, la SNCF devra permettre l'accès aux gares de voyageurs desservies par les liaisons transfrontalières pour lesquelles des sillons auront été attribués par RFF. Les concurrents devront donc s'adresser à Gares & Connexions.
101. Le droit d'accès aux infrastructures ferroviaires et aux infrastructures de service est prévu respectivement par les directives 91-440 et 2001-14. L'article 5 de la directive 2001-14 prévoit notamment :
" 1. Les entreprises ferroviaires peuvent prétendre, sur une base non discriminatoire, à l'ensemble des prestations minimales ainsi qu'à l'accès par le réseau aux infrastructures de services décrits à l'annexe II. Les services de l'annexe II, point 2, sont fournis de manière non discriminatoire et les demandes des entreprises ferroviaires ne peuvent être rejetées que s'il existe d'autres options viables aux conditions du marché. Si les services ne sont pas fournis par un gestionnaire d'infrastructure unique, le fournisseur de "l'infrastructure principale" fait tout effort raisonnable pour faciliter la fourniture de ces services. "
102. Le point 2 de l'annexe II précise en outre :
" L'accès par le réseau aux infrastructures de services et les services fournis portent sur :
a) l'utilisation du système d'alimentation électrique pour le courant de traction, le cas échéant ;
b) les infrastructures d'approvisionnement en combustible ;
c) les gares de voyageurs, leurs bâtiments et les autres infrastructures ;
d) les terminaux de marchandises ;
e) les gares de triage ;
f) les gares de formation ;
g) les gares de remisage ;
h) les centres d'entretien et les autres infrastructures techniques. "
103. Par ailleurs, l'article 3 de la directive 2001-14 impose au gestionnaire d'infrastructure des Etats membres d'établir et de publier, après consultation des parties intéressées, un document de référence du réseau qui " expose les caractéristiques de l'infrastructure mise à la disposition des entreprises ferroviaires. Il contient des informations précisant les conditions d'accès à l'infrastructure ferroviaire concernée ".
104. A cet égard, RFF assure l'élaboration annuelle de ce document au sujet duquel la SNCF adresse une contribution détaillant les conditions d'accès d'opérateurs tiers aux infrastructures, équipements et prestations contrôlées ou assurées par l'opérateur historique.
105. Ainsi, le point 5.3.2 du document de référence du réseau pour l'horaire de service 2010, en vigueur à compter du 13 décembre 2009 et valable jusqu'au 11 décembre 2010, énumère les équipements gérés par la SNCF pour lesquels elle assure l'accès aux entreprises ferroviaires parmi lesquels :
" ( ) bâtiments voyageurs (dans les gares desservies) :
- accès aux trains par les installations gérées par la SNCF ;
- accès aux parties communes (salles d'attente, consignes, sanitaires, commerces );
- accès aux installations permettant le traitement de l'information sur les horaires, la composition et la circulation des trains, par les systèmes existants (affichage vidéo, tableaux, annonces sonores ) ;
- mise à disposition de surfaces et location de locaux et d'espaces (par exemple pour l'implantation de distributeurs de titres de transport, de guichets de vente, d'accueil ). "
106. L'accès aux gares pour les nouveaux opérateurs ne se traduit donc pas par le seul accès physique des trains aux quais. L'ouverture à la concurrence implique également la fourniture de prestations pour le compte des concurrents par les personnels de l'opérateur historique, la mise à disposition d'équipements et d'espaces, l'accès des personnels des nouveaux entrants aux gares.
107. Les prestations d'utilisation des gares de voyageurs sont listées à l'appendice 7 de l'annexe 9 du document de référence du réseau pour l'horaire de service 2010. Celles-ci sont regroupées en quatre catégories :
- la mise à disposition et l'entretien de bâtiments, de surfaces recevant du public, d'équipements et de prestations nécessaires à l'accueil des voyageurs ;
- l'accès des voyageurs aux trains ;
- la gestion opérationnelle de la gare et de l'accès des trains à la gare ;
- la mise à disposition d'informations aux voyageurs sur l'accès aux trains.
108. Ces quatre catégories recouvrent les " prestations de base ". Il convient de préciser que le périmètre des prestations délivrées par les gares est variable compte tenu de la grande diversité de celles-ci et de la variété des situations locales, des configurations et des prestations effectivement assurées sur place.
2. TARIFICATION DES SERVICES RELEVANT DES PRESTATIONS DE BASE
109. Les prestations de base offertes aux entreprises ferroviaires doivent faire l'objet d'une rémunération définie par l'article 3 III du décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferré national qui prévoit :
" L'accès par le réseau aux prestations minimales mentionnées au premier alinéa du I donne lieu au versement de redevances d'infrastructure dans les conditions prévues par le décret n° 97-446 du 5 mai 1997 susvisé.
L'accès par le réseau aux équipements de service mentionnés au second alinéa du I donne lieu au versement d'une rémunération égale au coût directement imputable à l'exploitation du service considéré.
La fourniture des prestations complémentaires ou connexes mentionnées au II donne lieu au versement d'une rémunération qui est égale au coût du service lorsque celui- ci est rendu par un fournisseur en situation de monopole. "
110. Gares & Connexions a élaboré une formule de tarification des prestations de base. Ce cadre tarifaire s'appliquera à compter du 13 décembre 2009 et figure dans le document de référence du réseau pour l'horaire de service 2010 élaboré par RFF (annexe 9 appendice 7).
111. Cette formule repose sur une base de charges (totalité des charges induites par l'exploitation de la gare et des prestations rentrant dans le champ des prestations de base) qui est rapportée à une unité d'œuvre constituée par le nombre de départs trains prévus dans la gare considérée. Cette base se voit appliquer une double modulation qui est fonction à la fois de la taille du train, ce qui permet de tenir compte du nombre potentiel de voyageurs transportés, ainsi que de la destination du train, qui permet d'approcher le type d'usage de la gare selon les voyageurs transportés. Cette pondération porte en moyenne nationale sur un quart du coût de la prestation globale.
112. Ce modèle, expérimenté sur 168 gares depuis le 1er janvier 2007, est aujourd'hui appliqué dans l'ensemble des gares de la SNCF.
3. PRESTATIONS SPECIFIQUES
113. Dans le document de référence du réseau pour l'horaire de service 2010, il est en outre identifié des prestations dites spécifiques, dont la SNCF considère qu'elles ne rentrent pas dans le champ des prestations de base prises en compte par le cadre tarifaire défini par le gestionnaire de gares. De ce fait, elles doivent faire l'objet d'une négociation spécifique. Ces prestations sont les suivantes :
- utilisation des installations de pré-conditionnement des rames ;
- mise à disposition d'espace ou de locaux en gare ;
- accueil et accompagnement des groupes ;
- prestation Transmanche : mise à disposition des surfaces, équipements et services nécessaires aux entreprises ferroviaires autorisées souhaitant emprunter le tunnel sous la Manche ;
- accès aux gares de la région Ile-de-France équipées de Contrôle Automatique Banlieue (CAB).
114. En ce qui concerne ces prestations, il convient d'apporter quelques éléments complémentaires sur deux d'entre elles afin de souligner leur importance particulière en vue de l'ouverture à la concurrence.
a) Allocation d'espace
115. L'ouverture à la concurrence va nécessiter, au fur et à mesure de l'entrée sur le marché de nouveaux opérateurs ferroviaires, une gestion de l'espace au sein des gares afin de permettre l'installation à l'intérieur des gares des personnels et des moyens techniques des nouveaux opérateurs. A cet égard, la SNCF a inscrit la mise à disposition d'espace ou de locaux en gare au nombre des prestations spécifiques.
116. Dans la mesure où cet aspect n'est pas généralisable compte tenu du fait qu'il dépend de l'espace disponible dans chaque gare et des besoins des différents opérateurs, Gares & Connexions n'a pas été en mesure de définir une prestation forfaitaire. Les espaces attribués feront l'objet d'une location, sous la forme d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public. Le prix de location sera facturé au mètre carré selon un prix de marché tenant compte du marché local, ainsi que, pour certaines gares, de la localisation physique au sein de la gare (zoning).
117. En ce qui concerne les gares dans lesquelles l'espace est déjà contraint, la répartition de celui-ci devra faire l'objet d'arbitrages qui seront rendus a priori par les agents de Gares & Connexions. Si aucune solution n'est trouvée, il appartiendra au directeur de l'agence territoriale concernée de trancher le différend. En dernier recours, l'opérateur, quel qu'il soit, pourra se tourner vers l'autorité de régulation.
b) Prestation Transmanche
118. La SNCF propose au titre des prestations spécifiques une prestation Transmanche considérée comme indivisible. Cette prestation qui concerne un nombre réduit de gares est indispensable pour les nouveaux entrants, du fait de la nature particulière du transport ferroviaire empruntant le tunnel sous la Manche, ainsi que le Conseil de la concurrence l'a exposé dans la décision n° 07-D-39 du 23 novembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport ferroviaire de personnes sur la route Paris-Londres.
119. Comme le souligne le document de référence du réseau, l'utilisation du tunnel sous la Manche génère pour les entreprises ferroviaires des contraintes " liées d'une part à l'entrée et à la sortie de l'espace Schengen et d'autre part aux normes de sécurité dans le tunnel (protocole et protocole additionnel de Sangatte) ". A cet égard, les gares concernées par ces dessertes ont isolé en leur sein des surfaces et des installations dédiées à ce trafic de voyageurs pour répondre aux nombreuses obligations qui y sont associées (sécurité, contrôles douaniers, contrôle des bagages). Compte tenu des contraintes imposées aux entreprises ferroviaires, l'accès à de telles installations est obligatoire pour un nouvel entrant envisageant d'assurer des liaisons Transmanche.
120. L'absence de reproductibilité de ces installations découle de ce qu'une entreprise ferroviaire souhaitant exploiter une liaison empruntant le tunnel sous la Manche doit dans tous les cas s'adresser au gestionnaire de gares, Gares & Connexions, pour la réalisation de tels travaux sur le domaine public ferroviaire, à supposer qu'ils soient possibles. L'Autorité considère donc que cette prestation, à l'exclusion du matériel roulant, est susceptible d'être qualifiée de facilité essentielle.
C. L'ANALYSE CONCURRENTIELLE DU MODELE DE GESTION DES GARES ADOPTE PAR LA SNCF
121. L'organisation définie par l'opérateur historique soulève principalement deux types de questions au regard de la concurrence. Il s'agit, d'une part, de la question de la gouvernance de la mission de gestionnaire de gares et, d'autre part, de la question de la tarification de l'accès en gare. S'agissant de la première, en l'état actuel du modèle, l'accès des tiers aux gares et aux prestations qui y sont liées est seulement garanti par une séparation comptable et par des procédures internes qui organisent une spécialisation de l'activité gares, plutôt que par une véritable séparation entre cette activité et celles de transporteur de la SNCF. A cet égard, le Conseil de la concurrence a rappelé, dans l'avis n° 00-A-29 du 30 novembre 2000 relatif à la séparation comptable entre les activités de production, transport et distribution d'électricité, que ce type de séparation " nécessite un contrôle accru de la part des autorités de régulation et une transparence complète de la part de l'opérateur historique ".
122. La création par la SNCF d'une branche chargée de la gestion et de l'aménagement des gares résulte d'un choix organisationnel fait par l'opérateur historique, reflétant la prise en compte par celui-ci des impératifs liés à l'ouverture à la concurrence. Si ce choix n'est pas contraire aux dispositions régissant actuellement l'activité ferroviaire, il n'apparaît pas pleinement satisfaisant. Comme l'a souligné le président de RFF, M. Hubert X , lors de la séance de l'Autorité en date du 29 septembre 2009, devoir s'adresser à l'opérateur historique pour accéder aux gares est une démarche difficile pour un nouvel opérateur. Le fait que la SNCF n'ait pas rendu Gares & Connexions plus indépendant des activités concurrentielles de l'EPIC, en filialisant par exemple cette activité comme cela a été le cas en Allemagne, et que cette entité soit placée sous l'autorité directe du président de la SNCF n'apparaît pas de nature à offrir des garanties suffisantes de transparence dans la gestion des gares reposant sur d'autres facteurs que la seule bonne volonté de l'opérateur historique.
123. Il convient en outre d'observer que ce n'est pas la solution qui a été retenue dans le cadre de précédentes ouvertures à la concurrence de monopoles publics, et notamment dans le cas du secteur de l'énergie. Le Conseil de la concurrence, dans l'avis n°08-A-17 précité, a montré sa préférence pour une solution impliquant une séparation claire, se traduisant par le transfert à RFF des services nationaux et régionaux spécialement chargés de l'attribution des sillons.
124. En particulier, l'espace en gare, à défaut de pouvoir être identifié de manière générale comme une facilité essentielle, est une ressource rare et doit faire l'objet d'une attention particulière. Cette question est accentuée par l'état de saturation de certaines grandes gares situées sur des axes majeurs du réseau ferré national. L'allocation d'espace aux concurrents accédant aux gares est donc appelée à jouer un rôle crucial dans le cadre de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs. La faculté laissée aux opérateurs de pouvoir être présents physiquement au sein des gares est de nature à influer sur leurs chances de pouvoir concurrencer l'opérateur historique. De plus, le rattachement de la filiale chargée de la valorisation des espaces commerciaux en gare à Gares & Connexions pose la question des arbitrages que Gares & Connexions sera amenée à faire entre, d'une part, l'attribution d'espaces en gare aux concurrents de la SNCF et, d'autre part, les revenus générés par les implantations de commerces dans les gares gérées par l'une de ses filiales.
125. En ce qui concerne la seconde question, la tarification de l'accès en gare doit être orientée vers les coûts du fait du caractère d'infrastructure essentielle des gares, et ce conformément aux dispositions du décret n° 2003-194. Or, l'Autorité constate que la formule de tarification élaborée par Gares & Connexions est fondée sur des coûts qui ne font pas l'objet d'une vérification extérieure à l'opérateur historique. Par conséquent, il n'est pas possible en l'état d'apprécier si les coûts sous-jacents définis par la SNCF pour chaque gare et chaque prestation reflètent objectivement la réalité des coûts exposés par l'opérateur historique.
126. La question de la tarification de l'accès aux facilités essentielles est de premier ordre en cas d'ouverture à la concurrence de monopoles caractérisés par des industries de réseau. Ainsi, des secteurs comme les télécommunications ou l'énergie disposent de régulateurs qui interviennent directement sur les questions tarifaires. Le secteur ferroviaire disposera prochainement d'un régulateur sectoriel, mais savoir ce que coûte effectivement une gare donnée n'est pas actuellement au nombre de ses missions.
127. La fonction des gares ne se cantonne toutefois pas au seul mode ferroviaire. Celles-ci jouent en effet un rôle d'interface avec les autres réseaux de transport public de voyageurs. Il convient d'en tenir compte afin d'évaluer la place du mode ferroviaire parmi les autres modes de transport public terrestre de voyageurs. L'importance de ce mode doit être évaluée afin d'en étudier les conséquences en matière d'inter-modalité des transports et d'identifier les risques liés à la diversification de la SNCF. L'intervention d'un opérateur détenant un monopole public sur les marchés connexes n'est en effet pas exempte de risques au regard du droit de la concurrence.
III. Les besoins d'inter-modalité et l'intervention de l'opérateur historique sur les marchés connexes de transport public de voyageurs
A. LE RÔLE DU MODE FERROVIAIRE
1. UN ROLE PRIMORDIAL
128. Le transport ferroviaire occupe une place particulière dans la chaîne de transport, qui peut s'expliquer de plusieurs manières : des raisons d'ordre historique et urbanistique d'une part, et d'ordre technique et industriel d'autre part.
129. Le développement du train au XIXème siècle a généré un réseau ferré qui s'est étendu afin d'assurer une couverture du territoire très importante. Les villes ont souvent prospéré autour des gares qui se sont révélées être un des éléments centraux du développement industriel et de l'urbanisation du XIXème siècle. Ce mode ne rencontrait pas ou peu de concurrence directe sur les transports longue distance, d'où une prépondérance marquée de ce mode au début du XXème siècle. Avant l'émergence progressive de l'avion et de la voiture particulière, celui-ci a joué un rôle particulièrement important en matière d'aménagement du territoire.
130. Avec le phénomène d'urbanisation, les villes se sont progressivement développées et ont peu à peu intégré les gares au coeur du tissu urbain. Celles-ci ont vu leur rôle évoluer de celui d'une simple plateforme d'embarquement vers celui de lieu public offrant divers services à des usagers qui ne sont pas tous des voyageurs.
131. Après une longue période de perte de vitesse des années 1960 à 1980, le mode ferroviaire a connu une résurgence avec le transfert de l'activité TER aux régions. Celles-ci ont utilisé ces transports régionaux comme instruments d'aménagement du territoire, ont commencé à structurer l'offre de transports publics à partir du mode ferroviaire et à organiser l'interface entre les différents modes de transport.
132. Le rôle particulier du mode ferroviaire est également lié à des contraintes techniques très importantes qui le définissent comme " mode lourd ". S'agissant d'un réseau d'ampleur nationale, il nécessite une programmation extrêmement complexe et précise dans la mesure où il doit permettre, d'une part, la circulation de nombreux trains assurant des liaisons très diverses sur une même voie et, d'autre part, une interconnexion en toute sécurité des différentes lignes entre elles.
133. La complexité de la programmation ferroviaire, qui est effectuée longtemps à l'avance, laisse des marges de manœuvres très limitées une fois celle-ci fixée. En outre, l'interdépendance des différentes lignes entre elles peut désorganiser significativement le réseau en cas de retard ou d'incident.
134. Toutefois, ces caractéristiques confèrent au mode ferroviaire des avantages significatifs. Il s'agit du seul mode terrestre permettant d'emporter un nombre important de voyageurs sur de longues distances en utilisant une infrastructure en site propre, permettant des vitesses commerciales compétitives et disposant d'un réseau à fort maillage. Ces spécificités permettent au mode ferroviaire de desservir un grand nombre de destinations et d'offrir de nombreuses possibilités de correspondances.
135. Le transport ferroviaire de voyageurs permet enfin d'acheminer au coeur des villes de grands flux de voyageurs qui, une fois en gare, pourront le plus souvent utiliser d'autres modes de transport. Il peut s'agir de différents modes de transport, que ce soit le véhicule particulier, les transports publics, le vélo ou la marche. A ce titre, les gares ferroviaires jouent un rôle très important de pôle d'échanges urbain.
2. LES GARES FERROVIAIRES : DES POLES D'ECHANGES ESSENTIELS
136. Un pôle d'échanges peut être défini comme un " aménagement impliquant au moins deux modes de transport en commun ou deux transporteurs différents, et qui vise à favoriser les pratiques intermodales de transport, par la matérialisation et l'optimisation du lien entre ces différents modes de transports collectifs. Il doit par ailleurs faciliter l'accès des réseaux de transport en commun aux utilisateurs de tous les autres modes de transport ([voiture particulière], taxis, 2-roues, [marche]) ". (GART et ADEME, Politiques et pratiques intermodales, janvier 1999).
137. Le mode ferroviaire occupe dans l'ensemble de la chaîne de transports un rôle central, au propre comme au figuré. Celui-ci ne permet cependant pas de rejoindre la destination souhaitée, une ville étant dotée le plus souvent d'une seule gare. Pour la même raison, l'usager doit utiliser d'autres modes de transport pour se rendre à la gare. De ce fait, les gares doivent être connectées aux autres modes de transports urbains et interurbains. Ainsi, même si elles ne sont pas nécessairement le principal lieu d'échange des lignes de transport urbain de l'agglomération, les gares sont généralement un noeud de lignes de transport important.
138. A cet égard, les autorités organisatrices de transport des différents échelons territoriaux ont un besoin fort d'articuler leurs réseaux de transports publics au travers de ces pôles d'échanges. C'est d'abord le cas des autorités organisatrices de transport régionales et départementales en ce qui concerne les transports ferroviaires régionaux et les liaisons interurbaines, afin d'offrir aux usagers une couverture adéquate des territoires et de permettre la connexion avec les réseaux de transports urbains.
139. Les autorités organisatrices de transport urbain éprouvent également le besoin d'articuler le transport urbain avec les transports interurbains et le mode ferroviaire afin de permettre au trafic périurbain d'accéder au réseau de l'agglomération et d'agrandir leur bassin d'emploi et leur zone d'influence. Ainsi, la saturation de certaines infrastructures routières, et en particulier la congestion des centres de certaines agglomérations, associée à l'émergence de préoccupations environnementales, incite les autorités organisatrices de transport à élargir l'offre de transport public mise à la disposition des usagers.
140. Le développement des agglomérations doit prendre en compte les bassins d'emploi et l'élargissement des aires urbaines. Les déplacements ferroviaires de proximité ont connu ces dix dernières années une progression de l'ordre de 60 %. La SNCF prévoit ainsi un quadruplement de la demande de transport ferroviaire régional d'ici 2030.
141. Une articulation des réseaux de transports urbains et interurbains d'une part, et ferroviaires d'autre part est donc nécessaire du point de vue des collectivités afin de ne pas freiner le développement des centres urbains et des territoires, mais aussi d'optimiser les différents réseaux de transport mis en place dans le cadre de la mission de service public qui leur a été confiée.
142. Cependant, compte tenu de la rigidité horaire du mode ferroviaire, ce sont les transports urbains et interurbains qui doivent s'adapter à celui-ci afin d'organiser leurs dessertes et d'assurer l'adéquation entre l'offre de transport, notamment urbain, et la gestion des flux de voyageurs empruntant le mode ferroviaire. Les problématiques d'inter-modalité jouent en la matière un rôle central.
B. LES BESOINS D'INTERMODALITE
143. L'inter-modalité est une conception qui a émergé progressivement depuis plus d'une décennie et qui consiste, via notamment une coordination des différents modes de transports et des services liés à ces transports, en la mise en œuvre optimisée de formes de mobilités multimodales. Cela implique de rendre pour l'usager le déplacement fluide et planifiable sur l'ensemble de la chaîne de transports qu'il est amené à utiliser, en minimisant les ruptures.
144. L'article 3 de la LOTI précise au sujet des différents modes de transport :
" [La politique de transport] favorise leur complémentarité et leur coopération, notamment dans les choix d'infrastructures, l'aménagement des lieux d'échanges et de correspondances et par le développement rationnel des transports combinés. Elle encourage, par la coordination de l'exploitation des réseaux, la coopération entre les opérateurs, une tarification combinée et une information multimodale des usagers.
Elle optimise en priorité l'utilisation des réseaux et équipements existants par des mesures d'exploitation et des tarifications appropriées.
Elle donne la priorité, pour le transport des voyageurs, au développement de l'usage des transports collectifs ( ) "
145. Les transports publics terrestres de voyageurs sont dans leur ensemble concernés par la question du report modal vis-à-vis de l'utilisation de la voiture particulière. La construction des offres de transport public doit être en mesure de proposer aux usagers des alternatives crédibles à l'utilisation du véhicule particulier, ce que peut favoriser l'inter-modalité.
146. L'inter-modalité est en outre un moyen d'assurer une utilisation optimale des réseaux de transports publics. Cela procède d'une logique visant à décongestionner les infrastructures routières des agglomérations, associée aux préoccupations environnementales. Enfin, il s'agit pour les autorités organisatrices de transport d'amortir les investissements consentis en matière de transports publics, particulièrement lourds dans le cas d'agglomérations disposant de transports en commun en site propre.
1. A CE STADE, L'INTERMODALITE NE CONSTITUE PAS UN MARCHE EN TANT QUE TEL
147. Compte tenu du fonctionnement actuel des transports publics, il est difficile d'identifier un marché de l'inter-modalité. Il peut certes exister un marché des systèmes d'information multimodale offerts par certains prestataires aux autorités organisatrices de transport, en vue de la mise à disposition gratuite de cette information à destination des usagers, mais cela concerne un nombre limité de cas à ce jour.
148. L'inter-modalité semble davantage résulter de la conjonction, au moins partielle, de plusieurs offres distinctes. Les prestations intermodales comprennent notamment :
- les prestations liées à la transmission d'informations entre opérateurs d'une part et à destination des usagers d'autre part ;
- la production du service, et notamment sa programmation ;
- les systèmes billettiques et de compensation le cas échéant ;
- la mise à disposition de parcs de stationnement, notamment de parcs-relais ;
- la mise à disposition d'outils de transport doux le cas échéant.
149. Ces prestations doivent garantir un agencement global d'un réseau permettant d'atteindre un certain degré de coordination entre les différents modes de transport, afin de pouvoir offrir à l'usager un trajet fluide, simple et prévisible.
150. Il convient de noter à cet égard la spécificité des marchés de transports urbains français. La gestion des transports urbains est en grande majorité déléguée par les autorités organisatrices de transport urbain, essentiellement sous la forme de délégations de service public. Dans ce cadre, les appels d'offres en matière de transports urbains portent le plus souvent sur la gestion d'un réseau complet, attribué de manière globale. Cette caractéristique distingue la France d'autres pays, européens notamment, qui ont recours à des systèmes d'allotissement des différents modes de transport au sein d'un même réseau urbain. A titre d'exemple, le réseau urbain de Londres fait l'objet d'un allotissement par mode de transport, avec de surcroît une segmentation intra-modale pour les bus (voir, à ce sujet, paragraphe 226 ci-après).
151. Les délégataires de transport urbain français assurent donc la gestion de l'ensemble du réseau. Ils doivent par conséquent assurer la cohérence intra-urbaine, entre les différents modes de transport composant le réseau, et extra-urbaine (train, autocar). Cette dimension se traduit par une intégration des prestations d'inter-modalité dans l'offre de transport. Les appels d'offres des autorités organisatrices de transport intègrent les besoins d'inter-modalité dans leurs cahiers des charges, mais ne créent pas de lots dédiés à l'inter-modalité. Il s'agit dans le cadre français d'un ensemble de prestations inhérentes au transport public de voyageurs.
152. Compte tenu de la pratique actuelle d'appels d'offres globaux des collectivités, l'inter-modalité ne pourrait constituer qu'un marché limité. Toutefois, cette question devrait être reconsidérée si ces dernières procédaient à l'allotissement de leurs réseaux et faisaient appel, par exemple, à des gestionnaires de mobilité indépendants des opérateurs. Cette hypothèse est évoquée ci-après.
2. MAIS UNE CONDITION NECESSAIRE AU BON FONCTIONNEMENT DE LA CONCURRENCE SUR LES MARCHES DE TRANSPORT PUBLIC
153. Même si les prestations intermodales ne constituent pas, en l'état des observations de l'Autorité, un marché en tant que tel, elles doivent pouvoir être assurées par les opérateurs de transport, en particulier dans le domaine du transport urbain. Compte tenu des caractéristiques du marché français des transports urbains de voyageurs, notamment l'absence d'allotissement, et à défaut d'opérateur distinct du délégataire assurant les prestations intermodales, la capacité des opérateurs de transport à assurer ces dernières font de l'inter-modalité un critère qualitatif d'évaluation des offres des transporteurs. C'est ce que semblent indiquer les déclarations de certains élus à l'issue des attributions des marchés de Lyon et plus récemment de Bordeaux.
154. A cet égard, compte tenu du rôle primordial du train sur la chaîne de transport, la capacité des opérateurs à assurer une articulation efficace avec le mode ferroviaire revêt une importance particulière. Cette articulation peut notamment se traduire par une coordination des horaires, la mise en place de parcs-relais ou encore le fait de proposer aux usagers des systèmes de tarification combinée entre les différents réseaux de transport.
155. En raison du développement prévu du trafic ferroviaire à l'intérieur des aires urbaines, ce mode de transport est en outre appelé à voir son rôle accentué, allant de pair avec le besoin des autorités organisatrices d'optimiser les connexions intermodales.
156. Ainsi, la capacité d'un opérateur de transport urbain à proposer des connexions efficaces avec le mode ferroviaire revêt une grande importance pour les autorités organisatrices dans la mesure où l'efficacité de cette connexion influence l'efficacité du réseau de transport urbain en particulier. Du fait de son lien avec la SNCF, qui détient les informations opérationnelles relatives au trafic ferroviaire, un opérateur tel que Keolis pourrait être avantagé par sa capacité à disposer de ces informations.
157. Les conditions d'accès à l'information liée au trafic ferroviaire influencent la capacité des opérateurs de transports à proposer aux autorités organisatrices des projets intégrant au mieux l'offre ferroviaire dans leur conception globale du réseau.
3. LE ROLE CLE DE LA TRANSMISSION DE L'INFORMATION INTERMODALE
158. La transmission des informations liées aux différents modes de transports joue un rôle clé en matière d'inter-modalité. Cette information est de deux natures :
- l'information théorique ou statique qui correspond à la description théorique du réseau et de l'offre de transport. Il peut s'agir de données relatives à la géographie du réseau (les lignes, les arrêts) ou de données relatives aux horaires théoriques (heures aux terminus, heures de passage aux points d'arrêt ou temps de parcours) ;
- l'information dynamique ou en temps réel qui correspond aux données sur la circulation sur le réseau en temps réel.
159. L'information intermodale est nécessaire aussi bien aux différents opérateurs qu'aux usagers. Les opérateurs en ont besoin, d'une part, pour être en mesure de programmer leur offre de transport, ce qui implique qu'ils puissent en disposer longtemps à l'avance, et, d'autre part, pour pouvoir répercuter cette information auprès des usagers afin que ceux-ci soient en mesure d'organiser leurs trajets et évaluer leurs options.
160. La répercussion de l'information intermodale à destination de l'usager peut se matérialiser de manière très diverse. Cette information peut être physique (signalisation dans les pôles d'échanges afin de permettre l'orientation de l'usager vers les différents modes), visuelle (tableaux d'affichage incluant les différents modes) et sonore. Elle peut également se retrouver à des stades très différents du trajet, aussi bien lors de la conception de celui-ci que pendant le trajet, à bord des transports en commun. L'information de l'usager se traduit également par la mise à disposition d'outils informatiques permettant l'organisation d'un trajet multimodal visant à optimiser le temps de parcours.
161. Cette information revêt en outre une dimension psychologique en permettant aux usagers de gérer les temps d'attente et de rendre l'ensemble du trajet prévisible. A cet égard, l'information en temps réel joue un rôle particulièrement important, d'une part, en cas de situation dégradée (incidents divers, mouvements sociaux) et, d'autre part, pour la connexion avec des modes à faible fréquence, comme les autocars interurbains. L'information en temps réel devient plus accessoire s'agissant des modes à fréquence élevée : si un tramway est cadencé à une fréquence de deux à trois minutes, l'usager peut attendre le suivant sans avoir à explorer des options alternatives.
162. En ce qui concerne la répercussion des informations de transport aux opérateurs, il convient de constater que l'information théorique revêt une dimension fondamentale dans le cadre de l'exploitation des transports publics dans la mesure où elle établit les bases du fonctionnement d'un réseau et, dans le cas d'un réseau de transport urbain composé de plusieurs modes, crée les possibilités d'interconnexion. Elle est par conséquent capitale pour la construction d'une offre de transport dans le cadre d'un appel d'offres en matière de transport urbain.
163. Dans ce contexte, il est également crucial pour les opérateurs de transport de pouvoir intégrer les données relatives au transport ferroviaire en vue de proposer aux autorités organisatrices des dessertes optimales des gares afin d'alimenter au mieux les différents réseaux de transport public.
164. Quant à l'information en temps réel, si elle n'est pas dénuée d'importance, tous les opérateurs ne s'accordent pas quant à la nécessité de pouvoir en disposer. Cette information dite " dynamique " semble correspondre davantage à des critères de confort d'utilisation, d'information et de sécurisation de l'usager, mais sa transmission ne semble pas déterminante en vue de l'exploitation même d'un réseau de transport.
165. Si la question peut se poser pour les transports interurbains du fait d'une fréquence moindre, les réseaux de transport urbains font eux-mêmes l'objet d'une organisation, d'un agencement et d'un cadencement complexes qui rendent très difficile une subordination conjoncturelle aux conditions de trafic ferroviaire sans entraîner une désorganisation du réseau.
166. L'information en temps réel est néanmoins à appréhender de façon prospective dans la mesure où l'évolution des technologies, et en particulier du téléphone portable, permet que soit transmis à l'usager ce type d'information. Or, le téléphone portable est amené à terme à jouer un rôle plus important comme vecteur des titres de transport. Le fait que l'information en temps réel ne joue pas un rôle central à ce jour ne signifie donc pas qu'elle ne deviendra pas fondamentale à l'avenir pour les opérateurs.
167. Il ressort de ce qui précède que le rôle particulier du transport ferroviaire de voyageurs au sein de la chaîne de transport public confère aux informations de transport qui y sont liées une importance cruciale pour l'inter-modalité. En conséquence, il convient que tous les opérateurs de transport puissent accéder sans discrimination à cette information.
C. LES RISQUES LIES A LA DIVERSIFICATION DE L'OPERATEUR HISTORIQUE SUR LES MARCHES CONNEXES DE TRANSPORT PUBLIC DE VOYAGEURS
168. Les risques induits par l'intervention d'un opérateur historique dans le champ concurrentiel ont été traités à plusieurs reprises dans la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence, en particulier dans l'avis n° 94-A-15 du 10 mai 1994, relatif à une demande d'avis sur les problèmes soulevés par la diversification des activités d'EDF et de GDF au regard de la concurrence. Dans cet avis, le Conseil a identifié des risques qui restent toujours d'actualité du fait du monopole de la SNCF et de son statut d'entreprise publique.
169. A cet égard, le Conseil a relevé, dans sa décision n° 05-D-53 du 6 octobre 2005 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des espaces publicitaires du réseau des transports en commun urbains, qu'" est susceptible de constituer un abus le fait pour une entreprise disposant d'un monopole légal d'utiliser en tout ou partie l'excédent des ressources que lui procure son activité sous monopole pour subventionner une offre présentée sur un marché concurrentiel lorsque la subvention est utilisée pour pratiquer des prix prédateurs ou lorsqu'elle a conditionné une pratique commerciale qui, sans être prédatrice, a entraîné une perturbation durable du marché qui n'aurait pas eu lieu sans elle ".
170. Comme l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 07-D-09 du 14 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par le laboratoire GlaxoSmithKline France, la prédation est " la pratique par laquelle une entreprise en position dominante fixe ses prix à un tel niveau qu'elle subit des pertes ou renonce à des profits à court terme dans le but d'évincer ou de discipliner un ou plusieurs concurrents, ou encore de rendre plus difficile l'entrée de futurs compétiteurs sur le marché afin ultérieurement de remonter ses prix pour récupérer ses pertes ". A cet égard, la puissance financière de la SNCF, dont la capacité d'autofinancement s'élevait en 2008 à 2,043 milliards d'euro, serait susceptible de lui permettre de supporter dans le temps des pertes élevées dans le cadre de ses activités de diversification et, par conséquent, d'affecter la concurrence sur les marchés sur lesquels elle entend s'implanter par l'intermédiaire de ses filiales.
171. Le projet de prise de contrôle par la SNCF de Keolis, qui a été notifié à la Commission européenne avant d'être renvoyé à l'Autorité de la concurrence, pourrait en outre amplifier les risques résultant de la position de l'opérateur historique sur le transport ferroviaire de voyageurs. Keolis pourrait bénéficier d'un avantage immatériel, sa détention par l'opérateur historique la faisant bénéficier de l'image associée au statut d'opérateur ferroviaire de référence de la SNCF. Cette société pourrait ainsi prétendre à un statut d'interlocuteur privilégié en matière d'interconnexion des transports urbains avec le mode ferroviaire, les autorités organisatrices étant susceptibles de lui prêter une meilleure capacité que ses concurrents à assurer cette articulation et donc à garantir l'inter-modalité.
172. En outre, l'inclusion d'Effia dans le projet de prise de contrôle de Keolis par la SNCF pourrait inciter la nouvelle entité de procéder à des ventes liées, en associant l'offre de transport de Keolis avec, par exemple, la conception de systèmes d'information multimodale ou la gestion de parcs de stationnement par Effia, ou d'offrir des conditions tarifaires exceptionnelles. Il pourrait de plus s'avérer commode pour une collectivité d'avoir un interlocuteur unique pour traiter les différents contrats de leur ressort.
173. Dans son avis n° 94-A-15 précité, qui concernait le secteur de l'énergie, le Conseil de la concurrence avait relevé que " EDF ès qualités, ou par l'intermédiaire d'une filiale, peut également vendre de nouveaux services aux collectivités ou offrir des primes accessoires à la prestation principale. Peuvent entrer dans cette catégorie : les avantages en nature et les prestations gratuites ou à des prix sans rapport avec le marché (éclairage d'un monument, petites infrastructures sportives, facilités de financement, conditions de facturation personnalisées, pose gratuite d'un réverbère, mise à disposition d'une voiture-échelle, etc) ". A cet égard, le patrimoine foncier détenu par la SNCF peut représenter dans certaines villes un enjeu important. Les collectivités sont à l'évidence tentées par la cession de terrains appartenant au domaine public ferroviaire, par exemple dans le cadre de projets de réaménagement urbain dans les quartiers de gare. La négociation de ces ressources foncières, provenant du monopole ferroviaire de la SNCF, pourrait entraîner des abus si elle influait sur l'attribution d'autres marchés. En particulier, associer à l'offre présentée par l'une de ses filiales à une autorité organisatrice de transports l'assurance que des terrains puissent être cédés serait susceptible d'être constitutif d'un tel abus.
174. Le principe de la diversification de la SNCF sur les marchés connexes de transport public n'est pas en cause : la présence du groupe ferroviaire sur les marchés concurrentiels ne pose pas de problème en soi, au contraire elle peut être de nature à animer la compétition sur ces marchés. Mais cette diversification doit, dans l'intérêt d'une concurrence effective et d'ailleurs de la stratégie à long terme de la SNCF, faire l'objet de précautions particulières, compte tenu de son monopole sur le transport ferroviaire de voyageurs.
IV. Recommandations
175. Comme lors de précédentes ouvertures à la concurrence de monopoles publics caractérisés par des industries de réseau, il est utile de préciser le cadre concurrentiel dans lequel doivent se situer les relations de l'opérateur historique avec les nouveaux entrants d'une part, et les autres opérateurs de transport public d'autre part. A cette fin, et conformément aux objectifs définis par la décision de saisine d'office pour avis n° 09-SOA-01, l'Autorité souhaite formuler de manière préventive un certain nombre de recommandations, découlant des risques potentiels pour le jeu normal de la concurrence sur les différents marchés.
176. L'exemple d'autres secteurs caractérisés par des infrastructures essentielles est de nature à apporter un éclairage quant à la mission de gestionnaire de gares que la SNCF entend conserver en son sein. Il s'agit également de prendre en compte les spécificités du secteur ferroviaire, qui tiennent au maintien des gares dans le patrimoine de l'opérateur historique ainsi qu'à leur segmentation pour le moins complexe. A cet égard, différentes solutions à même de créer un équilibre global du système méritent d'être explorées en permettant de concilier le champ d'action de l'opérateur historique, la gestion des facilités essentielles et l'intervention prochaine du régulateur sectoriel.
177. Enfin, compte tenu du rapprochement de deux opérateurs majeurs dans le secteur du transport urbain, pourtant déjà très concentré, le présent avis explorera les avantages potentiels ainsi que les conditions de la mise en place de l'allotissement des réseaux de transport urbain, à l'aune de cas observés à l'étranger.
A. UNE REPARTITION DES COMPETENCES MIEUX ENCADREE EN MATIERE DE GESTION DES GARES
1. UNE SEPARATION PLUS NETTE DE LA MISSION DE GESTION DES GARES
178. Ainsi que le Conseil de la concurrence l'a déjà souligné dans son avis n° 08-A-17 précité, " l'ouverture à la concurrence ne met pas en jeu seulement deux acteurs, le régulateur et l'opérateur historique (la SNCF), mais trois acteurs : le régulateur, la partie de l'opérateur historique correspondant à des activités mises en concurrence (le transport) et la partie de l'opérateur historique correspondant à des activités qui resteront en monopole (la gestion du réseau), ces dernières nécessitant donc une régulation spécifique ". Un raisonnement analogue peut être appliqué aux gares qui, sans faire partie des activités de l'opérateur historique ouvertes à la concurrence, sont pourtant directement concernées par celle-ci et en constituent un enjeu central.
179. A l'image des mesures d'encadrement prises, ou actuellement à l'étude, pour la régulation d'activités auparavant monopolistiques comme les secteurs de l'énergie ou des télécommunications, l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs ne peut atteindre ses objectifs sans que soient définis des principes organisationnels suffisamment transparents. Il s'agit donc de permettre une répartition des rôles entre les différents intervenants, tout en formulant un modèle cohérent et viable dans la perspective de l'ouverture complète de ce secteur.
180. L'ouverture à la concurrence d'une activité de réseau soulève naturellement la question de l'accès des tiers au réseau et à ses infrastructures essentielles. Dans l'avis n° 00-A-29 précité, le Conseil de la concurrence a estimé que " [la] séparation [entre activités] vise à résoudre le problème posé par la coexistence, au sein d'un même opérateur historique intégré, d'activités de production et d'acheminement de l'électricité. Elle doit garantir que l'opérateur du réseau n'utilise pas son monopole de transport pour avantager les installations de production de son entreprise au détriment des compétiteurs. Elle doit aussi permettre de veiller à ce que les conditions d'accès aux réseaux soient identiques pour toutes les installations de production, en vérifiant l'orientation vers les coûts de la tarification adoptée, son caractère non discriminatoire et l'absence de subventions croisées entre activités ".
181. Afin de prévenir les risques liés à la détention par un opérateur historique du réseau et/ou des infrastructures essentielles, plusieurs solutions de séparation des activités peuvent être considérées. Elles sont rangées ci-après dans un ordre d'efficacité décroissant.
a) Séparation de propriété
182. Cette solution consiste en un transfert de l'activité considérée à une entreprise distincte de l'opérateur de service. C'est la méthode qui, pour le secteur ferroviaire présente, la plus grande cohérence, dans la mesure où la propriété du réseau ferré, à l'exception des gares, a déjà été transférée à un gestionnaire d'infrastructures distinct, RFF. Le transfert des gares et de leur gestion présenterait l'avantage d'inclure celles-ci dans une gestion globale de l'infrastructure ferroviaire et de mettre fin au morcellement des attributions issu du partage opéré par la loi n° 97-135. Dans cette hypothèse, le gestionnaire d'infrastructure, indépendant de tout transporteur, et qui a déjà par ailleurs la mission d'attribuer les sillons, se verrait chargé d'assurer l'accès non discriminatoire de l'ensemble des opérateurs ferroviaires aux gares et à leurs prestations.
183. Cette solution rejoint celle envisagée par l'Union européenne dans le cadre du troisième " paquet énergie ". Les propositions de textes visaient à établir une séparation patrimoniale complète des actifs de transport d'énergie ou la désignation d'un opérateur indépendant de système chargé de la mission de gestionnaire de réseau de transport. La Commission européenne considère notamment qu' " [i]l est démontré économiquement que la séparation de la propriété constitue le moyen le plus efficace pour garantir le choix aux consommateurs d'énergie et pour encourager l'investissement. Ceci est dû au fait que les entreprises de réseau ne sont pas influencées par des intérêts divergents de la génération ou de la fourniture dans leurs décisions d'investissement. Cela permet également d'éviter une réglementation trop détaillée et complexe et d'imposer des charges administratives disproportionnées. L'approche fondée sur un gestionnaire de réseau indépendant améliorerait la situation mais exigerait une réglementation plus détaillée, contraignante et coûteuse et elle serait moins efficace pour contrecarrer les éléments qui découragent l'investissement dans les réseaux " (rapport final de l'enquête menée en vertu de l'article 17 du règlement (CE) n° 1-2003 sur les secteurs européens du gaz et de l'électricité - COM (2006) 851 final - p. 13-14).
184. Toutefois, cette position est controversée et a fait l'objet d'un compromis entre les Etats membres et les instances européennes, permettant le maintien sous conditions de sociétés intégrées d'approvisionnement et de transport. Bien que déjà préconisée par le passé dans le cas du secteur ferroviaire, la séparation de propriété serait lourde à mettre en place et poserait en outre la question du transfert des personnels affectés à l'exploitation des gares ferroviaires.
b) Séparation juridique
185. Elle implique la filialisation de la mission considérée. Il s'agit d'une solution intermédiaire qui présente un certain nombre d'avantages : elle permet une meilleure transparence comptable et financière vis-à-vis des concurrents, ainsi que l'a indiqué le directeur général de Veolia Transport, M. Cyrille Y , lors de la séance de l'Autorité du 29 septembre 2009, tout en maintenant la valorisation des actifs dans le patrimoine de l'opérateur historique et en permettant éventuellement à la collectivité de bénéficier des synergies possibles entre réseau et exploitation lorsqu'elles existent. Le Conseil de la concurrence a préconisé cette solution à plusieurs reprises, par exemple pour l'activité " mobiles " de France Télécom dans l'avis n° 97-A-07 du 27 mai 1997, pour le fonctionnement des services financiers de la Poste, dans l'avis n° 96-A-10 du 25 juin 1996 ou même pour l'activité de messagerie de la SNCF dans l'avis n° 95-A-18 du 17 octobre 1995 concernant le SERNAM.
186. C'est par ailleurs la solution qui a été retenue dans le cadre de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, instaurant notamment une séparation entre RTE, le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité, et EDF. L'article 5 de cette loi énonce que " [l]a gestion d'un réseau de transport d'électricité ou de gaz est assurée par des personnes morales distinctes de celles qui exercent des activités de production ou de fourniture d'électricité ou de gaz ".
187. L'article 6 I. précise en outre que " [l]es gestionnaires de réseaux de transport d'électricité ou de gaz exploitent, entretiennent et développent ces réseaux de manière indépendante vis-à-vis des intérêts dans les activités de production ou de fourniture d'électricité ou de gaz des entreprises qui leur sont liées au sens des articles L. 233-1 à L. 233-4 du Code de commerce ou qui appartiennent au même groupe ". L'article 6 III. impose enfin qu'un Code de bonne conduite soit élaboré par le gestionnaire de réseau comportant les mesures d'organisation interne prises afin de prévenir les risques de pratique discriminatoire en matière d'accès des tiers au réseau. L'application de ce Code fait l'objet d'un rapport annuel rendu public et transmis à la Commission de régulation de l'énergie.
c) Séparation fonctionnelle
188. Elle consiste en la " création d'un département séparé et [la] mise en œuvre de règles de fonctionnement permettant d'ériger entre celui-ci et les autres services de l'opérateur historique des 'murailles de Chine'. " (ARCEP, La lettre de l'Autorité, n° 55 - mars/avril 2007).
189. La séparation fonctionnelle ne se limite pas à la séparation comptable. Elle peut inclure également de nombreuses garanties relatives par exemple au rattachement des salariés, à la circulation de l'information ou encore à l'autonomie de la stratégie. Ainsi, dans l'avis n° 00-A-29 précité, le Conseil de la concurrence, reprenant les recommandations émises dans son avis n° 98-A-05 du 28 avril 1998 concernant le fonctionnement concurrentiel du marché électrique, a souligné que " "la simple séparation comptable qui se limiterait à un jeu d'écritures, n'est pas de nature à régler une question aussi importante que celle de la nécessaire autonomie de gestion du transporteur ". [Le Conseil] avait estimé que, si le RTE n'était pas constitué en établissement public distinct, solution qui serait " la meilleure garantie d'indépendance souhaitable dans un système concurrentiel respectant totalement l'esprit de la directive ", et s'il restait intégré à l'opérateur historique, il convenait, à tout le moins, qu'il soit constitué sous la forme d'une direction autonome et séparée des autres directions, avec des garanties statutaires pour son directeur, une pleine autonomie comptable ainsi que des garanties de confidentialité. La loi a consacré cette exigence en octroyant à son directeur, par rapport à la présidence d'EDF, des prérogatives d'indépendance supérieures à celles du président d'une filiale par rapport à la société de son groupe ".
190. C'est en substance le modèle d'organisation qui a été retenu dans le projet de loi relatif à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports en vue de la création du service chargé des missions de gestion du trafic et des circulations sur le réseau ferré national. Le Conseil de la concurrence, dans l'avis n° 08-A-17 précité, avait en effet mis en évidence " la nécessité de revoir le partage des moyens entre la SNCF et RFF pour donner à ce dernier une véritable capacité de gestion de son propre réseau ". Le service ainsi créé au sein de la SNCF est chargé d'assurer ces missions " pour le compte et selon les objectifs et principes de gestion définis par Réseau ferré de France ". Son directeur est nommé par décret du Premier ministre sur proposition du ministre chargé des transports et après avis de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires. Il ne peut être membre du conseil d'administration de la SNCF. Des sanctions pénales sont en outre prévues en cas de divulgation à toute personne étrangère à ce service d'informations dont la communication porterait atteinte aux règles d'une concurrence libre et loyale et de non-discrimination.
191. Ainsi, si la SNCF entend conserver la mission de gestion des gares en son sein, comme l'a rappelé le président de la SNCF, M. Guillaume Z , lors de la séance de l'Autorité en date du 29 septembre 2009, il convient que soient fournies au minimum des garanties supplémentaires visant à instaurer une réelle séparation en isolant cette mission de manière analogue aux exemples précités. Il serait nécessaire pour cela que les pouvoirs publics définissent un cadre juridique contraignant permettant d'assurer l'indépendance d'action de cette mission vis-à-vis des autres activités de l'opérateur historique. Un tel cadre devrait en outre prévoir que celui-ci rende compte de l'effectivité de la séparation auprès du régulateur sectoriel.
192. Compte tenu de l'importance cruciale des gares dans le cadre de cette ouverture à la concurrence, l'ARAF qui, aux termes de l'article 4 dudit projet de loi a pour mission de veiller " à ce que les conditions d'accès au réseau ferroviaire par les entreprises ferroviaires n'entravent pas le développement de la concurrence ", doit pouvoir garantir de manière contraignante l'indépendance de la gestion des gares.
193. Par ailleurs, la mise en place d'un dispositif transitoire instaurant une séparation fonctionnelle, dans un premier temps, et évoluant progressivement vers une séparation plus marquée, juridique ou patrimoniale, devrait également être envisagée.
194. La SNCF considère que la gestion des gares est une composante indispensable de l'exploitation des services de transport ferroviaire qui lui a été confiée par l'article 20 de la LOTI et relève de l'objet même de l'EPIC. Or, le décret n° 83-817 du 13 septembre 1983 portant approbation du cahier des charges de la SNCF, pris en application de cette loi, prévoit que la SNCF peut recourir à des filiales pour les seules missions connexes ou complémentaires au transport ferroviaire. Dès lors, la constitution au sein de la SNCF, d'une filiale chargée de la gestion des gares de voyageurs ne saurait être envisagée, selon elle, sans une évolution d'ensemble de son statut législatif.
195. Il convient donc de s'interroger afin de déterminer si le cadre juridique actuel relatif aux gares demeure compatible avec les problématiques liées à l'ouverture du transport ferroviaire de voyageurs à la concurrence, car la seule séparation comptable envisagée par l'opérateur historique ne saurait être suffisante au regard des enjeux induits par la libéralisation prochaine de ce secteur.
196. L'Autorité recommande par conséquent que la gestion des gares fasse l'objet d'une séparation plus aboutie, répondant davantage à l'un des modèles présentés ci-dessus. En outre, en l'état actuel du modèle de gestion des gares, il n'apparaît pas souhaitable que celles-ci demeurent dans le giron de l'opérateur historique sans un accroissement important des pouvoirs du régulateur sectoriel, particulièrement en matière tarifaire.
2. LE RENFORCEMENT DES POUVOIRS DE L'ARAF
197. Compte tenu du modèle défini par l'opérateur historique, la question de la tarification de l'accès aux gares et aux prestations qui y sont assurées va de pair avec la question de la gouvernance.
198. La tarification applicable aux entreprises ferroviaires utilisant les services en gare est un élément essentiel des conditions d'accès au marché. La justification de ces tarifs doit pouvoir être vérifiée de manière indépendante afin d'évaluer la sincérité des coûts exposés par l'opérateur historique et de garantir pour les nouveaux entrants la transparence des sommes qui leur seront facturées.
199. Ainsi, l'Autorité considère que le régulateur sectoriel doit être doté d'un pouvoir d'examen ex ante de ces tarifs au regard des coûts sous-jacents, afin de pouvoir apprécier s'ils répondent aux exigences réglementaires. Or, l'ARAF ne dispose pas de cette compétence en l'état actuel du projet de loi. Les comparaisons qui peuvent être dressées avec d'autres secteurs auparavant monopolistiques et faisant aujourd'hui l'objet d'une régulation indépendante plaident pour l'attribution au régulateur de pouvoirs forts en la matière, à même de pouvoir prendre en compte l'ensemble des enjeux de l'ouverture à la concurrence.
200. En particulier, le régulateur doit pouvoir s'assurer que l'intégration dans la tarification des prestations de base des coûts liés à " la gestion opérationnelle de la gare et de l'accès des trains à la gare " ne recoupe pas certaines des missions pour lesquelles RFF rémunère la SNCF en tant que gestionnaire d'infrastructure délégué, induisant par là même un élément de double facturation.
201. Par ailleurs, une réforme de la gouvernance des gares pourrait être envisagée à titre complémentaire. Il conviendrait d'introduire à un niveau pertinent (groupe de gares, zone géographique) un interlocuteur unique, indépendant des opérateurs de transport. A cet égard, la recommandation de Mme Fabienne Keller de créer un " manager de gare " peut servir de base de réflexion. Dans ce cadre, on pourrait envisager d'instituer au niveau local un comité représentant les différentes parties prenantes à la gare, et notamment les autorités organisatrices concernées.
202. Une mission pourrait être confiée au régulateur sectoriel portant sur la définition de règles de gouvernance des gares qui permettraient de prendre en compte le rôle de celles-ci dans le cadre du transport ferroviaire, ainsi que leur dimension de pôles d'échanges primordiaux pour les autres types de transports publics terrestres.
3. LA REDEFINITION DES CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE DE CERTAINES PRESTATIONS SPECIFIQUES
203. Dans l'immédiat, et sans préjudice des mesures d'encadrement qui devraient être adoptées, l'opérateur historique, dans ses relations avec les concurrents, devrait apporter une attention toute particulière aux deux sujets qui suivent.
204. D'une part, l'allocation d'espace aux concurrents accédant aux gares joue un rôle crucial dans le cadre de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs. Les opérateurs ont besoin d'être présents physiquement au sein des gares pour pouvoir concurrencer l'opérateur historique. L'allocation d'espace en situation contrainte doit pouvoir se faire de manière équitable et, si des litiges apparaissent, impartiale. A cet égard, le rattachement du groupe A2C à Gares & Connexions ne doit pas conduire l'opérateur historique à privilégier les implantations commerciales au détriment de l'installation des concurrents.
205. Le mécanisme d'arbitrage des différends portant sur l'attribution des espaces en gare mis en place par Gares & Connexions n'est pas satisfaisant à l'heure actuelle. Ce système, qui prévoit le recours exclusif aux différents échelons hiérarchiques de Gares & Connexions, doit être complété par la mise en place a minima d'une procédure contradictoire imposant au gestionnaire de gares de motiver ses décisions en la matière, afin d'éviter que le régulateur sectoriel ne soit systématiquement saisi de ce type de différends.
206. D'autre part, comme cela a été souligné aux paragraphes 118 à 120, la prestation consistant pour l'opérateur historique à offrir aux nouveaux entrants l'accès aux installations dédiées à l'exploitation de liaisons ferroviaires empruntant le tunnel sous la Manche est susceptible d'être qualifiée de facilité essentielle. L'Autorité rappelle que, dans le cadre de l'ouverture à la concurrence, ces installations relèvent a priori de l'article 3 II du décret n° 2003-194. Par conséquent, l'opérateur historique doit s'assurer que l'accès des concurrents à ces installations donne lieu au versement d'une rémunération qui est égale au coût du service.
B. LA PRISE EN COMPTE PAR L'OPERATEUR HISTORIQUE DES RISQUES LIES A SA DIVERSIFICATION
1. LES LIMITES DE LA STRATEGIE DE DIVERSIFICATION DE LA SNCF
207. Le Conseil puis l'Autorité de la concurrence ne se sont jamais opposés par principe aux stratégies de diversification d'un opérateur historique, dès lors qu'elles peuvent stimuler la concurrence par l'arrivée d'un nouvel acteur sur un ou des marchés. Mais la diversification d'anciens monopoles publics, conservant une activité de service public, comporte un certain nombre de risques qui appellent donc des précautions particulières afin de préserver une compétition effective et équitable sur les différents marchés concernés.
208. Ainsi, s'il ne semble pas exister de marché de l'inter-modalité en tant que tel, le rôle particulier du mode ferroviaire au sein de la chaîne de transports est de nature à conférer à l'opérateur historique et à ses filiales un avantage concurrentiel significatif sur les marchés de transport connexes. S'agissant d'un monopole public pour le transport ferroviaire de voyageurs, la SNCF paraît pouvoir disposer d'une position dominante. Comme le Conseil de la concurrence l'avait rappelé dans l'avis n° 94-A-15 précité, l'intervention de l'opérateur historique dans le champ concurrentiel est susceptible, si elle a pour objet ou pour effet de restreindre ou de distordre la concurrence, d'être qualifiée d'abus de position dominante quand bien même l'abus serait commis sur un autre marché. Cette situation est susceptible d'être caractérisée si l'opérateur occupe une position prééminente sur des marchés distincts de celui sur lequel il est en position dominante, et que ceux-ci sont étroitement connexes (voir arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C-333-94 P, Rec. p. I-5951, point 31).
209. Les différents risques identifiés ci-dessus étant susceptibles d'entraîner une perturbation durable des marchés, la SNCF doit se montrer à tout le moins prudente dans son intervention sur les marchés connexes de transport public. Elle ne doit pas en particulier proposer aux autorités organisatrices une offre de transport intégrée verticalement qui reposerait sur des interconnexions auxquelles n'auraient pas accès les concurrents de Keolis, à moins de mettre également ces derniers en situation de construire des projets de réseaux prenant en compte l'offre de transport ferroviaire dans des conditions non discriminatoires. En outre, l'opérateur historique doit préserver l'autonomie d'action de Keolis et ne pas se substituer à cette dernière à l'occasion de la soumission ou de la présentation des offres aux autorités organisatrices.
210. Par ailleurs, concernant le projet de rapprochement entre Effia et Keolis, l'opérateur historique doit s'assurer qu'il n'existe pas d'incompatibilité concernant les prestations fournies aux autorités organisatrices de transport, notamment en ce qui concerne les enquêtes qualité. En effet, dans le cadre de cette mission portant sur le contrôle qualitatif de l'exécution de la prestation par le délégataire, exercée pour le compte des autorités organisatrices, Effia est susceptible de recueillir des informations opérationnelles sur les réseaux conduits par les concurrents de Keolis.
L'utilisation par cette dernière de ces informations dans le cadre d'un appel d'offres ultérieur pourrait être de nature à l'avantager face à ses concurrents.
211. Enfin, la SNCF, via Gares & Connexions, peut être amenée à délivrer des autorisations d'occupation temporaire du domaine public ferroviaire en vue d'exploiter des parcs de stationnement à proximité des gares. Afin de ne pas favoriser sa filiale Effia, elle devrait procéder de manière systématique à une mise en concurrence pour l'attribution de l'exploitation des parcs de stationnement situés sur le domaine public dont elle est affectataire.
2. LA NECESSAIRE MISE A DISPOSITION DES INFORMATIONS RELATIVES AU TRANSPORT FERROVIAIRE
212. Compte tenu, notamment, des flux générés par le train, la prise en charge des voyageurs issus du trafic ferroviaire est une condition nécessaire à l'optimisation du fonctionnement des réseaux de transports urbains, ainsi qu'à la rentabilisation des investissements consentis par la collectivité.
213. L'information en matière de transport ferroviaire influe donc sur la capacité des opérateurs de transport urbain ou interurbain de voyageurs à proposer aux autorités organisatrices des offres de transport public prenant en compte la dimension intermodale. Cela concerne au premier chef les informations théoriques de la SNCF qui sont nécessaires pour un prétendant à l'attribution d'une délégation de service public de transport urbain afin d'établir des propositions optimales de réseau. Comme évoqué ci-dessus, l'information théorique concerne les données physiques et horaires définies dans le cadre de la programmation de l'offre de transport. Il s'agit en outre d'une offre évolutive.
214. Or, à l'heure actuelle, cette information ne semble pas être systématiquement transmise. Les données relatives au transport ferroviaire de voyageurs étant issues de l'exécution d'une mission de service public, ces données doivent pouvoir être communiquées aux opérateurs de transport urbain et interurbain, dans le cadre des appels d'offre de transport public.
215. L'Autorité estime indispensable que tous les opérateurs de transport urbain et interurbain répondant à un appel d'offres en matière de transport public puissent disposer des informations théoriques relatives au transport ferroviaire, et en particulier les horaires, dans une gare donnée.
216. Ces informations doivent pouvoir être transmises sous format normé afin d'en permettre l'interopérabilité. Elles doivent en outre être rendues disponibles dans des conditions non discriminatoires par la SNCF ou par les collectivités territoriales délégantes, qui sont théoriquement propriétaires de ces données pour ce qui relève du transport ferroviaire régional.
C. L'ALLOTISSEMENT DES RESEAUX DE TRANSPORT URBAIN
217. Ainsi que la Cour des comptes l'a relevé dans son rapport sur les transports publics urbains précité, " [d]ans le contexte général d'un secteur concentré autour de quelques opérateurs, la mise en concurrence effective des contrats d'exploitation reste problématique. En outre, malgré les dispositions transposées dans le droit français en matière de concurrence européenne, l'ouverture aux autres opérateurs européens reste dans la pratique quasi inexistante ".
218. Ainsi, l'Autorité souhaite explorer des solutions potentiellement à même de favoriser l'arrivée de nouveaux opérateurs sur ce marché et, par conséquent, un renforcement de la concurrence, en particulier dans le contexte du projet de rapprochement entre deux opérateurs majeurs du transport public de voyageurs.
219. Comme précisé ci-dessus, en France, les délégations de service public de transport urbain sont le plus souvent allouées par des appels d'offres portant sur l'intégralité du réseau concerné. Ainsi, sur un territoire déterminé, l'exploitation de l'ensemble du réseau de transport urbain de voyageurs est confiée à un opérateur unique.
220. Si la délégation de la globalité d'un réseau permet, dans une certaine mesure, à l'entreprise délégataire de bénéficier d'économies d'échelle, elle peut également conduire à un appauvrissement de l'offre, tant du point de vue du nombre d'opérateurs candidats aux appels d'offres que de celui de la qualité des services proposés. Cet appauvrissement potentiel est d'autant plus à souligner dans le contexte de renforcement de la concentration du secteur. L'allotissement des réseaux, qu'il soit organisé suivant les modes de transports (métro, tramway, bus) ou par secteur géographique, pourrait permettre de stimuler la concurrence, de faciliter l'entrée de nouveaux opérateurs et l'émergence de nouveaux services. Toutefois, la perspective de l'allotissement des réseaux de transports urbains soulève un certain nombre de questions, relatives notamment à l'arbitrage entre, d'une part, les gains d'efficacité attendus d'un accroissement de la concurrence et, d'autre part, les coûts potentiels liés à la coordination entre les différents délégataires des lots d'un même réseau.
221. Plusieurs études économiques suggèrent que l'allotissement d'un réseau, par mode, par ligne ou par secteur géographique, peut apporter des gains d'efficacité significatifs (1). Ces travaux mettent en évidence " un gain à la séparation modale (bus et modes lourds), comme à Londres et en Scandinavie, et une taille optimale des lots de bus comprise entre la pratique londonienne (1 ou 2 lignes par lot) ou scandinave (2-5 zones géographiques par agglomération). "
222. Le rapport précité présente une analyse empirique réalisée sur des données françaises, dont les résultats corroborent les conclusions d'autres études économétriques et soulignent que " l'idée reçue selon laquelle les réseaux de transports urbains sont fondamentalement moins coûteux s'ils sont gérés par une seule entreprise est fausse. " Lorsque le réseau urbain est étendu, les bénéfices de la mutualisation (de tous les modes et de toutes les routes) pourraient ne pas compenser les surcoûts liés à la production par un monopole. En d'autres termes, les gains d'efficacité tirés de l'exploitation par lots par des opérateurs concurrents l'emporteraient sur les coûts liés à la coordination de ceux-ci.
223. Ces travaux relèvent que les opérateurs français de réseaux de transports urbains ont déjà adopté une organisation interne séparant les activités suivant les principales fonctions du réseau ainsi que par mode de transport. Par exemple, le réseau lyonnais est organisé autour de trois pôles (métro, tramway, bus), l'exploitation du transport par bus étant à son tour segmentée en divisions centrées autour des dépôts de bus. Ainsi, l'allotissement des réseaux ne serait que la formalisation de pratiques déjà mises en œuvre par les opérateurs cherchant à optimiser l'efficacité de leurs activités.
224. Les pratiques d'allotissement des réseaux de transport ont été mises en application à l'étranger, parfois depuis plusieurs dizaines d'années. Elles peuvent ne concerner que les réseaux de bus (Helsinki, Copenhague, Adelaïde) mais aussi les modes de transports dits " lourds " (Londres, Stockholm, Melbourne).
225. A Londres, l'exploitation du métro a été séparée de celle du réseau de bus dès 1984, le réseau de transport par bus ayant alors été progressivement segmenté en lots, chacun constitué d'un petit nombre de lignes. Plusieurs analyses effectuées depuis ont montré que les appels d'offres sur les lots ouverts à la concurrence ont permis des économies de coûts substantielles (2), puis une amélioration de la qualité des services, se traduisant par une augmentation conséquente de l'utilisation des transports publics.
226. A Stockholm, l'allotissement du réseau de bus suit un découpage géographique correspondant à une vingtaine de quartiers. Les lignes de transports "lourds " (métro, trains de banlieue, trains légers) sont aussi ouvertes à la concurrence depuis 1989. En 2003, un rapport de la direction des relations économiques extérieures du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (3) soulignait que " [l]es études réalisées par l'association suédoise des transports en commun montrent que l'ouverture à la concurrence de ce secteur a permis une réduction de 15 % à 20 % des coûts d'exploitation au cours de la dernière décennie. "
227. Au total, les études empiriques, en accord avec plusieurs expériences internationales, suggèrent que l'allotissement peut être un moyen pertinent d'améliorer l'efficacité de l'allocation et de la gestion des réseaux de transport urbain. Par ailleurs, du point de vue des autorités organisatrices, ce procédé pourrait permettre une comparaison continue des prestations fournies par les différents opérateurs en présence sur leur réseau, et ce pendant toute la durée des délégations. En l'état actuel des choses, cette comparaison n'est théoriquement possible qu'au moment du renouvellement du marché.
228. La mise en place de cette solution comporte cependant des restrictions d'ordre technique. Elle implique la réappropriation par les collectivités de compétences souvent exercées à l'heure actuelle par le transporteur délégataire. L'allotissement nécessite en effet le développement de la compétence de gestionnaire de mobilité, car il présuppose que les autorités organisatrices disposent de moyens et de services capables de coordonner des opérateurs différents. A défaut, le recours à l'allotissement des réseaux de transports urbains pourrait contribuer à l'émergence d'un marché de l'intermédiation en matière de mobilité par des prestataires indépendants des opérateurs de transport.
229. Par ailleurs, la mise en place de l'allotissement doit tenir compte des caractéristiques propres du paysage institutionnel français, et particulièrement du rôle des autorités organisatrices de transport tel qu'il est défini par la LOTI. L'accroissement de la concurrence découlant d'un éventuel allotissement ne doit pas entraîner une complexification de l'offre pour le consommateur. En particulier, l'intervention de plusieurs opérateurs sur un même réseau ne doit pas aboutir à une segmentation de la tarification ou des titres de transport, ce qui générerait pour les usagers des contraintes supplémentaires dans leurs déplacements et irait à l'encontre de la logique d'inter-modalité.
230. Compte tenu de tous ces éléments, l'Autorité invite les autorités organisatrices à engager une réflexion sur l'allotissement de leurs appels d'offres de transport public, tout en prenant en considération les intérêts des usagers.
Délibéré sur le rapport oral de M. Yannick Palle et sur l'intervention de Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, et Mmes Anne Perrot et Elisabeth Flüry-Hérard, vice-présidentes.
Notes :
1 Voir, par exemple, la thèse de doctorat de William Roy " Réglementation, gouvernance et performance des services publics de transport collectif urbain, ", novembre 2007 (source : http://tel.archives- ouvertes.fr/docs/00/18/69/87/PDF/version_finale.pdf), ou le rapport de Luc Baumstark, Nicolas Puccio, William Roy, Claude Ménard, Anne Yvrande-Billon " Risques et avantages de l'allotissement dans les transports publics urbains de voyageurs ", décembre 2007 (source : http://www.recherche- innovation.equipement.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport-allotissement_cle637ca8.pdf).
2 L'article de David Kennedy, portant sur les résultats des appels d'offres de 1986 à 1993, montre que cette procédure d'adjudication des contrats d'exploitation a permis une réduction des coûts de l'ordre de 20 % sur la période (" London bus tendering : The impact on costs, " International Review of Applied Economics, vol. 9, n° 3, 1995, pp. 305-17.)
3 Source : http://www.euromedina.org/bibliotheque_fichiers/Doc_financementtransportsDAEI.pdf