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Décisions

ADLC, 25 juin 2009, n° 09-A-28

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif à un accord dérogatoire aux délais de paiement dans le secteur du disque

ADLC n° 09-A-28

25 juin 2009

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre du 17 mars 2009, enregistrée sous le numéro 09/0040 A, par laquelle le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement dans le secteur du disque ; Vu la loi 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint entendus au cours de la séance du 23 juin 2009 ; Les représentants des organisations professionnelles signataires de l'accord dérogatoire entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce. Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations suivantes :

1. Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi, le 17 mars 2009, l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement concernant le secteur du disque au titre de l'article 21/III, de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008.

2. Ce dernier texte a instauré un délai de paiement maximal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets pour les transactions entre entreprises, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2009. L'article L. 441-6 du Code de commerce, neuvième alinéa, dans sa rédaction issue de l'article 21 de la loi de modernisation de l'économie, dispose en effet que, à compter du 1er janvier 2009, " le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture ". En l'absence de convention, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Les professionnels qui ne respecteraient pas ces dispositions s'exposent aux sanctions de l'article L. 442-6-III du Code de commerce, et notamment à une amende civile.

3. Toutefois, l'article 21-III de la loi du 4 août 2008 prévoit une possibilité de dérogation temporaire. Un accord interprofessionnel permet en effet de différer l'application du délai légal de paiement dans le secteur économique concerné à la condition que des raisons économiques particulières à ce secteur justifient ce report et qu'une réduction progressive des délais pratiqués soit mise en place par cet accord pour parvenir au délai légal au plus tard le 1er janvier 2012.

4. L'accord doit être approuvé par un décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence, qui peut prévoir son extension à l'ensemble des entreprises dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord.

5. La disposition législative est rédigée dans les termes suivants :

" III. Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que des accords interprofessionnels dans un secteur déterminé définissent un délai de paiement maximum supérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l'article L.441-6 du Code de commerce, sous réserve :

1) Que le dépassement du délai légal soit motivé par des raisons économiques objectives et spécifiques à ce secteur, notamment au regard des délais de paiement constatés dans le secteur en 2007 ou de la situation particulière de rotation des stocks ;

2) Que l'accord prévoie la réduction progressive du délai dérogatoire vers le délai légal et l'application d'intérêts de retard en cas de non-respect du délai dérogatoire fixé dans l'accord ;

3) Que l'accord soit limité dans sa durée et que celle-ci ne dépasse pas le 1er janvier 2012.

Ces accords conclus avant le 1er mars 2009, sont reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis du Conseil de la concurrence.

Ce décret peut étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".

I. Le cadre économique et juridique des accords dérogatoires en matière de délais de paiement

6. Le crédit que les entreprises s'accordent dans leurs échanges commerciaux, communément dénommé délais de paiement, recouvre des enjeux économiques et concurrentiels.

a) Le contexte économique

7. Le crédit commercial interentreprises représente, selon les données de la centrale des bilans de la Banque de France pour l'année 2005, un montant de 604 milliards d'euro pour l'ensemble de l'économie, qui est à rapprocher de l'encours de 133 milliards d'euro pour le crédit bancaire à court terme.

8. Au plan international, les comparaisons effectuées par la Banque de France pour 6 pays (Allemagne, France, Espagne, Italie, Japon et États-Unis), montrent que la France est, après l'Italie, le pays ayant les règlements les plus tardifs, avec une tendance longue à l'augmentation du poids des dettes fournisseurs dans le total des bilans des entreprises.

9. Les délais de paiement importants accordés aux clients pèsent sur la trésorerie des entreprises, lorsqu'ils ne sont que partiellement compensés par les délais obtenus des fournisseurs. Le besoin de financement ainsi créé par l'exploitation est couvert par l'endettement bancaire, direct (crédits de trésorerie) ou indirect (mobilisation des créances commerciales et affacturage), ce qui pose deux problèmes aux entreprises.

10. En premier lieu, le volume de financement et son coût dépendent de la taille de l'entreprise et de la perception de son secteur d'activité par la banque : autant de critères peu favorables d'une façon générale aux PME et aux entreprises en position de sous-traitance.

11. En second lieu, les ressources mobilisées le sont aux dépens du financement de la croissance de l'activité, de l'innovation et de l'investissement. Une telle situation est préjudiciable au développement de l'entreprise, mais aussi à la pérennité et à la vitalité du tissu industriel de PME, dès lors que le phénomène est généralisé à un secteur d'activité.

12. Les délais excessifs représentent, en conséquence, un risque économique et financier pour le partenaire le plus faible, la filière concernée, voire l'économie locale.

13. L'importance du crédit interentreprises accroît les risques de défaillances en cascade d'entreprises, le défaut de paiement se propageant aux entreprises de la filière ainsi qu'aux autres fournisseurs, avec leurs conséquences économiques et sociales à l'échelle d'une localité ou d'une région.

b) L'enjeu concurrentiel

14. Parallèlement, les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et viennent réduire le prix de revient effectif de ses achats.

15. Les délais de paiement affectent ainsi les conditions de concurrence. Les délais obtenus de ses fournisseurs par une entreprise et sa capacité à obtenir leur allongement ont un impact direct sur sa compétitivité par rapport à ses concurrents sur le marché, en lui procurant une trésorerie gratuite pour financer son exploitation et son développement.

16. A côté d'autres éléments, comme par exemple le prix unitaire, la politique de remises, le volume acheté, la durée du contrat ou l'achalandage, les délais de paiement doivent être appréciés comme un des éléments de la relation commerciale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques.

17. Il est ainsi dans la logique de la concurrence entre les formes de distribution que chacune se distingue quant à certains éléments constitutifs de la relation commerciale.

c) L'extension des accords dérogatoires à l'ensemble des entreprises d'un secteur

18. Un accord dérogatoire a pour effet de donner aux entreprises concernées la possibilité d'obtenir, dans leurs relations avec leurs fournisseurs, des délais de paiement plus favorables que le délai légal de 60 jours nets, pendant la durée de la validité de l'accord. Les entreprises couvertes par l'accord dérogatoire bénéficient ainsi d'un avantage.

19. Une distorsion de concurrence pourrait résulter de ce qu'un accord ne s'applique pas à l'ensemble des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité.

20. Ce risque potentiel pour le jeu de la concurrence est pris en compte par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008, qui ouvre la possibilité pour le décret validant un accord interprofessionnel conclu dans un secteur déterminé " d'étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".

21. L'extension par décret d'un accord dérogatoire a ainsi pour effet pratique d'appliquer le dispositif de cet accord à la totalité des entreprises relevant des organisations professionnelles signataires, que ces entreprises soient adhérentes ou non à l'une de ces organisations.

22. A titre général, l'Autorité de la concurrence considère donc que l'extension est souhaitable pour toutes les demandes d'accord dérogatoire en matière de délais de paiement.

23. Ce principe posé, plusieurs questions peuvent être soulevées au regard de l'objectif d'assurer la plus grande neutralité possible des accords dérogatoires au regard de la concurrence.

24. En premier lieu, le champ retenu par le décret d'extension devra être traité. Les accords déjà conclus donnent en effet lieu à des demandes d'adhésion de la part d'organisations professionnelles qui n'étaient pas parties aux négociations. Il semble peu conciliable avec le jeu de la concurrence de laisser aux seules organisations signataires de l'accord initial la décision d'accepter ou de refuser ces nouvelles demandes, sans qu'ait lieu un contrôle minimal de la part du pouvoir réglementaire.

25. L'Autorité recommande en ce sens au ministre de préciser le champ d'application de l'extension dans le décret, afin de faciliter l'application et le contrôle des règles en matière de délais de paiement et du pouvoir réglementaire.

26. L'autre question concerne le cas des entreprises présentes sur différents secteurs ou activités, dont une activité, sans constituer l'activité principale, est couverte par un accord dérogatoire existant. Cette situation concerne les cas de figure distincts de la grande distribution généraliste et des industriels multi-activités.

27. Premier cas de figure, la grande distribution généraliste (hypermarchés et supermarchés) est en concurrence, au moins sur une partie de l'offre, avec les distributeurs spécialisés. Elle pourrait ainsi souhaiter bénéficier des accords dérogatoires en matière de délais de paiement conclus par des distributeurs spécialisés avec leurs fournisseurs.

28. Pour se prononcer sur ce point, l'Autorité procèdera, dans chaque cas d'espèce, à une analyse et à une comparaison des caractéristiques de l'offre commerciale de chaque circuit de distribution.

29. Toutefois, deux remarques générales peuvent être avancées. D'une part, les délais de paiement ne constituent qu'un élément parmi d'autres définissant la relation commerciale entre un acheteur et son fournisseur. Comme il a déjà été dit, il est dans la logique de la concurrence entre les différentes formes de distribution que chacune se singularise sur tel ou tel élément de la relation commerciale.

30. D'autre part, le droit de la concurrence reconnaît que les conditions et les modalités de concurrence entre les opérateurs n'ont pas à être identiques, dans la mesure où les différenciations relèvent de considérations objectives.

31. Le second cas de figure porte sur les fournisseurs présents, non pas à titre principal mais pour une partie moins importante de leur activité, dans un secteur couvert par un accord dérogatoire.

32. Dans cette hypothèse, l'accord dérogatoire peut créer une distorsion de concurrence entre les fournisseurs relevant des organisations signataires, qui pourront appliquer des délais plus longs jusqu'à fin 2011, et ceux non couverts par l'accord, qui sont face à l'alternative de se placer dans l'illégalité ou de risquer de perdre un client si celui-ci leur demande d'appliquer le délai dérogatoire.

33. Ces risques de distorsion, qui n'appellent pas de réponse évidente à la lecture des dispositions législatives précitées, devront être traités au cas par cas, en gardant à l'esprit qu'ils n'auront qu'une durée limitée, compte tenu de la portée seulement transitoire des accords dérogatoires.

II. L'accord dérogatoire présenté

a) Les organisations professionnelles signataires de l'accord

34. L'accord a été conclu par les trois organisations professionnelles représentant les producteurs de disques et la distribution spécialisée : le Syndicat National de l'Edition Phonographique (SNEP), l'Union des Producteurs Phonographiques Français Indépendants (UPFI) et le Syndicat des Distributeurs de Loisirs Culturels (SDLC).

35. Le SNEP regroupe les fabricants (presseurs, duplicateurs, studios d'enregistrement) et les producteurs et éditeurs de phonogrammes et de vidéo-musiques.

36. Le SNEP compte parmi ses adhérents les entreprises qualifiées de "majors" de la production phonographique (Universal Music, Sony BMG Music Entertainment, EMI Music et Warner Music) et certaines maisons de disques indépendantes.

37. L'UPFI regroupe pour sa part 81 producteurs et éditeurs indépendants de phonogrammes et de vidéogrammes, et affirme représenter la majeure partie du secteur indépendant de la production phonographique.

38. Le SNEP et l'UPFI considèrent représenter à elles deux 95 % de la production phonographique française.

39. Les adhérents de ces deux organisations exercent soit l'activité de producteur phonographique, soit celle d'éditeur phonographique. Certains acteurs peuvent également exercer les deux activités simultanément.

40. Le Syndicat des Distributeurs de Loisirs Culturels (SDLC) regroupe les principaux distributeurs spécialisés dans les produits culturels et représente 45 % des entreprises et de 80 % du chiffre d'affaires des commerces spécialisés. Parmi ses adhérents se trouvent les sociétés Fnac, Virgin et Cultura, ainsi que le groupement coopératif Starter.

41. Un acteur important de l'activité disques n'est en revanche présent dans aucune de ces trois organisations professionnelles. Il s'agit de Harmonia Mundi qui est à la fois producteur, éditeur et distributeur de disques, avec pour cette dernière activité un réseau de magasins détenus en propre.

42. De plus, les Espaces Culturels Leclerc pour les Grandes Surfaces Spécialisées (GSS) ainsi que les Grandes Surfaces Alimentaires et les sites de ventes Internet (hors sites des enseignes adhérentes au SDLC : Fnac.com et Cultura.com) ne sont pas adhérents du SDLC.

b) Les activités visées par l'accord

Les activités et produits concernés par l'accord dérogatoire

43. Le champ d'application matériel de l'accord est précisément délimité par son article 3.1. Il s'agit des transactions commerciales passées entre les entreprises n'intervenant pas au même stade du processus économique et qui relèvent du secteur d'activité de chacune des organisations signataires, à savoir : d'une part, les éditeurs fabricants de disques, et d'autre part, les commerces spécialisés dans la vente au détail de disques et vidéo-musiques.

44. L'activité de grossiste a quasiment disparu du secteur, ce qui explique que les fournisseurs principaux des détaillants sont directement les producteurs et éditeurs de phonogrammes.

45. Les activités et produits concernés par l'accord sont la reproduction d'enregistrement (Code NAF 18.20Z) ainsi que l'édition (Code NAF 59.20Z) d'enregistrements sonores, et la vente de CD Audio et de DVD musicaux.

46. En revanche, la vente de musique dématérialisée et la vente à distance de CD et DVD musicaux n'entrent pas dans le champ de l'accord, selon la volonté des parties signataires.

Les données clés du secteur

47. Les chiffres d'affaires par produits communiqués par les parties à l'accord figurent dans le tableau ci-dessous.

(en millions d'euro / 2008) ventes au détail

- CD 867,9

- DVD Musicaux 66,7

Total : 934,6

48. Sur le total des ventes, la part des CD est nettement dominante, avec 93 % du chiffre d'affaires en valeur.

49. Le volume de disques vendus par les adhérents du SDLC est estimé par les signataires à 476 M€ TTC, soit 55 % de la vente au détail de disques. Pour les producteurs et éditeurs phonographiques, ce chiffre d'affaires réalisé avec les membres du SDLC représente 44,2 % de leur activité.

50. Le secteur est marqué par la diminution continue des ventes d'enregistrements musicaux sur supports physiques et qui s'accélère depuis 2002.

51. Le chiffre d'affaires des producteurs et éditeurs de disques a baissé de 60 % en 6 années (source Xerfi).

52. Le secteur de la production phonographique est dominé par les 4 majors (75 % du chiffre d'affaires du secteur de la production en 2007 et 2008 - source étude GFK). Néanmoins, la part de marché des maisons de disques indépendantes progresse et atteint 6 % en 2007 (source Xerfi).

53. Au total, les ventes se répartissent entre différents circuits de distribution tel que décrit dans le tableau ci-dessous :

<emplacement tableau>

54. Les grandes surfaces spécialisées représentent la moitié des ventes de CD et de DVD musicaux. Le deuxième circuit de distribution par ordre d'importance est constitué par les grandes surfaces alimentaires (38 % des ventes). Le commerce électronique ne représente quant à lui que 6 % des ventes en valeur, mais connaît une progression régulière (+ 16,8 % entre 2006 et 2007). La part de marché des disquaires indépendants avoisine les 6 %.

55. Les données relatives au chiffre d'affaires des adhérents du SDLC illustrent la prépondérance de la Fnac au sein de cette forme de distribution.

56. Au stade de l'édition et de la production phonographiques, 2/3 des entreprises emploient de 1 à 2 salariés, les entreprises comptant plus de 20 salariés ne représentant que 2,7 %. Quant à la distribution, la part des TPE et PME y est estimée par les signataires à 10 %.

57. Au total, le secteur concerné par l'accord se caractérise par la dégradation structurelle de ses indicateurs, notamment en termes de chiffre d'affaires, depuis 2002.

III. L'analyse de l'Autorité de la concurrence

58. La règle fixée par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008 prévoit que l'application temporaire de délais de paiement dérogatoires soit justifiée par des raisons économiques objectives et spécifiques à l'activité concernée. La loi donne comme raison possible, mais non exclusive, l'existence de délais de paiement et de stocks importants constatée pour 2007.

a) Les niveaux de stocks et de délais de paiement

59. Le SDLC estime le délai moyen de paiement pratiqué par les distributeurs spécialisés à 66 jours.

60. Il a fourni par ailleurs des données quant aux niveaux des stocks et des délais de paiement pour les principales enseignes adhérentes au syndicat. La moyenne s'établit ainsi : 112 jours en matière de stocks, 60 jours fin de mois pour les délais de paiement théoriques et 66 jours pour les délais de paiement constatés.

61. Le SDLC souligne que le délai pratiqué de 62 jours avancé par la Fnac a beaucoup influencé l'estimation du délai moyen. Les chiffres avancés par les sociétés Starter et Cultura donnent une image plus juste de la réalité de la plupart des détaillants et notamment des petites entreprises.

62. Le niveau des stocks met en évidence l'hétérogénéité de la situation des différents adhérents du SDLC. Le rapport entre le chiffre fourni par la Fnac et celui communiqué par le groupement Starter-Cultura est proche du simple au double.

63. Les moyennes nationales relevées pour le commerce par l'Observatoire des délais de paiement et la Banque de France, sont mentionnées aux fins de comparaison et à défaut de disposer de résultats spécifiques pour le secteur de la vente des disques :

<emplacement tableau>

64. Il convient de remarquer que les données relatives aux stocks sont beaucoup plus élevées dans le commerce de détail spécialisé dans le disque.

65. S'agissant des indicateurs relatifs aux délais fournisseurs, les données communiquées par les signataires suggèrent que leurs délais de paiement pratiqués sont non seulement supérieurs aux délais contractuels, mais aussi au délai moyen constaté dans le commerce de détail.

66. Compte tenu de ces éléments, il convient d'examiner les autres raisons économiques qui pourraient justifier la dérogation.

b) Les raisons économiques objectives et spécifiques au secteur

67. Les organisations signataires font état des raisons économiques tenant au nombre de références proposées, à l'importance de la distribution spécialisée pour les éditeurs indépendants, au soutien à la diversité culturelle, ainsi qu'à la prise en compte de la faiblesse de la surface financière des disquaires indépendants.

La nécessité pour les magasins spécialisés de proposer un grand nombre de références

68. Les références disponibles en magasin constituent le fonds de commerce des distributeurs spécialisés, comme pour la librairie. Le nombre de références de CD commercialisées en 2008 était de l'ordre de 292 000, dont 60 000 nouveautés.

69. A l'importance du catalogue s'ajoute la grande diversité des produits du fait des multiples genres musicaux et des goûts des consommateurs. Les parties à l'accord font état de 17 catégories de genres musicaux différents.

70. Beaucoup de détaillants doivent par conséquent conserver des stocks importants et sur une longue durée. Des données concernant deux unités de vente du groupement Starter (adhérent du SDLC) communiquées au cours de l'instruction font ainsi état d'une rotation des stocks de 154 jours pour l'un, à plus de 300 jours pour le second.

71. L'importance des stocks en magasin s'explique aussi par une relative saisonnalité des ventes, qui se concentre de façon privilégiée au cours des deux périodes de l'année, correspondant aux fêtes de Noël, fait qu'un tiers des ventes sont réalisées au cours du dernier trimestre, et aux mois de mars-avril, au cours desquels sortent de nombreuses nouveautés. Ce facteur saisonnier contribue également à expliquer le niveau de stock relativement élevé de la filière.

L'importance de la distribution spécialisée pour les éditeurs indépendants

72. L'offre commerciale des magasins spécialisée est plus importante et plus diversifiée que celle proposée dans les rayons disques des grandes surfaces alimentaires (GSA). Le maintien de cette diversité apparaît vital pour les éditeurs indépendants, pour lesquels la distribution spécialisée représente le débouché quasi-unique pour la vente de leurs disques avec 90 % de leurs ventes réalisées via ce circuit de distribution :

<emplacement tableau>

73. Cette dépendance des éditeurs indépendants vis-à-vis de la distribution spécialisée est encore accrue par le fait que leur catalogue est nettement plus diversifié que celui des majors du disque, ce qui signifie un nombre de titres proportionnellement plus important au regard de la taille de l'éditeur et un nombre de ventes unitaires par titre plus faible. La probabilité pour un éditeur indépendant d'avoir un disque obtenant un très fort tirage est donc faible, ce qui rend leurs produits peu attractifs pour les grandes surfaces généralistes :

<emplacement tableau>

74. L'accord vise ainsi à conforter la distribution spécialisée dans le disque, qui est essentielle pour les producteurs indépendants.

75. Cette forme de distribution a certes gagné des parts de marché au cours de ces dernières années, notamment au détriment des GSA et le nombre de magasins a augmenté (427 en 2007, contre 254 en 2001). Mais, les trois premières enseignes du secteur en termes de chiffre d'affaires ont vu diminuer l'offre et les ventes de disques, au profit de l'électronique grand public (cas de la Fnac) ou des livres (cas de Virgin et Cultura).

Le soutien de la création et de la diversité culturelle

76. La diversité de l'offre s'explique aussi par le choix avancé par les parties à l'accord de promouvoir les nouveaux talents, ce qui implique une durée d'exposition à la vente relativement longue et une influence certaine sur les niveaux de stock.

77. La profession a communiqué, en ce sens, la part dévolue aux nouveaux talents dans la commercialisation de la musique :

<emplacement tableau>

78. Toutefois, ces informations sont susceptibles d'interprétations contradictoires, puisqu'elles mettent aussi en évidence la concentration de l'effort commercial des éditeurs sur les interprètes au succès confirmé et réalisant de fortes ventes.

Les enjeux financiers pour les détaillants indépendants

79. L'accord dérogatoire devrait également permettre de préserver les détaillants indépendants, lesquels représentent aujourd'hui 6 % des ventes.

80. La surface financière de ces petites entreprises ne leur permettrait pas de faire face à l'application immédiate du délai légal de paiement et à l'important besoin de trésorerie en découlant, de l'ordre de l'équivalent d'un mois de chiffre d'affaires voire plus. Ces petits disquaires sont aussi souvent présents dans les villes ne disposant pas d'une grande surface spécialisée dans les produits culturels.

81. En définitive, la nécessité pour le secteur du disque de conforter une distribution spécialisée, qui se caractérise par une offre développée et diversifiée dans les magasins, avec beaucoup de disques connaissant une faible rotation annuelle, répond à l'existence de raisons économiques spécifiques au secteur prévue par la loi.

c) Le calendrier de réduction des délais de paiement convenu entre les parties

82. Les signataires ont fixé leur calendrier de réduction progressive tel que figurant ci-dessous :

au 1er janvier 2009 60 jours fin de mois

au 1er janvier 2010 55 jours fin de mois

au 1er janvier 2011 50 jours fin de mois

au 1er janvier 2012 Délai légal de 45 jours fin de mois

83. Les engagements pris apparaissent cohérents avec la situation constatée aujourd'hui en matière de délais de paiement pratiqués par la profession, avec un délai moyen égal à 66 jours sur la base des données communiquées par la profession (cf. point 59 supra).

84. A partir de cette situation initiale, les engagements pris organisent une réduction régulière de 5 jours par an sur l'ensemble de la période. Leur crédibilité ne semble donc pas contestable.

d) Les réserves suscitées par plusieurs dispositions de l'accord

Le recours privilégié aux paiements électroniques

85. L'article 6 de l'accord préconise le développement de l'usage par la profession des moyens de paiement électroniques.

86. L'objectif est certes louable, mais il n'a pas sa place dans un accord fixant des délais de paiement entre entreprises dérogeant au délai légal. Comme l'a souligné l'Autorité dans un avis antérieur sur un accord dans le secteur du matériau pour le BTP (09-A-06). Étant donné le grand nombre potentiel d'accords dérogatoires, le risque existe que se multiplie ce type de clause étrangère à l'objet strict de l'accord prévu par la loi, conduisant à créer une nouvelle source de droit dérivé.

L'encadrement par l'accord du rythme de réduction des surfaces de vente à l'avenir

87. L'article 4 de l'accord dérogatoire prévoit à son 2ème alinéa le dispositif suivant : " Pendant la durée du présent accord, chaque adhérent du SDLC s'engage formellement à ne pas réduire les surfaces totales consacrées à la vente de CD albums et DVD vidéo-musiques à un rythme supérieur au pourcentage de baisse des marchés respectifs du CD album et DVD vidéo-musiques en France pour la même année de référence. Pour l'application du présent engagement, les parties s'accordent pour considérer que les données fourniers par l'institut IFP/GFK serviront de référence. "

88. Un tel engagement n'a pas juridiquement sa place dans un accord dérogatoire en matière de délais de paiement, en vertu de la même remarque que celle effectuée précédemment à propos des moyens de paiement utilisés. En l'espèce, il reviendrait à réguler par décret les surfaces de ventes dédiées aux disques dans les magasins spécialisés.

89. Par ailleurs, ce type de clause serait susceptible d'avoir un effet anticoncurrentiel, les signataires de l'accord s'engageant à contrôler l'accès au marché par le biais de la régulation des surfaces de vente dédiées au disque dans les magasins.

90. Cette disposition devra donc être retirée de l'accord dérogatoire ou formellement exclue de la partie de l'accord validé par le décret.

e) Les distorsions de concurrence éventuelles inhérentes au périmètre de l'accord dérogatoire

91. L'Autorité rappelle sa position de principe sur le sujet des accords dérogatoires de délais de paiement, recommandant au ministre l'extension des accords validés à l'ensemble des entreprises dont l'activité relève des organisations professionnelles, comme la possibilité en est ouverte par la loi de 2008.

92. L'Autorité a seulement connaissance de trois situations particulières : les éditeurs et producteurs phonographiques non représentés par l'UPFI et le SNEP, les grandes surfaces spécialisées en produits culturels non représentées par le SDLC, ainsi que le cas de la vente à distance de disques et de DVD musicaux actuellement exclue du champ de l'accord.

L'extension à l'ensemble de la production et de l'édition phonographiques

93. Au stade de la production et de l'édition phonographiques, les deux organisations signataires concernées affirment représenter ensemble 95 % du secteur.

94. La délimitation du champ d'application telle que contenue dans l'accord ne paraît pas de plus s'opposer à l'extension à l'ensemble des producteurs et éditeurs phonographiques non représentés dans l'accord, à l'instar de la société Harmonia Mundi évoquée plus haut.

95. Au vu des ces éléments, cette extension apparaît souhaitable.

L'extension à l'ensemble des grandes surfaces spécialisées en produits culturels

96. S'agissant de la représentativité du SDLC, ce dernier indique représenter 80 % du circuit des commerces spécialisés dans la vente de disques. Le problème se pose de la possibilité d'extension aux autres distributeurs spécialisés en produits culturels, notamment les magasins sous enseigne "Espace Culturel E. Leclerc", représentant 35 % des points de ventes spécialisés en produits culturels en 2007 selon l'étude Xerfi précitée.

97. En premier lieu, tant l'étude sectorielle Xerfi que l'étude citée par les signataires à l'appui de leur demande de dérogation (Institut GFK), incluent dans la catégorie des grandes surfaces spécialisées en produits culturels ce type de magasins.

98. En second lieu, la délimitation par l'accord lui-même de son champ d'application ne paraît pas s'opposer à l'extension de l'accord à l'ensemble des distributeurs spécialisés dans la vente de disques.

99. Au vu de ces éléments, cette extension apparaît également souhaitable.

L'extension à la vente à distance

100. Le champ d'application de l'accord mentionne les commerces spécialisés dans la vente de disques, qui disposent d'un ou de plusieurs magasins de vente au détail et dont l'activité porte sur la vente de disques aux consommateurs nécessitant une offre large ou d'autres biens culturels.

101. Cette rédaction exclut de fait la vente à distance du périmètre de l'accord.

102. La Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD) a pour vocation de fédérer l'ensemble des acteurs du e-commerce et de la vente à distance, quels que soient le secteur et le support de communication utilisés. Aujourd'hui, la FEVAD regroupe plus de 430 entreprises et près de 600 sites internet, dans le domaine de la vente aux particuliers, de la vente aux professionnels ou encore celui de la vente entre internautes.

103. La FEVAD compte parmi ses membres les grandes enseignes de vente à distance, les principaux spécialistes de la vente sur internet (pure-players), ainsi que de très nombreux sites de e-commerce issus d'enseignes du commerce de détail, de la presse ou du luxe. Elle compte parmi ses adhérents les enseignes Kelkoo.com (comparateur de prix), Amazon.com, Cdiscount.fr ou encore PriceMinister.com (sites de ventes à distance). Une particularité réside dans le fait que l'enseigne Fnac.com adhère à la FEVAD et non le site Cultura.com, alors que les enseignes de ventes en magasin de ces deux marques sont membres du SDLC. La FEVAD a signé les accords dérogatoires des secteurs du livre et du textile.

104. Au total, la FEVAD compte douze enseignes qui vendent des produits musicaux et qui représentent 80 % de la vente à distance des produits musicaux.

105. La FEVAD a souhaité bénéficier de l'accord disque en cas de validation par le pouvoir réglementaire, et en a formellement fait la demande auprès des organisations signataires, qui ont refusé par courrier du SNEP en date du 20 mai 2009.

106. La FEVAD considère que ses adhérents et les grandes enseignes spécialisées ont des conditions de fonctionnement comparables et que de plus, ces enseignes sont également présentes sur la vente internet en détenant leur propre site commercial (Fnac.com, Cultura.fr, Virgin.fr) en parallèle avec leur réseau de magasins.

107. A l'appui de sa demande, la FEVAD a communiqué les éléments suivants lors de l'instruction :

- la part des disques dans le total des ventes de produits culturels est de 26 % pour le commerce électronique et de 33 % en ce qui concerne la vente en magasin, ce qui souligne les similarités entre les deux formes de distribution ;

- le niveau de stocks et les délais de paiement sont comparables dans les deux formes de distribution. La vente à distance nécessite la constitution de stocks importants, certes avec des situations hétérogènes (de 0 à 104 jours de rotation parmi les adhérents de la FEVAD), le principal acteur (Amazon.com) faisant état d'une rotation de stocks de 60 à 80 jours. Les délais de paiement aux fournisseurs sont de l'ordre de 70 à 90 jours ;

- les raisons à la constitution de stocks importants répondent à l'exigence partagée par les magasins d'offrir immédiatement aux consommateurs une offre musicale abondante et diversifiée. L'attente du consommateur sur ce point est d'ailleurs plus grande à l'égard des sites internet enseigne ; Amazon.com avance ainsi le chiffre de 2,5 millions de références disponibles sur son site.

108. Ces similitudes des conditions de fonctionnement économique des deux formes de distribution doivent, de plus, être complétées par le fait que les principaux distributeurs spécialisés (Fnac, Virgin et Cultura) exploitent à la fois des magasins et un site de vente. Les distributeurs spécialisés bénéficieraient ainsi des délais de paiement dérogatoires pour leurs approvisionnements en disque, quel que soit en définitive le mode de vente effectif des produits. Les entreprises vendant exclusivement à distance seraient quant à elles contraintes d'appliquer le délai légal de paiement.

109. Une telle situation ne peut que créer des distorsions de concurrence. Confrontée à la même configuration de marché pour le livre et aux mêmes opérateurs, l'Autorité a d'ailleurs recommandé l'application de l'accord dérogatoire aux entreprises concernées de la FEVAD lors de son avis relatif à l'accord dérogatoire conclu pour le livre (09-A-08).

110. Enfin au cours de l'instruction, le SDLC a fait état de ce que ses adhérents étaient dans l'incapacité de distinguer, au niveau des achats, les flux comptables concernant les magasins et ceux concernant leur site de e-commerce.

111. En conséquence, le SDLC a jugé qu'il était peu concevable de maintenir sa position initiale et a décidé de ne pas s'opposer à ce que l'accord dérogatoire soit étendu aux membres de la FEVAD.

112. Compte tenu des éléments qui précèdent, l'extension de l'accord dérogatoire pour le secteur du disque aux entreprises de la vente à distance ne peut qu'être recommandée.

CONCLUSION

L'Autorité de la concurrence émet un avis favorable à l'accord dérogatoire dans le secteur du disque, et propose son extension aux opérateurs placés dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité ou agissant dans le secteur de la vente à distance de CD et de DVD musicaux. Elle recommande :

- de ne pas tenir compte de l'engagement des distributeurs de promouvoir les moyens de paiement électroniques (article 6) ;

- de ne pas tenir compte de l'engagement portant sur un rythme de réduction des surfaces de vente déterminé par avance et commun aux distributeurs (article 4, 2ème alinéa).

Délibéré sur le rapport oral de M. Emmanuel Protassieff et l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mme Anne Perrot et M. Patrick Spilliaert, vice-présidents.