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Décisions

ADLC, 26 juin 2009, n° 09-A-37

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif à un accord dérogatoire aux délais de paiement dans le secteur de l'agrofourniture

ADLC n° 09-A-37

26 juin 2009

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre du 17 mars 2009, enregistrée sous le numéro 09/0034 A, par laquelle le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement dans le secteur de l'agrofourniture ; Vu la loi 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint et le commissaire du Gouvernement entendus au cours de la séance du 23 juin 2009 ; Les représentants des organisations professionnelles signataires de l'accord dérogatoire entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce. Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations suivantes :

1. Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi, le 17 mars 2009, l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis portant sur un accord dérogatoire en matière de délais de paiement concernant le secteur de l'agrofourniture au titre de l'article 21-III, de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008.

2. Ce dernier texte a instauré un délai de paiement maximal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets pour les transactions entre entreprises, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2009. L'article L. 441-6 du Code de commerce, neuvième alinéa, dans sa rédaction issue de l'article 21 de la loi de modernisation de l'économie, dispose en effet que, à compter du 1er janvier 2009, " le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture ". En l'absence de convention, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Les professionnels qui ne respecteraient pas ces dispositions s'exposent aux sanctions de l'article L. 442-6-III du Code de commerce, et notamment à une amende civile.

3. Toutefois, l'article 21-III de la loi du 4 août 2008 prévoit une possibilité de dérogation temporaire. Un accord interprofessionnel permet en effet de différer l'application du délai légal de paiement dans le secteur économique concerné à la condition que des raisons économiques particulières à ce secteur justifient ce report et qu'une réduction progressive des délais pratiqués soit mise en place par cet accord pour parvenir au délai légal au plus tard le 1er janvier 2012.

4. L'accord doit être approuvé par un décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence, qui peut prévoir son extension à l'ensemble des entreprises dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord.

5. La disposition législative est rédigée dans les termes suivants :

" III. Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que des accords interprofessionnels dans un secteur déterminé définissent un délai de paiement maximum supérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 du Code de commerce, sous réserve :

1°) Que le dépassement du délai légal soit motivé par des raisons économiques objectives et spécifiques à ce secteur, notamment au regard des délais de paiement constatés dans le secteur en 2007 ou de la situation particulière de rotation des stocks ;

2°) Que l'accord prévoie la réduction progressive du délai dérogatoire vers le délai légal et l'application d'intérêts de retard en cas de non-respect du délai dérogatoire fixé dans l'accord ;

3°) Que l'accord soit limité dans sa durée et que celle-ci ne dépasse pas le 1er janvier 2012.

Ces accords conclus avant le 1er mars 2009, sont reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis du Conseil de la concurrence.

Ce décret peut étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".

I. Le cadre économique et juridique des accords dérogatoires en matière de délais de paiement

6. Le crédit que les entreprises s'accordent dans leurs échanges commerciaux, communément dénommé délais de paiement, recouvre des enjeux économiques et concurrentiels.

a) Le contexte économique

7. Le crédit commercial interentreprises représente, selon les données de la centrale des bilans de la Banque de France pour l'année 2005, un montant de 604 milliards d'euro pour l'ensemble de l'économie, qui est à rapprocher de l'encours de 133 milliards d'euro pour le crédit bancaire à court terme.

8. Au plan international, les comparaisons effectuées par la Banque de France pour 6 pays (Allemagne, France, Espagne, Italie, Japon et États-Unis), montrent que la France est, après l'Italie, le pays ayant les règlements les plus tardifs, avec une tendance longue à l'augmentation du poids des dettes fournisseurs dans le total des bilans des entreprises.

9. Les délais de paiement importants accordés aux clients pèsent sur la trésorerie des entreprises, lorsqu'ils ne sont que partiellement compensés par les délais obtenus des fournisseurs. Le besoin de financement ainsi créé par l'exploitation est couvert par l'endettement bancaire, direct (crédits de trésorerie) ou indirect (mobilisation des créances commerciales et affacturage), ce qui pose deux problèmes aux entreprises.

10. En premier lieu, le volume de financement et son coût dépendent de la taille de l'entreprise et de la perception de son secteur d'activité par la banque : autant de critères peu favorables d'une façon générale aux PME et aux entreprises en position de sous-traitance.

11. En second lieu, les ressources mobilisées le sont aux dépens du financement de la croissance de l'activité, de l'innovation et de l'investissement. Une telle situation est préjudiciable au développement de l'entreprise, mais aussi à la pérennité et à la vitalité du tissu industriel de PME, dès lors que le phénomène est généralisé à un secteur d'activité.

12. Les délais excessifs représentent, en conséquence, un risque économique et financier pour le partenaire le plus faible, la filière concernée, voire l'économie locale.

13. L'importance du crédit interentreprises accroît les risques de défaillances en cascade d'entreprises, le défaut de paiement se propageant aux entreprises de la filière ainsi qu'aux autres fournisseurs, avec leurs conséquences économiques et sociales à l'échelle d'une localité ou d'une région.

b) L'enjeu concurrentiel

14. Parallèlement, les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et viennent réduire le prix de revient effectif de ses achats.

15. Les délais de paiement affectent ainsi les conditions de concurrence. Les délais obtenus de ses fournisseurs par une entreprise et sa capacité à obtenir leur allongement ont un impact direct sur sa compétitivité par rapport à ses concurrents sur le marché, en lui procurant une trésorerie gratuite pour financer son exploitation et son développement.

16. A côté d'autres éléments, comme par exemple le prix unitaire, la politique de remises, le volume acheté, la durée du contrat ou l'achalandage, les délais de paiement doivent être appréciés comme un des éléments de la relation commerciale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques.

17. Il est ainsi dans la logique de la concurrence entre les formes de distribution que chacune se distingue quant à certains éléments constitutifs de la relation commerciale.

c) L'extension des accords dérogatoires à l'ensemble des entreprises d'un secteur

18. Un accord dérogatoire a pour effet de donner aux entreprises concernées la possibilité d'obtenir, dans leurs relations avec leurs fournisseurs, des délais de paiement plus favorables que le délai légal de 60 jours nets, pendant la durée de la validité de l'accord. Les entreprises couvertes par l'accord dérogatoire bénéficient ainsi d'un avantage.

19. Une distorsion de concurrence pourrait résulter de ce qu'un accord ne s'applique pas à l'ensemble des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité.

20. Ce risque potentiel pour le jeu de la concurrence est pris en compte par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008, qui ouvre la possibilité pour le décret validant un accord interprofessionnel conclu dans un secteur déterminé " d'étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires de l'accord ".

21. L'extension par décret d'un accord dérogatoire a ainsi pour effet pratique d'appliquer le dispositif de cet accord à la totalité des entreprises relevant des organisations professionnelles signataires, que ces entreprises soient adhérentes ou non à l'une de ces organisations.

22. A titre général, l'Autorité de la concurrence considère donc que l'extension est souhaitable pour toutes les demandes d'accord dérogatoire en matière de délais de paiement.

23. Ce principe posé, plusieurs questions peuvent être soulevées au regard de l'objectif d'assurer la plus grande neutralité possible des accords dérogatoires au regard de la concurrence.

24. En premier lieu, le champ retenu par le décret d'extension devra être traité. Les accords déjà conclus donnent en effet lieu à des demandes d'adhésion de la part d'organisations professionnelles qui n'étaient pas parties aux négociations. Il semble peu conciliable avec le jeu de la concurrence de laisser aux seules organisations signataires de l'accord initial la décision d'accepter ou de refuser ces nouvelles demandes, sans qu'ait lieu un contrôle minimal de la part du pouvoir réglementaire.

25. L'Autorité recommande en ce sens au ministre de préciser le champ d'application de l'extension dans le décret, afin de faciliter l'application et le contrôle des règles en matière de délais de paiement et du pouvoir réglementaire.

26. L'autre question concerne le cas des entreprises présentes sur différents secteurs ou activités, dont une activité, sans constituer l'activité principale, est couverte par un accord dérogatoire existant. Cette situation concerne les cas de figure distincts de la grande distribution généraliste et des industriels multi-activités.

27. Premier cas de figure, la grande distribution généraliste (hypermarchés et supermarchés) est en concurrence, au moins sur une partie de l'offre, avec les distributeurs spécialisés. Elle pourrait ainsi souhaiter bénéficier des accords dérogatoires en matière de délais de paiement conclus par des distributeurs spécialisés avec leurs fournisseurs.

28. Pour se prononcer sur ce point, l'Autorité procèdera, dans chaque cas d'espèce, à une analyse et à une comparaison des caractéristiques de l'offre commerciale de chaque circuit de distribution.

29. Toutefois, deux remarques générales peuvent être avancées. D'une part, les délais de paiement ne constituent qu'un élément parmi d'autres définissant la relation commerciale entre un acheteur et son fournisseur. Comme il a déjà été dit, il est dans la logique de la concurrence entre les différentes formes de distribution que chacune se singularise sur tel ou tel élément de la relation commerciale.

30. D'autre part, le droit de la concurrence reconnaît que les conditions et les modalités de concurrence entre les opérateurs n'ont pas à être identiques, dans la mesure où les différenciations relèvent de considérations objectives.

31. Le second cas de figure porte sur les fournisseurs présents, non pas à titre principal mais pour une partie moins importante de leur activité, dans un secteur couvert par un accord dérogatoire.

32. Dans cette hypothèse, l'accord dérogatoire peut créer une distorsion de concurrence entre les fournisseurs relevant des organisations signataires, qui pourront appliquer des délais plus longs jusqu'à fin 2011, et ceux non couverts par l'accord, qui sont face à l'alternative de se placer dans l'illégalité ou de risquer de perdre un client si celui-ci leur demande d'appliquer le délai dérogatoire.

33. Ces risques de distorsion, qui n'appellent pas de réponse évidente à la lecture des dispositions législatives précitées, devront être traités au cas par cas, en gardant à l'esprit qu'ils n'auront qu'une durée limitée, compte tenu de la portée seulement transitoire des accords dérogatoires.

II. L'accord dérogatoire présenté

1. LES PARTIES ET L'ACTIVITÉ CONCERNÉES PAR L'ACCORD DÉROGATOIRE

a) Organisations professionnelles signataires

34. L'accord dérogatoire a été conclu entre les organisations représentatives de la distribution d'agrofournitures aux producteurs agricoles et celles représentant les producteurs agricoles, en tant qu'acheteurs de ces produits intermédiaires : pour les distributeurs par la Fédération du Négoce Agricole (FNA) et par Coop de France ; pour les producteurs agricoles par la FNSEA et par Jeunes Agriculteurs (JA).

Pour les distributeurs :

Coop de France représente les coopératives agricoles ayant une activité de commercialisation ou de distribution d'agrofournitures, de conseil et de services liés à la production, tant en système de production végétale que d'élevage.

La FNA représente les entreprises de négoce agricole ayant une activité de commercialisation ou de distribution d'agrofournitures, de conseil et de services liés à la production tant en système de production végétale que d'élevage.

35. Les deux fédérations représentent plus de 90 % des ventes de l'agrofourniture aux producteurs agricoles, cette représentativité étant différenciée selon les familles de produits. Le tableau suivant illustre la représentativité par famille de produits des deux fédérations, exprimée en parts de ventes de l'agrofourniture :

Famille de produits taux de représentativité des deux fédérations signataires (% des ventes)

Engrais, fertilisants et supports de cultures 95

Semences, plants et bulbes 80

Produits de protection des plantes 98

Aliments pour animaux 70

Jeunes volailles (" volaille d'un jour ") destinées à la production animale 60-70

Matériels liés aux cycles de production et au conditionnement des produits (1) >80

36. Le secteur coopératif, fournisseur d'agrofournitures, est composé d'environ 3 200 coopératives, hétérogènes selon la taille, le type de production et la région. Il comprend également 12 500 coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA).

37. Le négoce en agrofournitures est assuré par 450 PME, dont la structure est familiale pour 95 % d'entre elles.

Pour les fournisseurs :

38. La FNSEA et JA représentent les producteurs agricoles exerçant une activité professionnelle, soit à titre individuel soit en société :

La FNSEA est le premier syndicat national d'exploitants agricoles. Elle est structurée en 90 fédérations départementales et en syndicats locaux, qui assurent une représentation géographique. La représentation par production est assurée par 37 syndicats spécialisés ;

JA représente les jeunes agriculteurs de moins de 35 ans, en phase d'installation.

39. La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs sont considérés comme représentatifs (2) du secteur de la production agricole au sens du décret 90-187 du 28 février 1990 relatif à la représentativité, dès lors qu'ils ont obtenu 57,31 % des voix lors des élections de 2007 aux chambres d'agriculture.

b) Le secteur d'activité concerné par l'accord

40. Le secteur d'activité concerné par l'accord dérogatoire est celui de la vente d'agrofournitures aux producteurs agricoles, qui sont nécessaires aux productions végétales et animales. Cela vise donc les intrants nécessaires à ces productions.

41. Est considéré comme producteur agricole toute personne physique ou morale exerçant à titre habituel des activités agricoles au sens de l'article L. 311-1 du Code rural.

42. Les produits concernés sont limitativement définis par l'accord qui dénombre sept familles de produits. Il s'agit :

- des engrais, fertilisants et supports de culture ;

- des semences, plants et bulbes ;

- des produits de protection des plantes ;

- des aliments pour animaux ;

- des produits d'hygiène et de prophylaxie pour l'élevage ;

- des volailles dites d'un jour, destinées aux activités de production ;

- des matériels liés aux cycles de production et au conditionnement des produits, dont la liste détaillée figure en annexe II de l'accord.

43. Il ressort des précisions données au cours de l'instruction que sont exclus du champ d'application de l'accord tous les intrants non expressément visés et notamment le machinisme agricole, l'énergie, le carburant ainsi que le bétail sur pieds.

44. L'accord initial inclut enfin " les services aux producteurs agricoles nécessaires aux productions végétales et animales ", associés à l'utilisation de certaines agrofournitures.

45. Les consommations intermédiaires de la production agricole retracées par les comptes de la nation (3) représentent un chiffre d'affaires de 24,3 milliards d'euro qui se répartit entre les fertilisants (18 %), les produits de protection des plantes (12 %), les semences (8 %) et les aliments pour le bétail (62 %). Cette dernière catégorie représente un chiffre d'affaires de 15 milliards d'euro, dont 9 milliards en provenance de l'industrie de l'alimentation et 6 milliards intra consommés par la filière agricole.

III. L'analyse de l'Autorité de la concurrence

1. LES RAISONS ÉCONOMIQUES SUSCEPTIBLES DE JUSTIFIER L'ACCORD DÉROGATOIRE

46. La règle fixée par l'article 21-III de la loi du 4 août 2008 consiste à justifier l'application temporaire de délais de paiement dérogatoires par des raisons économiques objectives et spécifiques à l'activité concernée. La loi donne comme raison possible, mais non exclusive l'existence de délais de paiement et de stocks importants constatée pour 2007.

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a) L'existence de délais de paiement importants

47. Les signataires font état dans leur accord de délais de paiement des agrofournitures pouvant aller de 90 à plus de 200 jours, variant selon les produits intermédiaires, les productions et les producteurs, dans les conditions précisées ci-dessous :

<emplacement tableau>

48. S'agissant des produits de l'agrofourniture destinés à la production végétale, les délais de paiement sont de 150 jours ou plus pour les producteurs concernés. Les délais de paiement de l'agrofourniture à l'usage de la production vitivinicole varient entre 150 et plus de 210 jours pour la moitié des producteurs. En production animale, l'alimentation porcine est réglée à moins de 150 jours alors que les délais de paiement varient entre 90 et 180 jours selon les volailles, pour les consommations intermédiaires d'aliments ou de jeunes volailles de la moitié des producteurs.

49. Ces données qui ne peuvent être recoupées avec celles de l'observatoire des délais de paiement mettent en évidence une tendance générale à des règlements longs de leurs consommations intermédiaires d'agrofourniture, par les producteurs agricoles.

50. Ce constat conduit à ne pas limiter l'appréciation de la pertinence de l'accord dérogatoire aux seules valeurs du cycle d'exploitation et à prendre aussi en considération les raisons économiques propres au secteur.

b) Les raisons économiques objectives et spécifiques au secteur

51. Les organisations signataires de l'accord font état de la spécificité de la production agricole végétale ou animale, rythmée de manière incontournable par le cycle de la nature et des saisons. Le modèle économique de la filière agricole qui en découle est fondé sur des cycles de production longs associés à une immobilisation longue de consommations intermédiaires anticipées, très décalées dans le temps par rapport à la vente des productions agricoles. Cette situation se traduit par un besoin de trésorerie des producteurs agricoles, durant une période variable en fonction des cycles de production. En conséquence, le modèle de la distribution d'agrofournitures aux producteurs agricoles est associé à des délais de paiement entre fournisseurs et distributeurs supérieurs aux délais légaux visés par l'article L. 441-6 du Code de commerce.

Des cycles de production agricole longs, associés à une immobilisation adaptée des intrants

52. En matière de production végétale, le cycle complet de production peut s'étaler sur 11 mois et varie entre 60 et 180 jours pour la production animale. Dans ce cas, il correspond à la période d'élevage des animaux en vue de leur consommation.

53. La durée des cycles de production conduit à une immobilisation longue des produits d'agrofournitures achetés aux distributeurs. Pour des raisons logistiques et afin d'étaler les livraisons aux producteurs en fonction du déroulement du cycle de production, les distributeurs pratiquent des livraisons anticipées (livraisons dites de " morte saison ") commandées très en amont de la vente des produits agricoles. Il en découle un besoin de trésorerie élevé chez les producteurs agricoles, durant une période variant en fonction du cycle de production.

Un besoin de trésorerie financé par le crédit fournisseur suivi d'un règlement décalé des achats au moment de l'encaissement du produit de la récolte ou de la vente des animaux " finis "

54. Cette situation a conduit les distributeurs à consentir des délais de paiement, de telle sorte que les producteurs agricoles paient leurs consommations intermédiaires d'agrofournitures au moment où ils sont eux-mêmes payés de leur récolte, de leurs livraisons (animaux, fruits et légumes) ou de leurs retiraisons (vins).

55. Jusqu'à l'instauration par la loi du 4 août 2008 d'un délai de paiement maximal applicable à toutes les professions, les agriculteurs étaient normalement réglés selon les usages des activités concernées ou selon les délais légaux fixés par l'article L. 443-1 du Code de commerce pour certains produits. Tel est le cas des ventes d'animaux destinés à la boucherie (délai de 20 jours après la livraison) ou du vin (75 jours).

56. Ainsi pour les productions végétales, les achats d'agrofournitures effectués en automne de l'année précédant la récolte ou au printemps suivant, sont aujourd'hui payés au cours des mois de récolte, soit de juillet à décembre selon les productions. Pour les volailles, le paiement par le producteur agricole des jeunes animaux et des aliments est effectué au moment de la vente des animaux finis, variable selon les espèces (entre 90 jours pour un poulet standard et 180 pour une dinde). S'agissant de la production porcine, les aliments sont également payés au moment de la vente des animaux finis soit dans des délais pouvant aller jusqu'à 150 jours.

57. Dans l'hypothèse d'une application immédiate de la loi du 4 août 2008, les producteurs devraient donc payer sur un exercice l'équivalent de deux campagnes d'agrofournitures.

58. En conséquence, le secteur a besoin d'un délai de transition pour s'adapter aux nouvelles règles de délais de paiement et envisage d'utiliser en totalité la période d'adaptation ouverte par la loi du 4 août 2008, jusqu'au 1er janvier 2012, afin de mettre en œuvre une dégressivité des délais de paiement.

IV. Les engagements pris dans le cadre de l'accord dérogatoire

59. L'accord joint à la saisine ministérielle en date du 23 février 2009 a fait l'objet, à la suite de l'instruction par l'Autorité, d'un avenant en date du 3 juin 2009, qui précise le champ d'application des services associés à l'agrofourniture (article 1er de l'avenant modifiant le paragraphe III de l'accord), qui modifie l'échéancier des délais dérogatoires de la première année de la période transitoire (article 2 de l'avenant modifiant le paragraphe V de l'accord) et qui supprime le comité de suivi institué par le paragraphe VIII de l'accord (abrogation par l'article 3 de l'avenant).

a) Champ d'application

60. L'accord initial inclut " les services aux producteurs agricoles nécessaires aux productions végétales et animales ". A la suite de l'instruction par l'Autorité de la concurrence, les services éligibles ont fait l'objet d'un avenant en date du 3 juin 2009, destiné à assurer la cohérence entre les services visés par le paragraphe 1 du III de l'accord, conduisant à une acception extensive, et le champ restreint découlant de la volonté des parties, tel qu'il résulte du paragraphe 2. En définitive, les services retenus sont ceux associés à l'utilisation et à l'application des produits figurant aux trois premiers alinéas de la liste des produits concernés par l'accord.

61. L'article 1er de l'avenant régularise le champ d'application des services concernés par l'accord.

b) Le calendrier de réduction des délais de paiement convenu par les parties

62. L'article 27-III de la loi du 4 août 2008 demande la mise en place par l'accord interprofessionnel d'une réduction progressive des délais de paiement dérogatoires, afin de parvenir au délai légal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours nets au plus tard le 1er janvier 2012.

63. Les organisations signataires se sont engagées sur un calendrier de réduction des délais de paiement dérogatoires, différencié selon la nature des productions (animales ou végétales), calculé en délais maximum, nets ou fin de mois et permettant d'atteindre le délai cible en quatre paliers à compter du 1er janvier 2009.

64. Le tableau suivant présente les échéanciers des délais de paiement de l'agrofourniture, propres à chacune des filières de production :

<emplacement tableau>

65. Le dispositif proposé est adapté aux délais constatés pour les deux principales filières de production, la filière végétale enregistrant des délais de paiement des agrofournitures sensiblement supérieurs à la ceux de la filière animale (4). La différenciation des échelles de réduction des délais traduit cette hétérogénéité.

66. La réduction des délais de paiement sur la période dérogatoire est progressive et équilibrée sur la période transitoire, avec une réduction annuelle de 60 jours au cours des deux premiers exercices puis de 30 jours pour la production végétale. La réduction des délais est uniforme, à raison de 20 jours par an, pour la filière animale. Ces réductions conduisent aux délais légaux au 1er janvier 2012.

67. Le palier au 1er janvier 2009 (210 jours nets pour la production végétale et 120 jours nets pour la production animale) traduit principalement l'effort de réduction de leurs délais de paiement par les producteurs ayant les délais les plus longs. Cela vise pour la filière végétale non vitivinicole, entre 40 et 60 % des exploitants, mais seulement 20 % pour la viticulture. Afin de prendre en compte l'effort déjà consenti par les professionnels au cours du premier semestre 2009 et de répartir la réduction de manière équilibrée sur la période transitoire, il a été proposé aux signataires de fixer un palier intermédiaire au 1er juillet 2009. Cette proposition a été entérinée par les parties dans l'avenant du 3 juin 2009, qui crée au 1er juillet 2009, un palier de 180 jours nets pour le paiement des ventes d'agrofournitures destinées à la production végétale et de 110 jours nets pour les agrofournitures destinées à la production animale. L'échéancier de réduction des années suivantes reste inchangé. Il en ressort le calendrier de réduction suivant qui se substitue à celui de l'accord initial :

<emplacement tableau>

c) Comité de suivi

68. Le paragraphe VIII de l'accord prévoit la réunion régulière et au moins annuelle des parties sous la forme d'un comité de suivi afin de faire le point sur la bonne application de l'accord.

69. Au cours de l'instruction, les parties signataires ont accepté de renoncer à constituer ce comité, dès lors que sa mise en place aurait pu conduire à une police de l'accord et favoriser le rapprochement des parties signataires à des fins sans rapport avec son objet, de nature potentiellement anticoncurrentielle.

70. L'article 3 de l'avenant du 3 juin 2009 supprime le paragraphe litigieux de l'accord et abroge de fait la référence à un comité de suivi de l'accord.

d) Les distorsions de concurrence éventuelles inhérentes au périmètre de l'accord dérogatoire

71. Les parties à l'accord demandent que le décret ministériel étende les délais dérogatoires à tous les opérateurs dont l'activité relève des organisations professionnelles signataires, dès lors qu'ils réalisent des opérations de commercialisation des produits visés, auprès des producteurs agricoles.

72. A titre général, l'extension est souhaitable afin d'éviter des distorsions de concurrence entre des entreprises placées dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité mais aussi pour ne pas lier le bénéfice de l'accord à la condition d'appartenance aux organisations signataires.

73. Du côté des distributeurs d'agrofournitures, il est souhaitable, pour éviter toute distorsion de concurrence, d'étendre l'accord aux opérateurs non adhérents à COOP de France et à la FNA, placés dans une situation comparable quant à l'exercice de leur activité. Cette disposition pourra concerner aussi bien les coopératives agricoles et les négociants qui commercialisent ou distribuent les agrofournitures visées par l'accord, que d'autres entités assurant le commerce et la distribution des mêmes produits aux producteurs agricoles. A ce titre, l'extension pourrait concerner notamment les adhérents du Syndicat de l'Industrie de la Nutrition Animale (SNIA).

74. S'agissant des producteurs agricoles, au sens de l'accord, il est proposé d'étendre son bénéfice aux adhérents de syndicats professionnels autres que la FNSEA et JA, ainsi qu'aux producteurs non affiliés à un syndicat.

CONCLUSION

L'Autorité donne un avis favorable à l'accord dérogatoire dans la version modifiée par l'avenant du 3 juin 2009 et propose son extension dans les conditions visées aux paragraphes 73 et 74.

Notes

1 Détail en annexe II de l'accord.

2 Lettre du 12 février 2009 de la Directrice des Affaires Juridiques du Ministère de l'agriculture et de la pêche.

3 Compte prévisionnel de la branche agriculture en 2008- Agreste n°4-janvier 2009.

4 Les délais extrêmes sont compris entre 150 et plus de 240 jours pour la production végétale contre 90 à 180 jours pour la filière animale.

Délibéré sur le rapport oral de M. Gilles Vaury et l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mme Anne Perrot et M. Patrick Spilliaert, vice-présidents.