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Décisions

ADLC, 11 janvier 2010, n° 10-D-01

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre dans la distribution des iPhones

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Paul-Emmanuel Piel, l'intervention de M. Sébastien Soriano, rapporteur général adjoint, par Mme Elisabeth Flüry-Hérard, vice-présidente, présidente de séance, Mme Pierrette Pinot, MM. Emmanuel Combe, Pierre Godé, Noël Diricq, membres.

ADLC n° 10-D-01

11 janvier 2010

L'Autorité de la concurrence (section IV),

Vu la lettre, enregistrée le 18 septembre 2008 sous les numéros 08/0097 F et 08/0098 M, par laquelle la société Bouygues Télécom a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le cadre de la distribution de l'iPhone sur le marché français et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu la décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des iPhones ; Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 février 2009 ; Vu l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne, devenu 101 du TFUE à compter du 1er décembre 2009 ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié ; Vu les décisions de secret des affaires n° 09-DSA-299 du 1er décembre 2009 et n° 09-DSA-300 du 2 décembre 2009 ; Vu les engagements proposés par les sociétés Apple Sales International et Apple Inc. le 29 octobre 2009 ; Vu les engagements proposés par les sociétés France Télécom et Orange France le 30 octobre 2009 ; Vu les observations présentées sur ces propositions par les sociétés Apple Sales International et Apple Inc., France Télécom et Orange France, Bouygues Télécom, Digicel, Outremer Télécom, SFR, deux fabricants de terminaux, dont Samsung Electronics, et l'association l'UFC-Que Choisir ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Bouygues Télécom, France Télécom et Orange France, Apple Sales International et Apple Inc., entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 9 décembre 2009 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Seront successivement abordés :

. Le rappel de la procédure ;

. les sociétés et les marchés concernés ;

. les pratiques en cause ;

. la situation de marché après la décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008.

A. LE RAPPEL DE LA PROCEDURE

1. LA SAISINE

2. Le 18 septembre 2008, la société Bouygues Télécom a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le cadre de la distribution de l'iPhone sur le marché français et a sollicité, en outre, le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce.

3. Dans sa saisine, Bouygues Télécom faisait valoir qu'elle avait été exclue de la commercialisation de l'iPhone bien qu'elle ait demandé à le distribuer dès le 14 mai 2008, Apple Sales International et Apple Inc., lui ayant opposé le fait qu'Orange, filiale à 100 % de France Télécom, avait été désignée seule en tant qu'opérateur de réseau et grossiste pour assurer la distribution de l'iPhone en France. La saisissante mettait également en cause le caractère anticoncurrentiel du réseau de distribution sélective mis en place par le groupe Apple en France pour la distribution de l'iPhone.

2. LES MESURES CONSERVATOIRES PRONONCEES PAR LE CONSEIL

4. Dans sa décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008, le Conseil de la concurrence a estimé que " les éléments réunis à ce stade de l'instruction démontrent que la durée et l'étendue de l'exclusivité, ainsi que l'attractivité du produit concerné par l'exclusivité sont susceptibles, du fait de la position occupée sur le marché des services de téléphonie mobile par Orange et de la faible intensité concurrentielle qui est d'ores et déjà constatée sur ce marché, de renforcer cette position ou d'affaiblir directement la concurrence que se font les opérateurs mobiles sur ce marché. [...] les éléments réunis à ce stade de l'instruction sont susceptibles de démontrer que l'atteinte à la concurrence sur le marché des services de téléphonie mobile résultant de l'exclusivité n'est pas compensée par des gains d'efficience au bénéfice des consommateurs. Dans cette mesure, l'exclusivité dénoncée est susceptible de contrevenir aux articles 81 du traité CE et L. 420-1 du Code de commerce ".

5. Le Conseil de la concurrence, constatant que l'exclusivité d'Orange créait une atteinte grave et immédiate à la situation de la saisissante et au secteur, a enjoint à Apple Sales International, à Apple Inc. et à France Télécom, de la suspendre à titre conservatoire, jusqu'à ce qu'il se soit prononcé au fond.

6. Ainsi, il leur a été enjoint de : " suspendre [...] l'application pour la France des stipulations faisant d'Orange l'opérateur mobile exclusif pour les produits iPhone " et de " ne pas introduire dans les éventuels contrats qui seraient conclus pour la commercialisation des futurs modèles d'iPhone des exclusivités de même nature d'une durée supérieure à trois mois ".

7. Il leur a également été enjoint de : "suspendre [...] l'application des stipulations désignant Orange en qualité de grossiste habilité à titre exclusif à acheter des produits iPhone à des fins de distribution " et de "suspendre [...] l'application des stipulations de l'article 3 des contrats de distribution signés avec les distributeurs multimarques en France qui impose au distributeur de ne se fournir qu'"exclusivement et directement auprès d'Orange. Le revendeur ne pourra acheter les Produits autorisés auprès d'autres sources d'approvisionnement sans l'accord écrit et préalable d'Orange, et devra les revendre exclusivement dans les points de vente autorisés situés sur le territoire [la France]" et de l'article 5.4 des mêmes contrats de distribution selon lesquelles "le revendeur ne commercialisera pas les terminaux dans une offre de téléphonie qui n'est pas celle d'Orange. Nonobstant ce qui vient d'être précisé, le revendeur pourra vendre des terminaux nus mais dont la carte SIM sera bloquée sur le réseau Orange" ".

8. La décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008 a été confirmée par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 4 février 2009. Dans cet arrêt, la Cour a notamment relevé que " l'exclusivité d'une durée exceptionnelle consentie à Orange pour la commercialisation de l'iPhone, jointe à l'attractivité particulière du terminal, est de nature à conférer à cet opérateur un avantage concurrentiel majeur qui, compte tenu de la faible intensité compétitive qui règne d'ores et déjà sur le marché des services de téléphonie mobile, est susceptible de renforcer encore sa position sur le marché des services de téléphonie mobile et d'affaiblir un peu plus la concurrence que pouvaient se faire les opérateurs sur ce marché. [...] cette situation porte, dès à présent, gravement atteinte aux intérêts du secteur et, simultanément, à ceux des consommateurs ".

9. Cet arrêt a fait l'objet de pourvois en cassation de la part d'Apple et de France Télécom/Orange.

B. LES SOCIETES ET LES MARCHES CONCERNES

1. LES SOCIETES CONCERNEES

a) Le groupe Apple

10. La société Apple Inc. est la maison mère du groupe Apple. Il s'agit d'une société multinationale américaine dont le siège est situé à Cupertino en Californie. Historiquement active dans le secteur des produits informatiques, Apple a depuis 2003 diversifié son activité en commercialisant un lecteur MP3, l'iPod, et en développant un magasin de vente en ligne de musique numérique, l'iTunes Store. En 2007, Apple Inc. a lancé aux États-Unis l'iPhone, un terminal mobile. Apple Inc. contrôle majoritairement Apple Sales International, une société immatriculée à Cork en Irlande, ainsi qu'Apple France, immatriculée en France et Apple Europe, immatriculée au Royaume Uni. La société Apple Inc. est responsable de la politique générale du groupe et a négocié les modalités du lancement de l'iPhone en Europe. Apple Sales International, entité responsable pour l'Europe de la vente de l'ensemble des produits Apple, a signé les différents contrats conclus dans le cadre de la commercialisation de l'iPhone en Europe. Le rôle d'Apple Europe et Apple France est de faciliter la commercialisation et la distribution des produits. Apple France gère la relation commerciale avec les distributeurs français.

11. Dans la présente décision, la dénomination " Apple " renverra indistinctement à l'ensemble des sociétés composant le groupe.

b) Les sociétés France Télécom et Orange France

12. Le groupe France Telecom est un opérateur intégré sur l'ensemble des marchés des communications électroniques. Présent dans de nombreux pays, il est en France l'opérateur historique et le premier opérateur de communications électroniques. Il est en Europe le troisième opérateur mobile et le premier fournisseur d'accès Internet ADSL. Il figure parmi les leaders mondiaux des services de télécommunications aux entreprises multinationales. L'entreprise a annoncé avoir réalisé un chiffre d'affaires mondial consolidé de 53,4 milliards d'euro en 2008. Au niveau mondial, les revenus du groupe proviennent pour 55 % des services de communication personnels (téléphonie mobile essentiellement) alors qu'en France, les services de communication résidentiels (fixe et Internet) restent prépondérants avec 64 % des revenus, les services de communication personnels en constituant 36 %.

13. Orange est depuis 2006 la marque unique du groupe pour l'Internet, la télévision et le mobile dans la majorité des pays où le groupe est présent. Les services du fixe sont proposés sous la marque France Telecom. La société France Telecom est la société holding du groupe. Elle détient 100 % de la société Orange France.

14. Dans la présente décision, la dénomination " Orange " renverra indistinctement à France Télécom et Orange France.

c) La société Bouygues Telecom

15. La société Bouygues Telecom est le troisième opérateur réseau de téléphonie mobile en France. Elle dispose de plus de 9 millions d'abonnés et a réalisé en 2008 un chiffre d'affaires d'environ 5,4 milliards d'euro.

2. LES MARCHES CONCERNES

16. Dans sa décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008, le Conseil de la concurrence a considéré que c'était principalement sur le marché des services de téléphonie mobile que devaient être analysés les effets de l'exclusivité. Il a par ailleurs identifié les marchés amont et aval des terminaux comme pouvant être pertinents en l'espèce.

a) Le marché des services de téléphonie mobile

17. Le Conseil a rappelé que, selon une pratique décisionnelle constante, les services de téléphonie mobile constituent un marché pertinent (paragraphe 99 de la décision n° 08-MC-01). Le Conseil relève également : " Il n'est [...] pas soutenu qu'Orange occuperait une position dominante sur ce marché " (paragraphe 100).

18. A l'époque des faits, trois opérateurs étaient autorisés en France à déployer un réseau de téléphonie mobile sur le territoire métropolitain : Orange, SFR et Bouygues Telecom. Ces opérateurs de réseau hébergent à leur tour des opérateurs virtuels dit " MVNO " (mobile virtual network operator).

19. Selon le suivi des indicateurs mobiles publié par l'ARCEP, sur le territoire français, le parc total de clients s'élevait au 30 septembre 2008 à 56,4 millions, en progression nette de 6,3 % par rapport au 30 septembre de l'année précédente et à 59,7 millions au 30 septembre 2009. Plus des 2/3 de ces clients sont abonnés à un service post-payé. Au 30 septembre 2008, le parc de clients mobiles était réparti en volume de la façon suivante entre les différents opérateurs : 17,3 % pour Bouygues Telecom, 33,7 % pour SFR, 43,5 % pour Orange France et 5,5 % pour les MVNO.

20. Le chiffre d'affaires total des services de téléphonie mobile pour la France publié par l'ARCEP pour le deuxième trimestre 2008 s'élève à 18,5 milliards d'euro de revenus auprès des clients finaux en 2008, soit + 5,6 % par rapport à la même période de l'année précédente. Il exclut notamment les ventes de terminaux. Cette croissance des revenus est tirée notamment des innovations commerciales et technologiques.

21. En effet, le déploiement des réseaux mobiles en haut débit et la mise sur le marché de nouveaux terminaux permettant d'en exploiter les possibilités génèrent une forte croissance des usages d'échanges de données ou multimédias. Selon le suivi des indicateurs mobiles de l'ARCEP, le parc actif multimédia mobile métropole comptait, au troisième trimestre 2008, près de 17,4 millions d'utilisateurs : un client sur trois avait utilisé au moins une fois durant le dernier mois un service multimédia de type Internet mobile (Wap, iPhone-Mode, Vodafone live, Orange World, etc.) ou, en émission, un service de type MMS ou e-mail mobile (à l'exclusion donc des SMS) et ce, quelle que soit la technologie support (CSD, GPRS, EDGE, UMTS, etc.). Au troisième trimestre 2009, le parc actif multimédia mobile de la métropole s'élevait à 20,9 millions d'utilisateurs, en hausse de 20 % en glissement annuel.

22. Orange a annoncé 7,4 millions de clients haut débit au 30 septembre 2008, soit plus du double par rapport à la fin de l'année 2007.

b) Les marchés des terminaux

Les terminaux mobiles

Les smartphones

23. Dans son avis n° 2008-1175, en date du 4 novembre 2008, l'ARCEP a défini les smartphones de la manière suivante : " Les smartphones résultent de la convergence, depuis le début des années 2000, des téléphones mobiles et des PDA [Personal Digital Assistant-Assistant numérique personnel]. Ils cumulent ainsi des fonctionnalités (connectivité wifi, GPS, appareil photo, lecteur vidéo/MP3) que des terminaux plus classiques proposent de manière isolée ou sans ergonomie adéquate, et les associent par un système d'exploitation dédié. Diverses études de marché font part des spécificités des smartphones, tenant notamment à :

- leurs caractéristiques physiques (ergonomie, écran tactile ou clavier) ;

- leur système d'exploitation propre ;

- la diversité d'usages en résultant, centrés, outre la téléphonie, sur l'internet mobile (contenus) : écoute de musique, visionnage de vidéos, navigation par GPS, PDA ".

24. L'ARCEP a également souligné le dynamisme et le caractère stratégique de ce segment de marché pour les opérateurs mobiles : " Si ces produits ont longtemps été réservés à un cercle restreint de consommateurs avertis (professionnels, technophiles), il semblerait que leur clientèle s'élargisse fortement depuis peu, sous la conjonction de plusieurs effets tendant à en faire des objets de consommation de masse : lancement d'offres data grand public permettant l'accès à l'internet mobile tarifé forfaitairement, développement de terminaux ergonomiques, reposant depuis peu sur une technologie " tout tactile " (iPhone, Blackberry Storm, HTC Touch). Selon les études dont dispose l'Autorité, les smartphones représenteraient entre 10 % et 13 % des ventes mondiales, soit environ 35 millions d'appareils écoulés au premier trimestre 2008, et la croissance de ce segment serait forte (60 % par an) et pourrait représenter la moitié du marché à l'horizon 2010-2011. Selon l'étude Canalys, il se serait vendu, au deuxième trimestre 2008, 12,6 millions de smartphones dans la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique. Le marché des smartphones apparaît donc comme un segment stratégique de croissance pour les opérateurs mobiles ".

25. Le système d'exploitation " ouvert " d'un smartphone permet à des tiers de développer des applications pouvant fonctionner sur ce terminal. Cette caractéristique distingue les smartphones de terminaux esthétiquement proches et pouvant être dotés d'une interface tactile, mais fonctionnant sous un système d'exploitation propriétaire non ouvert aux développeurs externes.

Le produit iPhone

26. Apple a mis sur le marché un premier terminal mobile dénommé " iPhone " aux États-Unis en octobre 2007, puis en France en novembre 2007. La version 3G de ce terminal est disponible aux États-Unis depuis le 11 juillet 2008 et en France depuis le 18 juillet 2008.

27. L'iPhone est un appareil qui combine les usages d'un téléphone mobile, d'un terminal internet mobile, d'un assistant personnel, d'un baladeur numérique, d'un GPS et d'une console de jeux portables. Selon Apple, l'appareil intègre des innovations protégées par plus de 200 brevets. Parmi les fonctionnalités qui distinguent l'iPhone des produits concurrents figurent une interface constituée d'un écran tactile multipoint, remplaçant les boutons ou claviers traditionnels, des détecteurs de lumière et de proximité pour optimiser la batterie de l'appareil et verrouiller l'utilisation du clavier tactile lorsqu'il est porté à l'oreille, un écran large dont le visionnement en mode paysage est automatiquement détecté via un dispositif gyroscopique lorsque l'utilisateur fait pivoter l'appareil, la représentation graphique de la boîte de messagerie vocale et enfin la possibilité de pouvoir interagir directement avec plusieurs doigts sur le terminal (caractère " multitouch ").

28. Selon les statistiques communiquées par l'ARCEP, l'iPhone 2G d'Apple était en juin 2008 le troisième smartphone le plus vendu dans le monde, avec une part de marché de 5,3 % contre 13,4 % pour Rim (Blackberry) et 46,7 % pour Nokia. Au troisième trimestre 2008, Apple aurait vendu 7 millions d'iPhones 3G dans le monde, dépassant ainsi Rim, qui commercialise les terminaux de la marque Blackberry.

29. En France, 35 000 iPhones ont été vendus dans les quatre jours qui ont suivi leur mise sur le marché le 18 juillet 2008. Dès le 20 juillet, les boutiques étaient en rupture de stock. Au 28 septembre 2008, Orange déclarait avoir vendu, en moins de trois mois, 215 635 iPhones 3G. Selon les déclarations d'Orange, 50 % des ventes d'iPhones 3G concernent de nouveaux clients.

Les marchés amont et aval des terminaux

30. Dans sa décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008, le Conseil a indiqué que lorsqu'il est démontré que le consommateur final a systématiquement recours à des distributeurs intermédiaires, il est pertinent de distinguer le marché amont de l'approvisionnement du marché aval de la distribution de ces produits (cf. notamment les décisions n° 06-D-03 et 07-D-44).

31. En l'espèce, le premier met en relation les constructeurs avec les distributeurs de terminaux, qu'il s'agisse des distributeurs indépendants ou des opérateurs de téléphonie mobile. Le second confronte l'offre des distributeurs des terminaux sur les différents territoires nationaux et la demande des consommateurs finaux.

32. Sur le marché amont, les distributeurs, qui représentent la demande, doivent avoir accès à une gamme diversifiée de produits afin d'être en mesure de la proposer aux clients finaux. Le Conseil a donc considéré, sans se prononcer de manière définitive, qu'il ne pouvait être exclu que de leur point de vue, il existe une catégorie de terminaux qui, du fait des caractéristiques techniques objectives qui leur sont spécifiques, doivent nécessairement être inclus dans leur offre auprès des consommateurs finaux. Le Conseil a cependant relevé que dans la mesure où le marché amont des terminaux mobiles est européen voir mondial, il était peu probable qu'Apple occupe, à l'époque des faits, sur ce marché, une position dominante dont il serait susceptible d'abuser.

33. S'agissant du marché aval des terminaux, le Conseil a relevé que celui-ci est difficilement dissociable du marché des services de téléphonie mobile et présente une dimension nationale, les services de téléphonie étant spécifiques aux différents territoires nationaux. Le Conseil a ainsi considéré, sans se prononcer de manière définitive, qu'il ne pouvait être exclu que l'offre en exclusivité par un distributeur d'un terminal présentant de telles caractéristiques, ait un effet sur son pouvoir de marché, même si celui-ci est également fonction de la compétitivité de son offre de services de téléphonie mobile.

34. Le Conseil a enfin relevé que la position de France Telecom sur le marché global de la distribution des produits et services de téléphonie mobile était estimée entre 20 et 30 %.

Le rôle du subventionnement des terminaux

35. Dans son avis n° 2008-1175 du 4 novembre 2008, l'ARCEP a décrit le marché de la téléphonie mobile comme un marché de terminaux : " Parmi les différents modes de distribution des offres de téléphonie mobile, les offres associant un service mobile et un terminal subventionné occupent une place prééminente. Ceci paraît résulter de la grande importance qu'accordent les consommateurs aux caractéristiques de leur terminal, qui est devenu un objet personnel donnant accès à un nombre croissant de services (e-mail, navigation Internet, TV mobile, etc.) et pouvant associer de nombreuses fonctionnalités (appareil photo, assistant personnel numérique, lecteur MP3, radio, etc.).

Au regard du très faible pourcentage de terminaux achetés nus sur le marché français (environ 5 %, selon les estimations de l'Autorité), il semble que le consommateur ne valorise un terminal que subventionné, en association avec une offre de services.

Le marché mobile, mature, est donc très fortement animé par la vitesse de renouvellement de la gamme des terminaux, et dans une moindre mesure par les innovations de changement de normes (2G/3G/3.5G) et de services (introduction de l'IMS, service de téléchargement de musique...).

Selon l'étude Use-IT réalisée par l'IDATE, en 2006, le marché du terminal mobile est caractérisé par une forte dynamique de renouvellement : ainsi, près d'un client sur trois indiquait son intention de renouveler son terminal dans les 12 mois (figure 5). La principale raison du renouvellement est le fait d'avoir un terminal "plus moderne" ".

C. LES PRATIQUES CONCERNEES

36. Dans sa saisine, Bouygues Télécom dénonce essentiellement les clauses des contrats passés entre Apple et Orange organisant l'exclusivité consentie par Apple à Orange en tant qu'opérateur de réseau et grossiste pour la distribution de l'iPhone en France.

37. Le système mis en place par Apple en France pour la distribution de l'iPhone repose sur la conclusion de plusieurs contrats, notamment :

- le contrat de partenariat réseau (" key terms agreement "), conclu entre Apple et France Telecom le 12 octobre 2007 et modifié en mai 2008, par lequel Orange est désigné comme opérateur réseau exclusif ;

- l'accord de distribution, conclu en octobre 2007 entre Apple et Orange et modifié en mai 2008, qui désigne Orange comme grossiste exclusif pour la France et définit les critères à respecter par les boutiques Orange pour la distribution de l'iPhone ;

- et les contrats de distribution conclus entre Orange et les distributeurs de détail agréés par Apple.

1. L'ACCORD EXCLUSIF DE PARTENARIAT RESEAU

38. L'accord désignant Orange comme réseau partenaire d'Apple pour la France a été signé entre Apple Sales International et France Telecom le 12 octobre 2007.

39. Aux termes de cet accord, Orange devenait l'opérateur mobile exclusif pour les produits iPhone dans plusieurs pays (France, Belgique, Roumanie), et obtenait une co-exclusivité en Autriche, Pologne et Slovaquie. L'exclusivité portait sur l'iPhone 2G et l'ensemble de ses successeurs. En contrepartie, Orange s'engageait à verser à Apple 30 % des sommes facturées à chaque client iPhone Orange. Orange s'est également engagée à rembourser 50 % des dépenses publicitaires engagées par Apple dans le cadre de la promotion de l'iPhone, montant plafonné à 10 millions d'euro.

40. Le contrat a été conclu pour une durée de 5 ans à compter de la date du lancement de l'iPhone 2G, soit le 29 novembre 2007. Apple bénéficie d'une clause de sortie sans contrepartie à l'issue d'une période de trois ans. Au cours de son audition, la vice-présidente de la société Apple Inc a précisé : " Dans notre esprit, il s'agit plutôt d'un contrat de trois ans. Ce point a été central dans la négociation. Apple aurait préféré une période plus courte que trois ans pour cette faculté de sortie ".

41. Le 15 mai 2008, Apple Sales International et France Telecom ont signé un premier avenant au contrat, par lequel elles abandonnaient le modèle de " revenue-sharing " au profit d'un modèle plus classique d'octroi de subventions sur les terminaux.

42. Le contrat prévoit également un niveau minimum de subvention de la part d'Orange pour les iPhones 3G, ainsi qu'un " reporting " strict de ces niveaux de subventions afin de vérifier le " respect de la subvention moyenne ".

2. L'ACCORD DE DISTRIBUTION

43. L'accord de distribution signé entre Apple Sales International et France Telecom le 12 octobre 2007 prévoyait qu'Orange pouvait acheter des iPhones directement auprès d'Apple et non auprès d'autres sources et qu'Orange ne pouvait les distribuer que dans les points de vente agréés de certains pays (France, Belgique, Roumanie, Autriche, Pologne, Slovaquie). Il était conclu pour une durée de cinq ans.

44. Le premier avenant à ce contrat a été signé le 15 mai 2008. Il organise la distribution de l'iPhone au sein d'un réseau de distribution sélective. Orange est grossiste et livre les distributeurs agréés par Apple. L'annexe 3 de cet avenant précise, dans la partie " Addendum Pays Agréé : France ", à l'article 5.1 qu'" Apple désigne Orange en qualité de grossiste à titre exclusif habilité à acheter des Produits Agréés à des fins de distribution aux Points de Vente Agréés dans les Pays Agréés ".

45. Ce contrat prévoit que seules les sociétés signataires d'un " contrat d'adhésion avec Apple et Orange " seront habilitées à passer des commandes d'iPhones auprès d'Orange. Les conditions de revente des iPhones par Orange aux distributeurs agréés sont fixées par l'article 5.2 du contrat.

46. Par ailleurs, Apple entend limiter les exportations : " Dans la mesure autorisée par le droit applicable, Orange prendra toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que ni Orange ni aucun Point de Vente Agréé ne vende des Produits Agréés à un acheteur qui entend exporter ceux-ci à des fins de vente en dehors du Pays Agréé ".

47. Cette disposition a été complétée par l'article 5.2 du contrat d'adhésion qui prévoit que : " Compte tenu du fait que le Pays Agréé fait partie de l'Espace économique européen ("EEE"), les parties reconnaissent qu'Orange peut vendre les Produits Agréés aux clients d'un autre pays de l'EEE sauf si Apple s'est réservé ou a réservé à un autre distributeur, à titre exclusif, l'autre pays de l'EEE concerné. Si Apple s'est réservé ou a réservé à un autre distributeur, à titre exclusif, un autre pays de l'EEE, les restrictions imposées aux ventes de Produits Agréés vers cet autre pays concerné : (i) s'appliqueront uniquement concernant les ventes " actives " (telles que définies par les Lignes directrices de la Commission européenne sur les restrictions verticales (2000-C291-01) qui accompagnent le Règlement (CE) de la Commission européenne n° 2790-1999 sur l'application de l'article 81(3) du Traité CE aux catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées (les " Lignes Directrices ") ; et (ii) n'interdiront pas à Orange de procéder à des ventes " passives " (telles que définies dans les Lignes Directrices) de Produits Agréés aux clients du pays concerné, y compris en réponse à des demandes non sollicitées de ces clients ".

3. LES CONTRATS CONCLUS ENTRE ORANGE ET LES DISTRIBUTEURS INDEPENDANTS AGREES PAR APPLE

48. Des contrats de distribution ont été signés entre Orange France et les distributeurs indépendants agréés par Apple. Orange a fourni, dans le cadre de l'instruction, plusieurs exemplaires de ces contrats. Leur durée de validité s'étend du jour de leur entrée en vigueur jusqu'au 1er juillet 2009. Ils peuvent être reconduits avec l'accord des parties.

49. La clause 3 du contrat de distribution impose au distributeur de ne se fournir qu' " exclusivement et directement auprès d'Orange. Le revendeur ne pourra acheter les Produits autorisés auprès d'autres sources d'approvisionnement sans l'accord écrit et préalable d'Orange, et devra les revendre exclusivement dans les points de vente autorisés situés sur le territoire [la France] ".

50. De plus, l'article 5.4 stipule que : " le revendeur ne commercialisera pas les terminaux avec une offre de téléphonie qui n'est pas celle d'Orange. Nonobstant ce qui vient d'être précisé, le Revendeur pourra vendre les Terminaux nus mais dont la carte SIM sera bloquée sur le réseau Orange ".

D. LA SITUATION DE MARCHE APRES LA DECISION N° 08-MC-01 DU 17 DECEMBRE 2008

1. LA SITUATION DES OPERATEURS SFR ET BOUYGUES TELECOM

51. En introduction à sa proposition d'engagement du 29 octobre 2009, Apple a indiqué avoir conclu des "contrats opérateurs" avec les opérateurs de téléphonie mobile français SFR (contrat "iPhone Agreement" en date du 21 février 2009) et Bouygues Télécom (contrat "iPhone Agreement" du 4 mars 2009).

52. La signature de ces contrats a eu pour effet de permettre aux trois opérateurs métropolitains disposant à ce jour d'une licence de vendre l'iPhone 3G avec leurs services de téléphonie mobile. Les distributeurs agréés sont, quant à eux, actuellement en droit de présenter l'iPhone 3G avec les forfaits de tout opérateur de téléphonie mobile actif en France.

53. Apple a précisé à l'Autorité que le nouvel iPhone 3GS était actuellement distribué sans exclusivité sur le territoire français par les trois opérateurs français. Par ailleurs, ces trois opérateurs sont en droit de revendre l'iPhone à tout distributeur agréé de manière non exclusive grâce aux contrats signés avec Apple Sales International.

54. Dans ses observations, Bouygues Telecom a indiqué avoir vendu près de 300 000 iPhones en moins d'un an. S'agissant de SFR, il est noté, dans un communiqué de presse du groupe Vivendi en date du 12 novembre 2009, qu'à la fin du mois de septembre 2009, l'opérateur en avait écoulé 385 000.

2. LA SIGNATURE D'UN AVENANT LES 3 ET 6 JUILLET 2009

55. A la suite de la décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008, Orange et Apple ont signé, respectivement les 3 et 6 juillet 2009, un second avenant au contrat de partenariat réseau (" key term agreement ") et à l'accord de distribution.

56. Cet avenant, transmis par Apple à la demande des services d'instruction, prévoit à sa clause 3.1, intitulée " Opérateur non exclusif ", qu'" Orange sera fournisseur non exclusif de services de téléphonie mobile pour l'iPhone en France. Apple se réserve le droit de vendre ou de distribuer l'iPhone par tout autre moyen, direct ou indirect, pour une utilisation sur un ou plusieurs réseaux de téléphonie mobile en France, et ce à tout moment pendant le terme ".

57. Dans la liste des pays exclusifs et non exclusifs, la France passe de l'annexe 1 (Pays exclusifs) à l'annexe 2 (Pays non-exclusifs).

58. La clause 3.2 intitulée " Grossiste et revendeur non exclusif ", remplace les sections 5.1 et 5.2 par de nouvelles sections 5.1 et 5.2 qui débutent par " Apple désigne Orange en tant que grossiste non exclusif autorisé à acquérir les Produits Autorisés pour les revendre auprès des Etablissements autorisés en France [...] ".

59. La clause 9, intitulée " Interprétation ", précise qu'en " cas d'incohérence ou de conflit entre les dispositions du second avenant et de tout autre accord, les dispositions du second avenant prévaudront ".

60. Il semble que l'avenant ne puisse plus actuellement être remis en cause en l'absence de signature d'un nouvel avenant.

61. En effet, la section 6 de l'avenant, classée secret d'affaires par les décisions n° 09-DSA-299 et 09-DSA-300 constitue, selon le résumé d'Apple " une clause subordonnant la validité de l'Avenant au Contrat à la réalisation d'une condition spécifique non liée à la distribution de l'iPhone en France ". Selon Orange, c'est une " clause relative à la validité de l'avenant ne concernant pas la France ".

62. Par courrier électronique du 4 décembre 2009, Apple a confirmé " que la condition prévue dans cette clause a été satisfaite de manière parfaite et n'a donné lieu à aucune discussion entre les parties depuis la date convenue entre elles pour sa satisfaction ".

63. Lors de la séance du 9 décembre 2009, Orange a également confirmé que la condition prévue par la clause était satisfaite et que par conséquent l'avenant au contrat était effectif. Orange a cependant indiqué que cet avenant ne pouvait être interprété de bonne foi comme une régularisation définitive et complète par Orange des accords d'exclusivité de partenariat visés dans la décision n° 08-MC-01. Par ailleurs, Orange a souligné que cet avenant ne faisait aucune mention d'une quelconque intention des parties de proposer des engagements venant volontairement consacrer les mesures de suspension et d'encadrement enjointes dans la décision n° 08-MC-01, et qu'Orange n'a été informée par Apple que le 9 octobre 2009 de son intention de prendre des engagements dans ce sens. Orange estime donc que l'avenant ne saurait être rétrospectivement interprété comme une régularisation complète et définitive par les parties de leurs accords d'exclusivité de partenariat visés dans la décision n° 08-MC-01, en prévision et par anticipation des engagements ultérieurement proposés par Apple, a fortiori de la part d'Orange.

64. En revanche, dans ses observations du 4 décembre 2009, Apple considère que, par l'avenant, toutes les conséquences de la fin de ces exclusivités ont déjà été négociées avec Orange.

E. LA MISE EN OEUVRE DE LA PROCEDURE D'ENGAGEMENTS

65. Par courrier du 9 octobre 2009, Apple a formulé une première proposition d'engagement sur la base des préoccupations de concurrence exprimées par l'Autorité de la concurrence dans sa décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008. Le 9 octobre 2009, France Télécom et Orange en ont été informés et ont été invités à se joindre à ces engagements.

1. LES PREOCCUPATIONS DE CONCURRENCE FORMULEES PAR LE RAPPORTEUR

66. Conformément aux dispositions de l'article R. 464-2 du Code de commerce, le rapporteur a exprimé des préoccupations de concurrence signifiées à Apple, France Télécom et Orange lors de deux auditions qui se sont tenues séparément le 20 octobre 2009 au siège de l'Autorité. Ces auditions ont fait l'objet de deux procès-verbaux qui exposaient les éléments suivants :

" Dans la présente affaire, le Conseil de la concurrence a rendu le 17 décembre 2008 une décision n° 08-MC-01 dans laquelle le Conseil a estimé que l'exclusivité dénoncée était susceptible d'enfreindre les articles 81 du traité CE et L. 420-1 du Code de commerce. [...]

S'agissant du fond des pratiques, c'est-à-dire de l'analyse des clauses des contrats passés entre Apple et France Télécom/Orange organisant l'exclusivité consentie par Apple à France Telecom/Orange dans le cadre de la distribution de l'iPhone, le raisonnement mené par l'Autorité de la concurrence lorsqu'elle analyse ce type de clauses est rappelé aux paragraphes 147 et 148 de la décision n° 08-MC-01 :

"Le Conseil a rappelé à de nombreuses reprises que les exclusivités de distribution ou d'achat n'étaient pas anticoncurrentielles par elles-mêmes. Elles peuvent, par exemple, être nécessaires pour assurer la rentabilité d'une activité, en raison notamment de l'existence d'investissements spécifiques que l'entreprise n'engagerait pas si elle ne bénéficiait pas d'une exclusivité. Ainsi qu'il l'a souligné dans l'étude thématique publiée dans le rapport annuel pour l'année 2007, le Conseil procède donc au cas par cas : il est attentif aux circonstances concrètes de marché dans son analyse des accords d'exclusivité.

En pratique, l'effet d'éviction ou de verrouillage que peuvent comporter de telles clauses d'exclusivité dépend de nombreux facteurs, parmi lesquels le champ et la portée de l'exclusivité, la part de la demande liée, la durée ou la combinaison dans le temps des contrats, les conditions de résiliation et de renouvellement, la dispersion géographique et l'atomicité de la demande".

Dès lors, l'analyse revient à vérifier que les clauses d'exclusivité n'instaurent pas, en droit ou en pratique, une barrière artificielle à l'entrée sur le marché en appréciant l'ensemble de leurs éléments constitutifs : le champ d'application, la durée, l'existence d'une justification technique à l'exclusivité, et la contrepartie économique obtenue par le client.

Compte tenu des éléments au dossier, le jeu cumulé des différentes clauses d'exclusivité présentes dans les contrats liant Apple à France Telecom/Orange est susceptible d'affaiblir la concurrence que se livrent les opérateurs de téléphonie mobile, eu égard notamment à l'attractivité de l'iPhone (paragraphes 149 à 155 de la décision n° 08-MC-01), au champ d'application de ces exclusivités et à leur portée, le Conseil ayant souligné les difficultés pour les consommateurs de contourner l'exclusivité (points traités aux paragraphes 158 à 163 de la décision n° 08-MC-01), à la durée effective de l'exclusivité (cinq ans avec une clause de sortie possible à l'issue d'une période de trois ans, points traités aux paragraphes 156 et 157 de la décision n° 08-MC-01), à la position de l'acheteur et à la situation de la concurrence sur le marché concerné par l'exclusivité (points traités aux paragraphes 164 à 174 de la décision n° 08-MC-01).

"En conséquence, les éléments réunis à ce stade de l'instruction démontrent que la durée et l'étendue de l'exclusivité, ainsi que l'attractivité du produit concerné par l'exclusivité sont susceptibles, du fait de la position occupée sur le marché des services de téléphonie mobile par Orange et de la faible intensité concurrentielle qui est d'ores et déjà constatée sur ce marché, de renforcer cette position ou d'affaiblir directement la concurrence que se font les opérateurs mobiles sur ce marché " ( paragraphe 174 de la décision n° 08-MC-01)".

Enfin, à supposer que le principe de l'exclusivité puisse être justifié, les justifications économiques présentées jusqu'ici sont insuffisantes, dès lors que les chiffres au dossier permettent en tout état de cause d'établir que le remboursement des investissements spécifiques a pu être obtenu après quelques mois (points traités aux paragraphes 175 à 184 de la décision n° 08-MC-01).

Ces pratiques contractuelles d'exclusivité étant susceptibles de porter atteinte à la concurrence sur le marché des services de téléphonie mobile sans être compensées par des gains d'efficience, le Conseil a, en conséquence, estimé qu'elles étaient susceptibles de contrevenir aux articles 81 du traité CE et L. 420-1 du Code de commerce.

Sur ce point, la décision n° 08-MC-01 décrit le fonctionnement concurrentiel du marché et les effets susceptibles d'être produits par les pratiques dénoncées (paragraphes 208 à 216) :

"Il ressort de l'analyse concurrentielle faite ci-dessus que l'exclusivité obtenue par Orange en tant qu'opérateur de réseau pour l'iPhone, verrouillée par les conditions faites aux distributeurs, est de nature, du fait de sa durée et de son étendue, ainsi que de l'attractivité de l'iPhone, à renforcer la position prééminente d'Orange sur le marché des services de téléphonie mobile et à affaiblir directement la concurrence que se font les opérateurs sur ce marché. Cette exclusivité est donc de nature à porter une atteinte grave au marché des services de téléphonie mobile et donc aux consommateurs. [...] L'atteinte portée est d'autant plus grave que le Conseil, comme l'Arcep et comme la Commission européenne, ont déjà eu à plusieurs reprises l'occasion de déplorer un déficit de concurrence sur le marché de la téléphonie mobile (cf. les développements ci-dessus et l'avis du Conseil n° 08-A-16 du 30 juillet 2008). Or, au moment où le développement de l'Internet mobile et le lancement d'offres illimitées d'échange de données par les opérateurs pourrait animer le marché, l'exclusivité d'Orange sur l'iPhone est de nature à introduire un nouveau facteur de rigidité ciblé sur ce nouveau segment du marché. Cet effet est d'autant plus préoccupant que, comme cela a été rappelé ci-dessus, plusieurs caractéristiques de l'offre de téléphonie mobile en France, la prépondérance des offres avec engagements de durée, l'existence de programmes de fidélisation, et plus généralement, de facteurs élevant les coûts de changement d'opérateur, ont d'ores et déjà tendance à atténuer le jeu concurrentiel sur ce marché.

L'annonce récente par SFR de la conclusion de partenariats avec deux constructeurs, Blackberry et HTC, ne conduit pas le Conseil à relativiser les effets de l'exclusivité d'Orange sur le marché. Au contraire, cette riposte confirmerait, s'il était avéré que les exclusivités négociées par SFR dépassaient quelques mois, le risque d'effet cumulatif du type de partenariat mis en cause, qui amènerait les opérateurs à se différencier aussi par les modèles de terminaux offerts et favoriserait un cloisonnement vertical du marché. Une telle évolution aurait pour effet de réduire encore la concurrence entre opérateurs sur les prix, sur la qualité des réseaux et des infrastructures, comme sur la qualité des services clients. Elle est aussi de nature à accroître encore les coûts de changements d'opérateurs mobiles.

[...] Une telle structuration du marché ne peut se faire qu'au détriment de l'opérateur qui détient la part de marché la plus faible, celui-ci étant par nature l'opérateur le moins attractif pour les constructeurs. Il existe donc bien un risque d'exclusion de Bouygues Telecom à terme, si ce type d'exclusivité se généralisait".

De telles pratiques sont susceptibles d'être qualifiées au titre de l'article L. 420-1 du Code de commerce et, le cas échéant, de l'article 81 CE " (1).

2. L'ENGAGEMENT PROPOSE PAR APPLE

67. Le 29 octobre 2009, Apple a formulé une proposition d'engagement (intitulée " Engagements proposés par Apple Sales International et Apple Inc. "). En introduction à sa proposition, le groupe indique que " Les services d'instruction ont confirmé à Apple que la seule préoccupation de concurrence identifiée comme subsistant à ce stade en ce qui concerne Apple concernait la pratique par Apple d'exclusivités opérateur et de grossiste de longue durée avec les opérateurs de téléphonie mobile pour la distribution de l'iPhone en France. [...] L'engagement proposé vise donc à répondre à la préoccupation de concurrence identifiée par les services d'instruction ".

68. Le texte de l'engagement proposé est le suivant :

" Apple s'engage à ne pas consentir à des opérateurs de téléphonie mobile français, et à ne pas mettre en œuvre de quelque manière que ce soit avec ces mêmes opérateurs, d'exclusivités opérateur ou de grossiste pour la distribution sur le territoire français des modèles actuels et futurs d'iPhone, à l'exception d'exclusivités portant sur des modèles futurs d'iPhone et dont la durée ne serait pas supérieure à trois mois.

Apple souhaite souligner que l'engagement proposé s'inscrit exclusivement dans le contexte spécifique et non transposable de la structure actuelle et du fonctionnement particulier du marché français des services de téléphone mobile, dont il a été fait état dans la partie 1.1 ci-dessus. Il est en outre spécifiquement lié au futur développement de l'iPhone.

En conséquence, Apple s'engage à mettre en œuvre cet engagement pendant une durée de 3 ans.

Cependant, Apple se réserve le droit de se rapprocher de l'Autorité de la concurrence afin de réexaminer la pertinence de cet engagement à tout moment dans le cas où les conditions du marché français des services de téléphonie mobile viendraient à évoluer.

Apple considère que cet engagement est pertinent, crédible et vérifiable et de nature à apporter une réponse aux préoccupations de concurrence identifiées par le Conseil de la concurrence dans sa décision n°08-MC-01 ".

3. LES ENGAGEMENTS PROPOSES PAR ORANGE

69. Le 30 octobre 2009, Orange a formulé une proposition d'engagements (intitulée " Proposition d'engagements présentée par les sociétés France Télécom et Orange France "). En introduction à sa proposition, il est indiqué que celle-ci ne vaut, ni n'implique de sa part " renonciation à ses droits au titre de son pourvoi en cours contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 février 2009, et à l'effectivité de son pourvoi ".

70. Le texte des engagements proposés est le suivant :

" Orange propose quatre engagements qui, ensemble, apportent une réponse pertinente, crédible, proportionnée et vérifiable aux présentes préoccupations de concurrence au regard et sur la base de l'engagement proposé par Apple le 9 octobre 2009, qui concerne indistinctement l'ensemble des opérateurs de téléphonie mobile français pour une période maximale de trois ans.

1er Engagement

Orange s'engage, dans cette même période maximale de trois ans, sur le territoire métropolitain français, à ne pas revendiquer d'exclusivité " opérateur " et/ou " grossiste " sur les modèles actuels de l'iPhone.

Cet engagement ne vaut que pour autant qu'Apple et les autres opérateurs de téléphonie mobile ne négocient pas et ne concluent pas eux-mêmes d'exclusivité " opérateur " et/ou "grossiste " sur les modèles actuels de l'iPhone, sur ce territoire et dans cette période.

2e Engagement

Orange s'engage, dans cette même période maximale de trois ans, à ne pas introduire, dans les contrats qui seraient conclus avec Apple pour la commercialisation des futurs modèles d'iPhone sur le territoire métropolitain français, une exclusivité " opérateur " et/ou " grossiste " d'une durée supérieure à trois mois.

Cet engagement ne vaut que pour autant qu'Apple et les autres opérateurs de téléphonie mobile ne négocient pas et ne concluent pas eux-mêmes d'exclusivité " opérateur " et/ou " grossiste " d'une durée supérieure à trois mois sur les modèles futures de l'iPhone, sur ce territoire et dans cette période.

3e Engagement

En conséquence du 1er Engagement et du 2ème Engagement ci-dessus, Orange s'engage à régulariser définitivement et complètement avec Apple leurs accords d'exclusivité de partenariat sur l'iPhone tels que visés dans la décision n° 08-MC-01, dans un délai de deux mois, afin, symétriquement, d'une part, d'y pérenniser la suppression des clauses d'exclusivité suspendues à titre provisoire aux termes des articles 1er et 2ème de cette décision, d'autre part, d'y supprimer ou d'y réaménager en conséquence les obligations et charges expressément stipulées comme y étant la contrepartie contractuelle et économique desdites clauses d'exclusivité.

4e Engagement

Orange s'engage à régulariser avec ses distributeurs leurs contrats de distribution de l'iPhone, tels que visés dans la décision n° 08-MC-01, dans un délai de deux mois, afin d'y pérenniser la suppression des clauses suspendues à titre provisoire aux termes de l'article 3 de cette décision ".

4. LES REPONSES AU TEST DE MARCHE

71. Une synthèse des préoccupations de concurrence et les engagements proposés par Apple et Orange ont été mis en ligne le 3 novembre 2009 sur le site Internet de l'Autorité de la concurrence. Entre le 10 novembre et le 4 décembre 2009, les sociétés et association suivantes ont présenté des observations.

a) La société Digicel

72. La société Digicel est un opérateur de téléphonie mobile dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane. Selon elle, il paraît indispensable que l'Autorité n'accepte que des engagements qui s'appliquent à l'ensemble du territoire français, y compris les DOM. A cet égard, elle souligne qu'il serait particulièrement néfaste pour le développement de la concurrence sur ces territoires qu'Orange puisse continuer à bénéficier d'une exclusivité de distribution de l'iPhone alors qu'il s'agit d'un produit phare.

b) La société Outremer Télécom

73. La société Outremer Télécom, qui exploite des services de téléphonie dans les départements d'outre-mer, considère qu'il conviendrait d'exiger d'Apple qu'il mette fin à toute barrière artificielle à l'entrée sur les marchés de la téléphonie mobile des DOM, en accordant aux opérateurs mobiles présents sur ces marchés des conditions non discriminatoires qui permettent le développement de la concurrence.

74. Outremer Télécom estime également qu'il n'existe aucune justification à ce que l'abandon de l'exclusivité soit limité au seul territoire métropolitain, à l'exclusion des DOM TOM, d'autant que l'Autorité a explicitement délimité le périmètre de sa décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008 à l'ensemble de la France.

c) L'association l'UFC-Que Choisir

75. L'UFC-Que Choisir considère, d'une part, que les engagements d'Apple et d'Orange n'ont pas un caractère ferme et certain. Ainsi, Orange conditionnerait sa proposition d'engagements au rejet futur de son pourvoi contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 février 2009. De même, l'opérateur subordonnerait la suppression des clauses d'exclusivité en cause, à l'abandon ou au réaménagement des obligations et charges stipulées comme étant la contrepartie contractuelle et économique desdites clauses (3e engagement). Orange subordonnerait également ses premier et deuxième engagements à la condition que d'autres opérateurs de téléphonie mobile ne concluent pas eux-mêmes d'exclusivité " opérateur et/ou grossiste " avec Apple.

76. L'UFC-Que Choisir estime, d'autre part, que les engagements d'Apple et d'Orange devraient avoir une durée minimale de six ans et couvrir l'ensemble du territoire national. Par ailleurs, les engagements devraient viser de manière plus générique tous les terminaux communicants équipés d'un système d'exploitation développé par Apple.

77. L'UFC-Que Choisir relève enfin que, par la présente procédure d'engagements, Apple ne saurait obtenir un blanc-seing pour toutes les questions de concurrence qui n'ont été examinées qu'à titre accessoire dans le cadre de cette procédure.

d) La société SFR

78. La société SFR offre sur le territoire français des services de téléphonie mobile.

79. Elle invite tout d'abord l'Autorité à requérir d'Apple et d'Orange qu'elles suppriment de leurs propositions d'engagements toute référence au fait que les exclusivités constituent les seules pratiques susceptibles de poser des problèmes de concurrence.

80. SFR indique ensuite que les propositions d'Apple et d'Orange sont assorties de nombreuses réserves qui apparaissent incompatibles avec la procédure d'engagements. Ainsi, Apple devrait supprimer le fait qu'elle se réserve le droit de se rapprocher de l'Autorité de la concurrence afin de réexaminer la pertinence de son engagement. Orange devrait quant à elle indiquer expressément qu'elle mettra en œuvre ses engagements quels que soient le comportement des concurrents sur le marché et l'issue de son pourvoi en cassation contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 février 2009. En outre, Orange ne pourrait subordonner la régularisation de ses accords avec Apple à la suppression ou au réaménagement des obligations et charges expressément stipulées comme constituant la contrepartie contractuelle et économique des clauses d'exclusivité.

81. SFR souligne encore que l'engagement d'Orange doit nécessairement consister à ne pas " accepter ou mettre en œuvre " une quelconque exclusivité et qu'il incombe à Orange, qui met en avant la pérennisation des modifications d'ores et déjà apportées à certains contrats, d'indiquer de manière plus précise à l'Autorité quelles clauses ont été modifiées et selon quels termes.

82. S'agissant du territoire visé, SFR indique que les engagements d'Orange doivent couvrir l'ensemble du territoire français, y compris les DOM TOM.

83. En ce qui concerne les terminaux visés, SFR considère que les engagements d'Orange et d'Apple ne doivent pas porter que sur les seuls iPhones mais sur tous les produits ayant les mêmes caractéristiques.

84. SFR souligne également que la durée des engagements doit nécessairement être illimitée dans le temps, quitte à les assortir d'une clause de rendez-vous au bout de cinq ans.

85. Enfin, selon SFR, Apple et Orange devraient nécessairement s'engager à soumettre leurs contrats modifiés et tous nouveaux contrats à l'Autorité afin de lui permettre de s'assurer que plus aucune exclusivité de droit ou de fait n'a été insérée dans ces contrats. SFR invite aussi l'Autorité à assortir d'astreintes sa décision rendant obligatoires les engagements souscrits par Apple et Orange.

e) La société Bouygues Télécom

Sur la proposition d'engagements d'Orange

86. Bouygues Télécom rappelle le principe selon lequel les engagements doivent être fermes et inconditionnels. C'est pourquoi, Orange ne peut prétendre s'engager sous réserve que la décision de mesures conservatoires ne soit pas à terme réformée par la Cour d'appel, saisie sur renvoi après l'arrêt de la Cour de cassation. Bouygues Télécom souligne également qu'il conviendrait qu'Orange supprime de sa proposition d'engagements toute référence à de prétendus donnés acte. Orange devrait aussi supprimer dans ses deux premières propositions d'engagements la réserve tenant à l'attitude des tiers. En effet, cette réserve serait inutile dans la mesure où Apple prendrait de son côté l'engagement réciproque de ne pas consentir d'exclusivité. Bouygues Télécom relève encore qu'Orange doit étendre ses engagements aux DOM.

87. Bouygues Télécom souligne enfin que, dans son troisième engagement, Orange subordonne l'exécution de son engagement de cessation de l'exclusivité à la renégociation des clauses qui constitueraient la contrepartie de celle-ci. Selon Bouygues Télécom, une telle réserve doit être supprimée.

Remarques communes aux deux propositions d'engagements

88. Bouygues Télécom considère que les engagements pris par Apple et Orange ne devraient pas être limités à une période de trois ans, mais être étendus sur une période d'au moins cinq ans et devraient porter sur tous sur les modèles développés par Apple incluant une fonction de téléphonie mobile.

f) Apple

89. Apple considère que le troisième engagement d'Orange ne répond pas à une préoccupation de concurrence exprimée lors de la procédure mais vise à " instrumentaliser la procédure devant l'Autorité pour renégocier un contrat commercial ". Apple demande donc à l'Autorité de rejeter, sans même en prendre acte, le troisième engagement d'Orange. De plus, Apple estime que la renégociation entre Apple et Orange a déjà eu lieu, celle-ci s'étant soldée par la signature d'un avenant.

g) Orange

90. Orange rappelle qu'au-delà des exclusivités, la décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008 avait identifié un certain nombre de clauses et de pratiques susceptibles d'être contraires au droit de la concurrence qu'Apple semble vouloir perpétuer dans ses nouveaux contrats opérateurs non exclusifs. Orange cite entre autres la clause de subventionnement à laquelle font référence les paragraphes 65 et 188 de la décision de mesures conservatoires, la clause de contribution aux fonds de publicité iPhone, ou encore la clause de distribution la plus favorable dans les points de vente.

91. Orange souhaite que l'Autorité de la concurrence précise que la décision rendant obligatoires les engagements ne met un terme qu'aux préoccupations de concurrence centrées sur la question de l'exclusivité et ne vaut pas validation des autres clauses identifiées comme problématiques dans la décision de mesures conservatoires.

h) Certains fabricants de terminaux

92. Deux fabricants de terminaux ont répondu au test de marché : Samsung Electronics et une autre société qui a demandé à ce que son nom n'apparaisse pas dans la présente décision. Dans le respect du principe du contradictoire, les observations de cette dernière société ainsi que son identité ont été communiquées à la saisissante ainsi qu'aux parties mises en cause, comme l'ont été toutes les réponses au test de marché.

93. Dans leurs observations, les deux fabricants de terminaux s'inquiètent de ce que les engagements d'Apple et d'Orange sont muets sur la clause de subventionnement signée entre Apple et les opérateurs de téléphonie mobile, décrite au paragraphe 65 de la décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008. En effet, en vertu de cette clause, ces opérateurs sont obligés de subventionner les iPhones dans une proportion supérieure de 20 % à ce qui est pratiqué pour les autres terminaux, au détriment des constructeurs concurrents.

II. Discussion

94. Selon les disposition du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, modifié par l'article 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, l'Autorité de la concurrence peut " accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5 ".

95. Des préoccupations de concurrence ont été exprimées quant aux clauses des contrats passés entre Apple et Orange organisant l'exclusivité opérateur et/ou grossiste consentie par Apple à Orange pour la distribution de l'iPhone en France (voir paragraphe 66). Les propositions d'engagements d'Apple et Orange visent à supprimer les clauses d'exclusivité litigieuses (voir paragraphes 67 à 70).

A. SUR L'APPRECIATION DES ENGAGEMENTS

96. Dans le cadre de l'appréciation des engagements proposés par Apple et Orange, seront successivement abordés :

. le champ et la durée des engagements ;

. les réserves et conditions qui y sont apportées ;

. leur portée ;

. leur mise en œuvre.

1. SUR LE CHAMP ET LA DUREE DES ENGAGEMENTS

a) Sur les pratiques concernées par les engagements

97. En introduction à sa proposition d'engagement, Apple indique que " Les services d'instruction ont confirmé à Apple que la seule préoccupation de concurrence identifiée comme subsistant à ce stade en ce qui concerne Apple concernait la pratique par Apple d'exclusivités opérateur et de grossiste de longue durée avec les opérateurs de téléphonie mobile pour la distribution de l'iPhone en France. [...] L'engagement proposé vise donc à répondre à la préoccupation de concurrence identifiée par les services d'instruction ".

98. Dans leurs réponses au test de marché, l'UFC-Que Choisir, SFR, Orange et les fabricants de terminaux soulignent au contraire que la présente procédure d'engagements ne préjuge en rien de la conformité au droit de la concurrence des autres clauses figurant dans les contrats signés entre Apple et les opérateurs de téléphonie mobile, dont certaines avaient été relevées dans la décision n° 08-MC-01, comme susceptibles de poser des problèmes de concurrence, telle que la clause de subventionnement (voir paragraphe 65 de la décision n° 08-MC-01).

99. Dans le cadre de son instruction préliminaire de la saisine au fond, le rapporteur a identifié des préoccupations de concurrence qui ont été notifiées aux parties lors de leur audition au siège de l'Autorité le 20 octobre 2009.

100. Ces préoccupations, décrites dans les procès-verbaux d'évaluation préliminaire signés par les parties (voir paragraphe 66), sont ciblées sur l'exclusivité opérateur et/ou grossiste consentie par Apple à Orange, pour la distribution sur le territoire français de l'iPhone.

101. Cette délimitation, par le rapporteur, du champ des préoccupations de concurrence relève des pouvoirs d'appréciation des services d'instruction.

102. La décision par laquelle l'Autorité rend obligatoires les engagements proposés par les parties atteste que ceux-ci ont été considérés comme mettant un terme aux préoccupations de concurrence identifiées, et clôt la saisine au fond.

103. Aucun effet juridique supplémentaire ne saurait être conféré à cette décision. En particulier, cette décision ne préjuge en rien de l'appréciation que l'Autorité pourrait éventuellement porter sur les aspects des contrats de distribution conclus entre Apple et les opérateurs de téléphonie mobile, autres que l'exclusivité, que ceux-ci aient été ou non évoqués dans la saisine de Bouygues Télécom ou lors de la séance.

b) Sur la durée des engagements

104. Bouygues Télécom souligne que la durée des engagements souscrits par Apple et Orange devrait être portée à cinq ans fermes. L'UFC-Que Choisir estime que cette durée doit être de six ans minimum, et SFR d'une durée indéfinie, avec la possibilité pour l'Autorité de la concurrence de lever les engagements après une période de 5 ans, dans l'hypothèse où l'évolution des marchés concernés le justifierait.

105. Une durée de trois ans paraît cependant appropriée au vu de la situation du marché caractérisée par une innovation technologique rapide. Il convient de relever qu'Apple avait accordé l'exclusivité à Orange pour une durée de cinq ans, en se réservant le bénéfice d'une clause de sortie sans contrepartie à l'issue d'une période de trois ans. Ainsi, lors de son audition, la vice-présidente de la société Apple Inc. avait précisé : " Dans notre esprit il s'agit plutôt d'un contrat de trois ans. Ce point a été central dans la négociation. Apple aurait préféré une période plus courte que trois ans pour cette faculté de sortie ".

c) Sur le champ géographique des engagements

106. Digicel, Outremer Télécom, l'UFC-Que Choisir et SFR souhaitent que les engagements d'Orange soient élargis à l'ensemble du territoire français, comprenant également les DOM TOM, sur certains desquels le groupe France Télécom occupe déjà une position prédominante.

107. L'Autorité de la concurrence considère que le champ géographique des engagements d'Orange doit être étendu à l'ensemble du territoire français. Par ailleurs, afin d'éviter qu'une exclusivité puisse être mise en œuvre sur une partie du territoire, il a été demandé à ce que les engagements d'Orange et d'Apple concernent " tout ou partie du territoire français ".

108. Lors de la séance, Orange et Apple ont modifié leurs propositions d'engagements en ce sens. Apple a également souhaité préciser que son engagement de ne pas mettre en œuvre des accords d'exclusivité en France concernait tous les opérateurs mobiles agissant sur le territoire national et ne se limitait pas aux seuls opérateurs français. L'adjectif " français " a donc été supprimé de sa proposition d'engagement.

109. Orange a tenu à souligner que ses engagements étaient consentis au plan géographique au delà des analyses du marché de la téléphonie mobile et des préoccupations de concurrence retenues dans la décision n° 08-MC-01, et de l'évaluation préliminaire du rapporteur qui, selon elle, visaient le territoire métropolitain, les DOM-TOM constituant à cet égard des marchés distincts.

110. L'Autorité relève cependant que, comme le rappelle le paragraphe 96 de la décision n° 08-MC-01, précitée, l'exclusivité opérateur et/ou grossiste accordée par Apple à Orange concernait " l'ensemble du territoire français ". Les mesures conservatoires prononcées au terme de cette décision concernaient également tout le territoire national. En outre, les deux procès-verbaux d'évaluation préliminaire établis par le rapporteur le 20 octobre 2009 n'indiquaient nulle part que les préoccupations de concurrence concernaient des pratiques limitées au seul territoire métropolitain.

d) Sur les modèles de terminaux mobiles visés par les engagements

111. L'UFC-Que Choisir, Bouygues Télécom et SFR considèrent que pour assurer l'effectivité des engagements pris, il est indispensable d'élargir le champ des engagements à tout modèle de terminal qui remplirait les mêmes fonctionnalités que l'iPhone.

112. Cependant, dans la mesure où les préoccupations de concurrence n'ont porté que sur ce modèle de terminal, il n'y a pas lieu d'étendre les engagements à d'autres terminaux que l'iPhone.

2. SUR LES RESERVES ET CONDITIONS APPORTEES AUX ENGAGEMENTS

113. Dans son communiqué de procédure du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence, l'Autorité de la concurrence a ainsi souligné que : " l'entreprise qui sollicite le recours aux engagements doit être en mesure d'apporter une réponse aux préoccupations de concurrence identifiées dans le cadre de l'évaluation préliminaire. Les engagements proposés doivent donc être pertinents, crédibles et vérifiable ".

114. En l'espèce, les engagements reçus par Apple et Orange les 29 et 30 octobre 2009 étaient assortis de nombreuses réserves susceptibles de remettre en cause leur mise en œuvre effective.

En ce qui concerne les engagements d'Orange

Sur la réserve liée au pourvoi en cassation contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 février 2009

115. En introduction à sa proposition d'engagements, Orange indique que celle-ci ne vaut, ni n'implique de sa part renonciation à ses droits au titre de son pourvoi en cours contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 février 2009, et à l'effectivité de ce pourvoi.

116. Invitée à clarifier ce point, l'entreprise a précisé qu'elle exécuterait ses engagements quelle que soit l'issue de ce pourvoi.

Sur la réserve tenant au comportement des tiers dans les engagements 1 et 2

117. Au deuxième paragraphe de ses engagements 1 et 2, Orange indique que ceux-ci ne valent que pour autant qu'Apple et les autres opérateurs de téléphonie mobile ne négocient pas et ne concluent pas eux-mêmes d'exclusivité " opérateur " et/ou " grossiste ", à l'exception d'une exclusivité inférieure à trois mois pour les modèles futurs de l'iPhone.

118. L'UFC-Que Choisir, SFR et Bouygues Télécom soulignent que l'intégration d'un tel point dans les engagements d'Orange les rend conditionnels à l'attitude de tiers étrangers à la procédure, et donc non pertinents pour répondre aux préoccupations de concurrence.

119. L'Autorité précise que si l'une des parties à la procédure ne respecte pas un ou plusieurs de ses engagements, ce non-respect d'engagement(s) pourra être sanctionné mais qu'en aucun cas, il ne pourra délier l'autre partie de ses propres engagements.

120. Compte-tenu de ces remarques, Orange a accepté lors de la séance de supprimer le deuxième paragraphe de ses engagements 1 et 2.

Sur la condition tenant à la renégociation du contrat avec Apple

121. Par son troisième engagement, Orange conditionne la suppression des clauses d'exclusivité dénoncées à la renégociation avec Apple des obligations et charges stipulées comme étant la contrepartie contractuelle et économique de ces clauses.

122. L'UFC Que Choisir, SFR et Bouygues Télécom soulignent que les engagements d'Orange ne sauraient dépendre du bon vouloir de chacune des parties dans le cadre d'une négociation contractuelle à venir.

123. L'Autorité de la concurrence relève que la renégociation globale des contrats conclus entre Apple et Orange excède le champ des préoccupations de concurrence exprimées par le rapporteur dans son évaluation préliminaire. En effet, celles-ci ne concernent que la question de l'exclusivité consentie par Apple à Orange pour la distribution sur le territoire français de l'iPhone (voir paragraphe 66).

124. Lors de la séance, Orange a accepté de retirer ce troisième engagement.

En ce qui concerne les engagements d'Apple et d'Orange

Sur la possibilité de remettre en cause les engagements avant l'expiration de la période de trois ans proposée

125. Au deuxième paragraphe de sa proposition d'engagement, Apple indique qu'elle s'engage pour une durée de trois ans. Cependant, au quatrième paragraphe, elle indique qu'elle " se réserve le droit de se rapprocher de l'Autorité de la concurrence afin de réexaminer la pertinence de cet engagement à tout moment dans le cas où les conditions du marché français des services de téléphonie mobile viendraient à évoluer ".

126. SFR et Bouygues Télécom considèrent que cette précision constitue une réserve incompatible avec une proposition d'engagement ferme et inconditionnel.

127. Les engagements 1 et 2 d'Orange prévoient quant à eux que l'entreprise s'engage " pour une durée maximale de trois ans ", ce qui laisse entendre qu'elle pourrait en être libérée avant l'expiration de cette période.

128. En vue d'assurer l'effectivité des engagements pris, il est nécessaire de supprimer toute incertitude sur la durée de leur mise en œuvre et d'exclure toute possibilité d'en être délié avant le terme.

129. Lors de la séance, Apple et Orange ont accepté de modifier leur proposition d'engagements en ce sens et d'indiquer que chacune d'elle " s'engage, pour une durée de trois ans à compter de la date de publication sur le site de l'Autorité de la concurrence de la décision à intervenir ".

Sur la situation spécifique du marché français de la téléphonie mobile

130. Au deuxième paragraphe de sa proposition d'engagement, Apple indique également que " l'engagement proposé s'inscrit exclusivement dans le contexte spécifique et non transposable de la structure actuelle et du fonctionnement particulier du marché français des services de téléphonie mobile, dont il a été fait état dans la partie 1.1. ci-dessus. Il est en outre spécifiquement lié au futur développement de l'iPhone ".

131. Lors de la séance, Orange a tenu à préciser que sa proposition d'engagements ne valait que dans le cadre du marché français des services de téléphonie mobile.

132. A cet égard, l'Autorité de la concurrence rappelle que les exclusivités ne sont pas des pratiques anticoncurrentielles en elles-mêmes et que les préoccupations de concurrence exprimées ainsi que la décision de mesures conservatoires ne visent que des pratiques mises en œuvre sur le marché français de la téléphonie mobile en raison de ses caractéristiques propres. L'Autorité confirme donc que l'appréciation qu'elle peut porter, dans le cadre de la présente affaire, sur les modalités de commercialisation de l'iPhone, concernent le seul marché français.

3. SUR LA PORTEE DES ENGAGEMENTS

a) Sur l'utilisation du terme " revendiquer "

133. Orange indique s'engager " à ne pas revendiquer d'exclusivité " opérateur " et/ou " grossiste " sur les modèles actuels de l'iPhone (1er engagement).

134. L'Autorité de la concurrence considère que l'utilisation du terme " revendiquer " laisse penser qu'Orange pourrait se soustraire à ses engagements dès lors que l'exclusivité ne serait pas demandée par elle mais sollicitée par Apple.

135. Pour une plus grande clarté, Orange a accepté en séance de remplacer l'expression " à ne pas revendiquer " par " à ne conclure et/ou mettre en œuvre " d'exclusivité.

b) Sur l'exclusivité de fait

136. Au vu des observations des parties, Orange et Apple ont demandé que les engagements ne visent que les exclusivités résultant d'un accord exprès ou tacite entre entreprises, à l'exclusion d'éventuelles exclusivités de fait dont pourrait bénéficier un opérateur sur tout ou partie du territoire.

137. Lors de la séance, Orange et Apple ont par conséquent remplacé le terme " exclusivité " par " accord d'exclusivité ".

c) Sur la durée d'une exclusivité éventuelle sur les modèles futurs de l'iPhone

138. Lors de la séance, Bouygues Télécom a indiqué que la rédaction des engagements d'Apple et d'Orange telle que proposée n'empêchait pas le renouvellement successif des exclusivités de trois mois portant sur les modèles futurs de l'iPhone.

139. Apple et Orange ont donc accepté de modifier leurs engagements sur ce point en précisant que l'exception concernait des " accords d'exclusivité sur des modèles futurs d'iPhone, dont la durée, non renouvelable, ne serait pas supérieure à trois mois pour chaque modèle ".

4. SUR LA MISE EN OEUVRE DES ENGAGEMENTS

a) Sur la mise en œuvre par Orange de son troisième engagement

140. L'Autorité a demandé en séance que soit précisée la façon dont Orange mettrait en œuvre son troisième engagement (anciennement quatrième) qui prévoit la régularisation avec ses distributeurs de leurs contrats de distribution de l'iPhone tels que visés dans la décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008, et dont il informerait l'Autorité.

141. Cette demande a conduit Orange à préciser que " cette régularisation sera effectuée par notification aux distributeurs de l'inapplicabilité et de la suppression de ces clauses. Orange informera l'Autorité de la concurrence de la mise en œuvre de cet engagement, dans un délai de trois mois à compter de la date de publication sur le site de l'Autorité de la concurrence de la décision à intervenir, en adressant à l'Autorité copie de ces courriers de notification ".

b) Sur la date de mise en œuvre des engagements

142. Les engagements d'Apple et d'Orange ne prévoient pas de date de mise en œuvre

143. Les deux opérateurs ont précisé lors de la séance qu'ils s'engageaient " à compter de la date de publication sur le site de l'Autorité de la concurrence de la décision à intervenir ".

B. CONCLUSION

144. L'Autorité considère que les engagements d'Apple et d'Orange, tels que précisés et corrigés lors de la séance du 9 décembre 2009, répondent aux préoccupations de concurrence identifiées par le rapporteur et présentent un caractère crédible et vérifiable.

145. Il y a donc lieu d'accepter les engagements d'Apple et d'Orange et de les rendre obligatoires.

Décision

Article 1er : L'Autorité accepte les engagements pris par les sociétés Apple Sales International, Apple Inc., France Télécom et Orange, qui font partie intégrante de la présente décision à laquelle ils sont annexés. Ces engagements sont rendus obligatoires à compter de la publication de la décision sur le site internet de l'Autorité.

Article 2 : La saisine enregistrée sous le numéro 08/0097 F est close.

1 Sur l'applicabilité de l'article 81 CE, devenu 101 du TFUE à compter du 1er décembre 2009, voir les paragraphes 93 à 97 de la décision n° 08-MC-01.