CA Aix-en-Provence, 9e ch. A, 4 octobre 2007, n° 06-06712
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
AGS, Centre de gestion et d'étude AGS de Toulouse
Défendeur :
Bouchet, Rey (ès qual.), Vinceneux (ès qual.), France Acheminement (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Labignette
Conseillers :
Mme Roche, M. Trille
Avocats :
Mes Depieds, Cohen Boulakia, Mangin, Nadal
Le 11 mars 1996, Monsieur Sébastien Bouchet et la SARL France Acheminement ont conclu un contrat intitulé de franchise.
Le 15 décembre 1997, Monsieur Bouchet a adressé une lettre de démission à la société France Acheminement puis a saisi le Conseil des prud'hommes de Marseille d'une demande de requalification du contrat de franchise en contrat de travail avec ses conséquences de droit.
Les décisions de justice suivantes ont été rendues dans ce litige :
- 4 mai 1998 : le Conseil des prud'hommes de Marseille s'est déclaré incompétent au motif que les parties n'étaient pas liées par un contrat de travail ;
- 30 mars 1999 : sur contredit, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé ce jugement ;
- 4 décembre 2001 la Cour de cassation a cassé cet arrêt et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris
- 13 janvier 2004 : la Cour d'appel de Paris a déclaré le contredit bien fondé et renvoyé la cause et les parties devant le Conseil des prud'hommes de Marseille
- 21 mars 2006 le Conseil des prud'hommes a rendu un jugement de départage qui est frappé de l'appel dont la cour est saisie.
Cet appel a été régulièrement interjeté par l'Assurance de garantie des créances des salariés AGS de Toulouse, le 10 avril 2006.
La société France Acheminement a fait l'objet, par jugement du Tribunal de commerce de Toulouse du 7 janvier 2003, d'un redressement judicaire, converti ultérieurement en liquidation.
Le jugement déféré, déclaré opposable au CGEA de Toulouse, a dit que les dispositions du Code du travail sont applicables à la relation contractuelle entre Monsieur Bouchet et société France Acheminement et fixé la créance de Monsieur Bouchet à l'égard de Maître Rey, mandataire liquidateur, aux sommes suivantes :
- droit d'entrée : 10 823,88 euro
- frais liés à l'obligation de créer une entreprise : 12 759,98 euro
- frais professionnels : 28 598,06 euro
- complément de salaire : 15 599,95 euro
- congés payés afférents : 1 559,99 euro
- dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : 2 329,72 euro
- dommages et intérêts pour préjudice moral : 2329,72 euro
- indemnité compensatrice de préavis : 1 164,86 euro
- article 700 du nouveau Code de procédure civile : 3 000 euro
Monsieur Bouchet demande la confirmation du jugement déféré en son principe, sauf en ce qu'il a rejeté sa demande d'heures supplémentaires. Il réclame en outre l'augmentation de certaines des sommes qui lui ont été allouées ainsi qu'il sera précisé ci-dessous.
Il sollicite la somme de 4 600 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le CGEA, tout en s'en rapportant à la cour quant à la demande de requalification du contrat de franchise en contrat de travail, conclut au principal, au débouté de Monsieur Bouchet au motif que celui-ci poursuit une activité à titre indépendant et, subsidiairement, développe les arguments qui seront exposés ci-après pour demander le rejet ou la minoration des demandes de l'intéressé.
Maître Rey et Maître Vinceneux, mandataires liquidateurs, régulièrement convoqués n'étaient ni présents ni représentés à l'audience. Le présent sera donc réputé contradictoire.
Motifs
Aux termes de l'article L. 781-1 du Code du travail, les dispositions de ce code qui visent les apprentis, ouvriers, employés, travailleurs sont applicables aux personnes dont la profession consiste essentiellement à recueillir les commandes ou à recevoir des objets à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule et même entreprise industrielle et commerciale, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par ladite entreprise.
Le contrat " de franchise " signé par les parties a pour objet la distribution de colis, plis, objets dans le cadre de tournées régulières, selon les horaires déterminés, et comporte une clause d'exclusivité et de non-concurrence par laquelle Monsieur Bouchet renonce à exercer directement ou indirectement une activité annexe, accessoire ou complémentaire et s'interdit d'établir en dehors du contrat de franchise tout lien juridique avec une clientèle susceptible de devenir cliente du réseau pour les activités visées au contrat. Les documents produits par Monsieur Bouchet démontrent d'une part, que les locaux dans lesquels il exerçait son activité étaient loués au nom de la société France Acheminement laquelle était titulaire des abonnements France Telecom et EDF-GDF d'autre part, que les tarifs étaient fixés par la société France Acheminement.
Au soutien de son affirmation selon laquelle Monsieur Bouchet " continue à exercer son activité à titre indépendant ", la CGEA produit un extrait du registre du commerce de Salon portant immatriculation de Monsieur Bouchet en date du 19 mars 1996 pour exercer une activité de transport routier de marchandises de proximité; il est à noter que cette immatriculation est l'une des exigences du contrat conclu entre les parties.
Ce seul document n'est pas de nature à établir que Monsieur Bouchet ait exercé ou exerce une activité indépendante.
Les conditions de l'article L. 781-1 du Code du travail étant remplies, les dispositions du Code du travail sont applicables à la relation contractuelle ayant lié les parties.
Monsieur Bouchet formule les demandes suivantes :
- restitution du droit d'entrée de 10 823,88 euro
Le CGEA s'oppose à cette demande en faisant valoir que ce droit d'entrée consiste en une redevance en partie payable à la signature du contrat. Il souligne que ledit contrat prévoit que cette redevance s'élève à 9 299,39 euro
Les dispositions du droit de travail s'appliquant Monsieur Bouchet, celui-ci a indument versé un droit d'entrée.
La somme de 9 299,39 euro qu'il a payée à ce titre devra lui être restituée.
- remboursement de frais liés à l'obligation de créer son entreprise
Monsieur Bouchet indique qu'il a dû investir une somme de 12 759,98 euro conformément à l'article 4 du contrat conclu avec société France Acheminement qui prévoit qu'il doit être commerçant inscrit au registre du commerce. Il produit le bilan de l'exercice clôturé au 31 mars 1997 pour justifier cette demande.
Le CGEA conclut que Monsieur Bouchet continue son activité à titre indépendant et qu'il tire donc encore profit de ces frais. Il ne fournit aucun justificatif de cette affirmation.
Monsieur Bouchet devra percevoir les sommes qu'il a investies (apports, location véhicule, assurance...) pour créer une entreprise que son bilan permet d'évaluer à 10 500 euro.
- remboursement des frais professionnels
Monsieur Bouchet réclame la somme totale de 28 598,06 euro pour l'amortissement du véhicule qu'il a été contraint d'acquérir et pour le remboursement de ses cotisations d'assurance professionnelle, de ses frais d'électricité, de poste de téléphone, de carburant, de location du dépôt France Acheminement.
Le CGEA conteste cette demande en indiquant, sans en justifier, que Monsieur Bouchet poursuit une activité indépendante.
Monsieur Bouchet produit des documents relatifs à l'acquisition et à la restitution (qui a entrainé des frais de reprise) d'un véhicule Renault Trafic acheté à crédit, pour justifier sa demande au titre de laquelle il lui sera alloué la somme de 20 000 euro.
- complément de salaires et heures supplémentaires :
Monsieur Bouchet conclut qu'en application de la convention collective des transports routiers il aurait dû percevoir le salaire d'agent de service commercial 1er degré soit 1 137,42 euro par mois pour 169 heures de travail. Il soutient qu'il a effectué 91 heures supplémentaires par mois et réclame, après déduction des bénéfices qu'il a perçus, la somme de 34 101,22 euro à titre de complément de salaire.
Le CGEA souligne que Monsieur Bouchet compare salaire brut et résultat d'exploitation, lequel a déjà supporté les charges sociales et ne fournit aucun élément probant à l'appui de sa demande au titre des heures supplémentaires qui est forfaitisée et imprécise. Il indique que la créance de rappel de salaires devra être fixée en brut (soit avec une majoration pour charges sociales de 23 % applicable dans les entreprises de transport) de façon à permettre la garantie étendue aux charges sociales.
S'il résulte des dispositions de l'article L. 212-1-1 du Code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.
Monsieur Bouchet fournit deux documents qu'il a établis et qui ne sont pas datés ni visés par la société France Acheminement, faisant état de sa tournée et des heures de distributions pour justifier qu'il travaillait 13 heures par jour. Il ne fournit aucun décompte précis.
Ces documents peu explicites et non détaillés, émanant du demandeur, qui ne sont soutenus par aucun élément ne sont pas suffisants pour étayer la demande de Monsieur Bouchet au titre des heures supplémentaires.
Celle-ci sera donc rejetée.
Par ailleurs, Monsieur Bouchet aurait dû percevoir pour la période travaillée un salaire de 1 137,42 euro x 21 mois et 4 jours soit un total de 24 037,16 euro brut.
Il indique qu'il a perçu durant la période considérée des bénéfices de 8 861,86 euro ; son bilan clôturé au 31 mars 2003 fait apparaitre pour l'année un bénéfice de 6 015,94 euro. La somme de 8 861,86 euro, non contestée par le CGEA, apparaît donc crédible et sera retenue par la cour.
Eu égard aux éléments indiqués ci-dessus il sera alloué à Monsieur Bouchet à titre de complément de salaire, pour la durée de la relation contractuelle, la somme de 9 954,62 euro net soit 12 244,182 euro brut.
- congés payés :
Monsieur Bouchet fait valoir qu'il n'a pas pu prendre ses congés payés car le contrat prévoit qu'il devait assurer le service, en personne, et tous les jours ouvrables : il réclame de ce chef 10 % de la somme due à titre de complément de salaire.
Le CGEA réplique qu'il n'est pas démontré que l'employeur ait empêché Monsieur Bouchet de prendre ses congés et qu'il est constant que les franchisés peuvent se faire remplacer pendant les périodes d'interruption de leur activité.
Les dispositions du droit du travail devaient s'appliquer dès le début de la relation contractuelle entre les parties : Monsieur Bouchet avait donc droit à des congés payés qu'il n'a pu prendre du fait de la qualification erronée du contrat qu'il a signé ; il lui sera donc alloué la somme de 1 224,41 euro au titre des congés payés.
- le préjudice moral
Monsieur Bouchet fait valoir que la société France Acheminement a suscité en lui l'espoir de pouvoir créer et développer sa propre entreprise, qu'il s'est investi personnellement et a dû être aidé financièrement par sa famille alors qu'en fait l'employeur le considérait comme son salarié.
Il demande en réparation de son préjudice la somme de 15 244,90 euro à titre de dommages et intérêts.
Le CGEA estime que cette demande est injustifiée et que Monsieur Bouchet n'a pas subi de préjudice puisqu'il a poursuivi son activité.
La société France Acheminement a imposé à Monsieur Bouchet les conditions de son travail dans des termes strictement définis, si bien que les dispositions du Code du travail sont applicables à la relation contractuelle des parties, tout en lui imposant de créer une activité commerciale et d'investir pour l'exercer et en omettant de remplir ses obligations d'employeur.
Monsieur Bouchet a ainsi subi un préjudice moral en réparation duquel il lui sera alloué la somme de 5 000 euro.
- la rupture de la relation contractuelle
Monsieur Bouchet a adressé à la société France Acheminement un courrier daté du 15 décembre 1997, donnant sa démission " compte tenu de la faiblesse de ma rémunération, de l'absence de règlement des sommes qui me sont dues et des conditions dans lesquelles j'exerce mon travail... "
Il soutient que le contrat a été rompu du fait des fautes de l'employeur et que des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse d'un montant de 15 244,90 euro devront lui être alloués.
Le CGEA demande la confirmation de la somme de 2 399,2 euro qui a été fixée par le jugement déféré.
La démission s'analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors qu'elle est fondée sur un comportement fautif de l'employeur.
La société France Acheminement a embauché Monsieur Bouchet sous couvert d'un contrat dit de franchise qui lui a permis d'éluder ses obligations contractuelles et notamment celle de verser un salaire à l'intéressé.
La rupture de la relation est donc imputable à l'employeur et doit s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Monsieur Bouchet ne fournit pas de justificatif de son préjudice.
Un licenciement infondé causant nécessairement un préjudice, il sera alloué à l'intéressé la somme de 4 000 euro à titre de dommages et intérêts.
- le préavis
Monsieur Bouchet réclame à ce titre la somme de 2 045,86 euro ; le CGEA s'oppose à cette demande.
Il sera alloué à l'intéressé la somme de1 137,42 euro.
- sur la garantie de l'AGS
Monsieur Bouchet sollicite la garantie de l'AGS pour l'ensemble des sommes dues.
Le CGEA conclut que les sommes allouées à titre de remboursement du droit d'entrée, indissociablement rattaché au contrat de franchise, les dommages et intérêts pour préjudice moral et les sommes allouées sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile sont exclus de sa garantie.
Le contrat conclu entre les parties n'est pas un contrat de franchise ; le droit d'entrée versé par Monsieur Bouchet a été indument payé dans le cadre d'un contrat soumis au droit du travail et son remboursement doit être garanti par l'AGS.
De même, Monsieur Bouchet a subi un préjudice moral du fait de la non-exécution par l'employeur de ses obligations contractuelles. La somme allouée de ce chef sera garantie par l'AGS ;
En conclusion toutes les sommes allouées à Monsieur Bouchet, seront garanties par l'AGS.
La société France Acheminement faisant l'objet d'une procédure collective, la demande de Monsieur Bouchet fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile sera rejetée.
Par ces motifs : LA COUR statuant par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe ; Vu l'article 696 du nouveau Code de procédure civile ; Réforme le jugement déféré ; Le confirme en ce qu'il a jugé que les dispositions du Code du travail sont applicables à la relation contractuelle entre Monsieur Bouchet et la société France Acheminement, dit que la démission de Monsieur Bouchet s'analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et rejeté la demande au titre des heures supplémentaires ; Pour le surplus, fixe la créance de Monsieur Bouchet à l'égard de Maître Rey et Maître Vinceneux mandataires liquidateurs de la société France Acheminement aux sommes suivantes : - droit d'entrée 9 299,39 euro - frais liés à l'obligation de créer une entreprise : 10 500 euro - frais professionnels : 20 000 euro - complément de salaire : 12 244,82 euro - congés payés afférents : 1 224,41 euro - dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : 4 000 euro - dommages et intérêts pour préjudice moral : 5 000 euro - préavis : 1 137,42 euro ; Dit que le CGEA de Toulouse devra garantir ces sommes dans les limites fixées par les lois et règlements ; Rejette la demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que les dépens seront inclus dans les frais de la procédure collective.