Cass. soc., 6 janvier 2010, n° 08-42.204
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Bannwarth
Défendeur :
Imprimerie Didier Quebecor (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Collomp
Rapporteur :
Mme Sommé
Avocat général :
M. Cavarroc
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Célice, Blancpain, Soltner
LA COUR : - Attendu selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mars 2008), que M. Bannwarth a été engagé le 8 janvier 1996 par la société Imprimerie Didier Quebecor en qualité d'agent technico-commercial ; qu'un avenant au contrat de travail a été conclu le 7 mai 1998 rattachant le salarié à la catégorie commercial débutant, statut agent de maîtrise, et fixant les modalités de calcul de sa rémunération ; qu'après avoir été licencié le 20 décembre 2002, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour se voir reconnaître le statut de VRP et obtenir paiement de diverses sommes à titre salarial et indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Sur le premier moyen : - Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande de requalification de son contrat de travail en contrat de VRP et de ses demandes en paiement d'indemnités de préavis, de clientèle et de contrepartie de la clause de non-concurrence, alors, selon le moyen : 1°) que les juges sont tenus d'examiner l'ensemble des pièces produites par les parties au soutien de leurs prétentions ; que M. Bannwarth versait aux débats son contrat de travail faisant état, en l'article 2 de son avenant daté du 7 mai 1998, d'une obligation de prospection à sa charge ; que pareillement, M. Bannwarth versait la lettre de licenciement de son employeur lui reprochant expressément une "absence de prospection malgré un secteur géographique assez large" ; que le contrat de travail précisait que M. Bannwarth disposait d'un "secteur d'activité" et d'un "secteur géographique" ; que la partie adverse elle-même reconnaissait en ses conclusions que M. Bannwarth effectuait une activité de représentation commerciale ; que par conséquent, les contestations de la partie adverse dans ses écrits ne concernaient que l'existence d'un secteur ; que pour démontrer qu'il bénéficiait d'un secteur géographique, M. Bannwarth versait en outre aux débats des documents intitulés "états commerciaux" et "état de clientèle" précisant le chiffre d'affaire qui avait été effectué par lui selon son employeur ; que sur ces mêmes documents figurait expressément, en haut à droite, la mention "secteur région Rhône-Alpes" ; que ces documents comportaient la liste des clients et le département dans lequel était situé le siège social du client ; qu'une liste complète des clients des salariés de l'employeur et notamment de M. Bannwarth comportant l'adresse complète des clients était également versée ; que ces documents émanaient de l'employeur et étaient opposables à celui-ci ; qu'une carte de France faisant apparaître les régions et les départements était également versée, ce qui permettait de démontrer que la quasi-totalité de ses clients étaient situés dans la région Rhône-Alpes ; qu'il résultait donc de ces différents documents, émanant de l'employeur, opposables à celui-ci, et valant reconnaissance expresse de celui-ci, et partant aveux extra-judiciaires et judiciaires, que M. Bannwarth disposait bien d'un secteur géographique ; que M. Bannwarth faisait expressément référence dans ses conclusions aux prédits documents ; que les courriels versés en cause par l'employeur n'établissent nullement l'absence de prospection M. Bannwarth et n'utilisent pas le terme de "clients confiés en gestion" ; que ce terme, notion juridique plus que vague, pourrait tout au plus désigner une clientèle préexistante de l'employeur ; que si l'existence d'une clientèle préexistante peut entraîner une incidence sur l'indemnité de clientèle, elle n'est pas exclusive d'un démarchage effectué par le VRP ; que la réalité d'une clientèle préexistante de l'employeur était contestée dans les conclusions de M. Bannwarth ; qu'au surplus, contrairement à ce qu'avançait la cour d'appel, il ne résulte d'aucun document versé en cause par M. Bannwarth qu'il aurait eu un client situé en Bretagne ; que s'il existait bien deux clients ayant leur siège social respectivement sur Aix-en-Provence et un en Bourgogne, il s'agit de départements limitrophes de la région Rhône-Alpes ; que le ficher indiquait par erreur que M. Bannwarth avait comme client Publicis avec pour siège Paris, alors qu'il s'agissait du siège de Lyon, ainsi que cela ressortait d'ailleurs du courriel du mois de mars 2002 évoqué par la cour d'appel ; que s'agissant du client Schneider Electric, si le listing indiquait comme département les Hauts-de-Seine, l'adresse du client était en réalité située dans l'Isère, à Meylan, ainsi que cela ressortait des factures versées en cause par la partie adverse, qu'en considérant, que M. Bannwarth ne produisait aucune pièce utile à l'appui de ses assertions, sans examiner les documents précités, ni tenir compte des aveux judiciaires et extra-judiciaires de la société Quebecor, la cour d'appel a violé les articles 9 et 455 du Code de procédure civile, ainsi que les articles 1316, 1320, 1322, 1330, 1354 et 1356 du Code civil, ainsi que l'article L. 1235-1 du Code du travail, 2°) que la loi prescrit seulement de rapporter la preuve de l'existence de la région dans laquelle le salarié exerce son activité, i.e. la preuve de l'existence d'un secteur ainsi que sa fixité, c'est-à-dire un secteur délimité géographiquement, et connaissant une relative stabilité ; qu'aucune disposition de la loi ne précise que pour prétendre au bénéfice du statut de VRP, le salarié devrait rapporter la preuve qu'il n'avait pas de clients hors du secteur allégué, ni que son secteur devrait être immuable ; que sont seules incompatibles avec le statut l'absence de délimitation du secteur et sa modification répétée ; que dans le cas d'espèce, il résultait des pièces versées en cause que l'écrasante majorité des clients M. Bannwarth avaient leur siège social dans la région Rhône-Alpes, ce qui démontrait que M. Bannwarth était amené à opérer majoritairement et prioritairement dans la région Rhône-Alpes, et par voie de conséquence, la fixité du secteur ; que par conséquent en considérant que le fait d'avoir des clients situés en dehors du secteur allégué démontrait par là-même l'absence de secteur, la cour d'appel a ajouté une condition à la loi, et en conséquence, violé l'article L. 7311-3 du Code du travail (anciennement L. 757-1 [sic] du Code du travail) par fausse interprétation de la loi ; 3°) que la loi prescrit seulement de rapporter la preuve de l'existence d'une "catégorie de clients" ; que la loi ne précise nullement que le terme "catégorie de clients" devrait s'entendre de clients ayant un objet social ou exerçant une activité identique ; que si le démarchage de l'ensemble de la clientèle d'une entreprise ne permet pas de déterminer un secteur conforme aux exigences de l'article L. 751-1 du Code du travail, tel n'était pas le cas dans le présent dossier ; qu'en effet, dans le cadre de son activité d'imprimerie de labeur, l'employeur était amené à imprimer non seulement des documents publicitaires, mais également des livres, de la presse et des périodiques pour tous types de clients, qu'il s'agisse de personnes physiques, morales, privées ou publiques, alors que M. Bannwarth démarchait la grande distribution, les commerçants détaillants et les artisans pour l'impression de catalogues, tracts et documents publicitaires, ainsi que les éditeurs de catalogues tels que des agences de publicité ou de marketing qui préparent les plaquettes et la publicité pour des commerçants et distributeurs divers sans pour autant les imprimer ; qu'[en] considérant que la différence d'objet d'activité des clients de M. Bannwarth démontrait par la même l'absence de catégories de clients, et donc de secteur au sens de la loi, la cour d'appel a ajouté une condition à la loi, et en conséquence violé l'article L. 7311-3 du Code du travail (anciennement L. 757-1 du Code du travail) [sic] par fausse interprétation de la loi, 4°) que d'une part, le fait de ne pas avoir demandé ni obtenu la carte d'identité professionnelle de VRP, ni par ailleurs l'application du statut fiscal afférent aux VRP, ne constitue pas une des conditions d'application de ce statut, conditions limitativement énumérées à l'article L. 7311-3 du Code du travail ; qu'en considérant que M. Bannwarth ne pouvait pas revendiquer le bénéfice du statut de VRP pour ces motifs, la cour d'appel a violé les articles L. 7311-1, L . 7311-2 et L. 7311-3 du Code du travail par fausse interprétation de la loi ;
Mais attendu qu'appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a retenu qu'il était établi qu'en l'absence de zone d'activité définie par le contrat de travail et son avenant, les clients de M. Bannwarth étaient situés dans la région Rhône-Alpes mais encore en région parisienne, à Aix-en-Provence, dans les côtes d'Armor ou dans le Jura, relevant ainsi de secteurs d'activité très différents, et en a déduit que le salarié ne justifiait pas que le statut de VRP lui était applicable ; qu'elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
Sur le cinquième moyen : - Attendu que le salarié fait encore grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande de rappel de salaires, alors, selon le moyen : 1°) que la cour d'appel a dénaturé les termes du contrat en affirmant que les critères auxquels sont associés les objectifs sont à prendre en compte pour le calcul de la prime annuelle et non pour l'attribution de tout ou partie de la prime ; qu'en effet, l'article 4-2 de l'avenant du 7 mai 1998 intitulé "prime annuelle multi-critère" n'indique pas quel sera le montant de la prime, à l'exception de la prime pour l'année 1998 ; qu'en effet, les critères énoncés à l'article 4-2-2 précisent les critères pris en compte pour le calcul de la prime (dont un des critères est l'objectif de chiffre d'affaire), mais ne permettent pas de déterminer quel devrait être le montant total de la prime ; qu'en effet, la réunion de l'ensemble des six critères suivant l'article 4-2-3 de l'avenant entraîne l'attribution de 100 % de la prime, sans qu'il soit possible de déterminer comment sera déterminé le montant total de celle-ci en chiffre absolu ; qu'en considérant que les critères auxquels sont associés les objectifs sont à prendre en compte pour le calcul de la prime annuelle et non pour l'attribution de tout ou partie de la prime, la cour d'appel a dénaturé les termes du contrat et a violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) que l'avenant du 7 mai 1998 prévoit en son article IV, 1er alinéa, de manière générale et non pas limitée à la seule année 1998, que la rémunération sera composée à la fois d'un fixe et d'un variable (prime multi-critères, bonus à la survente) ; que par conséquent, la structure de la rémunération qui distinguait entre rémunération variable et fixe ne s'appliquait pas qu'à l'année 1998 ; que cette prime multicritère ne saurait être le même chaque année, sauf à considérer que la rémunération indiquée comme variable est en réalité fixe ; que dans une telle hypothèse, il y aurait modification unilatérale du contrat sans accord du salarié ; qu'en considérant que M. Bannwarth confondait le régime particulier de la première année d'application du contrat avec celui des années suivantes, et invoquait à tort à cette fin une stipulation particulière limitée dans le temps se rapportant expressément à l'année 1998, la cour d'appel a dénaturé les termes du contrat et a violé l'article 1134 du Code civil ; 3°) que l'arrêt énonce que le montant de la prime multicritères pour les années 1998 à 2002 a été exactement calculé, sans préciser les modalités de calcul qui restent inconnues et en tous les cas non explicitées, le jugement du Conseil de prud'hommes de Meaux auquel renvoie la cour d'appel n'explicitant pas davantage les modalités de calcul de la prime ; que par conséquent la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 4°) que l'article "4-2-5- révision" en son premier alinéa stipule que le montant de la prime (pour les années postérieures à 1998) "varie proportionnellement aux objectifs définis" et non uniquement, comme l'indique la cour d'appel "proportionnellement aux objectifs définis concernant les chiffres d'affaires perdus par des causes directement liés à la responsabilité des usines et concernant les comptes clients confiés en gestion" ; que par conséquent, le montant de la prime était susceptible de variation proportionnelle ; que c'est suivant cette même idée de proportionnalité qu'était mis en rapport le montant total de la prime avec le montant du chiffre d'affaire hors taxe hors papier, hors port, et non avec un objectif de chiffre d'affaires ; que considérer que le montant de la rémunération variable est lié aux objectifs de chiffre d'affaires et non au chiffre d'affaires fait dépendre celle-ci d'éléments non objectifs, et revient à permettre à l'employeur de modifier unilatéralement la rémunération contractuelle, ce qui est prohibé ; qu'ainsi, M. Bannwarth a été privé d'une partie considérable de la rémunération variable à laquelle il pouvait prétendre ; qu'en considérant que le montant de la prime (pour les années postérieures à 1998) varie "proportionnellement aux objectifs définis concernant les chiffres d'affaires perdus par des causes directement liés à la responsabilité des usines et concernant les comptes clients confiés en gestion" les critères auxquels sont associés les objectifs sont à prendre en compte pour le calcul de la prime annuelle et non pour l'attribution de tout ou partie de la prime, quand le contrat précisait que le montant de la prime (pour les années postérieures à 1998) "varie proportionnellement aux objectifs définis", la cour d'appel a dénaturé les termes du contrat et a violé l'article 1134 du Code civil ; 5°) que l'arrêt de la cour d'appel énonce que le contrat contenait des dispositions claires et sans ambiguïtés, quand en réalité qu'aucune disposition du contrat ne permettait de calculer le montant total de la prime ; que ce contrat aurait donc dû être interprété conformément aux dispositions des articles 1156, 1157, 1158, 1159, 1160, 1161, 1162 et 1164, de façon à ce que les clauses donnent à chacune le sens qui résultait de l'acte entier ; que par conséquent, le seul critère objectif de détermination de la rémunération variable était non les objectifs de chiffre d'affaire mais le chiffre d'affaire, critère au demeurant correspondant à l'accord des parties pour l'année 1998 ; qu'ainsi, il a été jugé, après avoir retenu que la partie variable de la rémunération résultait du contrat de travail, "qu'à défaut d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombait au juge de déterminer celle-ci en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes (Cass. soc. 22 févr. 2000, n° 97-43.465, Bull. civ. V, 70, p. 57) ; que la rémunération variable aurait dès lors dû être fixée sur base des critères visés et donc de l'évolution du chiffre d'affaire ; que dans la mesure où il était précisé que la rémunération variable représentait 20 % du total de la rémunération, et que cette rémunération avait été calculée pour l'année 1998 sur base du chiffre d'affaire de manière à représenter 0,46 % du chiffre d'affaire hors taxes, hors papier, hors port, ce système était le seul transposable aux années suivantes, sauf à s'interdire de pouvoir déterminer le montant de la rémunération variable pour les années postérieures à l'année 1998 ; que le principe de faveur doit par ailleurs jouer en faveur du salarié, dans le cas où le contrat est ambigu ; qu'en considérant le contraire et en estimant que l'avenant était exempt d'ambiguïté, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1156, 1157, 1158, 1159, 1160, 1161, 1162 et 1164 du Code civil, et L. 1235-1 du Code du travail ;
Mais attendu que si c'est à tort que la cour d'appel a jugé que l'avenant litigieux était dépourvu d'ambiguïté, elle a décidé, par une interprétation souveraine exclusive de dénaturation, qu'il résultait de cet avenant que la prime multi-critères était fixée en fonction, non du chiffre d'affaires, mais des objectifs de chiffre d'affaires et elle a fixé souverainement le montant de cette indemnité ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième, troisième et quatrième moyens qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi, Rejette le pourvoi.