CA Aix-en-Provence, 18e ch., 10 juin 2008, n° 07-09446
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Doignon
Défendeur :
Jeanne (ès qual.), Sica (SARL), AGS CGEA Ile-de-France Est
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mallet
Conseillers :
Mmes Jacquemin, Elleouet-Giudicelli
Avocats :
Mes Martins Mestre, Laskier, Del Do, Agrinier, Fialon
Exposé du litige
Monsieur Doignon a été embauché par la SARL Sica dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée le 26 novembre 1992 en qualité de VRP multicartes.
Par jugement en date du 13 novembre 2006 le Tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la SARL Sica et désigné Maître Jeanne comme mandataire liquidateur.
Saisi par Monsieur Doignon afin d'obtenir la requalification de son contrat en contrat de VRP exclusif et le paiement de rappel de salaire, de commissions, d'indemnité de congés payés, de dommages et intérêts pour dénigrement, entrave, harcèlement et la remise des documents sociaux sous astreinte, le Conseil des prud'hommes de Draguignan, par jugement du 29 mai 2007, a débouté Monsieur Doignon de l'ensemble de ses demandes.
Monsieur Doignon a régulièrement formé appel, le 2 juin 2007, de cette décision. Dans les conclusions qu'il fait développer à la barre, il expose des arguments et fait valoir des moyens, auxquels il sera ultérieurement répondu, pour requalifier ses fonctions en VRP exclusif au lieu de VRP multicartes et condamner la SARL Sica aux sommes suivantes :
* 101 545,60 euro brut de rappel de salaire du 1er juillet 2001 au 30 novembre 2007,
* 1 376 euro net de rappel de salaire sur les jours fériés travaillés,
* 615 euro net de commissions,
* 5 510 euro net d'indemnité de congés payés,
* 45 000 euro de dommages-intérêts pour dénigrement, entrave, harcèlement,
* 3 800 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il demande également que la SARL Sica soit condamnée sous astreinte de 75 euro par jour de retard courant de la notification de l'arrêt à intervenir à délivrer :
* l'avenant visé en clause 4 du contrat de travail du 26 novembre 1992,
* la convention collective applicable,
* les attestations de salaire rectifiées pour la sécurité sociale concernant la période du 1er juillet 2002 jusqu'au 30 novembre 2003,
* un bulletin de salaire rectificatif,
* les justificatifs de règlement, mois par mois, sur procédure de paiement direct de la pension alimentaire due pour l'enfant Mélanie Doignon,
* une attestation de l'expert-comptable de l'employeur certifiant que pour les années 1997 à 2005 inclues, le chiffre d'affaires le bénéfice net, ainsi que le montant du poste comptable " frais de réception, de représentations et de congrès " de la société Sica.
Dire et juger ledit arrêt opposable tant à Maître Jeanne ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Sica qu'au CGEA AGS de l'Ile-de-France Est.
Dans les conclusions, auxquelles il sera ultérieurement répondu, Maître Jeanne, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Sica, demande que le jugement soit confirmé, que Monsieur Doignon soit débouté de l'ensemble de ses demandes et qu'à titre reconventionnel, il soit condamné à verser à Maître Jeanne 8 000 euro au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans les conclusions, auxquelles il sera ultérieurement répondu, le CGEA AGS de l'Ile-de-France Est demande que le jugement soit confirmé en toutes ses dispositions, que Monsieur Doignon soit débouté de sa demande de rappel de salaire sur les jours fériés travaillés ainsi que sur la commission et les congés payés, qu'il soit dit que la garantie ne peut aucunement intervenir pour la réclamation au titre de dommages-intérêts qui relèvent de la seule responsabilité de l'employeur et n'entrant pas dans le champ d'application de l'article L. 143-11-1 du Code du travail, dire que la garantie ne peut aucunement intervenir au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que pour la remise de documents.
À titre subsidiaire, dire et juger que pour les congés payés, il devra être fait application des articles L. 223-1 à L. 223-4, D. 732 et suivants et L. 143-11-1 du Code du travail, dire et juger que toutes sommes qui pourront être allouées à Monsieur Doignon devront l'être en deniers ou quittance, dire et juger que l'AGS ne pourra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 143-11-1 et suivants du Code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 143-11-7 et L. 143-11-8 du Code du travail, dire et juger en tout état de cause que l'obligation du CGEA-AGS de faire l'avance de la somme à laquelle serait évaluée le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement et, dire et juger que la décision à intervenir devant la tête déclarée opposable à l'AGS intervenant à titre subsidiaire dans les limites de la garantie prévue aux articles L. 143-11-1, L. 143-11-8, et D. 143-2 et D. 143-3 du Code du travail.
Motifs de la décision
Le dossier ne contient pas d'éléments qui conduiraient la cour à relever d'office l'irrecevabilité de l'appel ;
Sur la qualification du contrat de travail
Attendu que Monsieur Doignon sollicite la requalification de son contrat de représentant VRP multicartes en celle de VRP exclusif ;
Il fait valoir :
Que l'article 9 de son contrat intitulé " Exclusivité " l'oblige à consacrer tout son temps à la Sica et lui interdit de placer d'autres marchandises que celles proposées par la Sica,
Que la société Sica et l'association AAAL sont une seule et même maison nonobstant une entité juridique distincte, l'association fabriquant les produits et la société s'occupant de les commercialiser,
Qu'il était ainsi en droit de percevoir une rémunération minimale forfaitaire, qu'il sollicite ainsi un rappel de salaire depuis le 1er juillet 2001, actualisé au 30 novembre 2007 à la somme de 101 545,60 euro brut.
L'employeur soutient :
Que la société employait 100 VRP multicartes et 10 VRP en carte unique,
Que les VRP multicartes travaillent pour deux ou plusieurs autres employeurs essentiellement l'AAAL,
Que Monsieur Doignon a exercé son activité pour le compte de deux employeurs distincts, à savoir la société Sica et l'Association des Aveugles et handicapés d'Alsace et de Lorraine (AAAL),
Que l'AAAL est une association de la loi 1901 qui a pour activité la production et/ou le conditionnement par des travailleurs handicapés visuels d'articles comme les serviettes de bain, pinceaux, brosserie ce qui constitue des produits complémentaires et non concurrents à ceux de la société Sica,
Que l'article 9 prévoit également qu'il pourra représenter des produits pour le compte d'un tiers dès lors qu'il aura reçu l'autorisation expresse de la société Sica,
Que la condition du travail à temps plein inhérente à celle de VRP exclusif était loin d'être satisfaite, le requérant n'ayant pas réalisé de chiffre d'affaires pendant plus de quatre années.
Attendu que l'article 1er du contrat de travail relatif à l'engagement stipule que " nous vous engageons en qualité de représentant VRP Multicartes ",
Que cependant l'article 9 du contrat de travail intitulé " Exclusivité" stipule que " vous vous engagez à exercer votre activité conformément aux statuts professionnels et à n'effectuer aucune opération pour votre compte personnel ou pour le compte d'un tiers. Vous consacrerez tout votre temps à la Sica et vous vous interdirez de placer d'autres marchandises que celle proposée par la Sica (sauf autorisation expresse de la Sica) ",
Attendu qu'en présence de la contradiction existant entre ces deux articles, il convient d'examiner la réalité de la situation de Monsieur Doignon au sein de la société Sica,
Attendu qu'il n'est pas sérieusement contesté :
Que Monsieur Doignon a travaillé, dès son engagement, pour deux sociétés juridiquement distinctes dont le siège se trouve pour l'une à Rosny-Sous-Bois et pour l'autre à Strasbourg,
Que lui-même indique dans un courrier du 18 juin 2004 avoir été " embauché comme VRP multicartes par la société Sica et l'association des aveugles d'Alsace et de Lorraine... " ainsi que dans un courrier du 5 juillet 2002 "que je n'ai eu d'autre employeur que la Sica et l'AAAL et ce depuis dix ans ",
Qu'aucun horaire n'étant fixé par le contrat de travail, il était libre de ceux-ci ; qu'à telle enseigne que, dès mars 2002, il n'a volontairement plus travaillé qu'à temps très partiel ainsi qu'il en est justifié par le relevé de son chiffre d'affaires mensuel, que la qualité de VRP exclusif est incompatible avec celle de salarié à temps partiel,
Que la clause de non concurrence figurant au contrat ne fait pas obstacle à la qualité de VRP multicarte,
Que le requérant n'est ainsi pas fondé à se voir allouer la rémunération minimale forfaitaire prévue à l'article 5 de l'accord national interprofessionnel qu'il réclame, a fortiori jusqu'au 30 novembre 2007, alors qu'il a été en formation d'ambulancier en 2002 et en arrêt pour maladie en 2003, qu'il n'a fourni que de très faibles prestations depuis 2003 et que le salaire n'est dû que pour autant que le travail est fourni dans les conditions d'exécution prévues par le contrat.
Qu'il convient en conséquence de confirmer de ce chef le jugement entrepris.
Sur les jours fériés
Attendu que Monsieur Doignon sollicite le paiement d'un rappel de salaire au titre de jours fériés travaillés,
Qu'à l'appui de sa demande concernant le paiement de 50 jours fériés travaillés, il produit pour seul justificatif une mise en demeure adressée à son employeur en date du 18 juin 2004,
Que nul ne pouvant se constituer de preuve et faute de justification, sa demande sera rejetée,
Qu'au surplus le VRP non soumis à un horaire de travail, ne peut bénéficier de la législation relative à la durée du travail.
Sur le paiement d'une commission
Attendu que Monsieur Doignon réclame le paiement d'une commission sur commande passée auprès de la mairie de Saint-Raphaël,
Qu'il n'est apporté aucune justification de cette commande, que sa demande ne peut prospérer.
Sur les congés payés
Attendu que Monsieur Doignon réclame le paiement d'indemnités de congés payés au motif que ces derniers ont été calculés sur la base de 11 mois pour la période de 1993 à 2003,
Qu'il ne donne pour justification que la mise en demeure adressée le 18 juin 2004 dans laquelle il réclame une somme au titre des congés payés,
Que la société Sica indique avoir régularisé le rappel des congés payés sur le bulletin de salaire du 1er janvier 2000 en payant un reliquat de 2 412 euro à Monsieur Doignon, qu'il en est justifié par la production de ce bulletin de salaire,
Qu'en conséquence la demande sera rejetée.
Sur les dommages et intérêts
Attendu que Monsieur Doignon réclame des dommages-intérêts au motif que son employeur entretient à son égard un comportement tendant manifestement à lui nuire et à le pousser à démissionner constitutif d'un préjudice matériel important résultant de la baisse de son chiffre d'affaires ;
Que la société le dénigre en se livrant à des informations mensongères constantes, en indiquant aux clients qu'il ne fait plus partie de la société ;
Qu'elle n'apporte jamais de réponse à ses questions ou à celle de ses clients,
Qu'elle ne lui envoie plus aucune fiche de paie,
Les intimés font valoir :
- Que le salarié a été normalement remplacé pendant la formation professionnelle qu'il a suivi pour être ambulancier
- Que son contrat ne lui reconnaît aucune exclusivité sur le secteur géographique attribué
- Que pendant quatre ans il n'a réalisé aucun chiffre d'affaires, s'étant manifestement consacré à une autre activité, que le montant de ses commissions est égal à zéro ;
Attendu que le requérant produit des attestations de trois clients qui certifient en mars 2004 :
- que Monsieur Doignon se présente toujours dans leurs locaux et les démarche régulièrement chaque année,
- qu'en 2002 (MM. Rubio et Montano) un salarié s'est présenté comme son remplaçant.
Qu'il n'est pas sérieusement contesté que la société Sica a confié temporairement à un autre VRP le secteur géographique de Monsieur Doignon lorsqu'au début de l'année 2002, celui-ci a entamé sa formation d'ambulancier,
Que le 30 juin 2003 Monsieur Doignon était placé en arrêt maladie jusqu' au 3 novembre 2003,
Qu'au cours des années 2004/2005 Monsieur Doignon a effectué très peu de commandes pour le compte de la société Sica,
Attendu que ces attestations insuffisamment circonstanciées ne revêtent pas un caractère probant de nature à satisfaire le critère de répétition exigé par la loi pour caractériser le harcèlement, non plus que le dénigrement ou l'entrave allégués, que n'apparaissant pas propres à justifier des dommages intérêts réclamés, Monsieur Doignon sera débouté de sa demande,
Que le requérant sera débouté en conséquence de sa demande de documents sous astreinte.
Attendu que le salarié n'ayant fait qu'user de son droit d'ester en justice la demande reconventionnelle ne sera pas admise ;
Attendu que l'équité ne justifie pas en l'espèce l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Monsieur Doignon qui succombe supportera les entiers dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe, Reçoit l'appel, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Déboute Monsieur Doignon de l'ensemble de ses demandes, Déboute Maître Jeanne, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Sica, de ses demandes reconventionnelles, Dit le présent arrêt opposable au CGEA, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Monsieur Doignon aux dépens d'appel recouvrés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.