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Décisions

Cass. com., 13 mai 1997, n° 94-10.928

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Nouvelle Ducler (SA), Viafrance (SNC), Screg Sud-Ouest Sotradour (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

Mme Geerssen

Avocat général :

M. Mourier

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, SCP Vier, Barthélemy, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Piwnica, Molinié, Mes Ricard, Le Prado

Cass. com. n° 94-10.928

13 mai 1997

LA COUR : - Joint les pourvois n° 94-10.928 à 94-10.933 et 94-11.689, qui attaquent la même ordonnance ; - Attendu que, par ordonnance du 10 décembre 1993, le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan a autorisé des agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, en vertu de l'article 48 du 1er décembre 1986, à effectuer une visite et une saisie de documents dans les locaux de 19 entreprises de travaux routiers en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles faisant obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse sur les marchés de travaux routiers réalisés dans les départements de Lot-et-Garonne et des Landes en 1990 et 1991 ;

Sur le premier moyen des pourvois n° 94-10.928, 94-10.932, pris en leurs trois branches, du pourvoi n° 94-10.931 et sur le moyen additionnel, pris en ses deux branches, du pourvoi n° 94-10.928, réunis : - Attendu que les sociétés SA Nouvelle Ducler, SNC Viafrance et SNC Screg Sud-Ouest Sotradour font grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visites et saisies litigieuses, alors, selon les pourvois, d'une part, que la demande d'enquête du ministre de l'Economie du 9 novembre 1993, la requête présentée par M. Saur au Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan aux fins d'être autorisé à pratiquer des perquisitions et saisies dans les locaux de la société Nouvelle Ducler, et enfin les pièces annexées à ladite requête, ne figurent pas au dossier de la Cour de cassation ; que la Cour de cassation n'est, dès lors, pas en mesure de s'assurer de l'étendue de l'enquête demandée par le ministre, ni de l'objet des perquisitions requises par M. Saur, ni de la recevabilité des pièces annexées à la requête, ni de la conformité du contrôle exercé par le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan aux dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que, dès lors, l'ordonnance attaquée se trouve privée de base légale au regard du texte susvisé ; alors, d'autre part, que la protection des Droits de l'Homme au sens de la Convention européenne du 4 novembre 1950 est assurée, en matière de visite domiciliaire dans le cadre de la législation économique, par le juge, qui autorise la visite, et par la Cour de cassation, qui exerce son contrôle sur les vérifications opérées par ce dernier ; que la demande d'enquête du ministre de l'Economie du 9 novembre 1993, la requête présentée par M. Saur, ainsi que les pièces jointes à ladite requête, présentées aux fins d'être autorisé à pratiquer des perquisitions et saisies dans les locaux de la société Nouvelle Ducler ne figurant pas au dossier de la Cour de cassation, la société Nouvelle Ducler n'est pas mise en mesure de contester la violation de son domicile dans le cadre d'un procès équitable, en violation des dispositions de l'article 6 de ladite Convention ; alors, en outre, que, si l'autorité judiciaire peut, en application des dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, autoriser la violation d'un domicile au vu des seuls éléments présentés par l'Administration requérante à raison de la nécessité de réprimer des infractions à la libre concurrence, la privation des droits de la défense n'est plus justifiée lorsque, la violation du domicile ayant été autorisée et exécutée, la personne visée exerce un recours contre la décision d'autorisation ; que la demande d'enquête du ministre de l'Economie, la requête présentée par M. Saur et les documents annexés à ladite requête, qui ont servi de base à la décision d'autorisation des perquisitions et saisies effectuées, n'ayant pas été portés à la connaissance de la société Nouvelle Ducler avant l'examen de son pourvoi par la Cour de cassation, la société Nouvelle Ducler n'a pas été mise en mesure de contester la visite domiciliaire dont elle a fait l'objet dans le cadre d'un procès équitable, en violation des dispositions des articles 6 et 8 de la Convention susvisée ; alors, de plus, que la requête présentée par M. Saur aux fins d'être autorisé à pratiquer des perquisitions et saisies dans les locaux de la société Viafrance, ainsi que les pièces qui y étaient annexées, ne figurent pas au dossier de la Cour de cassation ; que cette dernière n'est pas, par suite, en mesure de s'assurer tant de la recevabilité de la requête et des pièces jointes que de la conformité du contrôle exercé par le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan aux dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que l'ordonnance attaquée est, par conséquent, privée de base légale au regard du texte susvisé ; alors, au surplus, que la protection des Droits de l'Homme au sens de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales est assurée par la vérification par le juge qui autorise la visite domiciliaire ainsi que par le contrôle de la Cour de cassation ; que la requête présentée par M. Saur aux fins d'être autorisé à pratiquer des perquisitions et saisies dans les locaux de la société Viafrance, ainsi que les pièces qui y étaient annexées ne figurant pas au dossier de la Cour de cassation, la société Viafrance n'est pas mise en mesure de contester la violation de son domicile dans le cadre d'un procès équitable, en violation des dispositions de l'article 6 de la Convention précitée ; alors, de sucroît, que les exceptions au principe de l'inviolabilité du domicile prévues par le paragraphe 2 de l'article 8 de ladite Convention sont d'interprétation étroite et ne peuvent justifier des atteintes aux libertés fondamentales que dans la mesure où il est établi qu'elles sont nécessaires ; que, si l'autorité judiciaire peut, en application des dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, autoriser la violation du domicile au vu des seuls éléments présentés par l'Administration requérante à raison de la nécessité de réprimer des infractions à la libre concurrence, la privation des droits de la défense n'est plus justifiée lorsque, la violation du domicile ayant été autorisée et exécutée, la personne visée exerce un recours contre la décision d'autorisation ; que la requête et les documents annexes qui ont servi de base à la décision d'autorisation des perquisitions et saisies effectuées n'ayant pas été portés à la connaissance de la société Viafrance avant l'examen de son pourvoi par la Cour de cassation, la société Viafrance n'a pas été mise en mesure de contester la visite domiciliaire dont elle a fait l'objet dans le cadre d'un procès équitable, en violation des dispositions des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales susvisées ; alors, encore, que, le dossier transmis à la Cour de cassation ne comportant ni la requête de l'Administration ni les pièces produites à son appui, la Cour de cassation n'est en mesure de contrôler ni la recevabilité de ladite requête ni le contrôle effectué par le juge du fond sur son bien-fondé ; alors, encore plus, que l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 organise un débat contradictoire a posteriori sur la validité de l'ordonnance autorisant la perquisition, et qu'un tel débat ne peut avoir lieu en l'absence des documents que l'Administration avait unilatéralement portés à la connaissance du juge ; qu'à défaut de ces documents substantiels aux droits de la défense, l'ordonnance autorisant la perquisition se trouve manquer de base légale au regard des articles 16 du nouveau Code de procédure civile et 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, enfin, qu'il appartient à la juridiction chargée du contrôle des ordonnances de perquisition de ne pas laisser se clore le débat qui est porté devant elle sans vérifier la régularité de la procédure et sans préserver le caractère équitable du procès et que, en l'état des vices de l'instruction résultant d'une prétendue disparition du dossier officiel, l'ordonnance attaquée ne peut être que censurée par application des articles 48 de l'ordonnance de 1986 et 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ;

Mais attendu que l'ordonnance attaquée échappe en elle-même aux griefs formulés aux moyens susvisés, lesquels ne concernent que la communication ultérieure des pièces produites par l'Administration ; qu'en effet, en ce qu'ils sont relatifs à la constitution du " dossier officiel " en vue de son envoi à la Cour de cassation, les griefs concernent des diligences administratives qui relèvent de l'organisation du service judiciaire ; que, s'agissant des critiques émises quant à l'absence de communication des pièces, il appartient aux parties demanderesses au pourvoi, si les pièces litigieuses ne se trouvent pas au greffe de la juridiction, de mettre en demeure l'Administration, qui avait obtenu l'autorisation de visite en cause, de leur communiquer lesdites pièces de manière à permettre l'exercice de leur droit et, en particulier, d'élaborer les moyens à l'appui de leur pourvoi ; que les moyens, pris en leurs diverses branches, ne sont pas fondés ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 94-10.932 et sur la seconde branche du moyen additionnel du pourvoi n° 94-10.928, réunis : - Attendu que la SNC Viafrance et la société Nouvelle Ducler font aussi grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visites et saisies litigieuses, alors, selon le pourvoi, qu'en déclarant recevable la requête présentée par M. Saur aux fins d'être autorisé à pratiquer des perquisitions et saisies dans les locaux de la société Viafrance, sans indiquer la date à laquelle cette requête avait été présentée, le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer de la recevabilité de la requête et notamment du pouvoir de son signataire ou de celui qui a, par délégation, signé la demande d'enquête, privant ainsi sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, d'autre part, qu'en l'absence de date certaine et de toute mention en permettant l'authentification, le Président du tribunal de grande instance ne pouvait s'estimer valablement saisi par la requête attribuée à M. Saur, directeur régional ;

Mais attendu que l'ordonnance constate que le ministre de l'Economie, dans sa demande d'enquête du 9 novembre 1993 sur le marché des travaux routiers dans les départements de Lot-et-Garonne et des Landes en 1990 et 1991, adressée au directeur général de la concurrence, a désigné M. Saur, directeur régional à Bordeaux, pour présenter la requête en autorisation judiciaire et que celle-ci doit être réputée présentée au plus tard le jour de la reddition de l'ordonnance, soit le 10 décembre 1993 ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 94-10.928, pris en ses trois branches : - Attendu que la SA Nouvelle Ducler fait encore grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visites et saisies litigieuses, alors, selon le pourvoi, d'une part, que seul le ministre a qualité pour agir en justice et qu'il ressort des termes de l'ordonnance rendue que le juge a été, en l'occurrence, saisi par M. Saur, directeur régional à Bordeaux, chef de la brigade interrégionale d'enquête Aquitaine, Limousin et Midi-Pyrénées, agissant en son nom propre ; que, dès lors, en faisant droit à une telle requête, l'ordonnance attaquée a violé ensemble les articles 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et 117 du nouveau Code de procédure civile ; qu'il en est d'autant plus ainsi que le juge n'a visé aucun arrêté nominatif pris par le ministre au profit de M. Saur qui viendrait donner à ce dernier qualité pour introduire une demande en justice en son nom ; que, dès lors, en statuant comme il a fait, le juge délégué a violé ensemble l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et les décrets n° 47-233 du 23 janvier 1947 et n° 87-390 du 15 juin 1987 ; alors, en tout état de cause, que les mesures qui interviennent sur requête lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement doivent être sollicitées par un avocat ou un officier ministériel légalement habilité, de sorte qu'en faisant droit à la demande d'autorisation présentée par M. Saur le juge a violé les articles 812 et 813 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'exigence selon laquelle la demande d'autorisation de visite et saisie domiciliaires est présentée dans le cadre d'une enquête demandée par le ministre de l'Economie n'implique pas que le recours à la mesure doive être ordonné par le ministre dès lors que les enquêteurs ont qualité pour présenter une requête en ce sens ;

Attendu, en deuxième lieu, que l'ordonnance relève que M. Saur a été désigné par le ministre chargé de l'Economie pour présenter la requête aux juridictions de l'ordre judiciaire ;

Attendu, enfin, que les dispositions de l'article 813 du nouveau Code de procédure civile relatives à la présentation des requêtes par ministère d'un avocat ou d'un officier public ou ministériel ne sont pas applicables aux ordonnances de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi n° 94-10.932, pris en ses trois branches, le cinquième moyen du pourvoi n° 94-10.928, pris en ses deux branches, le premier moyen du pourvoi n° 94-10.929, pris en ses trois branches, et le premier moyen du pourvoi n° 94-11.689, pris en ses deux branches, réunis : - Attendu que les sociétés SNC Viafrance, SA Nouvelle Ducler, SA Colas Sud-Ouest et SA Sacer Atlantique font, de plus, grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visites et saisies litigieuses, alors, selon les pourvois, d'une part, que le seul parallélisme de comportements ne peut permettre de présumer l'existence d'une entente, qui suppose la preuve d'une concertation ; qu'en se fondant, pour autoriser les perquisitions et saisies sollicitées, sur le parallélisme des augmentations des offres par les entreprises visées à l'occasion des marchés de travaux publics des départements de Lot-et-Garonne et des Landes, tout en retenant que cette augmentation généralisée pouvait être justifiée par les mauvais résultats financiers de l'ensemble des entreprises du secteur les années précédentes, le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan a violé les dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, que le Président du tribunal de grande instance, saisi d'une demande d'autorisation de perquisitions et saisies sur le fondement de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, doit vérifier concrètement que les éléments d'information qui lui sont présentés font effectivement présumer les infractions alléguées ; que le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan a relevé, pour autoriser les perquisitions et saisies sollicitées, que les offres présentées par les entreprises visées à l'occasion des marchés de travaux publics des départements de Lot-et-Garonne et des Landes avaient augmenté en 1991 et que, certains appels d'offres ayant été déclarés infructueux, ces entreprises avaient fait de nouvelles propositions en offrant des rabais ; que, en se fondant ainsi sur des circonstances qui ne pouvaient faire présumer que les augmentations constatées étaient consécutives à une entente illicite entre les personnes visées, le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan a violé les dispositions du texte susvisé ; alors, de plus, que le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan s'est fondé, pour autoriser les perquisitions et saisies sollicitées, sur la seule augmentation du montant des offres faites par les entreprises visées à l'occasion de marchés passés en 1991 et sur les déclarations de M. X..., directeur de l'administration du Conseil général des Landes, et de l'adjoint au directeur du service départemental des routes du département de Lot-et-Garonne, contenues dans un procès-verbal du 26 avril 1991, et une lettre du 20 décembre 1991, qui auraient confirmé que cette augmentation résulterait d'une entente illicite ; qu'en statuant ainsi, tout en constatant que M. X... avait déclaré que " les entreprises ont en général connu en 1990 des résultats financiers négatifs " et " qu'en conséquence des instructions semblent avoir été données aux représentants locaux pour redresser la situation financière de ces entreprises ", de sorte " qu'ainsi une hausse générale des propositions a été constatée dès le début 1991 " et que l'adjoint au directeur du service départemental des routes du département de Lot-et-Garonne " ne conclut pas nécessairement à une entente en raison du caractère normal des nouveaux tarifs proposés ", le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, dont il résultait que les éléments d'information présentés par l'Administration n'étaient pas susceptibles de faire présumer que la société Viafrance avait participé à une entente illicite en violation de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, de surcroît, qu'il résulte des motifs susvisés que la société Nouvelle Ducler n'a participé qu'à 3 des 50 marchés litigieux, entre le dernier trimestre 1990 et la fin de l'année 1991 ; qu'elle n'a été attributaire d'aucun ; que, pour deux d'entre eux, elle s'est contentée de participer à l'une des phases du marché excluant, par là même, toute possibilité de rabattre les prix qu'elle avait proposés, et qu'en définitive il ne pourrait être retenu à son encontre que le fait d'avoir proposé un seul rabais marché du 7 juin 1991 (ord. p. 8), ce qui ne correspond certainement pas à une attitude dont " l'ampleur, la durée et la simultanéité " seraient de nature à caractériser une pratique prohibée ; que, dès lors, en statuant comme il a fait, le juge, qui n'a pas exercé un contrôle concret sur le cas de l'entreprise Nouvelle Ducler, a privé sa décision de base légale au regard ensemble des articles 7 et 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, en outre, que le juge qui a constaté les effets d'une vive concurrence entre les entreprises locales ayant entraîné une baisse notable et continue des prix proposés à l'Administration et ayant provoqué, pour l'année 1990, des résultats financiers négatifs pour l'ensemble des entreprises qui ont donné des instructions à leurs représentants locaux afin de " redresser la situation financière " ne pouvait, sans contradiction, affirmer que la hausse des prix constatée à partir du dernier trimestre 1990 pour les Landes et à partir de 1991 pour le Lot-et-Garonne n'était pas le fruit de la libre concurrence et " que les éléments ci-dessus relevés caractérisaient les pratiques occultes et communes aux entreprises impliquées ", niant ainsi les lois du marché dont il venait lui-même de constater les effets ; que, dès lors, en statuant comme il a fait, le juge a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

alors, encore, que la prise en compte de 14 appels d'offres dans le Lot-et-Garonne, dont 8 antérieurs à 1991, et de 36 dans les Landes, dont 20 antérieurs à 1991, est, à défaut d'indication du nombre total des appels d'offres lancés, durant la période considérée, dans les deux départements dont il s'agit, nécessairement dépourvue de toute signification quant à l'existence de présomptions de pratiques prohibées par l'article 7-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de même qu'est dépourvu de signification le simple fait que des entreprises en difficulté économique aient présenté des propositions de prix supérieurs aux estimations de l'Administration ; que le juge saisi a ainsi entaché sa décision d'un manque de base légale au regard des articles 48 et 7-2 de l'ordonnance précitée ; alors, au surplus, que le fait que, dans les cas dans lesquels des appels d'offres ont été déclarés infructueux, les entreprises sollicitées aient accepté des rabais permettant, selon la constatation de l'ordonnance attaquée, l'attribution des marchés pour un prix à peu près égal aux estimations administratives, loin de permettre de présumer une entente ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant leur hausse ou leur baisse, exclut, bien au contraire, la possibilité même d'une telle entente ; qu'en ne tirant pas les conséquences logiques de ses propres constatations le juge saisi a violé les articles 48 et 7-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, enfin, que, s'agissant spécialement de la société Colas, le juge saisi ne pouvait retenir l'existence d'une présomption de participation à une action concertée, après avoir constaté que cette entreprise n'a soumissionné qu'à sept appels d'offres sur les soixante examinés, dont deux seulement en 1990, et n'a obtenu aucun marché ; qu'en autorisant, dans ces circonstances, la visite des locaux de la société Colas, le juge saisi a encore violé les articles 48 et 7-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que les moyens tendent à contester la valeur des éléments retenus par le juge comme moyen de preuve du bien-fondé des agissements ; que de tels moyens sont inopérants pour critiquer l'ordonnance dans laquelle le juge a recherché, hors toute contradiction, par l'appréciation des éléments fournis par l'Administration, s'il existe des présomptions d'agissements visés par la loi justifiant la recherche de la preuve de ces agissements au moyen d'une visite en tous lieux, même privés, et d'une saisie de document s'y rapportant ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le moyen unique des pourvois n° 94-10.930, 94-10.933, sur le second moyen des pourvois n° 94-10.931, 94-10.929 et 94-11.689, sur le troisième moyen du pourvoi n° 94-10.932, pris en ses trois branches, sur le quatrième moyen du pourvoi n° 94-10.928, réunis : - Attendu que les sociétés SA Moter (Moderne de technique routière), SNC Cochery Bourdin Chaussé, SNC Screg Sud-Ouest Sotradour, SA Colas Sud-Ouest, SA Sacer Atlantique, SNC Viafrance et SA Nouvelle Ducler font, au surplus, grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visites et saisies litigieuses, alors, selon les pourvois, d'une part, qu'ayant ainsi retenu des présomptions circonscrites à certains appels d'offres et à certains agissements déterminés le magistrat ne pouvait autoriser comme il a fait des visites et saisies ayant un objet général, en ce qui concerne les appels d'offres sur lesquels pouvaient porter les recherches, et indéterminé, au regard des divers agissements visés à l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que le Président du tribunal de grande instance n'a pas satisfait, à cet égard, aux exigences de l'article 48 de ladite ordonnance ; alors, d'autre part, qu'en autorisant des visites et saisies ayant un objet général en ce qui concerne les marchés sur lesquels pouvaient porter les recherches et indéterminé au regard des divers agissements visés à l'article 7 de l'ordonnance précitée, alors qu'il retenait des présomptions circonscrites à certains appels d'offres et à certains agissements déterminés, le Président du tribunal n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et n'a pas satisfait aux exigences de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, de plus, que l'autorisation, donnée à raison de présomptions d'agissements prohibés résultant, selon le juge saisi, de l'examen d'appels d'offres déterminés, devait être limitée aux marchés pris en compte ; que cette autorisation, qui a un caractère général en ce qui concerne les appels d'offres sur lesquels peuvent porter les recherches, ne satisfait pas aux exigences de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, au surplus, que le Président du tribunal de grande instance ne peut autoriser l'Administration requérante à exercer un droit de visite qu'en vue de rechercher les preuves d'agissements constitutifs d'infractions déterminées ; qu'en autorisant M. Saur à faire procéder à " l'ensemble des visites et à la saisie de tous documents nécessaires à la preuve de pratiques entrant dans le champ de celles prohibées par l'article 7-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 " dans les locaux de plusieurs entreprises parmi lesquelles la société Viafrance, le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan a violé les dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'autorisation ainsi accordée ayant un objet général quant aux faits sur lesquels peuvent porter les recherches, et violé le texte susvisé, cette autorisation étant également indéterminée au regard des divers agissements visés à l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, encore, que les perquisitions et saisies autorisées par le Président du tribunal de grande instance ne peuvent avoir pour objet que la recherche des preuves des infractions que les éléments d'information présentés par l'Administration requérante permettent de présumer ; qu'ayant estimé que plusieurs entreprises pouvaient être présumées avoir commis des infractions à l'occasion de certains marchés de travaux publics dans les départements de Lot-et-Garonne et des Landes, le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan a autorisé l'Administration requérante à faire procéder à " l'ensemble des visites et à la saisie de tous documents nécessaires à la preuve de pratiques entrant dans le champ de celles prohibées par l'article 7-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 " dans les locaux de la société Viafrance, sans limiter l'objet des perquisitions et saisies autorisées aux infractions que la société Viafrance serait présumée avoir commises, violant ainsi les dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, de surcroît, que le Président du tribunal de grande instance ne peut autoriser l'Administration requérante à exercer un droit de visite qu'en vue de rechercher les preuves des infractions, déterminées, que les éléments d'information fournis par l'Administration font présumer ; que le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan a, pour autoriser l'exercice d'un droit de visite dans les locaux de la société Viafrance, relevé que les dysfonctionnements constatés sur certains marchés de travaux publics dans les départements de Lot-et-Garonne et des Landes montreraient que " la hausse des prix n'est pas le fruit de la libre concurrence et présente un certain caractère artificiel " et que ces pratiques " entrent dans le champ de celles prohibées par l'article 7-2 de l'ordonnance susvisée " sans préciser tant la nature des agissements imputés à la société Viafrance que celle des infractions qu'elle était présumée avoir commises à l'occasion de ces marchés, violant ainsi les dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; et alors, enfin, que toute autorisation à caractère général et indéterminé est prohibée, seuls les pièces et documents en rapport avec le ou les marchés, sur lesquels le juge a retenu des présomptions d'agissements anticoncurrentiels pouvant faire l'objet des saisies et des visites, prévues par l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que, dès lors, le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan, qui avait retenu des présomptions de tels agissements, seulement à propos des marchés publics de Lot-et-Garonne (14 marchés identifiés) et des Landes (36 marchés identifiés), ne pouvait autoriser les agents de la DGCCRF à procéder à des visites et à des saisies, sans préciser qu'elles étaient limitées à ces 50 marchés de Lot-et-Garonne et des Landes, sans violer le texte susvisé ;

Mais attendu qu'il résulte de l'ordonnance que le Président du tribunal a autorisé les visites des locaux de dix-neuf entreprises de travaux routiers suspectées d'une entente économique déterminée, à savoir, lors de la passation des marchés de travaux publics routiers ouverts par les départements de Lot-et-Garonne et des Landes en 1990 et 1991 à seule fin de rechercher la preuve de leur concertation au regard de la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; qu'ainsi le dispositif critiqué n'a pas pour effet d'étendre l'autorisation au-delà des marchés visés par l'ordonnance ; que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

Sur le troisième moyen du pourvoi n° 94-10.928 : - Attendu que la SA Nouvelle Ducler fait enfin grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visites et saisies litigieuses, alors, selon le pourvoi, qu'en ne vérifiant pas si M. Maurice Saur était expressément et nominativement habilité à procéder lui-même aux enquêtes nécessaires à l'application de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 le Président du Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan, qui lui délivre personnellement cette autorisation dans le dispositif de son ordonnance, viole l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu que si, afin de satisfaire aux prescriptions de l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les fonctionnaires désignés pour procéder aux visites domiciliaires doivent être choisis parmi les enquêteurs habilités, une telle exigence ne concerne pas le chef de service sous l'autorité administrative duquel ils sont placés et dont le rôle n'est pas de procéder lui-même aux opérations de visite susvisées ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur la première branche du moyen additionnel du pourvoi n° 94-10.928 : - Attendu que la société Nouvelle Ducler fait enfin grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visites et saisies litigieuses, alors, selon le pourvoi, que, contrairement aux énonciations de l'ordonnance attaquée, le dossier communiqué fait apparaître que la totalité des actes d'engagement relatifs à l'ensemble des marchés analysés ne figurait pas parmi les pièces soumises au juge, de même que les procès-verbaux d'ouverture de plis de l'ensemble des marchés énumérés, exception faite de ceux des 8 avril, 23 avril, 3 mai et 7 juin 1991, de même encore que le rapport de présentation du 26 avril 1990, analysé page 5 de l'ordonnance, ce dont il résulte que la Cour de cassation n'est pas en mesure de vérifier que les pièces mentionnées ont été effectivement produites et examinées, en violation de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais attendu qu'il ne résulte pas de ces griefs que, pour statuer par l'ordonnance attaquée du 10 décembre 1993, le juge n'ait pas disposé de tous les documents visés dans les énonciations de ladite ordonnance ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen du pourvoi n° 94-10.931, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Screg Sud-Ouest fait enfin grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visites et saisies litigieuses, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la constatation d'un parallélisme de comportements ne suffit pas, à elle seule, à démontrer l'existence d'une entente anticoncurrentielle dans la mesure où ce parallélisme peut résulter de décisions prises par des entreprises qui s'adaptent de façon autonome au contexte du marché ; qu'il est nécessaire, pour établir l'existence d'une telle entente, d'apporter des éléments autres que la constatation du seul parallélisme de comportements, de telle sorte que soit constitué un faisceau d'indices graves précis et concordants ; que l'ordonnance attaquée, qui se borne à faire état de la hausse simultanée des soumissions de certaines entreprises, alors même qu'elle relève la possibilité d'attribuer ce comportement à une adaptation autonome des entreprises à l'insuffisance des prix antérieurement pratiqués, n'a pas caractérisé les éléments permettant de présumer l'existence d'une entente au sens de l'article 7-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et a privé sa décision de base légale au regard des articles 7-2 et 48 de cette ordonnance ; et alors, d'autre part, que l'ordonnance attaquée, qui fait état d'une déclaration du caractère " normal " des prix des marchés litigieux, n'a nullement caractérisé le caractère anormal de la hausse des prix qu'elle impute à l'entente incriminée ni les éléments permettant de présumer l'existence d'une entente illicite au sens de l'article 7-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et a privé sa décision de base légale au regard des articles 7-2 et 48 de cette ordonnance ;

Mais attendu que ce moyen, qui figure dans des observations complémentaires, a été déposé après le délai imparti pour conclure et n'est pas tiré de la production des pièces en cours d'instance par la Direction générale de la Concurrence ; qu'il n'est donc pas recevable ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois.