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Décisions

CA Grenoble, ch. soc., 28 janvier 2008, n° 06-03932

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Aubert

Défendeur :

Foncia République (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gallice (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Vigny, Seguy

Avocats :

Mes Goux, Marre

Cons. prud'h. Montélimar, du 28 sept. 20…

28 septembre 2006

Madame Aubert a été embauchée le premier juillet 1988 en qualité d'aide comptable par la société Cefac. Elle a travaillé à Pierrelatte, lieu situé près de son domicile à Bollène.

A effet au premier janvier 2005 la société Foncia République a pris en location gérance le fonds de commerce du cabinet Cefac Immobilier dont l'ensemble du personnel lui a été transféré en application de l'article L. 122-12 du Code du travail.

Madame Aubert a été en arrêt de travail pour maladie du 31 décembre 2004 au 28 juin 2005.

Le 30 mai 2005 la société Foncia a notifié à Madame Aubert son changement de lieu de travail à Valence aux mêmes conditions de rémunération et de qualification à compter de son retour de maladie qu'elle a refusé, refus réitéré le 28 juin 2005.

Par lettre du 29 juin 2005 la société Foncia a convoqué Madame Aubert à un entretien préalable avec mise à pied conservatoire et l'a licenciée pour faute grave le 13 juillet 2005.

Contestant cette mesure Madame Aubert a saisi le Conseil de prud'hommes de Montélimar qui, par jugement du 28 septembre 2006, a dit que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, a condamné la société Foncia a lui payer des dommages-intérêts, les salaires pendant la mise à pied et les indemnités de rupture, a ordonné la remise d'une lettre de licenciement, d'un certificat de travail et d'une attestation Assedic conformes et a ordonné le remboursement d'indemnités Assedic dans la limite de six mois.

Madame Aubert a interjeté appel. Elle soutient que son changement de lieu de travail constitue une modification de son contrat en faisant observer que Pierrelatte se trouve à 15 kilomètres de son domicile alors que Valence est à 90 kilomètres soit 180 kilomètres à effectuer chaque jour.

Elle explique qu'elle a repris son travail à Pierrelatte le 29 juin 2005, qu'aucune visite de reprise n'a été organisée auprès de la médecine du travail puis qu'après trois jours il lui a été demandé de quitter les lieux.

Elle rappelle que le changement de lieu de travail lui a été imposé sans négociation possible si ce n'est sur d'hypothétiques mesures d'accompagnement qui ne lui ont jamais été proposées.

Elle dit justifier d'un préjudice considérable que le Conseil de prud'hommes a pourtant évalué au minimum légal et avoir perdu des indemnités Assedic du fait de son licenciement intervenu juste avant ses 50 ans. Elle ajoute que l'entretien préalable et la rupture sont intervenus dans des conditions particulièrement vexatoires.

Elle soutient qu'elle peut prétendre au versement de l'indemnité conventionnelle de licenciement de l'article 33 de la convention collective de l'immobilier car la société Foncia appartient aux organismes signataires à savoir la FNAIM et CNAB et que donc peu importe que la convention soit étendue ou non mais que de toute façon elle a été étendue par arrêté du 24 février 1989 sans restriction pour l'indemnité de licenciement.

Elle demande, en réformation partielle du jugement déféré, que la société Foncia soit condamnée à lui payer les sommes suivantes:

- 44 000 euro (dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse),

- 1 000 euro (dommages-intérêts pour circonstances abusives de la rupture),

- 3 674,64 euro et 367,46 euro (indemnité de préavis et congés payes afférents),

- 7 808,61 euro (indemnité conventionnelle de licenciement),

- 153,11 euro (treizième mois sur préavis),

- 83,51 euro et 8,35 euro (remboursement d'une somme retenue indûment),

- 918,50 euro (salaires dus pendant la mise à pied),

- 38,27 euro (treizième mois sur la mise à pied),

- 5 472,33 euro (indemnité de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile).

Elle demande encore la confirmation du jugement en ce qu'il a ordonné sous astreinte la remise de documents outre les intérêts de droit sur les sommes à lui revenir.

La société Foncia République, sur appel incident, explique qu'elle a décidé de regrouper à son siège à Valence ses services comptables et administratifs et que Madame Aubert a d'emblée refusé le changement de ses conditions de travail, la modification du lieu de travail étant effectuée dans un même secteur géographique alors en outre que peu avant son licenciement elle a déménagé à Pont-Saint-Esprit ce qui l'a éloigné de Pierrelatte.

Elle ajoute que Madame Aubert a refusé de négocier la moindre mesure d'accompagnement avec prise en charge de sujétions complémentaires puisqu'elle a immédiatement invoqué la modification substantielle de son contrat de travail et l'absence de clause de mobilité.

Subsidiairement elle soutient que Madame Aubert ne justifie pas de son préjudice ni d'une perte de chance à percevoir des allocations chômage, qu'elle ne peut à la fois demander le remboursement d'une retenue pour la mise à pied et le paiement des salaires correspondants.

Elle demande le remboursement de la somme versée au titre de l'exécution provisoire et la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Sur le licenciement

Attendu que Madame Aubert a été licenciée pour faute grave consistant en un refus d'appliquer les consignes et violé délibérément ses obligations professionnelles en refusant une modification de ses conditions de travail;

Que la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige ne permet pas de requalifier le licenciement en un licenciement pour motif économique; que les demandes de Madame Aubert formées de ce chef ne sont donc pas fondées comme bien jugé par le Conseil de prud'hommes;

Que pareillement les explications fournies par la société Foncia sur les raisons de la réorganisation de l'entreprise ou les fonctions exercées par Madame Aubert sont sans intérêt pour la solution du litige;

Que la seule question consiste à savoir si la modification du lieu de travail de Madame Aubert de Pierrelatte à Valence est une modification de son contrat de travail ou de ses conditions de travail;

Attendu qu'en l'absence de contrat de travail écrit rien ne permet de considérer qu'un lieu fixe de travail a été contractualisé; qu'il en résulte tout autant qu'aucune clause de mobilité ne peut être opposée à Madame Aubert;

Attendu que c'est à juste titre que le Conseil de prud'hommes a considéré, eu égard à l'éloignement entre les deux lieux précités qui ne sont pas situés dans le même bassin d'emploi et son domicile à Bollène, qu'imposer à Madame Aubert un tel changement de lieu de travail caractérise une modification de son contrat de travail;

Qu'il en résultait en effet pour elle un trajet supplémentaire de près de 90 kilomètres soit près de 180 kilomètres par jour aller et retour, distance qui, quelque soit le moyen de transport utilisé, ne peut constituer un simple changement des conditions de travail alors encore que le Conseil de prud'hommes ajustement observé que les liaisons tant ferroviaires que routières ne sont localement pas aisées;

Que le lieu de domicile de Madame Aubert ne change rien puisque distant de Pierrelatte que d'une quinzaine de kilomètres, son éloignement de Valence restant toujours important;

Que le déménagement de Madame Aubert de Bollène à Pont-Saint-Esprit ne modifie les distances que de quelques kilomètres et ne peut avoir aucune incidence alors en outre qu'elle a changé son domicile postérieurement à son licenciement;

Attendu que s'il est exact que Madame Aubert a immédiatement refusé son changement de lieu de travail, il convient cependant de relever qu'aux termes de sa première lettre du 30 mai 2005 la société Foncia n'a laissé aucun choix à Madame Aubert puisqu'elle l'a informée de son changement de lieu de travail en lui indiquant que dès son retour d'arrêt pour maladie elle exercerait sa fonction à Valence aux mêmes conditions de rémunération et de qualification;

Que s'il lui a été précisé que des mesures d'accompagnement pourraient être étudiées, la lettre ne précise pas lesquelles, celle postérieure du 23 juin 2005 ne donnant pas plus d'indication sur ce point, aucune proposition concrète ne lui ayant été faite;

Qu'en tout état de cause Madame Aubert était en droit de refuser la modification de son contrat de travail qui lui a été imposée sans discussion possible sur le principe même du changement, lequel n'a été accompagné d'aucune proposition sérieuse permettant d'en atténuer les effets ;

Que c'est donc à bon droit que le Conseil de prud'hommes a dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse;

Qu'eu égard toutefois à l'ancienneté de Madame Aubert (17 ans), à son âge (près de 50 ans au jour de la rupture), à la perte d'un emploi stable et à la difficulté pour retrouver un nouvel emploi même de catégorie inférieure, il lui sera alloué à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse la somme de 20 000 euro, en réformation sur ce montant du jugement déféré;

Attendu que la société Foncia ne conteste pas que Madame Aubert n'a pas été payée de ses salaires pendant sa mise à pied conservatoire, son bulletin de paie du mois correspondant, s'il fait état d'une retenue à ce titre de 83,65 euro, ne faisant d'ailleurs pas apparaître le paiement des salaires correspondants ; qu'il sera donc alloué à Madame Aubert la somme de 918,50 euro correspondant aux salaires dus pendant toute la mise à pied outre les congés payés afférents, somme dans laquelle est incluse celle de 83,65 euro allouée par le Conseil de prud'hommes;

Que le jugement sera par contre confirmé en l'intégralité de ses dispositions relatives à l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents et aussi en ce qu'il a débouté Madame Aubert de ses demandes complémentaires concernant les circonstances de la rupture dont il n'est pas justifié qu'elles aient été particulièrement abusives et de remboursement d'indemnités supplémentaires Assedic, rien ne démontrant que la société Foncia l'ait licenciée avant ses 50 ans pour l'empêcher d'en bénéficier;

Que Madame Aubert peut aussi prétendre au paiement du prorata du treizième mois sur le préavis et les salaires dus pendant la mise à pied, la convention collective de l'immobilier applicable à l'entreprise prévoyant en son article 29 que pour les salariés quittant l'entreprise en cours d'année le treizième mois est acquis prorata temporis ; qu'il lui sera donc alloué à ce titre les sommes de 153,11 euro et 38,27 euro ; que la société Foncia ne discute pas cette demande;

Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement

Attendu que l'article 33 de la convention collective de l'immobilier prévoit qu'après deux ans de présence les salariés licenciés par application de la procédure prévue aux articles 30 et 31 (licenciement individuel sauf faute grave et licenciement économique), recevront une indemnité de licenciement calculée sur la base d'un quart par année de service dans l'entreprise du salaire global brut mensuel;

Que si le dit article précise qu'il est étendu sous réserve de l'application de la loi du 19 janvier 1978 article 5 de l'accord annexé, cette réserve est depuis bien longtemps levée alors en outre que la loi de 1978 est celle sur la mensualisation, que l'accord annexé est celui du 10 décembre 1977 qui prévoit justement le montant de l'indemnité de licenciement sans restriction à l'article 33;

Qu'en tout état de cause la société Foncia, qui s'abstient de tout commentaire sur cette indemnité sur laquelle elle ne conclut pas malgré l'appel également interjeté sur ce point par Madame Aubert, ne conteste pas qu'elle appartient aux organismes signataires de la convention collective;

Que c'est donc à tort que le Conseil de prud'hommes n'a alloué à Madame Aubert que l'indemnité légale de licenciement alors qu'elle est en droit de prétendre à l'indemnité conventionnelle de l'article 33 pour un montant, pas plus discuté que le principe de l'indemnité, de 7 808,61 euro;

Sur les autres demandes

Attendu que sera ordonnée la remise d'un certificat de travail, d'une attestation Assedic et de fiches de paie conformes au présent arrêt et ce sous astreinte de 50 euro par jour de retard passé le délai de 15 jours après sa notification que la cour se réserve le droit de liquider; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la remise d'une lettre de licenciement;

Que le jugement sera aussi confirmé en sa décision sur les intérêts;

Attendu que c'est à bon droit que le Conseil de prud'hommes a ordonné le remboursement à l'Assedic d'indemnités de chômage dans la limite de six mois, Madame Aubert ayant plus de deux ans d'ancienneté dans une entreprise employant plus de dix salariés;

Attendu qu'il sera alloué à Madame Aubert la somme de 1 200 euro par application en cause d'appel de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que la somme de 500 euro qui lui a été allouée à ce titre en première instance est confirmée;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, - infirme le jugement déféré sur le montant des dommages-intérêts alloué pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le montant des salaires dus pendant la mise à pied, en ce qu'il a dit que Madame Aubert ne pouvait prétendre qu'à l'indemnité légale de licenciement et non à l'indemnité conventionnelle et en ce qu'il a ordonné la remise d'une lettre de licenciement, - et statuant à nouveau sur ces seuls points, - condamne la société Foncia République à payer à Madame Aubert les sommes suivantes - 20 000 euro (dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse), - 918,50 euro et 91,85 euro (salaires dus pendant la mise à pied et congés payés afférents), - 7 808,61euro (indemnité conventionnelle de licenciement), - dit n'y avoir lieu à remise d'une lettre de licenciement et que la remise par la société Foncia à Madame Aubert d'un certificat de travail, d'une attestation Assedic et de fiches de paie, conformes au présent arrêt, est ordonnée sous astreinte de 50 euro par jour de retard passé le délai de 15 jours après sa notification que la cour de réserve de liquider, - confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions, - et sur les demandes nouvelles, - condamne la société Foncia République à payer à Madame Aubert les sommes de 153,11 euro et 38,27 euro au titre des soldes de treizième mois dus sur l'indemnité de préavis et les salaires dus pendant la mise à pied, - déboute la société Foncia de sa demande en restitution de somme et de celle formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - condamne la société Foncia République à payer à Madame Aubert la somme de 1 200 euro par application en cause d'appel de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et met à sa charge les dépens d'appel. Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.