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Décisions

CA Aix-en-Provence, 18e ch., 4 mars 2008, n° 06-15192

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Distribution Casino France (SAS)

Défendeur :

Selvon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mallet

Conseillers :

Mmes Jacquemin, Elleouet-Giudicelli

Avocats :

Mes Bistagne, Sion, Speranza

Cons. prud'h. Toulon, du 31 juill. 2006

31 juillet 2006

Faits, procédure et prétentions des parties:

Monsieur Thierry Bracco et Mademoiselle Sylvie Selvon ont signé le 30 janvier 2001 un contrat de cogérance avec la SAS Distribution Casino France aux termes duquel ils ont accepté conjointement et solidairement le mandat d'assurer la gestion et l'exploitation d'un magasin de vente au détail, dit " Petit Casino ", situé à Toulon, place de la Cathédrale.

Après un inventaire réalisé le 14 juin 2004, faisant ressortir un manquant de marchandises pour 9 056,60 euro et un excédent d'emballages pour 477,21 euro, Monsieur Thierry Bracco et Mademoiselle Sylvie Selvon ont été convoqués le 25 octobre 2004 pour un entretien en date du 2 novembre 2004 à l'issue duquel la SAS Distribution Casino France leur a notifié, par lettre du 9 de ce mois, la résiliation de leur contrat de cogérance, leur compte général de dépôt présentant, après intégration de ces résultats d'inventaire, un solde débiteur à hauteur de 8 489,54 euro au 2 novembre 2004.

Estimant abusive la rupture de ce contrat, Mademoiselle Sylvie Selvon a saisi, le 4 janvier 2005, le Conseil des prud'hommes de Toulon pour voir constater la prescription des faits reprochés et obtenir paiement de diverses indemnités au titre de cette rupture ainsi que de la clause de non-concurrence illicite.

Par jugement de départage du 31 juillet 2006, les premiers juges ont dit que la résiliation du contrat de gérance de Mademoiselle Sylvie Selvon s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ont condamné la SAS Distribution Casino France à lui payer:

- 6 954 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

- 2 318 euro à titre de préavis,

- 231,80 euro à titre de congés payés sur préavis,

- 1 545,30 euro à titre d'indemnité de résiliation du contrat de gérance,

- 2 318 euro à titre de rappel de rémunérations pour septembre et octobre 2004, outre 231,80 euro au titre des congés payés s'y rapportant,

- 1 882,38 euro à titre de bonifications, outre 186,25 euro au titre des congés payés s'y rapportant,

- 2 545,27 euro à titre d'indemnité de congés payés,

- 700 euro sur le fondement de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile,

Et a débouté Mademoiselle Sylvie Selvon du surplus de ses demandes, ordonnant l'exécution provisoire et mettant les dépens à la charge de la SAS Distribution Casino France.

La SAS Distribution Casino France a relevé appel de ce jugement le 28 août 2006.

Vu les écritures déposées et développées à la barre par la SAS Distribution Casino France tendant à entendre :

- dire que le contrat liant les parties a la qualification de contrat de cogérance,

- dire que le fait pour Mademoiselle Sylvie Selvon de ne pouvoir utilement présenter les marchandises dont elle était simplement dépositaire en nature ou d'en restituer le prix de vente, constitue un manquement grave aux obligations contractuelles,

- dire la gravité de ce manquement justifie la rupture immédiate du contrat de cogérance,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé " la rupture abusive " et alloué à ce titre différentes indemnités ou autres sommes,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mademoiselle Sylvie Selvon de sa demande d'indemnité compensatrice au titre de la clause de non-concurrence illicite,

- condamner Mademoiselle Sylvie Selvon à lui rembourser les sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire et à lui payer 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile.

Vu les écritures également déposées et soutenues à l'audience par Mademoiselle Sylvie Selvon qui conclut:

- à la prescription des faits qui lui sont reprochés et à l'absence de faute lourde de sa part,

- à la confirmation du jugement de départage en ses dispositions relatives aux dommages et intérêts ou autres sommes allouées sauf en ce qui concerne :

* l'indemnité pour rupture abusive qui devra être portée à 11 590 euro,

* la nullité de la clause de non-concurrence pour défaut de contrepartie financière qui devra donner lieu à l'octroi de dommages et intérêts à hauteur de 83 084 euro à titre principal ou de 13 769 euro à titre subsidiaire,

- en tout état de cause, à ce que les sommes allouées portent intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction, et avec capitalisation par année entière,

- à la condamnation de SAS Distribution Casino France à lui rembourser ses frais irrépétibles à hauteur de 2 000 euro, outre les dépens.

Motifs de l'arrêt:

Sur la recevabilité de l'appel:

La recevabilité de l'appel n'est pas discutée. Les éléments du dossier ne conduisent par la cour à le faire d'office.

Sur la rupture des relations contractuelles:

Contrairement à ce que laisse entendre la SAS Distribution Casino France dans ses écritures, Mademoiselle Sylvie Selvon n'a jamais discuté sa qualité de cogérante mandataire non salariée d'une succursale de maisons d'alimentation de détail, au sens des articles L. 782-1 et suivants du code du travail auxquels se réfère d'ailleurs expressément le contrat de cogérance du 31 janvier 2001 liant les parties.

Ainsi, le litige soumis à la cour porte non pas sur la qualification de ce contrat en un contrat de travail mais bien sur la possibilité pour cette gérante mandataire non salariée de se voir appliquer, tenant la rupture de son contrat de mandat à l'initiative de son mandant, les dispositions légales des articles L. 122-4 et suivants du Code du travail relatives à la résiliation du contrat de travail à durée indéterminée, notamment celles de l'article L. 122-44 concernant la prescription des faits.

Selon l'article L. 782-7 du Code du travail, les gérants non salariés des succursales de maisons d'alimentation de détail " bénéficient de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale " dont ce texte ne donne pas une liste limitative, de sorte que les dispositions des articles L. 122-4 et suivants du Code du travail relatives à la résiliation du contrat de travail à durée indéterminée, notamment celles relatives à la prescription des sanctions, leur sont applicables.

Selon l'article L. 122-44 du Code du travail: " Aucun fait fautif peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ".

Au cas d'espèce, la SAS Distribution Casino France reproche à Mademoiselle Sylvie Selvon une faute, qualifiée de lourde, caractérisée par un manquant de marchandises constaté le 14 juin 2004, faute sur la base de laquelle elle a convoqué, le 25 octobre 2004, la gérante mandataire à un entretien préalable en vue de prendre à son encontre la mesure de résiliation de son contrat de cogérance, effectivement notifiée par lettre du 9 novembre 2004 dans laquelle il était précisé que : " [l']inventaire de cession du lundi 14 juin 2004 tiendra lieu d'inventaire de cession définitif ".

Ainsi que le précisent les premiers juges, les courriers échangés par les parties entre le 14 juin et le 25 octobre 2004, cette dernière date marquant le point de départ de la procédure disciplinaire, demeurent inopérants sur le délai légal de l'article L. 122-44.

Dans ces conditions, Mademoiselle Sylvie Selvon est bien légitime à soulever la prescription des faits sur lesquels la SAS Distribution Casino France a fondé la résiliation du contrat de cogérance du 30 janvier 2001.

Sur les conséquences de la rupture :

Tenant les dispositions du Code du travail énoncées ci-avant, la rupture du contrat de Mademoiselle Sylvie Selvon en ce qu'elle repose sur des faits prescrits caractérise une rupture abusive pour défaut de cause réelle et sérieuse, justifiant l'octroi d'une indemnité que les premiers juges ont justement apprécié à hauteur de 6 954 euro dans la limite fixée par l'article L. 122-14-4 du Code du travail, eu égard à l'ancienneté, l'âge et la rémunération moyenne mensuelle de 1 159 euro, la gérante ne justifiant pas l'existence d'un préjudice particulier permettant de lui allouer une somme plus élevée.

Faute d'être sérieusement critiquées en leur montant, les indemnités allouées par les premiers juges à titre de préavis, de congés payés y afférent.

Il en sera tout autant des indemnités au titre du rappel de rémunérations pour les mois de septembre et octobre 2004, outre les congés (pour 2 318 euro + congés payés pour 231,80 euro) et de l'indemnité de congés payés (pour 2 545,27 euro) dès lors qu'en dehors de procéder par simple affirmation selon laquelle le rappel de rémunérations n'est pas dû ou que ladite indemnité a été réglée, l'examen des bulletins mensuels de commissions concernant les périodes incriminées par Mademoiselle Sylvie Selvon révèle le contraire.

Concernant les bonis de commissions, leur montant n'est pas discuté en dehors d'affirmer, comme le fait la société appelante, qu'il aurait été réglé, demeure erroné et est en réalité de 1 862,51 euro et non de 1 882,38 euro, outre les congés payés y afférent pour 186,25 euro. Le jugement déféré sera réformé en ce sens, pour ce qui concerne le montant en principal.

De même, s'agissant de l'indemnité conventionnelle de résiliation du contrat de cogérance, due en application de l'article 15 de l'accord collectif national du 18 juillet 1963 en cas de résiliation du contrat ne reposant pas sur une faute grave, cette indemnité fait indiscutablement double emploi avec l'indemnité légale allouée pour défaut de cause réelle et sérieuse de la rupture dudit contrat. Le jugement déféré en ce qu'il a condamné à ce titre la SAS Distribution Casino France au paiement d'une somme de 1 545,30 euro sera également réformé.

Sur la clause de non-concurrence:

Le contrat de cogérance du 30 janvier 2001, pris en son article 18, contient la clause de non-concurrence suivante:

" En cas de résiliation, pour une cause quelconque, les co-gérants s'interdisent de s'établir durant une période de trois années et dans le rayon ci-dessous précisé de l'établissement qu'ils quittent:

- 1 kilomètre pour les villes de 10 000 habitants et plus,

- 2 kilomètres pour les villes de mains de 10 000 habitants,

- 3 kilomètres pour les " Petit Casino " avec tournées à domicile.

Ils s'interdisent de même toute concurrence directe au indirecte à Distribution Casino France SAS durant la même période et dans le même rayon que ci-dessus:

- soit en participant d'une manière quelconque à l'exploitation d'un commerce analogue;

- soit en sollicitant au faisant solliciter la clientèle;

- soit sous toute autre forme que ce soit, même en prêtant leur concours à une société non commerciale qui répartirait des produits analogues à ceux vendus;

- soit d'une manière générale, sur la vente ou la distribution au détail des articles faisant l'objet du commerce de l'entreprise, à l'exclusion, toutefois, du cas où les cogérants occuperaient les fonctions de simple vendeur chez un spécialiste.

Cette clause n'est cependant pas applicable en cas de fermeture définitive du " Petit Casino " exploité par les cogérants lors de la rupture de leur contrat. "

Il s'évince de l'article L. 782-7 du Code du travail que le gérant non salarié qui bénéficie déjà de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale, peut bénéficier tout autant de la législation du travail en ce qu'elle concerne l'exercice de droits fondamentaux ou se rapporte à des principes généraux

Selon l'article L. 120-2 du Code du travail : " Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ou proportionnées au but recherché ".

Dès lors, en limitant la liberté de travail du gérant, qu'il soit salarié ou non salarié, toute clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace et qu'elle comporte une contrepartie financière.

D'évidence, faute de prévoir une quelconque contrepartie financière pour Mademoiselle Sylvie Selvon durant les trois années mentionnées dans la clause, tandis que la SAS Distribution Casino France ne justifie pas l'en avoir délié ni ne soutient qu'elle n'aurait pas été respectée par la gérante, la clause de non-concurrence doit être déclarée illicite.

Réformant en cela le jugement déféré, la somme de 13 769 euro constitue une juste indemnisation calculée sur trois ans à hauteur de 33 % de la rémunération brute mensuelle, moyenne des 12 derniers mois, telle que mentionnée dans les écritures de Mademoiselle Sylvie Selvon.

Sur les autres demandes.

Les condamnations, pour celles qui n'auraient pas été réglées dans le cadre de l'exécution provisoire, doivent porter intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil des prud'hommes en date du 4 janvier 2005, s'agissant des sommes allouées au titre du préavis, des commissions et des congés payés et à compter de la décision les ayant prononcées pour celles à caractère purement indemnitaire.

Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 1154 du Code civil, s'agissant de la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière selon la demande initialement formée pour la première fois par les écritures de Mademoiselle Sylvie Selvon visées par le conseil des prud'hommes le 20 juin 2006.

Au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, il est équitable d'allouer à Mademoiselle Sylvie Selvon la somme de 1 000 euro en cause d'appel.

La SAS Distribution Casino France sera tenue aux dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, en matière prud'homale, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, Reçoit l'appel, Vu l'article L. 782-7 du Code du travail, Constate que les faits reprochés par Mademoiselle Sylvie Selvon sont prescrits, Confirme, par des motifs propres à la cour ou non contraires, le jugement entrepris en ses dispositions relatives aux condamnations prononcées à l'exception des rappel de bonifications, de l'indemnité de résiliation du contrat de cogérance et en ce qu'il a débouté Mademoiselle Sylvie Selvon de sa demande au titre de la clause de non-concurrence, Réformant pour le surplus, Déboute Mademoiselle Sylvie Selvon de sa demande d'indemnité de résiliation du contrat de gérance, Déclare illicite la clause de non-concurrence insérée au contrat de cogérance du 30 janvier 2001, Condamne la SAS Distribution Casino France à payer à Mademoiselle Sylvie Selvon : * la somme de 1 862,51 euro au titre des bonifications 2002, 2003 et 2004, et la somme de 186,25 euro au titre des congés payés y afférent, * la somme de 13 769 euro à titre de dommages et intérêts pour contrepartie financière de ladite clause, Y ajoutant, Dit que les condamnations ponteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil des prud'hommes en date du 4 janvier 2005, s'il échet, s'agissant des sommes allouées au titre du préavis, des commissions et des congés payés et à compter de la décision les ayant prononcées pour celles à caractère purement indemnitaire, Dit que les intérêts échus des capitaux, à la condition qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière, produiront des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, selon la demande formée le 20 juin 2006, Condamne la SAS Distribution Casino France à payer à Mademoiselle Sylvie Selvon la somme de 1 000 euro en cause d'appel, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de toute demande plus ample ou contraire, Condamne la SAS Distribution Casino France aux dépens d'appel.