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Décisions

CJUE, gr. ch., 26 janvier 2010, n° C-118/08

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Transportes Urbanos y Servicios Generales SAL

Défendeur :

Administración del Estado

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Skouris

Présidents de chambre :

MM. Tizzano (rapporteur), Cunha Rodrigues, Lenaerts, Bonichot, Mmes Silva de Lapuerta, Toader

Avocat général :

M. Poiares Maduro

Juges :

MM. Timmermans, Rosas, Schiemann, von Danwitz, Arabadjiev, Kasel

Avocat :

Me Esquerrá Andreu

CJUE n° C-118/08

26 janvier 2010

LA COUR (grande chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des principes d'effectivité et d'équivalence au regard des règles applicables dans l'ordre juridique espagnol aux actions en responsabilité dirigées contre l'État pour violation du droit de l'Union.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Transportes Urbanos y Servicios Generales SAL (ci-après "Transportes Urbanos") à l'Administración del Estado au sujet du rejet de l'action en responsabilité que cette société a introduite contre l'État espagnol pour violation du droit de l'Union.

Le cadre juridique

La sixième directive

3 La sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 95-7-CE du Conseil, du 10 avril 1995 (JO L 102, p. 18, ci-après la "sixième directive"), dispose à son article 17, paragraphes 2 et 5, dans sa rédaction résultant de l'article 28 septies de celle-ci:

"2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée à l'intérieur du pays pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti;

b) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens importés à l'intérieur du pays;

c) la taxe sur la valeur ajoutée due conformément à l'article 5 paragraphe 7 sous a), à l'article 6 paragraphe 3 et à l'article 28 bis paragraphe 6;

[...]

5. En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction visées aux paragraphes 2 et 3 et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations.

Ce prorata est déterminé pour l'ensemble des opérations effectuées par l'assujetti conformément à l'article 19.

[...]"

4 L'article 19 de la sixième directive énonce les critères pour le calcul du prorata de déduction prévu à l'article 17, paragraphe 5, premier alinéa, de celle-ci.

Le droit national

5 L'article 163 de la Constitution espagnole (ci-après la "Constitution") prévoit:

"Lorsqu'une juridiction considère, au cours d'un procès, qu'un instrument ayant rang de loi, applicable au cas d'espèce et de la validité duquel dépend le jugement, peut être contraire à la Constitution, elle saisit le Tribunal Constitucional [Cour constitutionnelle] de la question dans les cas, sous la forme et avec les effets prévus par la loi, lesquels ne seront en aucun cas suspensifs."

6 La loi 37-1992, du 28 décembre 1992, relative à la taxe sur la valeur ajoutée (BOE n° 312, du 29 décembre 1992, p. 44247), telle que modifiée par la loi 66-1997, du 30 décembre 1997 (BOE n° 313, du 31 décembre 1997, p. 38517, ci-après la "loi 37-1992"), prévoit des limitations au droit d'un assujetti de déduire la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la "TVA") afférente à l'achat de biens ou de services financés au moyen de subventions. Ces limitations sont entrées en vigueur à compter de l'exercice fiscal 1998.

7 La loi 37-1992 prévoit également que tout assujetti est tenu de déposer des déclarations périodiques, dans lesquelles il doit calculer les montants de la TVA dus par lui (ci-après les "auto-liquidations").

8 Conformément à la loi fiscale générale 58-2003, du 17 décembre 2003 (BOE n° 303, du 18 décembre 2003, p. 44987), l'assujetti a le droit de demander la rectification de ses auto-liquidations et, le cas échéant, d'exiger le remboursement des versements indus. Selon les articles 66 et 67 de ladite loi, le délai de prescription de ce droit est de quatre ans, à compter, en substance, du jour suivant celui où le versement indu a été effectué ou celui de l'expiration du délai pour présenter l'auto-liquidation si le versement indu a été effectué dans ce délai.

Le litige au principal

9 Par arrêt du 6 octobre 2005, Commission/Espagne (C-204-03, Rec. p. I-8389), la Cour a jugé, en substance, que les limitations de la déductibilité de la TVA prévues par la loi 37-1992 étaient incompatibles avec les articles 17, paragraphes 2 et 5, ainsi que 19 de la sixième directive.

10 Transportes Urbanos, qui avait effectué des auto-liquidations pour les exercices 1999 et 2000 conformément à la loi 37-1992, ne s'est pas prévalue de son droit de demander, en application de la loi fiscale générale 58-2003, la rectification de ces auto-liquidations. En effet, il est constant qu'un tel droit était prescrit à la date à laquelle la Cour a rendu l'arrêt Commission/Espagne, précité.

11 Transportes Urbanos a alors engagé une action en responsabilité devant le Conseil des ministres contre l'État espagnol. Dans le cadre de cette action, elle soutient qu'elle a subi un préjudice d'un montant de 1 228 366,39 euros, en raison de la violation, par le législateur espagnol, de la sixième directive, cette violation ayant été constatée par la Cour dans l'arrêt Commission/Espagne, précité. Un tel montant correspond aux versements de la TVA indûment perçus par l'administration fiscale espagnole aux cours desdits exercices ainsi qu'aux remboursements auxquels ladite société aurait pu prétendre pour ces mêmes exercices.

12 Par décision du 12 janvier 2007, le Conseil des ministres a rejeté la demande de Transportes Urbanos, en considérant que l'omission par celle-ci de demander la rectification desdites auto-liquidations dans le délai prévu à cet effet avait rompu le lien de causalité direct entre la violation du droit de l'Union reprochée à l'État espagnol et le préjudice prétendument subi par cette société.

13 Ladite décision de rejet du Conseil des ministres est notamment fondée sur deux arrêts du Tribunal Supremo, en date des 29 janvier 2004 et 24 mai 2005 (ci-après la "jurisprudence litigieuse"), selon lesquels les actions en responsabilité contre l'État pour violation du droit de l'Union sont soumises à une règle d'épuisement préalable des voies de recours, administratives et juridictionnelles, contre l'acte administratif faisant grief et qui a été adopté en application d'une loi nationale contraire à ce droit.

14 Le 6 juin 2007, Transportes Urbanos a introduit un recours contre ladite décision de rejet du Conseil des ministres devant le Tribunal Supremo.

La décision de renvoi et la question préjudicielle

15 Dans sa décision de renvoi, le Tribunal Supremo rappelle que, selon la jurisprudence litigieuse, l'exercice d'une action en responsabilité contre l'État fondée sur l'inconstitutionnalité d'une loi n'est soumise, contrairement à la même action fondée sur l'incompatibilité de cette loi avec le droit de l'Union, à aucune condition d'épuisement préalable des voies de recours contre l'acte administratif faisant grief fondé sur cette loi.

16 La raison d'être de la différence de traitement entre ces deux actions tiendrait aux différences existant entre les recours susceptibles d'être exercés contre un acte administratif selon que ces recours sont fondés sur l'incompatibilité de celui-ci avec le droit de l'Union ou sur la violation de la Constitution par la loi nationale en application de laquelle cet acte a été adopté.

17 En effet, selon la jurisprudence litigieuse, dès lors que la loi nationale jouit d'une présomption de conformité avec la Constitution, les actes administratifs fondés sur cette loi bénéficient également d'une présomption de "légitimité". Il s'ensuit que ni les autorités administratives ni les autorités juridictionnelles ne peuvent annuler ces actes sans que la nullité de la loi pour contrariété avec la Constitution ait été déclarée par un arrêt du Tribunal Constitucional à l'issue d'une action en inconstitutionnalité exercée conformément à l'article 163 de la Constitution, action dont l'initiative n'appartient qu'à la juridiction saisie du litige.

18 Dans ces conditions, si l'épuisement préalable des voies de recours administratives et juridictionnelles contre l'acte administratif dommageable était exigé en tant que condition pour pouvoir introduire une action en responsabilité fondée sur une violation de la Constitution, cela conduirait à imposer aux justiciables la charge d'attaquer l'acte administratif édicté en application de la loi prétendument inconstitutionnelle en utilisant, en premier lieu, la voie administrative et, en second lieu, la voie juridictionnelle ainsi qu'en épuisant toutes les instances jusqu'à ce que l'une des juridictions saisies décide finalement de soulever la question de l'inconstitutionnalité de cette loi devant le Tribunal Constitucional. Une telle situation serait disproportionnée et aurait des conséquences inacceptables.

19 En revanche, lorsque les autorités administratives ou juridictionnelles compétentes considèrent qu'un acte administratif a été édicté en application d'une loi incompatible avec le droit de l'Union, elles seraient tenues, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, d'écarter l'application de cette loi ainsi que des actes administratifs adoptés sur le fondement de celle-ci. Dès lors, il serait possible de demander directement auxdites autorités l'annulation de l'acte administratif dommageable et d'obtenir ainsi une réparation totale.

20 En outre, selon la jurisprudence litigieuse, l'existence d'une violation du droit de l'Union pouvant engager la responsabilité de l'État devrait être établie par une décision préjudicielle de la Cour. Or, les effets d'un arrêt de cette dernière rendu au titre de l'article 267 TFUE ne seraient pas comparables à ceux d'un arrêt du Tribunal Constitucional déclarant une loi inconstitutionnelle, en ce sens que seule la décision de ce dernier entraînerait la nullité de cette loi avec effet rétroactif.

21 C'est dans ces circonstances que le Tribunal Supremo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"En appliquant, dans [la jurisprudence litigieuse], des solutions différentes aux actions en responsabilité patrimoniale de l'État législateur fondées sur des actes administratifs édictés en application d'une loi déclarée inconstitutionnelle et aux mêmes actions fondées sur des actes édictés en application d'une règle déclarée contraire au droit [de l'Union], le Tribunal Supremo méconnaît-il les principes d'équivalence et d'effectivité ?"

Sur la compétence de la Cour

22 Selon le gouvernement espagnol, la Cour est incompétente pour se prononcer sur la conformité avec le droit de l'Union de décisions juridictionnelles telles que celles constituant la jurisprudence litigieuse, dès lors que le Tribunal Supremo lui-même est en mesure de modifier celle-ci s'il estime qu'elle n'est pas compatible avec ce droit.

23 Il convient de rappeler à cet égard que, s'il n'appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre de la procédure préjudicielle, sur la compatibilité de dispositions du droit national avec les règles de droit de l'Union, elle a itérativement jugé qu'elle est compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d'interprétation relevant de ce droit qui peuvent permettre à celle-ci d'apprécier une telle conformité pour le jugement de l'affaire dont elle est saisie (voir en ce sens, notamment, arrêts du 15 décembre 1993, Hünermund e.a., C-292-92, Rec. p. I-6787, point 8, ainsi que du 31 janvier 2008, Centro Europa 7, C-380-05, Rec. p. I-349, point 50).

24 À cette fin, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 13 de ses conclusions, l'origine législative, réglementaire ou jurisprudentielle des règles du droit national dont la juridiction de renvoi devra apprécier la conformité avec le droit de l'Union à la lumière des éléments d'interprétation fournis par la Cour n'affecte nullement la compétence de celle-ci pour statuer sur la demande de décision préjudicielle.

25 En outre, en vertu d'une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions des États membres telle que prévue à l'article 267 TFUE, il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l'interprétation du droit de l'Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir en ce sens, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379-98, Rec. p. I-2099, point 38; du 22 mai 2003, Korhonen e.a., C-18-01, Rec. p. I-5321, point 19, ainsi que du 23 avril 2009, VTB-VAB et Galatea, C-261-07 et C-299-07, non encore publié au Recueil, point 32).

26 Or, en l'espèce, la Cour est appelée non pas à interpréter le droit national ou un arrêt d'une juridiction nationale, mais à fournir à la juridiction de renvoi des éléments d'interprétation des principes d'effectivité et d'équivalence, afin de lui permettre d'apprécier si, en vertu du droit de l'Union, elle est tenue d'écarter l'application de règles nationales relatives aux actions en responsabilité dirigées contre l'État pour violation de ce droit par une loi nationale (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2007, Lucchini, C-119-05, Rec. p. I-6199, point 46).

27 La Cour est dès lors compétente pour statuer sur la présente demande de décision préjudicielle.

Sur la question préjudicielle

28 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l'Union s'oppose à une règle d'un État membre en vertu de laquelle les actions en responsabilité de l'État fondées sur une violation de ce droit par une loi nationale sont soumises à une condition d'épuisement préalable des voies de recours contre l'acte administratif dommageable, alors que ces mêmes actions ne sont pas soumises à une telle condition lorsqu'elles sont fondées sur une violation de la Constitution par cette même loi.

Observations liminaires

29 Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler d'emblée que, selon une jurisprudence constante, le principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l'Union qui lui sont imputables est inhérent au système des traités sur lesquels cette dernière est fondée (voir, en ce sens, arrêts du 19 novembre 1991, Francovich e.a., C-6-90 et C-9-90, Rec. p. I-5357, point 35; du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C-46-93 et C-48-93, Rec. p. I-1029, point 31, ainsi que du 24 mars 2009, Danske Slagterier, C-445-06, non encore publié au Recueil, point 19).

30 À cet égard, la Cour a jugé que les particuliers lésés ont un droit à réparation dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit de l'Union violée a pour objet de leur conférer des droits, que la violation de cette règle est suffisamment caractérisée et qu'il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers (voir en ce sens arrêt Danske Slagterier, précité, point 20 et jurisprudence citée).

31 La Cour a également eu l'occasion de préciser que, sous réserve du droit à réparation qui trouve ainsi directement son fondement dans le droit de l'Union dès lors que ces conditions sont réunies, c'est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu'il incombe à l'État de réparer les conséquences du préjudice causé, étant entendu que les conditions fixées par les législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne (principe d'équivalence) et ne sauraient être aménagées de manière à rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation (principe d'effectivité) (voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C-224-01, Rec. p. I-10239, point 58, et du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation, C-524-04, Rec. p. I-2107, point 123).

32 Ainsi que l'a relevé la juridiction de renvoi, c'est donc à la lumière de ces principes qu'il convient d'examiner la question posée.

Sur le principe d'équivalence

33 S'agissant du principe d'équivalence, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, celui-ci requiert que l'ensemble des règles applicables aux recours s'applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l'Union et à ceux similaires fondés sur la méconnaissance du droit interne (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 1998, Edis, C-231-96, Rec. p. I-4951, point 36; du 1er décembre 1998, Levez, C-326-96, Rec. p. I-7835, point 41; du 16 mai 2000, Preston e.a., C-78-98, Rec. p. I-3201, point 55, ainsi que du 19 septembre 2006, i-21 Germany et Arcor, C-392-04 et C-422-04, Rec. p. I-8559, point 62).

34 Toutefois, ce principe ne saurait être interprété comme obligeant un État membre à étendre son régime interne le plus favorable à l'ensemble des actions introduites dans un certain domaine du droit (arrêts Levez, précité, point 42; du 9 février 1999, Dilexport, C-343-96, Rec. p. I-579, point 27, et du 29 octobre 2009, Pontin, C-63-08, non encore publié au Recueil, point 45).

35 Afin de vérifier si le principe d'équivalence est respecté dans l'affaire au principal, il y a donc lieu d'examiner si, eu égard à leur objet et à leurs éléments essentiels, l'action en responsabilité introduite par Transportes Urbanos, fondée sur la violation du droit de l'Union, et celle que cette société aurait pu introduire en se fondant sur une éventuelle violation de la Constitution peuvent être considérées comme étant similaires (voir, en ce sens, arrêt Preston e.a., précité, point 49).

36 Or, en ce qui concerne l'objet des deux actions en responsabilité mentionnées au point précédent, il y a lieu de relever qu'elles portent exactement sur le même objet, à savoir l'indemnisation du préjudice subi par la personne lésée du fait d'un acte ou d'une omission de l'État.

37 S'agissant de leurs éléments essentiels, il convient de rappeler que la règle d'épuisement préalable en cause au principal opère une distinction entre ces actions, en ce qu'elle exige que le demandeur ait préalablement épuisé les voies de recours contre l'acte administratif dommageable uniquement lorsque l'action en responsabilité se fonde sur la violation du droit de l'Union par la loi nationale en application de laquelle cet acte a été adopté.

38 Or, il importe de relever que, contrairement à ce que semblent suggérer certains développements de la jurisprudence litigieuse rappelés au point 20 du présent arrêt, la réparation du dommage causé par une violation du droit de l'Union par un État membre n'est pas subordonnée à l'exigence selon laquelle l'existence d'une telle violation résulte d'un arrêt rendu par la Cour à titre préjudiciel (voir, en ce sens, arrêts Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, points 94 à 96; du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a., C-178-94, C-179-94 et C-188-94 à C-190-94, Rec. p. I-4845, point 28, ainsi que Danske Slagterier, précité, point 37).

39 Toutefois, il y a lieu de constater que, dans l'affaire au principal, Transportes Urbanos a expressément fondé son action en responsabilité sur l'arrêt Commission/Espagne, précité, rendu au titre de l'article 226 CE, dans lequel la Cour a constaté la violation de la sixième directive par la loi 37-1992.

40 Il résulte, en outre, de la décision de renvoi que Transportes Urbanos a saisi le Conseil des ministres de cette action en raison du fait que les délais pour l'introduction d'une demande de rectification des auto-liquidations effectuées pour les exercices 1999 et 2000 étaient expirés à la date à laquelle ledit arrêt Commission/Espagne a été rendu.

41 Néanmoins, ainsi qu'il a été dit aux points 12 et 13 du présent arrêt, ladite action a été rejetée par le Conseil des ministres précisément en considération du fait que Transportes Urbanos n'avait pas, préalablement à l'introduction de cette action, demandé la rectification de ses auto-liquidations.

42 En revanche, selon la décision de renvoi, si Transportes Urbanos avait pu fonder son action en responsabilité sur un arrêt du Tribunal Constitucional déclarant la nullité de la même loi pour violation de la Constitution, cette action aurait pu prospérer, et ce indépendamment de la circonstance que cette société n'avait pas demandé la rectification desdites auto-liquidations avant que les délais pour ce faire ne fussent expirés.

43 Il apparaît des considérations qui précèdent que, dans le contexte particulier ayant donné lieu à l'affaire au principal tel qu'il a été décrit dans la décision de renvoi, la seule différence existant entre les deux actions mentionnées au point 35 du présent arrêt consiste dans la circonstance que les violations de droit sur lesquelles elles se fondent seraient constatées, pour l'une, par la Cour dans un arrêt rendu au titre de l'article 226 CE et, pour l'autre, par un arrêt du Tribunal Constitucional.

44 Or, cette seule circonstance, en l'absence de toute mention dans la décision de renvoi d'autres éléments permettant de conclure à l'existence d'autres différences entre l'action en responsabilité de l'État effectivement introduite par Transportes Urbanos et celle que cette dernière aurait pu introduire sur le fondement d'une violation de la Constitution constatée par le Tribunal Constitucional, ne saurait être suffisante pour établir une distinction entre ces deux actions au regard du principe d'équivalence.

45 Dans une telle situation, il y a lieu de relever que les deux actions susmentionnées peuvent être considérées comme similaires au sens de la jurisprudence rappelée au point 35 du présent arrêt.

46 Il s'ensuit que, eu égard aux circonstances décrites dans la décision de renvoi, le principe d'équivalence s'oppose à l'application d'une règle telle que celle en cause au principal.

47 Compte tenu de cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner la règle de l'épuisement préalable des voies de recours en question dans l'affaire au principal au regard du principe d'effectivité.

48 Il résulte de ce qui précède qu'il convient de répondre à la question posée que le droit de l'Union s'oppose à l'application d'une règle d'un État membre en vertu de laquelle une action en responsabilité de l'État fondée sur une violation de ce droit par une loi nationale constatée par un arrêt de la Cour rendu au titre de l'article 226 CE ne peut prospérer que si le demandeur a préalablement épuisé toutes les voies de recours internes tendant à contester la validité de l'acte administratif dommageable adopté sur le fondement de cette loi, alors même qu'une telle règle n'est pas applicable à une action en responsabilité de l'État fondée sur la violation de la Constitution par cette même loi constatée par la juridiction compétente.

Sur les dépens

49 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, LA COUR (grande chambre) dit pour droit:

Le droit de l'Union s'oppose à l'application d'une règle d'un État membre en vertu de laquelle une action en responsabilité de l'État fondée sur une violation de ce droit par une loi nationale constatée par un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes rendu au titre de l'article 226 CE ne peut prospérer que si le demandeur a préalablement épuisé toutes les voies de recours internes tendant à contester la validité de l'acte administratif dommageable adopté sur le fondement de cette loi, alors même qu'une telle règle n'est pas applicable à une action en responsabilité de l'État fondée sur la violation de la Constitution par cette même loi constatée par la juridiction compétente.