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Décisions

ADLC, 20 janvier 2010, n° 10-D-03

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques relevées dans le secteur des marchés publics de profilage des fossés passés par la Communauté Urbaine de Lille

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Didier Ferrero, l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, MM. Jean-Vincent Boussiquet, Yves Brissy, Noël Diricq, membres.

ADLC n° 10-D-03

20 janvier 2010

L'Autorité de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 6 juin 2005 sous le numéro 05/0041 F, par laquelle le président de la Communauté Urbaine de Lille (CUDL), aujourd'hui dénommée Lille Métropole Communauté Urbaine (LCMU), a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Etangs et Rivières et Crepel lors d'un appel d'offres relatif à l'attribution de marchés de travaux de profilage des fossés sur son territoire ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié ; Vu la décision de la rapporteure générale en date du 15 juillet 2009, prise en application de l'article L. 463-3 du Code du commerce, qui dispose que l'affaire fera l'objet d'une décision de l'Autorité de la concurrence sans établissement préalable d'un rapport ; Vu les observations présentées par les sociétés Crepel, Etangs et Rivières, ATPL et Inovert et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et la société Inovert entendus lors de la séance du 25 novembre 2009, le maître d'ouvrage Lille Métropole Communauté Urbaine et les représentants des sociétés Crepel, Etangs et Rivières, ATPL et Leroy ayant été régulièrement convoqués ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Le 6 juin 2005, le président de la Communauté Urbaine de Lille (ci-après CUDL), aujourd'hui dénommée Lille Métropole Communauté Urbaine (LCMU), a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Crepel et Etangs et Rivières susceptibles de fausser la concurrence lors de son appel d'offres ouvert européen passé en 2004 concernant l'attribution de marchés à bons de commande pour des travaux de profilage des fossés sur son territoire.

2. Il était fait état d'éventuels agissements anticoncurrentiels des deux sociétés Crepel et Etangs et Rivières car cette dernière avait produit à l'appui de son dossier de candidature à l'appel d'offres précité comme au référé administratif qui s'en est suivi, des documents signés ou provenant vraisemblablement de Crepel.

3. En réponse à une demande d'enquête du 3 octobre 2006 formulée par le rapporteur général du Conseil, les services régionaux de la DGCCRF ont procédé le 30 octobre 2007 à des opérations de visites et saisies dans les locaux des entreprises : d'une part, Crepel et ATPL, toutes deux situées au siège social de Crepel à Villeneuve-d'Ascq dans le Nord et d'autre part, Etangs et Rivières à Nampont-Saint-Martin dans la Somme.

A. LE MARCHÉ DE PROFILAGE DES FOSSÉS PASSÉ PAR LA CUDL

1. LA DEMANDE DE LA CUDL

4. Créée en 1967, la CUDL est un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) comprenant 85 communes réparties sur 61 145 hectares. Avec 1,1 million d'habitants, elle est la quatrième agglomération après Paris, Lyon, Marseille et constitue la communauté urbaine la plus importante en terme de communes et d'habitants parmi les 14 existantes actuellement en France. Dirigée par 170 conseillers élus et gérée par plus de 2 300 agents, elle dispose d'un budget de 1 502 millions d'euro en 2008.

5. La prestation de profilage des fossés consiste à rétablir l'écoulement normal des eaux par enlèvement de terres et autres débris gênant leur déversement dans les fossés.

6. Selon le cahier des clauses techniques particulières fourni par la CUDL, le profilage de fossés est constitué des travaux suivants :

. " le (...) talutage des berges avec enlèvement des terres, arbustes et débris divers qui gênent l'écoulement des eaux (...)

. le remplacement de certains ponceaux qui présenteraient un degré de vétusté entravant l'écoulement normal des eaux ou qui ne seraient pas conformes aux normes techniques requises (...)

. la couverture de certaines parties à ciel ouvert, notamment aux endroits difficilement accessibles ou en bordure des immeubles où le terrassement risque de provoquer des dégâts ou infiltrations aux endroits particulièrement insalubres (...)

. la construction et la reconstruction éventuelle de tous les ouvrages nécessaires au bon fonctionnement des fossés (...)

. toutes les opérations nécessaires au bon fonctionnement des fossés, à leur entretien courant et au rétablissement normal des écoulements.

. la réfection définitive des revêtements de chaussées et trottoirs en cas de démolition des ouvrages existants (...)

. la réfection définitive des chaussées, trottoirs et accotements (...)

. la confection de saignées aux endroits judicieux pour l'élimination des eaux superficielles de ruissellement des chaussées ".

7. Ces travaux sont composés également d'un volet concernant le fauchage des fossés qui " sera exécuté par des engins mécaniques à la demande du maître d'œuvre uniquement sur les flans et les berges immédiates des fossés (largeur de berge maximale d'un mètre linéaire) y compris les finitions autour des émergences (poteaux, bornes, ponceaux) avec broyage des herbes folles, les accotements de voirie étant exclus ".

8. Pour réaliser ces travaux, l'attribution d'un lot était soumise à la capacité de l'entreprise à disposer d'une équipe complète à savoir deux ouvriers avec une pelle à pneus ou une pelle marais et un tractopelle. Par procès-verbal d'audition du 23 septembre 2007, les responsables de la CUDL font remarquer que la communauté urbaine " cherche toujours (...) le meilleur rapport prix par rapport à l'importance du lot. En fait, (elle) étudie les capacités techniques de l'entreprise notamment au niveau du personnel disponible et du matériel pour savoir si elle peut prétendre à un lot. Puis (elle) étudie la proposition de l'entreprise qui fait le rabais le plus élevé par rapport au lot le plus important, puis elle classe les candidats jusqu'à épuisement de la liste ".

9. La mise à disposition du matériel et d'un personnel suffisants s'avérait donc primordial pour l'obtention d'un ou de plusieurs lots. Le manque de moyens, matériel ou effectifs, pouvait entraîner le rejet de l'offre d'un candidat.

10. Pour effectuer les travaux de profilage de fossés sous forme de marché à bons de commande valable trois ans, la CUDL a réparti comme suit les travaux en sept lots en découpant le territoire communautaire en quatre secteurs représentant chacun une unité territoriale administrative (UTA) pour un montant total compris entre un minimum de 1 350 000 euro HT et un maximum de 5 400 000 euro HT (cotes 10 à 16) :

<emplacement tableau>

11. A titre de comparaison, on peut citer un marché à bons de commande passé en 2007 par la Communauté Urbaine de Dunkerque (59) pour un marché de faucardage et de curage de fossés dont l'estimation était chiffrée entre 100 334 euro et 501 672 euro HT. De même, le marché à bons de commande de curage de fossés et de travaux annexes lancé en 2007 par la commune de Saint-Amand-les-Eaux (59) en 2007 ne retenait qu'une estimation entre 40 000 euro et 140 000 euro HT.

12. Le marché de profilage des fossés de la CUDL revêt par conséquent une importance particulière non seulement à cause de son montant d'au moins 1 350 000 euro HT, soit 13 à 30 fois plus élevé que les deux marchés précités, mais également en raison de son étendue géographique comme de la notoriété du donneur d'ordre.

2. L'OFFRE EN RÉPONSE DES SOUMISSIONNAIRES

a) L'appel d'offres de 2004

13. Le précédent marché à bons de commande de travaux de profilage des fossés venant à échéance en janvier 2004, la CUDL a, par délibérations du 27 juin 2003 et 16 avril 2004, lancé un appel d'offres ouvert européen pour l'attribution d'un nouveau marché comprenant sept lots de travaux de profilage de fossés sur quatre secteurs géographiques pour une période triennale de 2004 à 2006 et pour un montant total compris entre 1 350 000 euro HT et 5 400 000 euro HT (cotes 10 à 16).

14. Les dix candidats ont remis les offres suivantes avant le 20 août 2004, date limite de réception des offres :

<emplacement tableau>

15. La commission d'appel d'offres (ci-après CAO) s'est réunie le 24 septembre 2004 pour juger des offres après ouverture des plis le 17 septembre 2004 (cotes 17 & 22).

16. L'article 1-2 du cahier des clauses administratives particulières (ci-après CCAP) repris dans le rapport de la CAO du 24 septembre 2004 stipulait alors que (soulignement ajouté) " les candidats ne peuvent pas être titulaires de plus d'un lot à l'intérieur d'un même secteur géographique, en tant que prestataire unique, mandataire ou cotraitant d'un groupement d'entreprises solidaires ". Cette règle avait été appliquée en 2001 pour écarter l'entreprise Geloen du lot F3B (-15 %) au profit d'ETPN (-7 %), la première étant déjà titulaire du premier lot du même secteur F3A (-22 %).

17. Cependant, la CAO a retenu que " pour ne pas introduire une limitation au principe de la libre concurrence, (elle) décide de ne pas appliquer cette règle pour l'attribution ". Elle a réparti par conséquent les lots entre les entreprises soumissionnaires ayant remis les meilleurs rabais en pourcentage sur le bordereau des prix unitaires, de la manière suivante :

<emplacement tableau>

18. La société Etangs et Rivières, n'ayant obtenu aucun lot et s'estimant lésée par la dévolution de deux lots à une même entreprise sur les secteurs F3 et F4, a formé un référé précontractuel devant le Tribunal administratif de Lille. Ce dernier, par une ordonnance du 17 décembre 2004 a observé que la CUDL n'avait pas respecté les dispositions de l'article 1-2 du CCAP et a annulé l'attribution des lots des deux secteurs F3 et F4 (quatre lots au total).

19. Le 27 décembre 2004, il a été décidé de ne pas donner suite à l'appel d'offres et de relancer une nouvelle consultation pour la période 2005-2007.

b) La relance de l'appel d'offres en 2005

20. Les quatorze candidats à l'appel d'offres ouvert européen relancé pour la période 2005- 2007 se sont présentés comme suit :

<emplacement tableau>

21. La CUDL a repris le même découpage géographique en sept lots pour quatre secteurs ainsi que les mêmes estimations de lot mais a abandonné la référence précitée à l'article 1-2 du CCAP.

22. La date limite de réception des offres ayant été arrêtée au 21 février 2005 à 12 heures, la CAO s'est réunie le 11 mars 2005 pour juger des offres après ouverture des plis le 4 mars 2005 (cotes 1 581 & 1 600).

23. La CAO a attribué les lots comme suit parmi les quatorze entreprises soumissionnaires :

<emplacement tableau>

c) La synthèse des réponses des cinq entreprises mises en cause dans les deux appels d'offres de 2004 et 2005

24. Les offres remises par les sociétés Etangs et Rivières, Crepel, ATPL, la SA Inovert, et Leroy avec les rabais proposés pour chacun des lots, sont synthétisées dans le tableau suivant (rabais en %).

<emplacement tableau>

25. En 2005, les sociétés Etangs et Rivières (F1A, F4B) et Crepel (F2A, F4A) ont obtenu chacune deux lots et ATPL un lot (F2B), soit ensemble cinq lots sur les sept en compétition. La SA Inovert a obtenu de son côté un lot (F3A) en remettant un taux de rabais de -40 % parmi les deux restants, mais elle a été devancée par l'entreprise Edgard Duval (-42 %) sur le lot F3B en ne proposant qu'un taux de rabais de - 39 %.

26. La société Crepel qui était moins-disante sur un lot en 2004 (F2A et - 51 %) le devient sur deux lots en 2005 (F2A et - 66 %, F4A et -66 %), Etangs et Rivières obtient deux lots en 2005 (F1A et - 20 %, F4B et - 65 %) contre aucun en 2004, ATPL obtient également un lot en 2005 (F2B -66,1 %) contre aucun en 2004, Inovert, non candidate en 2004, obtient un lot en 2005 (F3A et - 40 %) et Leroy, également non candidate en 2004, n'obtient aucun lot en 2005.

27. S'agissant des taux élevés de rabais proposés par les soumissionnaires sur le bordereau des prix unitaires, on notera la remarque suivante de Leroy pour le marché 2005 auquel elle a concouru : " Pour moi, les prix indiqués dans les bordereaux étaient surévalués comme toujours. C'est pour cela qu'il y a des gros rabais comme - 60% " (cote 4 165). A cet égard, M. Patrick P..., responsable administratif de la direction des eaux et de l'assainissement de la CUDL constate de son côté : " il est habituel au niveau des marchés de curage de constater des rabais très importants. Nous ne savons pas si le bordereau de prix est surévalué " (cote 5 393).

3. LES ENTREPRISES MISES EN CAUSE

La SAS Crepel

28. La SAS Crepel, 18/20 rue du Colonel-Pollet à Villeneuve d'Ascq (59650), est une entreprise familiale (TPE) spécialisée dans les travaux publics dont le capital de 50 000 euro est détenu à parité par les deux sociétés ATPL et Wagret Location.

29. Créée en 1970 par l'oncle de M. Z, elle a été revendue par celui-ci " à M. X en 1999 ", et qui est depuis lors son PDG. Disposant d'un effectif de onze salariés, son activité principale est l'hydro-curage. Les marchés publics représentent environ la moitié de son activité, dont environ un tiers avec la CUDL.

30. En 2008, Crepel a réalisé un chiffre d'affaires de 1 076 982 euro, en baisse de 6,9 % par rapport à l'exercice précédent, et a dégagé un résultat d'exploitation de 126 014 euro et un bénéfice de 131 420 euro, soit respectivement 11,7 % et 12,2 % du chiffre d'affaires.

La SAS ATPL

31. La SAS ATPL, sise au 29, avenue Maurice-Tilloy à Courrières (62710) avant d'être domiciliée depuis 2009 à l'adresse personnelle de M. X, [...] à Oignies 62590, est une entreprise familiale spécialisée dans les travaux publics dont le capital de 37 000 euro est détenu à 33 % par M. X, à 64 % par la société Etangs et Rivières et à 3 % par M. Z.

32. Créée en 1996 sous forme de SARL, elle a été transformée en SAS le 2 décembre 2004. Elle a été dirigée par M. X jusqu'au 3 mai 2004 puis par M. Eric A... jusqu'au 13 décembre 2004, ensuite par M. K... avant d'être à nouveau dirigée par M. X début 2009.

33. Employant un seul salarié en sus de son PDG, son activité principale est l'assainissement, le curage des fossés, le curage des réseaux. Hormis le lot F2B du marché de profilage des fossés 2005, elle n'a pas obtenu d'autres marchés avec la CUDL.

34. En 2008, ATPL a réalisé un chiffre d'affaires de 134 423 euro, en forte diminution de 49,3 %, accusant une perte d'exploitation de 34 640 euro - correspondant à -25,8 % du chiffre d'affaires mais dégageant néanmoins un bénéfice de 27 499 euro soit de 20,4 % du chiffre d'affaires.

La SARL Etangs et Rivières

35. La SARL Etangs et Rivières, sise au [...] à Nampont Saint-Martin (80120) avant d'être domiciliée depuis 2009 à l'adresse personnelle de M. X, [...] à Oignies 62590, est une entreprise familiale spécialisée dans la location de matériel dont le capital de 12 196 euro est détenu à 80 % par M. X et à 20 % par M. Z depuis la cession des parts intervenue entre eux le 12 septembre 2004.

36. Créée en 1999 pour que M. Z " reste dans le circuit ", quand celui-ci a cédé ses parts dans Crepel à M. X, elle a été gérée par Mme Michèle Y, épouse de M. Z avant d'être dirigée depuis début 2009 par M. X.

37. Employant en sus de sa gérante, un seul salarié, Mme Myriam Q..., secrétaire, son activité principale est la location de matériels et " à titre accessoire le curage ". Elle travaille " très peu grâce aux marchés publics ", elle " n'avait jamais fait auparavant de tels travaux pour d'autres collectivités ", elle " n'a pas travaillé depuis avec la CUDL " (cote 4 909).

38. En 2008, Etangs et Rivières a réalisé un chiffre d'affaires de 265 696 euro, en progression de 39,8 %, et a dégagé un résultat d'exploitation de 102 884 euro et un bénéfice de 76 998 euro, soit respectivement 38,7 % et 27,5 % du chiffre d'affaires.

La SAS Inovert

39. La SAS Inovert, centre de gros n° 2, rue Georges-Brassens à Fretin (59273), est une PME indépendante dont le capital de 220 000 euro appartient à une holding familiale Finadyp, détenue à 92 % par M. Pierre-Henri L..., PDG d'Inovert et 8 % par M. Yvon R..., également salarié d'Inovert comme directeur d'exploitation.

40. Créée en 1993, elle a été rachetée en 2003 par M. Pierre-Henri L..., son PDG. Employant une cinquantaine de salariés, son activité principale ressortit " aux terrains de sport, aux espaces verts et jardins. " Ses travaux concernent à hauteur de 80 % l'exécution des marchés publics et le reste est consacré à une clientèle de particuliers. Elle n'avait " jamais fait de tels travaux de profilage de fossés pour d'autres collectivités publiques. C'était la première fois que nous soumissionnons pour un tel type de marché " (cote 4 446).

41. En 2008, Inovert a réalisé un chiffre d'affaires de 7 658 907 euro, en progression de 2,3 %, dégageant un résultat d'exploitation et un bénéfice de montants respectifs de 541 150 euro et de 424 944 euro, soit respectivement 7 % et 5,5 % du chiffre d'affaires.

L'EURL Leroy

42. L'EURL Leroy, 16 bis rue d'Ennetières à Capinghem (59160) est une entreprise individuelle spécialisée dans les travaux de voirie autour de la maison, parcs et jardins dont le capital de 7 622 euro est détenu à 100 % par l'associé unique M. M... qui l'a créée en 1996. Elle emploie huit salariés en sus de son gérant. Elle obtient " très peu de marchés publics " (cote 4 355).

43. Au 31 mars 2009, Leroy a réalisé un chiffre d'affaires de 642 445 euro, en progression de 9 %, accusant une perte d'exploitation de 5 283 euro correspondant à -0,8 % du chiffre d'affaires mais dégageant un bénéfice de 28 461 euro soit 2,9 % du chiffre d'affaires.

a) Les liens existant entre les entreprises en cause

44. M. Z est l'ancien dirigeant de Crepel et a continué à y travailler en tant que directeur technique jusqu'en 2002. Ainsi déclare-t-il : " J'ai travaillé dans la société Crepel à partir de 1970. J'ai revendu cette société à M. X en 1999. De 1999 à 2002, j'ai travaillé là-bas en tant que directeur technique. Je ne me suis pas mis en tant que gérant de la société Etangs et Rivières car je ne voulais pas faire de la concurrence à la société Crepel " (cote 4 913).

45. Mme Y a travaillé de 1970 à 1999 dans la société Crepel avec son mari avant de devenir gérante d'Etangs et Rivières.

46. M. R..., directeur d'exploitation d'Inovert, observe pour sa part le 27 février 2008 : " Je pense que les sociétés Crepel, ATPL et Etangs et Rivières sont "dans la même cour". Ils doivent être situés dans le même bâtiment et sont probablement "parents". Je veux dire par là qu'ils doivent avoir des liens " (cote 4 447).

47. M. M... ajoute de son côté : " je connais la société Etangs et Rivières. La société Crepel a des parts dans cette société. Je crois qu'ils sont ensemble (...) Jean-Marc X est une personne qui adore les associations avec d'autres entreprises. Il joue avec ses parts d'entreprise " (cote 4 166).

Gestion administrative localisée au siège social de Crepel

48. Les sièges sociaux des entreprises Crepel, ATPL et Etangs et Rivières étaient situés en des lieux différents, à savoir alors respectivement Villeneuve d'Ascq (59), Courrières (62) et Nampont Saint-Martin (80).

49. Cependant, une recherche sur le site " pagesjaunes " faisait alors apparaître, qu'ATPL partageait l'adresse du siège social de Crepel au 18/20 rue du Colonel-Pollet à Villeneuve d'Ascq.

50. M. K..., alors PDG d'ATPL, reconnaissait ainsi le 28 février 2008 que (soulignement ajouté) : " le siège social de la société est à Courrières au 29 rue Maurice-Tilloy. Il n'y a en fait rien là-bas mis à part mon bureau où je ne suis jamais. Mon matériel n'y est même pas. Sur le site de Villeneuve d'Ascq, il y a simplement la secrétaire, Mme Q..., qui s'occupe de mes affaires. Mes services sont en fait là-bas depuis mai 2005. J'ai installé mon siège social à Courrières pour pouvoir déboucher sur des éventuels marchés sur le Pas-de-Calais (...) Je connais l'entreprise Crepel par la force des choses puisque nous avons des locaux communs à Villeneuve d'Ascq et la même secrétaire " (cote 4 698).

51. De son côté, le siège social d'Etangs et Rivières était alors situé au domicile privé des époux Z, à Nampont Saint-Martin dans la Somme. Mme Y, alors gérante de cette société, reconnaissait ainsi le 6 mars 2008 (soulignement ajouté) : "Mon mari est aujourd'hui retraité et n'est pas salarié d'Etangs et Rivières. Le siège social de mon entreprise est à Nampont Saint-Martin. Nous sommes en fait une simple boîte aux lettres. Cependant, les locaux " opérationnels " sont à Villeneuve d'Ascq dans les mêmes locaux que la société Crepel. C'est là que s'effectue la facturation et tout ce qui est administratif. La rédaction des dossiers pour les appels d'offre et notamment les mémoires techniques est (...) faite par Mme Q..., ma secrétaire, à Villeneuve d'Ascq. Cependant, concernant les prix proposés dans les appels d'offres, c'est mon mari, à Nampont Saint-Martin qui s'en occupe. Il remet à Mme Q... les dossiers d'appel d'offres dans une enveloppe afin que rien ne soit dévoilé. Pour tout vous dire, c'est mon mari qui a fait les prix et j'ai signé les dossiers après les avoir lus " (cote 4 908).

52. Il convient de signaler à ce dernier titre la délégation de pouvoir adressée à la CUDL signée le 29 mars 2005 par Mme Y au profit de son époux, M. Z, pour " toutes démarches ou opérations concernant notamment les documents administratifs, comptables ou autres pour les appels d'offres (marchés des fossés) de la CUDL " (cote 3 748).

53. M. X, président de Crepel, confirme pour sa part que : " tout le domaine administratif des sociétés Etangs et Rivières, Crepel et ATPL se fait sur le site de Villeneuve d'Ascq " (cote 5 064).

54. Néanmoins, la rédaction des deux appels d'offres de 2004 et 2005 a toujours fait apparaître l'adresse des sièges sociaux des sociétés Etangs et Rivières et ATPL, mais jamais leurs adresses opérationnelles à savoir le siège social de Crepel, 18/20 rue du Colonel-Pollet à Villeneuve d'Ascq.

Mutualisation des moyens au siège social de Crepel

Une secrétaire-assistante de direction commune aux trois entreprises

55. M. X, PDG de Crepel, reconnaît le 13 mars 2008 que : " Mme Q... a un emploi à mi--temps pour la société Etangs et Rivières " mais qu'elle " n'est toutefois pas salariée de la société ATPL " (cote 5 064).

56. Mme Q... partage en effet son temps de travail entre Crepel et Etangs et Rivières, tout en apparaissant de surcroît comme gérante dans les registres de JMJ Location. M. X déclarera à ce sujet le 13 mars 2008: " Je n'ai plus de part dans la société JMJ Location depuis janvier 2008 dont la responsable est Mme Q... " (cote 4 908).

57. Mme Y, gérante d'Etangs et Rivières, confirme ainsi : " Nous sommes deux salariées dans l'entreprise, à savoir Mme Q... et moi ".

58. Par ailleurs, bien qu'effectuant les tâches de secrétariat d'ATPL, Mme Q... ne fait pas partie des effectifs de l'entreprise comme le précise d'ailleurs M. K..., PDG d'ATPL, le 28 février 2008 : " Mme Q... ne fait pas partie de mes salariés ; je ne la rémunère pas. J'ai en fait un seul salarié M. Christian S.... Nous sommes seulement deux dans l'entreprise " (cote 4 698).

59. Mme Q..., secrétaire et assistante de direction des sociétés Crepel et Etangs et Rivières, et oeuvrant, quoique non salariée, pour la SAS ATPL a donc en charge l'ensemble du travail administratif des trois sociétés.

60. C'est ainsi que parmi les deux ordinateurs de la société Crepel (ceux de M. X et de Mme Q...), celui de Mme Q... contenait le plus de documents. Étant responsable de l'ensemble du domaine administratif, on peut donc légitimement penser que c'est elle qui rédige l'ensemble des dossiers d'appel d'offres, d'où les troublantes similitudes d'écriture révélées lors de l'appel d'offres en cause. C'est en tout cas Mme Q... qui a eu la charge du dossier d'appel d'offre d'Etangs et Rivières comme l'a indiqué d'ailleurs la gérante, Mme Y, le 6 mars 2008: " la rédaction des dossiers pour les appels d'offres et notamment les mémoires techniques est cependant faite par Mme Q..., ma secrétaire à Villeneuve d'Ascq " (cote 4 909).

Gestion en commun des trois entreprises

61. La localisation identique des trois entreprises en cause comme leur secrétariat commun explique la présence de documents appartenant aux entreprises Etangs et Rivières et ATPL au siège social de Crepel à Villeneuve d'Ascq (59). C'est ainsi que lors de la saisie informatique, on a pu constater la présence, parmi les fichiers informatiques de Mme Q..., de dossiers Crepel, Etangs et Rivières et ATPL.

62. Il a été saisi dans les locaux de Crepel une copie du dossier d'appel d'offres d'Etangs et Rivières (mais sans l'indication des rabais sur les prix) pour le marché de profilage des fossés de 2005 de la CUDL (cotes 2 728 à 2 865), dont le mémoire technique propre à cet appel d'offres (cotes 2 735 à 2 737, 2 747 à 2 750, 2 753).

63. On notera également la saisie, dans ces mêmes locaux, des originaux des lettres de la CUDL de notification de rejet ou d'attribution des lots pour les marchés 2004 et 2005 en date des 5 et 23 novembre 2004 (cotes 3 582 à 3 587) et des 22 mars et 12 avril 2005 (cotes 2 948 à 2 956), alors que ces lettres furent adressées à Sainghin-en-Mélantois (59), ancien siège social d'ATPL ou à Nampont Saint-Martin (80), siège social d'Etangs et Rivières.

64. Il a été saisi par ailleurs dans les locaux même de Crepel le tarif des prestations d'Etangs et Rivières (cote 6 915), un courrier d'engagement de garantie auprès du Crédit Lyonnais d'Hellemmes du 1er juin 2005 (cote 6 905) ou une LRAR du 17 novembre 2004 à la CUDL (cote 6 906), tous deux signés par Mme Z, ou encore des factures du marché de profilage des fossés de la CUDL pour le lot F4B d'août à octobre 2005 obtenu par Etangs et Rivières (cotes 6 908 à 6 914).

65. Concomitamment, on découvre chez Crepel des factures du marché de profilage des fossés de la CUDL pour le lot F2B d'août à octobre 2005 obtenu par ATPL (cotes 6 928 à 6 931).

b) Relations entre Crepel, Etangs et Rivières, ATPL, Leroy et Inovert pour l'exécution des travaux de profilage des fossés

66. Les sociétés Leroy et Inovert n'ont pas de liens juridiques et financiers entre elles, ni avec les trois sociétés mentionnées ci-dessus.

67. Les cinq entreprises ont des domaines d'activité proches qui peuvent les amener à utiliser le matériel spécialisé qu'elles louent les unes aux autres ou se prêtent régulièrement.

L'exécution des travaux révèle également un recours important à la sous-traitance occulte.

68. M. K..., alors PDG d'ATPL, reconnaît le 28 février 2008 : " je loue parfois du matériel chez la société Crepel " (cote 4 699).

69. Mme Y, alors gérante d'Etangs et Rivières, observe le 6 mars 2008 : " si l'entreprise Crepel n'a pas le matériel spécifique pour un chantier, il nous loue parfois du matériel. Je ne me souviens pas d'avoir travaillé avec la société ATPL ou de lui avoir loué du matériel " (cote 4 909).

70. Toutefois, ATPL loue du matériel auprès d'Etangs et Rivières comme l'attestent les factures 512042 du 31 décembre 2005 et 512040 du 15 décembre 2005 (cotes 3 596, 3 598).

71. De son côté, Leroy " loue de temps en temps des machines à Jean-Marc X " (cote 4 166), de même qu'elle a pu travailler à deux reprises avec Etangs et Rivières pour " des travaux de coupe d'arbres " (cote 4 443).

72. Par procès-verbal du 27 février 2008, M. R..., directeur d'exploitation d'Inovert, admet comme l'attestent les factures de décembre 2005 (cotes 3 599, 3 601, 3 602), juin, juillet, novembre 2006 (cotes 4 667, 4 671, 4 675, 4 678, 4 680, ) juin, septembre et décembre 2007 (cotes 4 652, 4 654, 4 655, 4 661, 4 663, 4 685) qu'il " a dû louer du matériel vu la spécificité du matériel demandé (...) j'ai loué du matériel auprès d'ATPL par le biais de Jean-Marc T... que je connais bien. J'ai loué plus souvent du matériel auprès d'Etangs et Rivières toujours par le biais de Jean-Marc T... (...) je n'avais ainsi pas de pelles à pneu, de pelles à chenille, de porte-engins, de camion 15 tonnes, de tracto-bennes " (cote 4 447).

La sous-traitance occulte de Crepel des travaux de profilage des fossés pour la CUDL obtenus par Etangs et Rivières et Inovert

73. Par procès-verbal du 14 mai 2008, M. P..., responsable administratif de la direction de l'eau et de l'assainissement de la CUDL, déclare à propos du marché 2005 de profilage des fossés : " nous n'avons pas eu connaissance de la présence de sous-traitance sur cinq lots. Les entreprises savent pourtant que depuis mon arrivée, nous n'acceptons plus la sous-traitance de capacité d'autant plus pour des marchés à bons de commande. Nous ne l'aurions donc de toute façon pas accepté. En effet, cela vient à l'encontre d'une observation que nous avait faite la chambre régionale des comptes (rapport provisoire 1998-2000). Les services techniques ne nous en ont pas fait part, connaissant notre position " (cote 5 392).

74. Or, par procès-verbal du 27 février 2008, M. R..., directeur d'exploitation d'Inovert reconnaît la sous-traitance occulte de Crepel pour le lot F3A (soulignement ajouté) : " je ne connais pas vraiment l'étendue des travaux car j'ai sous-traité 90 % des travaux à Etangs et Rivières (sic, il s'agit en fait de Crepel) (...) je n'ai donc effectué que 10 % de la part du lot. Cette pratique est très rare dans notre société. Je n'ai pas fait de contrat de sous-traitance donc je n'ai pas eu à le déclarer à la CUDL. Pour moi, ce n'était pas de la sous-traitance, il s'agissait simplement de la location de matériel avec chauffeur " (cote 4 446).

75. La société Inovert confond Etangs et Rivières avec Crepel comme le révèlent les déclarations des époux Z puisque la gérante remarque : " Je ne connais pas du tout la société Inovert. Je ne me souviens pas d'avoir été sous-traitant de la société Inovert " (cote 4 909). Ce que confirme son époux : " je ne connais pas l'entreprise Inovert dont vous me dites qu'elle a été un de mes sous-traitants. Cela doit être une initiative de M. X. Je n'ai rien à voir avec cela " (cote 4 914).

76. De son côté, M. X, PDG de Crepel, reconnaît la sous-traitance occulte de Crepel pour le lot F3A d'Inovert ainsi que celle des lots F1A et F4B d'Etangs et Rivières (soulignement ajouté) : " pour les lots obtenus par Etangs et Rivières, c'est l'entreprise Crepel qui a en fait exécuté les travaux. Nous étions ses sous-traitants mais nous n'avons pas fait de contrat de sous-traitance et de déclaration de sous-traitance à la CUDL. En fait, M Z pensait embaucher à l'issue de l'obtention du lot mais j'ai su qu'on ne nous donnerait pas de travail Il n'a donc pas embauché et il a bien fallu exécuter les travaux d'où la sous- traitance. Je n'ai en revanche pas effectué de travaux sur les lots d'ATPL. J'ai appelé M. L..., responsable de la société Inovert, pour lui demander qu'il me sous-traite le lot. Il n'y a pas eu de contrat de sous-traitance ni de déclaration de sous-traitance (...) Le personnel sur chantier de la CUDL est au courant de cet état de fait, mis à part peut-être pour le lot F3A où nous étions moins connus. On ne m'a jamais fait aucune remarque. Je n'ai pas fait de déclaration de sous-traitance ni de contrat car je ne connais pas cette procédure " (cote 5 065).

77. M. K..., PDG d'ATPL, et M. M..., gérant de Leroy, ont affirmé n'avoir pas exécuté de travaux en sous-traitance dans le marché de profilage des fossés.

78. Ainsi, Crepel a exécuté ses lots (F2A et F4A), les deux lots d'Etangs et Rivières (F1A, F4B) ainsi que le lot d'Inovert (F3A) en sous-traitance, soit au total cinq lots sur les sept du marché de 2005 de la CUDL.

79. Alors que l'appel d'offres fixait des critères précis fixant les moyens mis en œuvre par l'entreprise pour obtenir l'attribution d'un lot qu'il lui appartenait d'exécuter personnellement, les entreprises mises en cause ont prêté les unes aux autres leur matériel, exécuté en commun des travaux et pratiqué une sous-traitance occulte.

80. Cependant, chacune a présenté une offre indépendante pour le marché à bons de commande de la CUDL pour ses travaux de profilage des fossés.

B. LES PRATIQUES RELEVÉES

1. L'APPEL D'OFFRES DE 2004

81. A la suite du référé précontractuel d'Etangs et Rivières à son encontre devant le Tribunal administratif de Lille, la CUDL s'est aperçue de certaines anomalies dans la constitution du dossier de candidature de cette société pour le marché d'appel d'offres ouvert européen de 2004 : CCAP paraphé " JMH " (Jean-Marc X), signé à " Villeneuve d'Ascq ", attestation d'assurance situant Etangs et Rivières à l'adresse de Crepel à Villeneuve d'Ascq, similitudes d'écriture.

a) Les échanges d'informations concernant les documents techniques

L'échange entre ATPL et Crepel

82. Par procès-verbal du 28 février 2008, M. K..., alors PDG d'ATPL, reconnaît (soulignement ajouté) : " la SARL ATPL a été créée en 1996 (...) je travaille officiellement dans cette entreprise depuis mai 2005. J'ai toutefois fait les démarches nécessaires avant pour pouvoir soumissionner à l'appel d'offres de 2005. Je ne me rappelle pas avoir signé les documents en 2004 (...) j'ai été mis au courant des marchés publics de la CUDL par M. X. Nous en avons discuté. J'ai appris à mon arrivée que j'avais obtenu le lot F2B (...) En 2004, j'ai certes soumissionné mais je n'ai pas fait les prix moi-même car je n'y connais rien. Je suis obligé de m'en référer à des gens (...) Concernant les mémoires techniques, M. X m'a donné l'ancien mémoire technique rendu par ATPL en 2004. Je l'ai donc recopié pour pouvoir le présenter en 2005 " (cote 4 698).

83. M. K... a été nommé PDG d'ATPL le 13 décembre 2004, soit après la procédure d'appel d'offres d'août 2004. Il n'a donc pas constitué le dossier qui a été signé et paraphé le 18 août 2004 par M. A... (cotes 2 041 et suivants.) qui l'avait précédé comme dirigeant depuis le 3 mai 2004, lui même succédant à M. X, comme l'indiquent les procès-verbaux du 3 mai 2004 et 13 décembre 2004 de l'assemblée générale ordinaire d'ATPL (cotes 4 726, 4 732).

84. M. X, ayant quitté ses fonctions de gérant d'ATPL le 3 mai 2004, n'aurait pas dû conserver le mémoire technique figurant dans l'offre déposée par ATPL lors de l'appel d'offres d'août 2004 alors qu'il présentait une offre apparemment concurrente au nom de Crepel. Il résulte de la déclaration de M. K... (paragraphe 82) qui s'est fait remettre le document ultérieurement que des informations ont été échangées entre Crepel et ATPL avant le dépôt des offres relatives à ce premier marché.

L'échange entre Etangs et Rivières et Crepel

85. Par procès-verbal du 7 janvier 2008 (cotes 6 961 à 6 963), il a été extrait des fichiers saisis dans l'ordinateur de Mme Q... au siège de Crepel à Villeneuve d'Ascq des pièces d'Etangs et Rivières concernant : le matériel en date du 18 août 2004 (cote 6 946), le personnel technique au nombre de " dix personnes polyvalentes " le 18 août 2004 (cote 6 956), les références des travaux déjà réalisés en 2003-2004 le 10 août 2004 (cote 6 958). Toutes ces pièces étaient donc détenues par Crepel avant la date limite de réception des offres du 20 août 2004 à 12 heures.

86. A cet égard, Mme Y, alors gérante d'Etangs et Rivières, reconnaît par procès-verbal du 6 mars 2008 que : " la rédaction des dossiers pour les appels d'offres et notamment les mémoires techniques est cependant faite par Mme Q..., ma secrétaire à Villeneuve d'Ascq (...) Les dossiers d'appel d'offres et les mémoires techniques sont rédigés sur le site de Villeneuve d'Ascq " (cote 4 909). O, Mme Q... est également secrétaire et attachée de direction de Crepel, sise à Villeneuve d'Ascq.

87. Il en résulte que le mémoire technique d'Etangs et Rivières a été mis au point par le secrétariat commun de Crepel et d'Etangs et Rivières pour l'appel d'offres 2004.

b) Les échanges d'informations concernant les rabais sur les prix de bordereau

L'échange entre Etangs et Rivières et Crepel

88. Par procès-verbal du 6 mars 2008, M. Z co-dirigeant de fait d'Etangs et Rivières déclare (soulignement ajouté) : " C'est moi qui ai répondu aux appels d'offres de 2004 et 2005 au nom d'Etangs et Rivières. J'ai formé les prix pour cette société. Je n'ai pas rédigé moi- même le mémoire technique que ma femme vous a produit. J'ai transmis à M. X les prix que je faisais moi-même et que je comptais faire pour les appels d'offres de 2004 et de 2005. Il m'avait donc préalablement transmis les siens " (cote 4 913).

89. Mme Y confirme, le 6 mars 2008, le rôle essentiel de son époux dans la détermination des rabais de la société qu'elle gérait alors (soulignement ajouté) : " concernant les prix proposés dans les appels d'offres, c'est mon mari, à Nampont Saint-Martin qui s'en occupe. Il remet à Mme Q... les dossiers d'appel d'offres dans une enveloppe afin que rien ne soit dévoilé. Pour tout vous dire, c'est mon mari qui a fait les prix et j'ai signé les dossiers après les avoir lus (...) Les dossiers d'appel d'offres et les mémoires techniques sont rédigés sur le site de Villeneuve d'Ascq mais c'est mon mari qui forme les prix. Pour les marchés de 2004 et de 2005, c'est ce qui s'est passé. J'ai déposé moi-même le dossier " (cote 4 909).

90. Il en résulte que les rabais pour l'appel d'offres 2004 ont fait l'objet d'échanges d'informations entre les sociétés Crepel et Etangs et Rivières.

Sur la présence de tableaux de prix non datés saisis chez Crepel

91. Il a été saisi chez Crepel deux documents manuscrits non datés avec en-tête " Commission d'appel d'offres : profilage de fossés du 05 octobre 2001 - Entreprises retenues " (cotes 2 926, 3 591), sur lesquels figurent, pour mémoire, sous forme de trame photocopiée, la liste des sept lots, les cinq entreprises attributaires et les meilleurs rabais retenus pour le marché profilage des fossés du 5 octobre 2001.

92. Sur le premier document reproduit ci-dessous (cote 2 926), se trouve annotée une colonne au crayon à gauche sous l'intitulé ATPL avec les coefficients suivants qui ne font pas mention pour trois lots sur sept des rabais effectivement remis par celle-ci pour l'appel d'offres 2004 :

<emplacement tableau>

93. Sur le second document reproduit ci-dessous, se trouve à l'identique du document précité une colonne à gauche annotée au crayon sous l'intitulé E/R (Etangs et Rivières) avec les coefficients suivants, qui ne font pas mention pour deux lots sur sept des rabais effectivement remis par celle-ci pour l'appel d'offres 2004 :

<emplacement tableau>

En dessous de la première liste d'indications manuscrites, se trouve annoté en outre le tableau au crayon reproduit ci-après qui reflète les rabais proposés en 2004 par Crepel et Etangs et Rivières et comporte des rabais raturés pour ATPL, soit :

<emplacement tableau>

94. Les indications sur les rabais d'ATPL comme d'Etangs et Rivières annotés au crayon d'une manière identique dans la colonne de gauche des deux documents précités sont des ajouts concernant l'appel d'offres de 2004 et, comme elles ne mentionnent pas exactement les rabais remis lors de cet appel d'offres, il en découle qu'elles ont été portées sur les documents antérieurement à cet appel. Le dernier tableau qui intègre les rabais des trois sociétés avec la présence de chiffres barrés et d'autres inscrits en ce qui concerne l'offre d'ATPL a lui aussi été ajouté. Il n'est ni la copie des précédents tableaux, ni la mention des rabais remis lors de l'appel d'offres auquel cas ne figureraient pas des ratures sur cinq des sept rabais de l'offre d'ATPL mais se présente comme un ajustement des rabais suivant les informations échangées entre les trois soumissionnaires avant la remise des plis.

95. En outre, ce tableau indique une répartition des lots entre ces seuls trois soumissionnaires pour quatre des sept lots : F2A et F4A pour Crepel, F2B pour ATPL et F4B pour Etangs et Rivières.

96. Les différents tableaux ont été trouvés dans les locaux de Crepel qui a été la seule des trois soumissionnaires à se voir attribuer un lot en 2004 (F2A avec -51 %). Cet appel d'offres n'a pas abouti.

2. L'APPEL D'OFFRES DE 2005

a). Les échanges d'informations concernant les documents techniques

L'échange entre ATPL et Crepel

97. Par procès-verbal du 28 février 2008, M. K..., alors PDG d'ATPL, reconnaît (soulignement ajouté) : " J'ai été mis au courant des marchés publics de la CUDL par M. X. Nous en avons discuté. J'ai appris à mon arrivée que j'avais obtenu le lot F2B (...) Concernant les mémoires techniques, M. X m'a donné l'ancien mémoire technique rendu par ATPL en 2004. Je l'ai donc recopié pour pouvoir le présenter en 2005 " (cotes 4 699, 4 706). 98. Comme il a été indiqué au paragraphe 84, M. X en sa qualité de dirigeant de Crepel n'aurait pas dû avoir en sa possession le mémoire technique figurant dans la précédente offre d'ATPL de 2004. La remise à M. K... de ce mémoire qu'il a recopié pour le faire figurer dans le dossier de l'offre déposée en 2005 montre que Crepel et ATPL connaissaient cet élément de l'offre.

L'échange entre Etangs et Rivières et Crepel

99. Les sociétés Etangs et Rivières et Crepel ont fourni lors de leur soumission à l'appel d'offres 2005 : un mémoire technique (cotes 2 747 à 2 749 et 2 981 à 2 983), une fiche sur le personnel technique (cotes 2 735 et 2 965), les travaux déjà effectués (cotes 2 736 et 2 964) et le parc matériel (2 737 et 2 966).

100. Les documents techniques propres à Etangs et Rivières ont été saisis dans les locaux de Crepel où se trouvait la copie de son dossier d'appel d'offres (mais sans l'indication des rabais sur les prix) pour le marché de profilage des fossés de 2005 (cotes 2 728 à 2 865), comprenant le mémoire technique (cotes 2 747 à 2 749), la fiche sur le personnel technique (cote 2 735), les travaux réalisés en 2003-2004 (cote 2 736) et le parc matériel (cote 2 737). 101. De surcroît, par procès-verbal du 7 janvier 2008, il a été extrait des fichiers saisis dans l'ordinateur de Mme Q... au siège de Crepel à Villeneuve d'Ascq des pièces d'Etangs et Rivières concernant son mémoire technique en date du 18 février 2005 (cote 6 950 à 6 952), le personnel technique au nombre de " dix personnes polyvalentes " le 17 février 2005 (cote 6 953), toutes pièces ainsi détenues par Crepel avant la date limite de réception des offres du 21 février 2005.

Sur les mémoires techniques en tant que tels :

102. L'examen comparé des documents Etangs et Rivières et Crepel permet de déceler de très fortes analogies. La présentation est ainsi identique et des pans entiers de phrases/paragraphes sont similaires, y compris une même faute d'orthographe : " son savoir-faire et ses diverses compétences notamment en matière de profilage de fossés sont connus dans (...) a su rester au premier plan et la technologie et des évolutions réglementaires, dans un métier complexe et exigent (sic) où la taille humaine demeure un avantage (...) nous sommes en mesure d'aborder et de solutionner tous travaux de curage et de nettoyage faisant partie du présent appel d'offres (...) ".

103. De même, sous le titre des caractéristiques techniques de l'offre, la partie intitulée " organisation " est rigoureusement identique sur les deux documents (cotes 2 747 & 2 748 et 2 981 & 2 982).

Sur les parties " parc matériel " et " personnel " :

104. La partie intitulée " parc matériel " comprend également de grandes ressemblances entre les documents remis par les deux entreprises, puisque certains exemples de travaux sont non seulement comparables mais comportent également la même rédaction et la même ponctuation. Il en va ainsi du passage " curage d'étangs, pièces d'eau, marais, bassin etc " ou encore " récupération de flottants sur bâches de station, canal etc " (cotes 2 737 et 2 966).

105. La partie intitulée " personnel " a également une présentation similaire notamment l'encadré grisé et centré " personnel ", puis la phrase " notre société spécialisée dans tous les travaux de : (...) est composée de (X personnes polyvalentes y compris l'encadrement), placé sous la responsabilité de Monsieur X, lui-même secondé par Y ont (sic) reçu l'ensemble des formations nécessaires à l'exécution des prestations de profilage de fossés ". Cette dernière phrase est d'autant plus étrange qu'elle comporte la même faute de syntaxe (cotes 2 735 et 2 965).

Sur les attestations sur l'honneur :

106. Deux attestations sur l'honneur ont été produites. Elles sont toutes les deux rigoureusement identiques, jusqu'à la date de signature du 18 février 2005 (cotes 2 739 et 2 971).

107. Les entreprises Crepel et Etangs et Rivières ont très vraisemblablement rédigé ensemble leurs mémoires techniques, ces derniers ayant peut-être été rédigés par la même personne.

108. Ainsi, et même si existent quelques différences liées aux polices utilisées, à leur taille, au centrage des paragraphes, voire quelques adaptations de phrases, les documents remis par ces deux entreprises sont dans la très grande majorité identique entre eux.

109. D'ailleurs, Mme Y, alors gérante d'Etangs et Rivières, reconnaît par procès-verbal du 6 mars 2008 que : " la rédaction des dossiers pour les appels d'offres et notamment les mémoires techniques est cependant faite par Mme Q..., ma secrétaire à Villeneuve d'Ascq (...) Les dossiers d'appel d'offres et les mémoires techniques sont rédigés sur le site de Villeneuve d'Ascq " (cote 4 909). Or, Mme Q... est également secrétaire et attachée de direction de la SAS Crepel, sise à Villeneuve d'Ascq.

110. Il en résulte que le mémoire technique d'Etangs et Rivières a été mis au point par le secrétariat commun de Crepel et d'Etangs et Rivières pour l'appel d'offres 2005.

L'échange entre Leroy et Crepel

111. Par procès-verbal du 7 janvier 2008, il a été extrait des fichiers saisis dans l'ordinateur de Mme Q... au siège de Crepel à Villeneuve d'Ascq des pièces de Leroy concernant : le mémoire technique en date du 19 février 2005 (cotes 6 935, 6 936), le personnel technique au nombre de " huit personnes polyvalentes " le 17 février 2005 (cote 6 939) ; toutes pièces détenues par Crepel avant la date limite de réception des offres du 21 février 2005.

112. Les mémoires retrouvés sous forme informatique sont rigoureusement les mêmes que ceux transmis à la CUDL pour l'appel d'offres en cause (cotes 5 280, 5 281).

113. Interrogé sur ce point le 31 janvier 2008, M. M... s'est d'abord défendu de la manière suivante : " je reconnais ces documents. Ils viennent de l'entreprise Crepel. Quand j'ai vu qu'il y avait des appels d'offres espaces verts, j'ai téléphoné à M. X pour qu'il m'aide à rédiger mon dossier. Cela faisait longtemps que je n'en avais pas fait. M. X a donc rédigé le dossier et mis le tout dans les enveloppes. J'avais besoin de son savoir-faire dans le secrétariat. Par la suite, j'ai engagé une secrétaire en 2006. Le document que vous m'avez remis est un mémoire technique pour le marché d'espaces verts et non pour le profilage des fossés. Cela n'a aucun lien avec le profilage des fossés. J'ai rédigé moi-même le mémoire technique pour le profilage des fossés " (cotes 1 466 à 1 469).

114. Entendu à nouveau sur ce point, après la transmission par la CUDL dudit mémoire technique de Leroy pour l'appel d'offres de 2005 (cotes 5 280, 5 281), M. M... reconnaît alors par procès-verbal du 15 février 2008 (soulignement ajouté) : " j'ai repris le mémoire technique que j'avais rédigé avec l'aide de la secrétaire de M. X pour les espaces verts pour rédiger mon mémoire technique relatif au profilage de fossés. Je suis allé chez M. X pour le marché de profilage de fossés pour récupérer le dossier qu'il avait dans son ordinateur et dont je m'étais servi pour le marché des espaces verts. Je suis vraisemblablement repassé quelques jours avant la date limite de remise des offres pour imprimer mon dossier à l'entreprise Crepel. J'avais donné préalablement des feuilles avec l'en-tête de ma société. Je vois M. X toutes les semaines. M. X était donc en possession de mon mémoire technique relatif à l'appel d'offre de profilage des fossés avant la remise des offres " (cote 4 444).

115. De son côté, M. X a simplement remarqué : " M. M... m'a demandé de l'aide pour cet appel d'offres. Mme Q... lui a rédigé son dossier d'appel d'offres. En revanche, il a repris son dossier et a fait ses propres prix " (cote 5 065).

116. Il en résulte que les mémoires techniques ont fait l'objet d'échanges d'informations entre les entreprises Leroy et Crepel pour l'appel d'offres 2005.

b) Le projet de facturation de commissions à Etangs et Rivières et ATPL par Planète Bleue pour " l'élaboration du marché d'appel d'offres de la CUDL du 21 février 2005 "

117. Par procès-verbal du 7 janvier 2008, il a été extrait d'un fichier " Planète Bleue ", saisi dans l'ordinateur de Mme Q... au siège de Crepel à Villeneuve d'Ascq, la trace de deux factures de commission sans en-tête, la première n°508 002 (cote 6 933) du 23 août 2005 d'un montant de 9 000 euro HT destinée à Etangs et Rivières pour " l'élaboration du marché d'appel d'offres profilage des fossés avec la CUDL de Lille du 21 février 2005, montant minimum du marché 360 000 euro ", la seconde n° 508 003 (cote 6 934) du même jour 23 août 2005 d'un montant de 5 625 euro HT, destinée à ATPL également pour " l'élaboration du marché d'appel d'offres profilage des fossés avec la CUDL de Lille du 21 février 2005, montant minimum du marché 225 000 euro ".

118. Mme Y, alors gérante d'Etangs et Rivières, déclare le 6 mars 2008 : " je ne sais pas du tout à quoi elles (les factures) correspondent. Je ne me souviens pas les avoir reçues. Je n'ai jamais facturé de telles sommes et je ne les ai jamais payées non plus " (cote 4 909).

119. De son côté, M. X, PDG de Crepel, affirme le 13 mars 2008 : " je ne me souviens pas de ces factures. Je ne sais pas ce qu'elles signifient " (cote 5 065).

120. Cependant, par procès-verbal d'audition du 24 mars 2009, M. X a précisé au rapporteur avoir exercé en profession libérale l'activité de consultant Planète Bleue : " J'ai exercé à titre libéral, sans salarié, l'activité de consultant sous le nom de Planète Bleue entre le 1er mars 2004 et le 30 juin 2006 pour valoriser mon savoir-faire d'assainisseur, création d'étangs. Il s'agissait de travaux de faisabilité comme bureau d'études. Comme me le confirme mon comptable joint à l'instant par téléphone, j'ai dégagé des honoraires pour 33 000 euro en 2004, 21 000 euro en 2005 et 31 000 euro en 2006. J'ai cessé cette activité faute de rentabilité " (cote 6 992).

121. Il apparaît ainsi que M. X a pu rendre aux deux sociétés Etangs et Rivières et ATPL la prestation précitée d'" élaboration des réponses aux marchés d'appels d'offres de profilage des fossés de la CUDL de 2005 ".

122. Les deux projets de factures saisies tendent ainsi à confirmer, que non seulement les documents techniques des dossiers de candidature à l'appel d'offres de 2005 des deux sociétés Etangs et Rivières et ATPL ont été échangés sur le site de Crepel à Villeneuve d'Ascq, mais de surcroît que M. X, PDG de Crepel, a eu connaissance du contenu du dossier des sociétés Etangs et Rivières et ATPL, voire même a participé à l'élaboration des offres, puisqu'il a envisagé de facturer sa prestation comme consultant Planète Bleue pour l'" élaboration des réponses aux marché d'appels d'offres de profilage des fossés de la CUDL du 21 février 2005 ".

123. Il en résulte que Crepel a pris une part active dans la constitution des dossiers des deux sociétés, Etangs et Rivières et ATPL, répondant à l'appel d'offres.

c) Les échanges d'informations concernant les rabais sur les prix de bordereau

Sur la présence de tableaux non datés saisis chez Crepel

124. De nombreux tableaux non datés ont été saisis chez Crepel. Ces tableaux reprenant les sept lots du marché de profilage des fossés mentionnent les cinq entreprises Crepel, Etangs et Rivières, ATPL, Inovert et Leroy, étant observé que quatorze candidats ont soumissionné à l'appel d'offres 2005. Ces tableaux sont composés comme suit :

<emplacement tableau>

125. Le premier tableau avec croix ne correspond pas à des indications qui ont été suivies d'effets pour le marché en cause.

126. En revanche, en tenant compte du fait que le lot F2A précède le lot F1A, les croix des deux derniers tableaux ci-dessus indiquent le classement des cinq entreprises selon les taux de rabais, qu'elles ont effectivement remis pour six des sept lots en concurrence qui leur ont été attribués, la société Leroy n'étant jamais moins-disante.

127. Un autre tableau ci-après expose les minima et maxima des gains cumulés des lots F2A et F4A pour Crepel, F1A et F4B pour Etangs et Rivières, F2B pour ATPL et F3A pour Inovert mais omet le lot F3B qui n'a pas été remporté par l'une d'entre elles.

<emplacement tableau>

128. Hormis le premier d'entre eux, ces tableaux constituent ainsi une sorte de bilan de l'appel d'offres de 2005 établi par Crepel, dont on remarque qu'il n'a été mis au point que pour les seuls candidats Crepel, Etangs et Rivières, ATPL, Inovert et Leroy, à l'exclusion de toute indication sur les neuf autres soumissionnaires y compris l'attributaire Edgard Duval du lot F3B.

Sur la présence de documents datés saisis chez Crepel

La télécopie envoyée par Etangs et Rivières à Crepel le 17 février 2005

129. Parmi les documents saisis chez Crepel figure une télécopie envoyée le 17 février 2005 à la société Crepel, au numéro 03 20 33 43 81, et comprenant le titre évocateur " SECRET DEFENSE ". Le numéro de l'expéditeur est bizarrement masqué, mais le tampon d'Etangs et Rivières y figure (cote 2 901).

130. Cette télécopie est datée du 17 février 2005, quatre jours avant la date limite de remise des offres le 21 février 2005.

131. Sur cette télécopie reproduite ci-dessous, figurent les indications manuscrites suivantes :

<emplacement tableau>

132. Mme Y a déclaré à propos de cette télécopie (soulignement ajouté) : " Vous me montrez finalement un fax en date du 17 février 2005 à 10 h 50 avec en en-tête le nom de mon entreprise. Mon mari est l'auteur de ce fax. C'est bien sa signature qui figure en bas de la page. Je ne l'ai toutefois pas faxé. Je n'ai même jamais vu ce document. Je ne sais pas ce que ces chiffres signifient " (cote 4 911).

133. Interrogé sur ce point, M. Z confirme (soulignement ajouté) : " Vous me montrez finalement un fax en date du 17 février 2005 à 10 h 50 avec en en-tête le nom de mon entreprise. J'en suis bien l'auteur. J'ai écrit cela à M. X en retour d'un de ses appels téléphoniques. Je lui ai renvoyé ce fax avec mes propres offres. Au départ, je ne voulais pas faire des remises à -50 % " (cote 4 914).

134. M. X se contente d'observer pour sa part : " Je ne me souviens pas de ce fax. M. Z est un homme qui a l'habitude de ces marchés, des travaux et des prix à faire " (cote 5 065).

135. Les propos de M. Z sont contredits par les indications contenues dans la télécopie qui montrent qu'il n'a pas seulement communiqué à M. X les rabais éventuels à remettre par Etangs et Rivières mais aussi ceux que devaient remettre Crepel et ATPL.

136. Les propos des personnes susvisées ainsi que les termes de la télécopie décrite précédemment sont alors explicites : M. Z ne s'est pas borné à déterminer les rabais d'Etangs et Rivières (dont la gérance procédait de son épouse), mais a également échangé avec Crepel, préalablement à la remise des offres, sur les rabais à remettre par les sociétés Etangs et Rivières, ATPL et Crepel.

La télécopie reçue par la société Crepel le 21 février 2005 à 8 h 26

137. Parmi les documents saisis chez Crepel figure une seconde télécopie, reproduite ci-dessous, reçue par elle le 21 février 2005 à 8 h 26 au numéro 03 20 33 43 81, dont le numéro de l'expéditeur est masqué (cote 2 909), à l'instar de la télécopie précitée que lui avait adressée Etangs et Rivières le 17 février précédent (cote 2 901).

138. Par procès-verbal d'audition du 24 mars 2009, M. X s'est borné à déclarer avoir " bien reçu cette télécopie le 21 février 2005. Je ne me souviens pas présentement de la personne qui me l'avait transmise. Les inscriptions manuscrites des chiffres permettent de mieux visualiser les données télécopiées " (cote 6 992).

139. Cette télécopie reprend la teneur de deux autres tableaux identiques (cotes 2 904, 2 932) non datés également saisis chez Crepel, dont l'un avec les rabais manuscrits (cote 2 932) :

<emplacement tableau>

140. En l'occurrence, les 35 taux de rabais (5 taux fois 7 lots) ci-avant mentionnés correspondent exactement à ceux remis sous pli par les cinq candidats pour les sept lots lors de l'appel d'offres de 2005.

141. La télécopie a été envoyée le 21 février 2005 antérieurement à la date limite de remise des offres fixée le même jour à 12 h. Ainsi, les rabais qui constituaient la partie essentielle de l'offre déposée par chaque société ont été établis pour chaque lot en connaissant les rabais des offres faites par les autres sociétés afin de répartir les lots entre elles.

142. Etangs et Rivières, Crepel et ATPL ont obtenu chacune le ou les lots qu'elles convoitaient tandis qu'Inovert n'a été attributaire que d'un lot sur les deux qui auraient pu lui revenir faute d'avoir proposé un meilleur taux de rabais que celui de -39 % pour le lot F2A, ce qui l'a conduit à être devancée par Edgard Duval (-42 %) ainsi que par Solintra (-40 %).

143. On notera à cet égard, le commentaire par procès-verbal d'audition du 27 février 2008 du directeur d'exploitation d'Inovert : " J'ai été étonné d'avoir uniquement un lot. Nous nous attendions à avoir plus " (cote 4 447).

144. Les dirigeants de Crepel, Etangs et Rivières et ATPL ont reconnu avoir fixé le prix de leurs offres en connaissant les prix fixés par l'une ou l'autre société et même d'avoir fixé les prix d'une offre concurrente.

145. En premier lieu, selon les déclarations des époux Z reproduites aux paragraphes 88 et 89, M. Z a établi les prix d'Etangs et Rivières en connaissant les prix de Crepel transmis par M. X puis en lui communiquant les siens.

146. Par procès-verbal du 6 mars 2008, M. Z, co-dirigeant de fait d'Etangs et Rivières déclare ainsi (soulignement ajouté) : " C'est moi qui ai répondu aux appels d'offres de 2004 et 2005 au nom d'Etangs et Rivières. J'ai formé les prix pour cette société (...) J'ai transmis à M. X les prix que je faisais moi-même et que je comptais faire pour les appels d'offre de 2004 et de 2005. Il m'avait donc préalablement transmis les siens " (cote 4 913).

147. En deuxième lieu, M. K..., PDG d'ATPL, déclare (soulignement ajouté) : " En 2004, j'ai certes soumissionné mais je n'ai pas fait les prix moi-même car je n'y connais rien. Je suis obligé de m'en référer à des gens. C'est sans doute M. A... ou M. X qui ont eux-mêmes formé ces prix (...) Pour les marchés de 2005. J'ai bien signé la demande d'appel d'offres mais les propositions de prix pour les appels d'offres n'ont pas été faites par moi. Je ne connaissais d'ailleurs pas la façon de procéder. J'ai accepté l'appel d'offres en retour même si je ne l'avais pas rédigé initialement, notamment au niveau des remises effectuées. En fait, c'est M. X qui rédige les dossiers d'appels d'offre et les prix. Je n'ai pas eu de droit de regard sur les prix. A l'issue de cette procédure en 2005, la CUDL m'a attribué le lot F2B. M. X m'a proposé de le prendre mais j'étais très réticent car la remise était de -66,1. Je l'ai pris car j'avais besoin de travail et que c'était pour faire mon entrée auprès de la CUDL (...) En définitive, je n'ai jamais fait moi-même mes prix, ni pour les marché de profilage de fossés de 2004, ni pour ceux de 2005 " (cote 4 913).

148. De son côté, M. X, entendu en qualité de PDG de Crepel par procès-verbal du 13 mars 2008, reconnaît également (soulignement ajouté) : " les prix pour les sociétés ATPL et Crepel ont été faits par moi pour les appels d'offre de 2005. J'ai téléphoné à M. Z de la société Etangs et Rivières et nous avons parlé de nos prix " (cote 5 065).

149. En ce qui concerne ces trois sociétés, les prix sous forme de rabais des offres ont fait l'objet d'une concertation. En ce qui concerne la société Leroy, M. M... se défend de toute concertation en déclarant le 31 janvier 2008 : " M. X fait "ses enquêtes" pour savoir à combien vont se monter les offres. Il pose des questions au bon endroit à savoir au service technique de la communauté urbaine de Lille. Quand je réponds aux appels d'offres, j'arrive toujours à savoir les prix par les surveillants techniques des travaux. En revanche, je ne lui ai jamais dit mes prix. J'ai fait mes propres prix (...) Je ne vois pas pourquoi j'aurai soumissionné pour au final ne pas avoir de lots. Je n'ai pas d'intérêt à couvrir M. X car je sais très bien que je n'obtiendrai pas le marché " (cote 1 470).

150. Cependant en ce qui concerne Leroy et Inovert, la télécopie reçue par Crepel le jour de la remise des offres et qui fixe les rabais qui seront remis par les cinq soumissionnaires, y compris les leurs, pour l'intégralité des sept lots de l'appel d'offres montre que les cinq candidats ont échangé des informations pour fixer les rabais et se répartir les lots.

C. LES GRIEFS NOTIFIÉS

151. Au vu des éléments qui précèdent, les griefs suivants ont été notifiés le 16 juillet 2009 :

1) - " Il est fait grief aux trois sociétés SAS Crepel (RCS 477 080 956), SAS ATPL (RCS 408 737 393), SARL Etangs et Rivières (RCS 423 737 139), d'avoir échangé en 2004, avant le 24 août, des informations sur leurs offres et de s'être réparties les lots du marché de profilage des fossés du 24 août 2004 (sic) de la CUDL, pratique contraire aux dispositions de l'article L. 420-1, notamment 2° et 4° du Code de commerce, prohibant les ententes anticoncurrentielles.

2) - Il est fait grief aux cinq sociétés SAS Crepel (RCS 477 080 956), SAS ATPL (RCS 408 737 393), SARL Etangs et Rivières (RCS 423 737 139), SA Inovert (RCS 389 905 076), EURL Leroy d'avoir échangé en 2005, avant le 21 février, des informations sur leurs offres et de s'être réparties les lots du marché de profilage des fossés du 21 février 2005 de la CUDL, pratique contraire aux dispositions de l'article L. 420-1, notamment 2° et 4° du Code de commerce, prohibant les ententes anticoncurrentielles ".

152. Le premier grief comporte une erreur matérielle car il indique comme date de marché le 24 août 2004 alors que la date de remise des offres pour ce marché était fixée au 20 août 2004. Cette erreur est sans conséquence car les pièces retenues comme indices sont soit antérieures au 20 août 2004, soit ne comportent pas de date.

II. Discussion

A. SUR LA PROCÉDURE

153. Le président de la SAS Inovert se déclare surpris de ne pas avoir été convoqué et entendu par le rapporteur chargé du dossier alors que son directeur d'exploitation a été entendu par les services d'enquête, bien que ce dernier ne soit pas habilité à répondre aux appels d'offres. Or selon lui, la responsabilité des appels d'offres incombe au seul président, avec délégation de signature pour certains dossiers au responsable du bureau d'étude de l'époque, qui a depuis quitté l'entreprise, comme c'était le cas pour le dossier concerné.

154. Mais la jurisprudence considère que le rapporteur n'est pas tenu de procéder à des auditions s'il s'estime suffisamment informé pour déterminer les griefs susceptibles d'être notifiés (Cour de cassation, 15 juin 1999). L'absence d'audition préalable à la notification des griefs ne constitue donc pas une atteinte au principe du contradictoire (Cour d'appel de Paris, 28 juin 1989) et la circonstance que des responsables ou des cadres des entreprises vis-à-vis desquelles des griefs ont été retenus n'ont pas été entendus par le rapporteur est sans incidence sur la régularité de la procédure (voir en ce sens la décision n° 06-D-07 du 21 mars 2006, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux publics dans la région Ile-de-France, paragraphes 491 & 492).

B. SUR LE FOND

1. SUR LES ÉCHANGES D'INFORMATIONS ENTRE DES ENTREPRISES CANDIDATES À UN MÊME APPEL D'OFFRES

155. Chaque marché passé selon une procédure d'appel d'offres constitue un marché pertinent, résultant de la confrontation concrète à l'occasion de cet appel d'offres d'une demande du maître de l'ouvrage et des propositions des entreprises répondant à cet appel d'offres (cf par exemple : arrêt de la Cour d'appel de Paris du 12 décembre 2000, sociétés CGST SAVE, Domoservices et autres).

156. S'agissant d'un tel marché, la pratique décisionnelle du Conseil et désormais de l'Autorité de la concurrence considère de façon constante que l'existence d'une entente anticoncurrentielle est établie, dès lors que la preuve est apportée que les entreprises mises en cause ont convenu de coordonner ou d'échanger des informations sur leurs offres respectives, antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être. Les décisions récentes en ce sens n° 06-D-08 du 24 mars 2006, relative aux pratiques relevées sur les marchés des collèges de l'Hérault, confirmé par arrêt de la cour d'appel du 23 octobre 2007, n° 08-D-33 du 16 décembre 2008, relative à un marché du transport par autocar de la ville d'Annecy et du conseil général de Haute-Savoie, confirmé par arrêt du 3 novembre 2009 ou n° 09-D-25 du 29 juillet 2009, relative à des pratiques d'entreprises spécialisées dans les travaux de voies ferrées, peuvent être citées.

157. Ces concertations ou ces échanges d'informations peuvent porter sur l'existence de compétiteurs, leur nom, leur importance, leur absence d'intérêt pour le marché considéré. Ces pratiques peuvent aussi avoir pour objet de fixer les niveaux de prix auxquels seront faites les soumissions, voire de désigner à l'avance le futur titulaire du marché en le faisant apparaître comme le moins disant.

158. Tout échange d'informations préalablement au dépôt des offres est anticoncurrentiel, car il est de nature à diminuer l'incertitude dans laquelle doivent être toutes les entreprises quant au comportement de leurs concurrentes.

159. Cette incertitude est en effet la seule contrainte de nature à pousser les opérateurs concurrents à faire le maximum d'efforts en termes de qualité et de prix pour obtenir le marché. A l'inverse, toute limitation de cette incertitude affaiblit la concurrence entre les offreurs et pénalise l'acheteur public, obligé à payer un prix plus élevé que celui qui aurait résulté d'une concurrence non faussée : " Il est en effet constant qu'en matière de marchés sur appels d'offres, qu'ils soient publics ou privés, un échange d'informations a pour objet de connaître la position des concurrents et de définir son offre à partir des informations ainsi recueillies qui, en réduisant l'incertitude relative au contenu des autres offres, fait disparaître la concurrence que l'organisation de l'appel d'offres a justement pour fonction de promouvoir " (décision n° 09-D-25 précitée).

160. La preuve des pratiques anticoncurrentielles résulte d'un ou plusieurs éléments ou pièces établissant sans ambigüité la pratique en cause, ou de l'utilisation d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants, constitué par le rapprochement lors de l'instruction de plusieurs documents ou déclarations, qui n'auraient pas un caractère probant pris isolément.

161. Par ailleurs, l'antériorité de l'échange d'informations par rapport à la consultation pourra être déduite de l'analyse du contenu de l'offre et du rapprochement de celui-ci avec le résultat de l'appel d'offres (décision n° 01-D-17 du 25 avril 2001 relative à des pratiques dans les marchés d'électrification de la région du Havre). De plus, la Cour d'appel de Paris a jugé que quel que soit le lieu où il a été régulièrement saisi, le document est opposable aussi bien à l'entreprise qui l'a rédigé qu'à celle qui l'a reçu et même à celles qui y sont mentionnées (CA Paris, 18 décembre 2001, SA Bajus transport).

2. SUR LES LIENS EXISTANT ENTRE LES ENTREPRISES CREPEL, ATPL ET ETANGS ET RIVIÈRES

162. Le droit de la concurrence n'interdit pas le dépôt d'offres distinctes par des sociétés ayant des liens juridiques et financiers entre elles en réponse à un même appel d'offres. Le Conseil a rappelé cette absence d'interdiction de principe dans une décision n° 03-D-01 du 14 janvier 2003, sociétés du groupe l'Air Liquide : " Il est loisible à des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, mais disposant d'une autonomie commerciale, de présenter des offres distinctes et concurrentes, à la condition de ne pas se concerter avant le dépôt de ces offres ".

163. Dans l'hypothèse où les entreprises ayant des liens entre elles décident de répondre simultanément à un même appel d'offres, chaque entreprise doit établir sa propre offre en totale indépendance : " La formulation d'offres distinctes par de telles entreprises exige l'indépendance totale de l'élaboration de leurs offres, faute de quoi le mécanisme de formation du prix ainsi que l'application de ces règles de choix sont nécessairement perturbés, que le donneur d'ordres ait été ou non informé de l'absence d'indépendance des offres en cause. Il y a alors coordination d'offres qui ont vocation à être élaborées de manière indépendante spécifiquement pour répondre à la demande particulière préalablement exprimée. La concurrence est faussée. " (décision n° 06-D-26 du 15 septembre 2006 relative à la saisine des sociétés Lamy Moto et Moto Ouest à l'encontre des sociétés Yamaha Motor France et MBK).

164. Au cas présent, les trois entreprises Crepel, ATPL et Etangs et Rivières qui ont non seulement des liens juridiques entre elles mais sont gérées en commun au siège de Crepel, ont été chacune soumissionnaire au même appel d'offres de 2004 ainsi qu'à sa relance, après son annulation, en 2005, chacune d'entre elles étant dès lors censée disposer de son autonomie commerciale.

165. Les entreprises Crepel, ATPL et Etangs et Rivières font valoir que M. X était associé dans les trois sociétés et n'exerçait des fonctions de direction que dans la société Crepel avant de prendre la direction des trois entreprises au début 2009, ce qui ne peut leur être reproché. Elles admettent l'existence de liens commerciaux entre les trois entités, sans que pour elles cela puisse signifier qu'il y ait eu une entente pour l'attribution des marchés.

166. Mais les griefs notifiés s'appuient sur des preuves matérielles d'échanges d'informations entre les sociétés mises en cause concernant les rabais sur les bordereaux de prix, confirmées en partie par des déclarations. Les documents saisis démontrant l'échange d'informations proviennent de l'ordinateur de Mme Q... qui les a rédigés (paragraphes 60 et suiv.). Les prix des offres pour les différents lots ont été établis en commun par M. Z d'Etangs et Rivières et par M. X de Crepel pour les trois sociétés (paragraphes 88 et 89, 129 et suivants).

167. Ainsi, les trois entreprises n'ont manifesté aucune autonomie dans l'élaboration de leurs offres qu'elles ont néanmoins présentées de façon indépendante en laissant croire à l'acheteur public qu'elles étaient concurrentes.

168. Il convient d'examiner le comportement collusif des entreprises Crepel, ATPL, Etangs et Rivières lors de l'appel d'offres de 2004 puis le comportement collusif de ces trois entreprises et des entreprises Inovert et Leroy lors de l'appel d'offres de 2005.

3. L'APPEL D'OFFRES DE 2004

169. Il ressort des constatations faites aux paragraphes 82 à 84 que Crepel était en possession du mémoire technique d'ATPL qui a été vraisemblablement rédigé par M. X alors qu'il n'était plus dirigeant de cette société. C'est ce mémoire qui a été utilisé pour constituer l'offre déposée par ATPL.

170. Le mémoire d'Etangs et Rivières accompagné des pièces relatives au personnel et au matériel technique, les références aux travaux qui sont tous datés entre les 17 et 18 août 2004, soit avant la date limite de réception des offres du 20 août 2004, ont été trouvés chez Crepel parmi des fichiers informatiques de Mme Q... qui les a rédigés ainsi que l'a admis Mme Y (paragraphes 85 et 86). Les documents techniques de Crepel et Etangs et Rivières rédigés par la même personne n'ont pas été élaborés de façon indépendante.

171. Par ailleurs, Etangs et Rivières a reconnu que les rabais avaient été échangés avec Crepel.

172. Les documents saisis chez Crepel montrent que les rabais des sociétés Crepel, ATPL et Etangs et Rivières ont fait l'objet d'un échange d'informations entre elles avant la date limite de réception des offres en août 2004 car ces documents manuscrits ne mentionnent pas tous les rabais remis par les deux sociétés tierces ATPL et Etangs et Rivières et s'agissant d'ATPL, les rabais mentionnés ont été corrigés, ce qui manifeste une élaboration antérieure au dépôt des offres. Il s'agit de documents préparatoires destinés à organiser les offres entre les trois entreprises (paragraphes 91 et suivants).

173. L'ensemble des documents constitue un faisceau d'indices graves, précis et concordants démontrant que les trois sociétés Crepel, ATPL et Etangs et Rivières ont échangé entre elles des informations portant sur leur disponibilité en personnel ou matériel pour le marché considéré et qu'elles se sont entendues sur les prix des lots qu'elles ont proposés alors que ces entreprises étaient en concurrence pour répondre à l'appel d'offres de 2004.

174. Etangs et Rivières a obtenu du juge administratif l'annulation de l'attribution des lots F3 et F4 pour violation du cahier des charges particulières, donnant ainsi l'apparence d'un comportement autonome comme le laissait entendre la pluralité des offres déposés par les entreprises. Cependant, ces offres ont été établies après que les entreprises ont communiqué entre elles et n'étant plus indépendantes, elles ont trompé le responsable du marché sur la nature, la portée, l'étendue ou l'intensité de la concurrence (cf décision n° 03-D-07 du 4 février 2003 relative à des pratiques relevées lors de la passation des marchés d'achat de panneaux de signalisation routière verticale par des collectivités locales).

175. Finalement, la CUDL n'a pas donné suite à l'appel d'offres mais cet échec ne fait pas obstacle à la constatation et à la sanction des pratiques anticoncurrentielles relevées (décision n° 09-D-10 du 27 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent).

176. Cette pratique qui a eu pour objet et pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché et à répartir entre les trois entreprises mises en cause les lots du marché de profilage des fossés de la CUDL en 2004 est contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce qui prohibent les ententes anticoncurrentielles.

4. L'APPEL D'OFFRES DE 2005

a) La preuve de l'entente entre les entreprises Crepel, Etangs et Rivières, ATPL, Inovert et Leroy

177. La télécopie reçue par Crepel le 21 février 2005 à 8 h 26, la date limite de réception des offres étant fixée le même jour à 12 h, mentionne les rabais que chacune des cinq entreprises a repris pour chacun des lots dans son offre déposée le même jour (paragraphes 24 et 137). Les montants des rabais ont été fixés de telle façon que l'entreprise proposant le rabais le plus élevé obtienne le lot. Ainsi, les lots F2A et F4A ont été attribués à Crepel qui a offert un rabais de 66 % pour chacun des lots conformément aux indications de la télécopie tandis qu'en second s'est trouvée ATPL avec un rabais de 64,1 % pour le lot F2A et Etangs et Rivières avec un rabais de 64 % pour le lot F4A. De la même façon, le lot F2B a été attribué à Etangs et Rivières qui a offert un rabais de 66,1 % supérieur de 1 % au rabais d'ATPL, qui elle-même a obtenu le lot F4B en offrant un rabais de 65 % supérieur de 1 % au rabais de Crepel. Inovert a obtenu le lot F3A en offrant un rabais de 40 % supérieur de 1 % au rabais de Leroy mais n'a pas obtenu le lot F3B en offrant un rabais de 39 % qui, bien qu'étant supérieur à celui des quatre autres entreprises, s'est avéré inférieur au rabais offert par une entreprise extérieure au groupe. Seul Leroy n'a pas obtenu de lots car les rabais offerts ont été tous inférieurs à ceux des quatre entreprises.

178. Ainsi, quelques heures avant le dépôt des offres, Crepel a eu en sa possession cette télécopie qui sous forme d'un tableau indiquait exactement les 35 rabais remis par les 5 entreprises pour les 7 lots en compétition. Dès ce moment, elle connaissait les remises qui allaient être pratiquées par les quatre autres entreprises, ce qui ne s'explique que par un échange d'informations entre les entreprises. M. X de Crepel ayant refusé d'indiquer les circonstances dans lesquelles lui était parvenue la télécopie, il est possible que l'auteur de la télécopie, soit ait reçu des entreprises des informations nécessaires à l'élaboration des différents rabais, soit ait été chargé par celles-ci de fixer les rabais en fonction des lots convoités. Mais quelles que soient les modalités selon lesquelles le tableau a été établi et est parvenu à Crepel, il apporte la preuve que les cinq entreprises ont communiqué au moins à l'une d'entre elles les prix de leur offre éliminant l'incertitude, règle qui doit être suivie pour rendre des offres concurrentes. Il n'est pas nécessaire de démontrer que les entreprises ont toutes été informées des prix proposés par toutes les autres. Il suffit de constater que l'une d'entre elles détenait ces informations des autres entreprises antérieurement au dépôt des offres pour démontrer que les cinq entreprises se sont entendues pour fausser la concurrence concernant l'appel d'offres.

179. Ce tableau suffit à lui seul à démontrer l'existence de l'entente. Aucun doute n'est permis sur son antériorité par rapport à la date et heure limite du dépôt des offres et sur la connaissance qu'en a eue Crepel. Son contenu et sa portée montrent clairement que les différents rabais mentionnés au regard des cinq entreprises candidates sont exactement ceux qui ont été repris dans les offres déposées et qui ont permis la répartition des lots décrite au paragraphe 177.

180. La Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 19 janvier 1999 (Laurent Bouillet) a considéré que " la preuve d'une entente, en l'absence d'une preuve formelle résultant d'un document unique, peut être rapportée, comme en l'espèce, par un faisceau d'indices précis et concordants ". Dans un arrêt du 2 mars 1999 (Surbeco), elle a admis que la mention, dans l'agenda du dirigeant d'une société, de contacts pris par lui avant le dépôt des offres avec d'autres sociétés qui ont soumissionné pour le marché constituait une preuve suffisante pour démontrer l'échange d'informations. Si en revanche dans son arrêt du 15 janvier 2008 (Devin Lemarchand), la cour d'appel n'a pas admis la preuve résultant d'un document unique qu'aucun élément extrinsèque ne confortait, elle n'a pas pris cette position parce qu'un seul document lui était présenté mais parce qu'il n'était pas certain que les montants portés sur le document résultaient d'échanges intervenus entre les entreprises avant le dépôt des offres.

181. La Cour de cassation dans un arrêt du 25 avril 2001 (Laurent Bouillet) a souligné : " la variété des indices qui doivent être retenus pour présumer l'existence d'une entente anticoncurrentielle n'impose pas la diversité de leur source ".

182. La pluralité des preuves n'est pas non plus requise en droit communautaire. Le TPICE a rappelé, dans un arrêt du 15 mars 2000 (Cimenterie CBR SA e.a /Commission des Communautés européennes, T-25-95, point 1531) : " Aucun principe de droit communautaire ne s'oppose à ce que la Commission, pour conclure à l'existence d'une infraction à l'article 85 § 1 du traité se fonde sur une seule pièce, pourvu que la valeur probante de celle-ci ne fasse pas de doute et pour autant que, à elle seule, la dite pièce atteste de manière certaine l'existence de l'infraction en question ".

183. Il convient de faire application de cette preuve à chaque entreprise mentionnée sur le tableau : Inovert, ensuite Leroy, puis ensemble à l'égard de Crepel, ATPL et Etangs et Rivières qui sont dans une situation similaire.

b) La société Inovert

184. Cette société figure sur la télécopie saisie chez Crepel avec l'indication des rabais qu'elle a remis. Elle a remporté un lot dans les conditions ci-dessus rappelées (paragraphe 177). Le président d'Inovert se défend de toute concertation avec les quatre autres entreprises en déclarant n'avoir eu jusqu'à la lecture de la notification de griefs le 16 juillet 2009 aucun moyen de connaître les entreprises qui ont répondu à l'appel d'offres, ni les entreprises attributaires des autres lots, ni les liens juridiques ou personnels entre elles et n'avoir eu en aucun cas aucun lien ni concertation avec aucune autre entreprise.

185. L'intéressé observe cependant que son directeur d'exploitation a entretenu des relations professionnelles avec M. T... et Mme Q... qu'Inovert charge de louer des matériels de chantier. Cette location s'est surtout faite sous l'appellation Etangs et Rivières, puis JMJ Location et à présent Location du Pévèle.

186. Dans ce contexte, le président d'Inovert craint qu'une trop grande proximité entre son directeur d'exploitation et M. T... n'ait conduit à un échange d'informations confidentielles entre eux. Il s'agirait alors d'une négligence de l'ordre de la faute professionnelle, qui devrait être sanctionnée en tant que telle, mais en aucun cas d'une tentative entre des mandataires sociaux de se concerter en vue de fausser le jeu de la concurrence.

187. Mais la Cour d'appel de Paris a précisé que c'est à l'employeur de veiller au respect des règles de concurrence : " l'échange d'informations est imputable à un salarié (...) qui a permis à la société concurrente (...) de prendre copie des éléments de réponse à l'appel d'offres préparés par son employeur ; qu'il est ainsi établi que, pour le moins, la SNEF n'a pas suffisamment veillé au secret de la consultation, composante essentielle de la procédure de mise en concurrence des entreprises soumissionnaires à un marché public ". (arrêt Cour d'appel de Paris 8 octobre 2008 confirmant la décision du Conseil n° 07-D-29 du 26 septembre 2007 SNEF, voir également n° 09-D-19 du 10 juin 2009 relative à des pratiques concernant le déménagement de personnels militaires relevant du CTAC de l'armée de terre à Nancy points 165 à 168).

188. Cette défense apparaît d'autant moins crédible que M. L..., président d'Inovert, a lui même signé l'acte d'engagement de sa société (cote 323). Il met en avant que sa réponse à l'appel d'offres de 2005 avait pour but d'entrer en relation d'affaires avec la CUDL en tentant de décrocher un ou deux lots, pas plus, ce qui explique l'écart de ses rabais.

189. Mais Inovert a obtenu le lot F3A avec l'un de ses rabais les moins intéressants à -40 % grâce au concours apporté par les autres entreprises parties à l'entente qui ont remis des rabais inférieurs et en devançant Solintra, dont le taux de rabais se chiffrait également à -40 %, grâce à une meilleure valeur technique de son offre. En contrepartie, Inovert a offert des rabais plus élevés pour les lots F4B (-50 %), F4A (-55 %), F2B (-59 %) et F2A (-63 %) mais elle était assurée de ne pas les obtenir puisqu'elle était respectivement devancée par Etangs et Rivières sur le lot F4B avec -65 %, Crepel sur le lot F4A avec -66 %, ATPL sur le lot F2B avec -66,1 % et Crepel sur le lot F2A avec -66 % comme le montre le tableau.

190. Le directeur d'exploitation d'Inovert a déclaré d'ailleurs par procès-verbal d'audition " avoir été étonné d'avoir uniquement un lot. Nous nous attendions à avoir plus ". La répartition des lots entre les cinq mises en cause prévoyait effectivement qu'Inovert ne soit pas concurrencée par les quatre autres sur le lot F3B mais ce lot a été dévolu à Edgar Duval grâce à un taux de rabais de -42 % plus intéressant que celui de -39 % d'Inovert, également devancée par Solintra (-40 %).

191. Ainsi, la participation d'Inovert à l'entente est démontrée par le tableau transmis par télécopie qui, en répertoriant les différents rabais que les entreprises se sont accordées à faire, a organisé une répartition des marchés entre elles. Il en a été également tenu compte dans les tableaux non datés dressés par Crepel et qui constituent une sorte de bilan de l'appel d'offres.

c) La société Leroy

192. Cette société est mentionnée sur le tableau avec l'indication des rabais qu'elle a remis dans ses offres pour chacun des lots. Mais à la différence des autres entreprises, les rabais sont tous inférieurs pour chaque lot à celui de l'une des quatre autres, tout en demeurant proche de ceux présentés par les autres afin de renforcer l'apparence de concurrence aux offres ainsi faites. Les offres de couverture ainsi réalisées impliquent nécessairement un échange d'informations pour être en harmonie avec l'ensemble des autres rabais.

193. M. M... qui entretient des relations avec M. X de Crepel a dénié toute participation à l'entente en soutenant n'avoir jamais communiqué ses prix mais sans donner aucune explication valable à propos des mentions du tableau saisi chez Crepel.

194. A la preuve de l'échange d'informations sur les rabais viennent s'ajouter d'autres éléments. M. M... a admis que le mémoire technique faisant partie de son offre avait été rédigé avec l'aide de Mme Q... et que M. X a eu en sa possession ledit mémoire (paragraphe 114). Par ailleurs, comme pour Inovert, la participation de M. M... à l'entente a été prise en considération dans les tableaux non datés dressés par Crepel et qui font le bilan de l'appel d'offres.

195. La participation de l'entreprise Leroy à l'entente est établie car le dépôt d'offres de couverture a servi à accroître la crédibilité des offres des autres entreprises et principalement celles de Crepel dont le dirigeant M. X connaissait bien M. M... (cote 4 165).

d) Les sociétés Crepel, ATPL et Etangs et Rivières

196. C'est à partir de Crepel dirigée par M. X et de ses deux comparses ATPL et Etangs et Rivières auxquels sont venues se joindre Inovert et Leroy qu'a été organisée l'entente révélée par la télécopie trouvée chez Crepel. Grâce aux rabais habilement distribués et échangés entre les entreprises, les trois entreprises ont été les grandes gagnantes de ce comportement collusif (paragraphe 177).

197. En dehors du tableau qui apporte la preuve à lui seul de l'entente entre les cinq entreprises, plusieurs autres éléments viennent la caractériser.

198. En premier lieu, la télécopie du 17 février 2005 envoyée par M. Z d'Etangs et Rivières à M. X de Crepel intitulée " SECRET DEFENSE " qui propose une évaluation des rabais concernant les trois entreprises dont les dirigeants finiront par reconnaître qu'ils ont échangé leurs prix (paragraphes 131, 144 et suivants).

199. En deuxième lieu, l'élaboration des mémoires techniques des trois sociétés a été concertée entre elles comme le démontrent les similitudes constatées entre les mémoires d'Etangs et Rivières et Crepel, l'utilisation faite par ATPL du mémoire de cette société détenu par M. X de Crepel (paragraphes 97, 99 et suivants.).

200. En troisième lieu, les projets de facture saisis chez Crepel démontrent la participation de M. X à l'élaboration des réponses à l'appel d'offres d'ATPL et d'Etangs et Rivières puisqu'il a envisagé de facturer cette prestation comme consultant de l'agence Planète Bleue alors qu'il était le PDG de Crepel (paragraphes 117 et suivants).

201. En quatrième et dernier lieu, plusieurs tableaux non datés saisis chez Crepel font le bilan de l'appel d'offres de 2005 établi par Crepel pour les cinq entreprises concernées par l'entente. Si comme il a été prétendu au cours de l'enquête ces tableaux provenaient de la CUDL, ils auraient dû concerner les quatorze candidats à l'appel d'offres. Ces tableaux ont en réalité été conçus par M. X pour suivre la répartition des lots entre les cinq entreprises qui se sont entendues.

202. L'ensemble de ces éléments montre que comme dans le précédent appel d'offres (paragraphe 176) la pluralité des offres n'était qu'un leurre destiné à permettre l'attribution du plus grand nombre de lots grâce à l'échange sur les rabais.

203. L'entente révélée par la télécopie du 21 février 2005 qui a eu pour objet et pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché et à répartir entre les cinq entreprises mises en cause les lots du marché de profilage des fossés de la CUDL en 2005 est contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, points 2° et 4°, prohibant les ententes anticoncurrentielles.

C. SUR LES SANCTIONS

204. Les pratiques retenues ont été commises postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Il en résulte que les dispositions du livre IV du Code de commerce applicables en l'espèce sont celles de la loi du 15 mai 2001. Or, le 4ème alinéa de l'article L. 464-2 du Code prévoit que " le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".

205. Pour déterminer le montant de la sanction infligée à chaque entreprise, l'Autorité tient compte de la gravité des faits, de l'importance du dommage causé à l'économie, de la situation de l'entreprise sanctionnée, ainsi que de l'éventuelle réitération des pratiques prohibées.

1. LA GRAVITÉ DES PRATIQUES

206. Dans sa décision n° 07-D-40 du 23 novembre 2007 relative à des pratiques ayant affecté l'attribution de marchés publics de collecte des déchets ménagers dans le département des Vosges, le Conseil a rappelé que " s'agissant d'échanges d'informations préalables au dépôt des offres dans le cas d'appels à la concurrence, le Conseil estime de manière constante que de telles ententes horizontales entre soumissionnaires à un marché, ayant pour objet et pouvant avoir pour effet d'aboutir à une répartition des marchés et à une augmentation injustifiée des dépenses publiques ou privées, sont d'une particulière gravité. De tels agissements sont de nature à tromper les demandeurs quant à l'existence ou à l'intensité de la concurrence. Le Conseil souligne toujours la gravité intrinsèque de ces pratiques et les dommages qu'elles causent à l'économie, notamment au regard du risque de banalisation et d'entraînement qui peut en résulter ".

207. Dans sa décision n° 07-D-29 du 26 septembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics d'installation électrique lancés par l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles le Conseil a précisé " que seul le respect des règles de concurrence dans ce domaine garantit à l'acheteur public la sincérité de l'appel d'offres et la bonne utilisation de l'argent public. En particulier, le fondement même des appels à la concurrence réside dans le secret dont s'entourent les entreprises intéressées pour élaborer leurs offres, chacune d'entre elles devant se trouver dans l'ignorance de la qualité de ses compétiteurs, de leurs capacités financières à proposer la meilleure prestation ou fourniture possible au prix le plus bas. Au contraire, les échanges d'information entre entreprises, lorsqu'ils sont antérieurs à la remise des plis, libèrent les compétiteurs de l'incertitude de la compétition et leur permettent d'élaborer des offres ne prenant plus en compte seulement leurs données économiques propres, mais celles normalement confidentielles, de leurs concurrents ".

208. Dans la décision n° 03-D-07 du 4 février 2003 relative à des pratiques relevées lors de la passation de marchés d'achat de panneaux de signalisation routière verticale par des collectivités locales dit que pour apprécier la gravité des faits," il y a lieu de tenir compte de ce que ces pratiques ont eu pour objet et pu avoir pour effet de faire échec au déroulement normal de la procédure d'appel d'offres organisée pour une mise en concurrence des entreprises. Les pratiques anticoncurrentielles recensées sont répréhensibles du seul fait de leur existence, peu important que leur auteur ait, en définitive, obtenu ou non le marché ou que le prix d'attribution du marché ait été inférieur à l'estimation de la collectivité, car elles ont abouti à fausser le jeu de la concurrence que les règles des marchés publics ont pour objet même d'assurer ".

209. Par ailleurs, la durée de la pratique est un critère à prendre en compte pour apprécier la gravité de l'infraction. S'agissant d'un marché instantané, la durée pertinente n'est toutefois pas la durée du déroulement de l'appel d'offres lui-même mais la durée de son exécution pendant laquelle sont ressentis les effets sur le marché, ainsi que l'a jugé la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 24 novembre 2009 (Chevron et autres) confirmant la décision du Conseil n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés des Pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre Mer et Total Réunion : " si la durée de la pratique est un critère à prendre en compte pour apprécier la gravité de l'infraction, la durée pertinente n'est toutefois pas la durée du déroulement de l'appel d'offres lui-même mais la durée de son exécution pendant laquelle sont ressentis les effets sur le marché ; qu'en l'espèce, les pratiques anticoncurrentielles ont donc duré une année ". En l'espèce, la durée de la pratique coïncide avec celle de l'exécution du marché en cause qui a été un marché à bons de commande conclu pour trois ans.

210. La concertation entre les entreprises a porté sur les rabais proposés pour chaque lot par les cinq entreprises qui sont ainsi parvenues à répartir entre elles six lots sur les sept que comprenait l'appel d'offres sans que les neuf entreprises extérieures à l'entente puissent faire jouer la concurrence.

211. La gravité des pratiques est accrue du fait que plusieurs opérateurs " liés " ont en pleine connaissance de cause présenté à l'acheteur public une " pluralité " d'offres qui n'étaient pas indépendantes, privant ainsi de leur efficacité les deux appels à la concurrence successifs, la tromperie ayant atteint son point ultime avec la sous-traitance non déclarée et quasi totale de certains lots.

212. De plus, il convient de noter que les pratiques concertées ont été mises en œuvre sur les marchés de travaux de profilage des fossés et que ces travaux sont nécessaires à la mission de service public d'entretien des routes. Au total, ils ont concerné de nombreux usagers résidant sur le territoire de la CUDL pendant trois ans entre mi-avril 2005 et mi-avril 2008.

2. LE DOMMAGE À L'ÉCONOMIE

213. La présomption d'un dommage à l'économie est admise lorsque l'entente est établie : " le dommage à l'économie est présumé par la loi dès lors que l'existence d'une entente est établie " (Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 10 janvier 1995, Sogea ; décision du Conseil n° 01-D-17 du 25 avril 2001 relative à des pratiques dans les marchés d'électrification de la région du Havre).

214. Par ailleurs, le dommage à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires (arrêt de la Cour d'appel de Paris 22 septembre 1998) et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 15 juin 1999, Solatrag).

215. Les pratiques anticoncurrentielles qui caractérisent un dommage à l'économie sont répréhensibles du seul fait de leur existence, en ce qu'elles constituent une tromperie sur la réalité de la concurrence dont elles faussent le libre jeu, nonobstant la circonstance que l'échange d'informations entre entreprises sur les prix ait pu être suivi d'une attribution des marchés à un prix inférieur aux estimations du maître d'œuvre (Cour d'appel de Paris, 12 décembre 2000, Sogea Sud Est), ou que les entreprises concernées n'aient pas présenté d'offres ou ne se soient pas vues attribuer le marché (voir en ce sens la décision n° 00-D-53 du 18 janvier 2001 relative aux marchés de travaux de revêtement de sols et de peintures dans le Finistère).

216. Les pratiques d'échange d'informations sur les prix ont pour objet de faire obstacle à la libre fixation des prix et ont pu avoir pour effet de provoquer une hausse artificielle des prix.

217. Sur le premier appel d'offres de 2004, la mise en concurrence a été réduite puisque trois entreprises Crepel, ATPL et Etangs et Rivières sur les dix ayant répondu, ont remis des offres pour l'ensemble des lots en ne se faisant pas une concurrence entre elles, seule Crepel ayant obtenu un lot avec un rabais de 51 %. Sur le second appel d'offres de 2005 qui reprenait le précédent annulé, la mise en concurrence n'a pas joué puisque cinq entreprises Crepel, ATPL, Etangs et Rivières, Inovert et Leroy sur les quatorze ayant répondu, ont donné un avantage décisif à leurs offres par rapport à celles des autres entreprises qui ont respecté les règles de l'appel d'offres.

218. Le maître d'ouvrage a également été trompé sur le caractère concurrentiel des prix des entreprises Crepel, ATPL, Etangs et Rivières, Inovert et Leroy, dont les quatre premières d'entre elles ont obtenu six des sept lots attribués pour le marché de 2005, correspondant à un montant total potentiel compris entre 1 200 000 euro et 4 800 000 euro.

219. A cet égard, les dépenses engagées sur les lots attribués pour le marché de 2005, sur la période qui court du 14 avril 2005 au 13 avril 2008, se présentent comme suit (cote 6 901) :

<emplacement tableau>

220. Le marché de travaux de profilage des fossés a porté sur un montant global de dépenses de 2 291 015 euro TTC dont 2 069 472 euro ou 90,3 % ont été alloués aux quatre entreprises : ATPL pour 906 551 euro ou 39,5 %, Crepel pour 635 062 euro ou 27,7 %, Etangs et Rivières pour 372 992 euro ou 16,2 %, et Inovert pour 154 867 euro ou 6,7 %.

3. SUR LES SUITES À DONNER

a) En ce qui concerne la société Crepel

221. La société Crepel, dirigée par M. X, a pris une part active et prépondérante à la pratique d'échange d'informations et d'offres de couverture. M. X, aidé par M. Z d'Etangs et Rivières, a élaboré les réponses aux appels d'offres des sociétés Crepel, ATPL et Etangs et Rivières concurrentes seulement en apparence, en défendant surtout les intérêts de Crepel. Sa société a effectué non seulement les travaux correspondant aux lots F2A et F4A du marché 2005, mais aussi, au moyen d'une sous-traitance occulte, les travaux afférents aux lots F3A, F1A et F4B, alors que ces derniers avaient été attribués à Inovert (F3A) et à Etangs et Rivières (FIA et F4B) qui, elle, ne disposait d'aucun personnel technique pour les effectuer.

222. Il apparaît par conséquent que l'entreprise Crepel a effectué les travaux pour un montant total de 1 147 434 euro, soit 50 % des dépenses engagées précitées de 2 291 015 euro, correspondant à cinq des sept lots du marché alors que l'acheteur pensait ne lui en avoir attribué que deux.

223. Le chiffre d'affaires de la société réalisé au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2003 s'élève à 1 734 124 euro. Il s'agit du chiffre d'affaires le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre de sorte que le plafond de la sanction s'élève à 173 400 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-avant, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 30 000 euro.

b) En ce qui concerne la société Etangs et Rivières

224. La société Etangs et Rivières dirigée en fait par M. Z chargé par M. X d'établir les offres des trois entreprises du groupe a secondé activement Crepel pour remporter des lots. Comme elle n'avait pas les moyens de réalisation des travaux, elle a sous-traité à Crepel les lots F1A et F4B qui lui ont été attribués, pour un montant total de 372 992 euro, soit 16,2 % des dépenses.

225. Le chiffre d'affaires de la société réalisé au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2003 s'élève à 392 133 euro. Il s'agit du chiffre d'affaires le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre de sorte que le plafond de la sanction s'élève à 39 100 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-avant, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 5 000 euro.

c) En ce qui concerne la société ATPL

226. La société ATPL qui avait été dirigée par M. X remplacé par M. K... lorsqu'a eu lieu l'appel d'offres a joué le rôle de comparse en déposant une offre préparée par MM. X et Z. Mais elle a réalisé sans recourir à la sous-traitance le lot F2B qui lui a été attribué d'un montant de 906 551 euro soit 39,5 % des dépenses.

227. Le chiffre d'affaires de la société réalisé au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2003 s'élève à 329 557 euro. Il s'agit du chiffre d'affaires le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre de sorte que le plafond de la sanction s'élève à 32 500 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-avant, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 2 500 euro.

d) En ce qui concerne la société Inovert

228. La société Inovert qui a prétendu vouloir s'intéresser aux marchés de la CUDL n'a vu aucun inconvénient à sous-traiter à Crepel 90 % du lot F3A qui lui a été attribué d'un montant de 154 867 euro, soit 6,7 % des dépenses.

229. Le chiffre d'affaires de la société réalisé au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2006 s'élève à 7 967 630 euro. Il s'agit du chiffre d'affaires le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre de sorte que le plafond de la sanction s'élève à 796 700 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-avant, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 50 000 euro.

e) En ce qui concerne l'entreprise Leroy

230. L'entreprise Leroy a fait une soumission sur les sept lots du marché pour couvrir les offres des quatre autres mises en cause.

231. Le chiffre d'affaires de la société réalisé au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2006 s'élève à 691 403 euro. Il s'agit du chiffre d'affaires le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre de sorte que le plafond de la sanction s'élève à 69 100 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-avant, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 5 000 euro.

Décision

Article 1er : Il est établi que les sociétés Crepel, ATPL, Etangs et Rivières, Inovert et l'entreprise Leroy ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- à la société Crepel, une sanction de 30 000 euro ;

- à la société Etangs et Rivières, une sanction de 5 000 euro ;

- à la société ATPL, une sanction de 2 500 euro ;

- à la société Inovert, une sanction de 50 000 euro ;

- à l'entreprise Leroy, une sanction de 5 000 euro.