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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 19 janvier 2010, n° ECEC1004483X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes, Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens dentistes du Bas-Rhin, Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens dentistes des Pyrénées Orientales, Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens dentistes de Saône-et-Loire, Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens dentistes du Var, Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens dentistes du Vaucluse

Défendeur :

Santéclair (SA), Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Fossier

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Jourdier

Avoués :

SCP Calarn-Delaunay, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes Foure, Pudlowski

CA Paris n° ECEC1004483X

19 janvier 2010

Contexte et procédure

I - Le marché

Le secteur des soins dentaires représente en 2006, 9 milliards d'euro, répartis sur 40 000 praticiens environ. Ces dépenses sont assurées à 34,7 % par la Sécurité Sociale et à 31,2 % par 924 organismes complémentaires tels que les mutuelles, les sociétés d'assurance, les institutions de prévoyance. Le surplus est assumé définitivement par les patients.

II - Le Conseil national et les conseils régionaux et départementaux

La profession de chirurgiens-dentistes est régulée par le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Conformément à l'article L. 4121-1 du Code de la santé publique, "l'ordre des médecins, celui des chirurgiens-dentistes et celui des sages-femmes veillent au maintien des respect des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine, de l'art dentaire, ou de la profession de sage-femme et à l'observation, par tous leurs membres, des devoirs professionnels, ainsi que des règles édictées par le Code de déontologie prévu à l'article L. 4127-1".

"Ils assurent la défense de l'honneur et de l'indépendance de la profession médicale, de la profession de chirurgien-dentiste ou de celle de sage-femme."

" Ils accomplissent leur mission par l'intermédiaire des conseils départementaux, des conseils régionaux ou interrégionaux et du conseil national de l'ordre."

La coordination entre le CNOCD et les Conseils départements et régionaux de l'ordre des chirurgiens dentistes (CDOCD et CROCD) est assurée par l'envoi de circulaires et d'instructions hebdomadaires à transmettre, le cas échéant, aux chirurgiens-dentistes.

III - Santéclair

La société Santéclair est une filiale commune des compagnies d'assurance Maaf, MMA, IPK, Mutuelle-Police et AGF (devenue Allianz). Elle développe des activités de conseil et de service dans le domaine de la santé.

Elle a pour objet de concevoir, promouvoir et gérer un ensemble de services visant à améliorer la prise en charge des frais de soins de santé. Elle peut réaliser des études techniques dans les domaines de la santé, notamment dans le pilotage et l'ingénierie des réseaux de soins.

Elle effectue des analyses de devis, afin de renseigner les assurés sur l'adéquation de la proposition de leur praticien libéral à leurs besoins et celle du prix. Le développement d'un réseau de chirurgiens-dentistes partenaires qui s'engagent à ne pas dépasser un tarif maximum pour un certain nombre de prestations fait partie des buts de Santéclair. Enfin, celle-ci s'attache à la conception et à la diffusion de contrats " innovants "

IV- Les relations entre le CNOCD et Santéclair de 1999 à 2005

Dès février 1999, le Président du CNOCD a invité les représentants des AGF (devenue Allianz) à rencontrer les représentants de l'ordre afin de débattre de la démarche entreprise par cette société, à l'occasion de la création de son service " santé Conseil ".

Différents incidents ont par la suite surgi relativement à la diffusion d'un tract publicitaire d'AGF (devenue Allianz), ainsi que des offres promotionnelles émanant de Santéclair informant des chirurgiens-dentistes partenaires qu'ils pouvaient bénéficier de tarifs préférentiels ainsi que de remises offertes. Une publicité de l'assureur AGF devenu Allianz, qui se vantait de garantir pendant dix ans les soins délivrés par les praticiens partenaires de Santéclair, n'a pas reçu l'aval du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Enfin, le 30 mai 2002, le président de la " commission exercice et déontologie " du CNOCD a adressé une lettre à santé conseil service, l'informant qu'une publicité avait été trouvée par un chirurgien-dentiste dans sa boîte aux lettres ; la publicité mentionnait " N'avancez plus d'argent ! [...] chez votre dentiste. " Selon le Conseil national de l'ordre " ce document destiné à tout public met en cause les AGF (devenue Allianz) et sous-entend un tiers payant obligatoire, ce qui est en infraction avec l'accord de partenariat tel qu'accepté par le CNOCD ".

En ce qui concerne les offres promotionnelles émanant de Santéclair informant des chirurgiens-dentistes partenaires qu'ils pouvaient bénéficier de tarifs préférentiels, ainsi que de remises offertes, elles ont été rendues possibles par le biais du partenariat entre Santéclair et Miditest qui permet ainsi d'obtenir des réductions sur divers produits. Miditest élabore un référentiel de certification de services propres aux cabinets dentaires et d'orthodontie permettant d'initier une démarche qualité. Ces certificats de qualité peuvent être affichés dans les salles d'attente et une liste de praticiens certifiés peut être communiquée.

Enfin, il semble que les représentants de Santéclair fassent connaître aux patients que tel ou tel devis est trop élevé et transmettraient alors les coordonnées d'une plateforme téléphonique, à partir de laquelle Santéclair peut indiquer à l'assuré si son praticien a signé l'accord de partenariat ; peut à défaut conseiller au patient de faire part à son praticien de l'existence de ce protocole et éventuellement l'invite à le signer ; à défaut la plate forme serait autorisée à fournir des coordonnées de trois praticiens signataires de l'accord, les plus proches géographiquement.

En suite de ces incidents, et le 7 novembre 2002 précisément, le CNOCD a décidé le retrait de l'avis favorable émis le 20 septembre 2001 au protocole Santéclair et ce, parce que " les modalités d'application de cet accord de partenariat ne sont pas conformes à la déontologie ". Le CNOCD a fait connaître par une circulaire du 14 novembre 2002 aux CDOCD et CROCD que " Les modalités d'application de l'accord de partenariat propose par Santéclair n'étaient pas conformes aux recommandations déontologiques que s'était engagée à respecter cette compagnie d'assurance par courrier du 21 novembre 2001

- publicité distribuée dans les boîtes aux lettres et portant sur le sigle AGF;

- conditions de désignation et de mise en œuvre de contrôle dans les cabinets ne présentant pas la garantie d'indépendance et, de compétence nécessaire;

- démarchage commercial procurant des avantages en nature aux seuls adhérents de l'accord de partenariat ". Le CNOCD a par ailleurs précisé aux CDOCD qu' " Il importe d'informer chaque chirurgien-dentiste de votre département de notre décision, en attirant son attention sur les éventuelles conséquences qu'entraineraient le non respect des règles déontologiques et notamment le risque d'éventuelles poursuites disciplinaires ".

V - Les instances administratives puis judiciaires

Un recours devant le Conseil d'Etat demandant l'annulation de la décision du CNOCD du 7 novembre 2002 a été introduit parla société Santéclair. Le Conseil d'Etat par un arrêt du 25 octobre 2004 a rejeté la requête de la société Santéclair au motif " qu'en application des dispositions combinées des articles L. 4113-9 et L. 4121-2 du Code de la santé publique, il appartient aux conseils compétents de l'ordre des chirurgiens-dentistes, d'une part, de se faire communiquer les contrats relatifs à l'exercice de leur profession par les chirurgiens-dentistes, d'autre part, de veiller au respect des règles déontologiques, notamment en ce qui concerne les accords conclus entre des praticiens et des organismes intervenant sur le marché de la santé que toutefois, l'avis déontologique favorable du 16 septembre 2001, n'entre pas dans le champ de la consultation obligatoire du Conseil de l'ordre et n'emporte, par lui-même, aucune conséquence directe, qu'il doit être regardé comme une simple réponse à une demande d'information, rendue dans le cadre de la mission générale confiée à l'ordre par l'article L. 4121-2 du Code de la santé publique; qu'il ne constitue donc pas une décision faisant grief; qu'il en résulte que la décision du 7 novembre 2002, qui revient sur l'avis du 16 septembre 2001, n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que par la suite, la requête présentée par la société Santéclair doit être rejetée comme irrecevable ".

Dès lors, la société Santéclair a saisi la juridiction judiciaire. Mais le 16 janvier 2005 plusieurs ordres de chirurgiens-dentistes ont déféré aux juges de la mise en état des TGI saisis, une exception d'incompétence, faisant notamment valoir que c'est dans le cadre de leurs missions légales de service public que les institutions ordinales sont intervenues et que les juridictions administratives ont compétence exclusive pour connaitre d'une action en responsabilité des institutions ordinales pour des faits ou agissements afférents à l'exercice d'une mission de service public. Par ordonnance du 16 mai 2006, le juge de la mise en état du TGI Paris a renvoyé la société Santéclair à mieux se pouvoir en énonçant : "L'avis favorable, puis défavorable relève de la mission de service public dévolue au Conseil de l'ordre, les juridictions de l'ordre judiciaire ne sont donc pas compétentes.". La Cour d'appel de Paris 4e Chambre section B , le 9 février 2007 a confirmé cette ordonnance en ces termes : "Considérant que la mission de service public confié à l'ONCD par l'intermédiaire de ses différents conseils et qui s'évince des textes précités n'est pas utilement discutée sans qu'il puisse être valablement soutenu qu'elle ne pouvait valablement être exercée à l'encontre de la société Santéclair non membre de cet ordre puisque est en litige un contrat liant cette société à des membres et qu'une telle interprétation ferait obstacle à l'exercice par l'ordre de ses pouvoirs à l'égard de ses propres membres ; ...; Considérant qu'il est manifeste que l'avis favorable puis défavorable au contrat dont s'agit, au regard des textes précités, ont été donnés dans le cadre de cette mission de service public, en utilisant des prérogatives de puissance publique, en sorte que les juridictions de l'ordre judiciaire ne peuvent en connaître ". Santéclair s'est pourvue en cassation le 10 mai 2007 contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris. Constatant qu'aucun mémoire contenant les moyens de droit invoqués n'a été produit dans le délai légal, le premier président de la Cour de cassation a par ordonnance du 3 décembre 2007 constaté la caducité du pourvoi.

VI - La saisine par Santéclair du Conseil de la concurrence

Le 19 mai 2005, soit instance judiciaire pendante, Santéclair a saisi le Conseil de la concurrence. Le 8 novembre 2006, il a été signifié au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et aux conseils départementaux du Bas-Rhin, de Haute-Savoie des Pyrénées-Orientales, de Saône et Loire, du Var et du Vaucluse, le grief d'avoir communiqué, de manière continue de 2002 à 2008, des informations inexactes sur la portée des avis déontologiques qu'il a décidé de rendre sur les protocoles proposés par les entreprises d'assurance complémentaire santé aux chirurgiens-dentistes. En procédant ainsi, le Conseil national ou départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes a évité de soumettre au contrôle éventuel des juridictions ordinale et administrative le contenu desdits avis, et a restreint la concurrence sur le marché de l'assurance complémentaire santé, hors du cadre de ses prérogatives de puissance publique.

Dans ces conditions, son comportement doit être interprété comme ayant eu pour objet et pour effet potentiel ou réel d'inciter ses membres à boycotter les entreprises d'assurance complémentaire santé pour lesquelles un avis défavorable a été rendu ou pour lesquelles un avis favorable a été retiré, notamment la société Santéclair. Cette pratique relève d'une action concertée prohibée en application de l'article L. 420-1 du Code de commerce".

VII - La décision n° 09-D-07 du 12 février 2009 du Conseil de la concurrence

Le Conseil de la concurrence a:

"-- Estimé qu'il n'est pas compétent pour examiner le grief notifié au Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes de la Haute-Savoie, lequel avait strictement inscrit son action dans le cadre de son pouvoir disciplinaire;

- dit que le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et les conseils départementaux de l'ordre des chirurgiens-dentistes du Bas-Rhin, des Pyrénées-Orientales, de Saône-et-Loire, du Var et du Vaucluse ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce;

- infligé les sanctions pécuniaires suivantes:

* au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes une sanction de 76 000 euro (un pour cent des cotisations des praticiens sur une année);

* au Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes du Bas-Rhin une sanction de 600 euro;

* au Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Pyrénées-Orientales une sanction de 300 euro;

* au Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Saône-et-Loire une sanction de 200 euro;

* au Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes du Var une sanction de 550 euro;

* au Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes du Vaucluse une sanction de 600 euro. "

VIII - Recours

Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, ainsi que les cinq conseils départementaux condamnés ont formé un recours contre la décision n° 09-D-07 du 12 février 2009.

LA COUR,

Vu la décision n° 09-D-07 du Conseil de la concurrence, en date du 12 février 2009;

Vu le mémoire récapitulatif numéroté 2, déposé le 16 novembre 2009 au greffe de la cour, au soutien du recours du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, et des conseils départementaux de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Pyrénées Orientales, du Vaucluse, du Var, de Saône-et-Loire et du Bas-Rhin, qui ensemble demandent à la Cour d'appel de Paris d'annuler la décision n° 09-D-07 avec toutes conséquences de droit pour violation des principes d'impartialité et du contradictoire. A titre subsidiaire, ils demandent la réformation de la décision, de sorte que statuant à nouveau, la cour se déclare incompétente au profit de la juridiction administrative.;

Vu le mémoire récapitulatif en appel numéroté "2" déposé le 13 novembre 2009 au greffe de la cour, au soutien des intérêts de la société anonyme Santéclair, qui demande à la cour de se déclarer compétente, de dire la procédure régulière, de confirmer intégralement la décision attaquée, d'ordonner la publication de l'arrêt et de condamner les requérants aux dépens;

Vu les observations de l'Autorité de la concurrence, déposées le 14 octobre 2009 au greffe de la cour;

Vu l'avis de Monsieur le Procureur général en date du 3 décembre 2009;

Sur quoi

A. - Compétence

Considérant que les conseils de l'OCD requérants ont demandé à la cour de réformer la décision n° 09-D-07 du Conseil de la concurrence et statuant à nouveau, de reconnaître l'incompétence de la "juridiction concurrentielle " (sic) au profit de la juridiction administrative;

Considérant que ce moyen devrait conduire, s'il était admis, à l'annulation de la décision et non à sa réformation; que de plus, il commande la compétence de la cour elle- même pour examiner tout autre moyen d'annulation, ainsi que les moyens de réformation;

Que dès lors, la cour examinera ici les deux branches de l'argumentation des conseils de l'OCD requérants, relatifs à la compétence de la juridiction administrative;

A. 1- Sur la force de chose jugée de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 9 février 2007

Considérant que les conseils de l'OCD requérants invoquent la force (lire l'autorité) de chose jugée de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 9 février 2007 statuant sur un incident de mise en état, aux termes duquel la mission de service public confié à l'ONCD par l'intermédiaire de ses différents conseils et qui s'évince des textes précités n'est pas utilement discutée sans qu'il puisse être valablement soutenu qu'elle ne pouvait valablement être exercée à l'encontre de la société Santéclair non membre de cet ordre puisque est en litige un contrat liant cette société à des membres et qu'une telle interprétation ferait obstacle à l'exercice par l'ordre de ses pouvoirs à l'égard de ses propres membres, ... ; il est manifeste que l'avis favorable puis défavorable au contrat dont s'agit, au regard des textes précités, ont été donnés dans le cadre de cette mission de service public; en utilisant des prérogatives de puissance publique, en sorte que les juridictions de l'ordre judiciaire ne peuvent en connaître";

Que les conseils de l'OCD requérants en déduisent:

- En premier lieu, que la décision attaquée occulte sciemment la circonstance particulière que la Cour d'appel de Paris avait été explicitement saisie, par conclusions de la société Santéclair, d'une allégation de faute civile délictuelle commise notamment par infraction au droit de la concurrence, ce compris l'article L. 420-1 du Code de commerce. La société Santéclair visait en effet au nombre de ses productions une pièce n° 192 constituée de l'arrêt n° RG 2005-15784 prononcé par la présente cour le 7 mars 2006, statuant sur un appel formé par le Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes à l'encontre de la décision n° 05-D-43 du présent Conseil de la concurrence du 20 juillet 2005 en matière d' " accès au marché des prothèses dentaires amovibles " ; qu'au vu des motifs adoptés par la 4e Chambre section B le 9 février 2007 dans son arrêt de confirmation, il n'est pas sérieusement contestable que la présente cour d'appel a d'ores et déjà écarté la commission d'une faute de l'ordre des chirurgiens dentistes qui serait précisément résulté, en l'espèce, d'une immixtion fautive sur un marché de services concurrentiel. Et la cour de faire valoir bien au contraire que c'était à bon droit que l'ordre des chirurgiens dentistes soutenait avoir agi dans le cadre de sa mission de service public et en exerçant ses prérogatives de puissance publique; qu'en d'autres termes, la cour n'a pas statué sur un simple litige civil "entre particuliers" (!), mais a évoqué et répondu à la contestation de la société Santéclair rigoureusement identique à celle résultant de sa plainte devant le présent Conseil de la concurrence en date du 19 mai 2005 ;

- En second lieu, que si l'un quelconque des Conseils de l'ordre des chirurgiens dentistes devait être regardé comme ayant outrepassé sa mission de service public et/ou adopté un comportement ne procédant pas en l'espèce de prérogatives de puissance publique, la présente cour d'appel n'aurait pas manqué, dans ce même arrêt, ainsi qu'elle en était saisie par les moyens de la société Santéclair, d'entrer en voie de condamnation pour voie de fait;

Mais considérant , au fond, que l'Autorité (anciennement le Conseil) de la concurrence, autorité administrative indépendante, exerce dans l'intérêt général une mission de consultation et de contrôle portant sur les activités de production, de distribution ou de services y compris celles qui sont le fait de personnes publiques notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public et peut prononcer, sous le contrôle de la Cour d'appel de Paris, des sanctions pécuniaires lorsqu'il constate des pratiques ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence;

Que cette compétence spéciale est indépendante de la compétence reconnue selon le cas aux juridictions judiciaires de droit commun et aux juridictions administratives qui seules ont le pouvoir d'annuler le contrat ou l'acte constitutif d'une pratique anticoncurrentielle et d'allouer le cas échéant des dommages intérêts en réparation des préjudices résultant de ces pratiques;

Que l'arrêt invoqué par les requérants n'analyse pas le comportement anticoncurrentiel des Ordres ni de Santéclair d'ailleurs, mais examine exclusivement le bien-fondé d'un incident de compétence soulevé devant le juge de la mise en état d'un TGI;

Que dès lors, en l'espèce, le Conseil n'était pas lié par la décision rendue par la Cour d'appel de Paris le 9 février 2007, concernant un litige d'ordre privé entre les mêmes parties, même si la Cour d'appel n'est pas entrée en voie de condamnation contre les requérantes pour voie de fait;

Considérant d'ailleurs et par conséquent, sur un plan formel et procédural, que la procédure administrative qui se déroule devant l'Autorité (anciennement le Conseil) de la concurrence n'est pas une instance au sens des Codes de procédure civile, pénale ou administrative ; que l'issue d'une telle instance, qu'il s'agisse d'une condamnation, d'une transaction ou d'une décision d'incompétence, serait donc indifférente à l'Autorité;

Considérant dès lors que le moyen, en sa première branche, est infondé;

A.2 - Sur l'accomplissement par l'ordre des chirurgiens dentistes de sa mission de service public et l'usage de prérogatives de puissance publique au cas d'espèce

Considérant que les conseils de l'OCD requérants affirment avoir agi dans le cadre de leur mission légale et en usant de leurs prérogatives de puissance publique, en sorte que l'Autorité (anciennement le Conseil) de la concurrence est incompétent, et la cour d'appel à sa suite;

Qu'à ce sujet, les requérants font valoir:

- en premier lieu, s'agissant de la circulaire du 14 novembre 2002 dont il est reproché à l'autorité ordinale de s'être livrée à sa " propre interprétation " de sa mission, que la mise en garde à laquelle il était ici procédé par le Conseil national s'avérait précisément respectueuse du principe de l'effet relatif des conventions (article 1165 du Code civil) ; que pour autant, il y avait lieu d'être suffisamment explicite pour que les Conseils départementaux, puissent assurer, dans chacun des ressorts, leur mission légale de veille déontologique et contractuelle ; qu'en outre, contrairement à ce qui est avancé par la décision du Conseil dé la concurrence au visa de l'une de ses propres décisions n° 98-D-73 du 25 novembre 1998 manifestement désuète, § 105, une mise en garde d'un professionnel de santé entre parfaitement au nombre des compétences reconnue a un ordre professionnel, en l'occurrence l'ordre des médecins, et peut tout à fait constituer un acte faisant grief (voir par exemple en ce sens CE, 12 janvier 2005, Grand Chavin, JurisData n° 2005-067863 ; plus généralement voir JurisClasseur Administratif, Fasc. 146 - Ordres professionnels - Discipline, Pr. G. Liet-Veaux);

- en second lieu, qu'il importe de mesurer l'incohérence manifeste et particulièrement préjudiciable qui découlerait de la décision n° 09-D-07 en ce qu'elle mettrait certains Conseils départementaux hors de cause au profit de la juridiction administrative, contrairement à d'autres ; qu'outre l'identité évidente des faits dont s'agit, ce mode de traitement procédural différencié viendrait rendre totalement illisible le contrôle juridictionnel à donner à ce type de litige ; que la distinction retenue par la décision du Conseil de la concurrence est en effet totalement artificielle. C'est pourquoi, outre le risque majeur de trouble à l'ordre public sanitaire, il est essentiel que l'exception d'incompétence de la juridiction concurrentielle au profit de la juridiction administrative soit au contraire admise, édifiant ainsi un bloc unique de compétence; que d'ailleurs, l'exécution de la mission déontologique par l'Autorité ordinale des chirurgiens dentistes est entièrement soumise aux contrôles juridictionnels du juge administratif tant en ce qui concerne l'examen de légalité des actes administratifs des Conseils de l'ordre, que les décisions disciplinaires et les actions en responsabilité.

Que les conseils de l'OCD requérants se livrent par ailleurs à une critique de la cohérence intellectuelle de la décision elle-même;

Mais considérant que, selon l'article L. 410-1 du Code de commerce, les règles définies au livre quatrième de ce code, relatif à la liberté des prix et de la concurrence, s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de délégations de service public ; que, dans la mesure où elles exercent de telles activités et sauf en ce qui concerne les décisions ou actes portant sur l'organisation du service public ou mettant en œuvre des prérogatives de puissance publiques, ces personnes publiques peuvent être sanctionnées par l'Autorité (anciennement, le Conseil) de la concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire (TC 4 mai 2009, Gisserot);

Que l'organisation du service public, singulièrement l'organisation des conseils de l'ordre requérants n'étant pas en cause ici, il importe de déterminer dans quelle mesure ces ordres ont usé en l'occurrence de prérogatives de puissance publique;

Considérant qu'en l'espèce, le CNOCD a fait connaître par une circulaire du 14 novembre 2002 aux CDOCD et CROCD que les modalités d'application de l'accord de partenariat proposé par Santéclair n'étaient pas conformes aux recommandations déontologiques que s'était engagée à respecter cette compagnie d'assurance par courrier du 21 novembre 2001 (... et que ...) il importe d'informer chaque chirurgien-dentiste de chaque département de cette décision, en attirant l'attention sur les éventuelles conséquences qu'entraineraient le non respect des règles déontologiques et notamment le risque d'éventuelles poursuites disciplinaires;

Considérant que le Conseil national de l'ordre et certains conseils départementaux, en adressant une lettre-type et une circulaire à l'ensemble des chirurgiens-dentistes de leur ressort, afin de les inciter à ne pas adhérer ou à résilier leur adhésion aux conventions litigieuses, et en laissant clairement entendre que sa décision de retrait de l'avis du 20 septembre 2001 impliquait les conséquences susdites, ont diffusé une interprétation de la portée d'avis déontologiques sur les protocoles proposés aux chirurgiens-dentistes;

Que ce faisant, les instances ordinales, à l'exception admise par le Conseil de l'ordre de Haute-Savoie, n'ont pas exercé rigoureusement une des attributions que leur confère le Code de la santé publique - le contrôle de l'accès à la profession de chirurgien- dentiste, le pouvoir disciplinaire, l'édiction des règles de la pratique pour la protection des malades - ,et n'ont d'ailleurs usé d'aucun des moyens contraignants que ces attributions requièrent;

Que le Conseil national et les conseils départementaux n'usent d'aucune prérogative de puissance publique, lorsqu'ils adressent d'abord à une société tierce une lettre dans laquelle ils se livrent à une interprétation de la législation applicable à l'activité mutualiste, et lorsqu'ils font connaître ensuite par circulaire aux praticiens inscrits à l'ordre le contenu de cette lettre; que les menaces dirigées contre ces praticiens dans la circulaire qui leur a été adressée n'ont pas davantage constitué la mise en œuvre d'un dispositif contraignant, de nature disciplinaire et articulé au nom de l'intérêt général et de l'action publique;

Qu'a contrario, les ordres sont intervenus dans une activité de service et ont pris position sur une question marchande; qu'ils sont corrélativement entrés dans le champ d'application de l'article L. 410-1 du Code de commerce ; que c'est donc à bon droit que le Conseil, désormais l'AdlC, s'est estimé compétent pour connaître des pratiques poursuivies;

Considérant enfin que la circonstance que le Conseil ait décliné sa compétence concernant les agissements des conseils départementaux de Haute-Savoie et des Pyrénées-Orientales, qui se sont adressés individuellement et nominativement aux seuls chirurgiens adhérents au réseau Santéclair, s'inscrit dans le strict cadre des principes posés par la jurisprudence constante en la matière, dont la distinction posée par le Conseil au point 109 de la décision attaquée n'est qu'un rappel ; que cette distinction ne vient remettre en cause ni la mission déontologique des conseils de l'ordre ni l'étendue de leurs prérogatives;

B. - Sur la violation de l'article 6-1 de la convention ESDH et des droits de la défense

B.1 - Sur la violation du principe d'impartialité

Considérant que les conseils de l'OCD requérants invoquent l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales relatif au "droit à un procès équitable" ; qu'ils estiment que le respect de ce texte est d'autant plus indispensable en présence d'un pouvoir d'accusation et de sanction de nature répressive tel que celui dont disposait le Conseil de la concurrence sur la base des griefs et du rapport établis par le rapporteur, cette obligation de neutralité absolue exige une impartialité non seulement subjective, c'est-à-dire par absence de manifestation de parti pris ou de préjugé personnel d'un membre de l'institution (CEDH, 10 juin 1996, Pullar c/. Royaume-Uni), mais également objective, c'est-à-dire de manière à offrir des garanties suffisantes pour exclure toute forme de doute légitime sur l'impartialité (CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c/ Belgique) ; qu'à l'inverse, l'obligation processuelle d'impartialité est nécessairement violée dès lors que se manifeste l'hostilité de l'institution envers une partie;

Qu'en l'espèce et en premier lieu, les Conseils de l'ordre des chirurgiens dentistes successivement mis en cause auraient eu à déplorer, ab initio, et dès le stade de leurs convocations, des menaces directes de sanctions pénales et des accusations immédiates et sévères d'atteintes à la libre concurrencé de la part du rapporteur; que le CNOCD en faisait état dans sa première lettre de procédure du 18 décembre 2007, mais devait réitérer ce grief dans sa note d'observations du 29 janvier 2008, observant que " le dossier faisait d'ores et déjà apparaître selon [le rapporteur] des éléments qualifiés de "suffisants" et caractérisés " pour emporter notification de griefs au sens de l'article L.463-2 du Code de commerce" (p. 2); que le Dr. Roullet Renolleau, Président du Conseil départemental de l'ordre des chirurgiens dentistes de Charente, se trouvait tancé par le rapporteur à l'occasion d'un échange téléphonique dont il retraçait immédiatement la teneur dans une lettre adressée le 11 décembre 2007 au Président du Conseil national ; que loin d'une simple délivrance d'une information procédurale générale et objective, le CNOCD a fait la preuve des menaces de sanctions pénales et des accusations d'atteintes à la libre concurrence ; qu'était donc caractérisé de la part du rapporteur un parti pris ab initio, radicalement contraire au principe de l'impartialité qui doit s'attacher à toute forme d'instruction ;

Qu'en second (lire : deuxième) lieu, dès le début des auditions des responsables ordinaux, le rapporteur invoquait la franchise et l'honnêteté pour faire valoir que la "plainte contentieuse" déposée par la société Santéclair le 19 mai 2005 appellerait une notification de griefs défavorables aux Conseils de l'ordre mis en cause;

Qu'en troisième lieu, une aversion pour l'institution ordinale s'exprimait de la part du rapporteur, notamment à l'évocation de la récente création de l'ordre national des infirmières (effectivement créé par la loi n° 2006-1668 du 21 décembre 2006) ; que le manque d'impartialité du rapporteur se dénotait encore par l'absence de toute prise en compte, dans le cadre de l'instruction, de la demande écrite et motivée du CNOCD en date du 17avril 2008, pp. 7 à 10, sur la saisine du présent Conseil de la concurrence le 23 mars 2005 par le Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes (c'est-à-dire bien antérieurement à la "plainte contentieuse" du 19 mai 2005 de la société Santéclair) pour demande d'avis concernant le refus général et absolu de remboursement de l'implantologie dentaire par la société Santéclair et ses conséquences sur la santé publique;

Qu'en quatrième lieu, de manière incidente, et à l'occasion de la préparation des observations en défense faisant suite à la notification de griefs, le CNOCD devait découvrir que le rapporteur a entretenu une proximité flagrante avec M. Chues Johanet, "membre du comité de direction générale des AGF, chargé des branches santé et collective" ; que plus précisément, il apparaissait que dans le cadre d'une Association loi 1901 " Le Cercle du Pont Neuf", et d'un débat relatif à " L'avenir de l'assurance maladie ", M. le rapporteur Romain Lesur avait établi une "Note de problématique" introduisant une "rencontre" avec M. Gilles Johanet; que rédigée de manière particulièrement élogieuse (" Fin connaisseur du cercle vicieux duquel est prisonnier et empêcheur de tourner en rond "), cette "Note de problématique" tendait explicitement à voir évoquer : le rôle et la place des " organismes complémentaires " dans le système de santé français, la question de "l'impossibilité de contrôler les revenus des professionnels de santé" et enfin celle de "[l'] élimination des rentes présentes au sein du système de santé (...) par le biais de la concurrence" (!);

Mais considérant que avant que de stigmatiser d'éventuels manquements à l'impartialité dont se plaindraient les entreprises ou organismes à propos de la procédure suivie devant l'Autorité de la concurrence, il convient d'abord de vérifier si les entreprises ont pu exercer leurs droits à la défense;

Que ces droits on été respectés dès lors que, dès la notification de griefs, qui marque l'ouverture de la phase contradictoire de la procédure, elles disposent de la faculté de consulter le dossier, de demander l'audition de témoins à décharge, de présenter leurs observations sur les griefs, puis sur le rapport, et de s'exprimer oralement devant l'Autorité (anciennement le Conseil);

Qu'il n'est pas démontré par les conseils de l'OCD requérants que ces prérogatives aient été empêchées en l'espèce;

Considérant, pour répondre complètement aux arguments des conseils de l'OCD requérants, que:

- sur le premier point et comme l'a rappelé le Conseil au point 119 de la décision, il incombe au rapporteur durant l'enquête d'appeler l'attention des personnes auditionnées sur l'objet de l'instruction, les principaux éléments de la saisine, ainsi que les sanctions prévues par l'article L. 450-8 du Code de commerce ; que le respect de cette obligation ne saurait être constitutif d'une violation du principe d'impartialité et vise au contraire à ce que puissent être préservés les droits de la défense ;

- sur le deuxième point, la circonstance que le rapporteur ait indiqué aux requérants, au cours de l'instruction, que compte tenu de la matérialité des faits et des actes d'instruction auxquels il avait déjà été procédé, il envisageait de formuler des griefs, ne saurait non plus caractériser une quelconque partialité ; que la notification des griefs ne constitue, en effet, que le point de départ du débat contradictoire;

- sur le troisième point, la prétendue "aversion manifeste" du rapporteur pour l'institution ordinale ne peut en aucun cas être déduite des éléments rapportés par les requérants ; qu'il s'agit de l'extrapolation de sentiments subjectifs, qui ne sauraient constituer la base d'une argumentation sérieuse, à plus forte raison la base du présent arrêt;

- sur le quatrième et dernier point, les allégations des conseils de l'OCD requérants visant à remettre en cause l'impartialité objective du rapporteur ne peuvent être accueillies ; que la participation à un colloque, serait-elle accompagnée d'un rappel des problématiques d'actualité et d'une introduction flatteuse pour les différents intervenants, n'est pas une prise de position qui engage l'Autorité, surtout si elle n'émane pas de ses organes légalement représentatifs, et n'est donc pas incompatible avec l'exercice ultérieur des fonctions de rapporteur;

B.2 - Sur la violation du principe du contradictoire

Considérant que le Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes puis les conseils départementaux, ayant reçu notification des griefs le 21 avril 2008, étaient convoqués pour répondre sur la " plainte contentieuse " déposée par la société Santéclair le 15 mai 2005 ; qu'ils ont reçu à ce moment (annexes 2 à 28 de la notification de griefs) ladite plainte;

Considérant qu'ils se plaignent devant la cour de ce que, ne connaissant pas les motifs exacts de cette plainte instruite par le rapporteur entre mai 2005 et avril 2008, et une communication entre avocats ayant été exclue par le conseil de la société Santéclair, il était donc sollicité d'en recevoir une copie par les services du Conseil de la concurrence que dès à compter de septembre 2007, et jusqu'au terme de la procédure d'instruction par l'établissement du rapport le 22 juillet 2008, plusieurs demandes, orales et écrites, étaient présentées en ce sens ; qu'il s'agissait pour les Conseils de l'ordre des chirurgiens dentistes successivement entendus d'accéder au contenu de la plainte elle-même, pour pouvoir comprendre, précisément, les récriminations de la société Santéclair et être en mesure de répondre au rapporteur en parfaite connaissance de cause et par la simple mise en œuvre du principe du contradictoire; que ces démarches sont restées vaines ; que tout au plus les Conseils de l'ordre des chirurgiens dentistes se voyaient-ils oralement exposer par le rapporteur des éléments très épars de la plainte contentieuse de la société Santéclair, en fonction du déroulement des auditions ; que force est de remarquer que dans le cas d'espèce, la procédure d'instruction n'a manifestement pas permis le respect du principe du contradictoire puisque les différents Conseils de l'ordre des chirurgiens dentistes n'ont pas été à même de connaître et débattre, en temps utile, des faits, moyens ou documents susceptibles de fonder ensemble le rapport de notification de griefs et partant la décision à intervenir du Conseil de la concurrence; que dès lors que le rapport de notification de griefs, le rapport définitif et finalement la décision du Conseil de la concurrence se fondent sur les procès-verbaux d'auditions ou réponses aux questionnaires des Présidents des Conseils de l'ordre des chirurgiens dentistes dont il est établi qu'ils n'ont pas respecté le principe du contradictoire, il existe un grief substantiel à ce qu'ils soient retenus à charge que le cas échéant, il n'aurait pu en être autrement qu'à la condition que le droit de ne pas témoigner contre soi-même eut été garanti et notifié aux Conseils de l'ordre des chirurgiens dentistes actionnés, conformément à l'article 6.1 de la CEDH et la jurisprudence constante d'application (voir en ce sens : CEDH, 25 févr. 1993, Funke c/. France; CEDH, 7 oct. 1988, Salabiaku c/. France ; CEDH, 3 mai 2001, JB c/ Suisse; CEDH, 17 déc. 1996, Saunders c/ Royaume-Uni), ce compris en matière d'infraction alléguée au droit de la concurrence, et applicable dès en amont de toute phase de jugement (voir en ce sens : CEDH, 8 févr. 1996, Murray c/ Royaume-Uni);

Mais considérant que les droits des organismes poursuivis ont été respectés dès lors que, dès la notification de griefs, qui marque l'ouverture de la phase contradictoire de la procédure, ils ont disposé de la faculté de consulter le dossier, de demander l'audition de témoins à décharge, de présenter leurs observations sur les griefs, puis sur le rapport, et de s'exprimer oralement devant l'Autorité (anciennement le Conseil);

Qu'il n'est pas démontré en fait par les conseils de l'OCD requérants, que ces prérogatives aient été empêchées ou qu'elles n'auraient pas pu permettre de consulter une pièce déterminée, en l'espèce la plainte initiale de la société Santéclair, jointe à la notification des griefs ;

Considérant qu'à titre surabondant et plus général, l'AdlC (anciennement, le Conseil), qui bénéficie d'une autonomie procédurale tant à l'égard du droit judiciaire privé national qu'à l'égard du droit communautaire, qui est chargée par la loi d'une mission de protection de l'ordre public économique, n'a pas à justifier des circonstances de sa saisine, pas plus qu'il n'aurait d'ailleurs de comptes à rendre à l'auteur de cette saisine;

Que la communication spécifique ou séparée de la "plainte" de Santéclair n'était donc pas due aux conseils de l'OCD poursuivis avant la notification des griefs;

C. - Sur les agissements continués de la société Santéclair

Considérant que les conseils de l'OCD requérants affirment que des agissements répréhensibles de la société Santéclair se sont hélas poursuivis postérieurement à 2002 qu'ils reprochent à la décision attaquée de n'avoir pas pris en compte ces agissements, et plus particulièrement le refus " général et absolu" de remboursement de l'implantologie dentaire que le Conseil national de l'ordre aurait mentionné dans sa saisine pour avis du Conseil de la concurrence du 23 mars 2005 ;

Mais considérant que l'attitude des différents acteurs d'un marché, à la supposer répréhensible, n'excuse pas et n'atténue même pas la portée des perturbations occasionnées par les autres entreprises, ou organismes du même marché, sauf à modérer les sanctions prononcées;

Qu'en l'occurrence, une argumentation de ce type n'est pas opérante puisque les conseils de l'OCD requérants ne contestent pas formellement lès griefs qui leur ont été adressés, et ne demandent pas non plus de diminution des sanctions prononcées contre eux;

Que pour le surplus, et comme le fait observer le Conseil (décision, § 112 suiv.), une action dirigée contre Santéclair relèverait du juge judiciaire, tandis que le bien-fondé des mesures disciplinaires ou déontologiques que prendraient les conseils de l'ordre contre les praticiens 'qui auraient contracté avec Santéclair relèverait de la' compétence exclusive du juge administratif;

Considérant qu'en somme, cet ultime reproche adressé par les conseils de l'OCD requérants à la décision qu'ils défèrent à la cour, n'est pas davantage fondé que les précédents;

D. - Au fond et sur les sanctions

Considérant que les motifs de la décision critiquée n'étant pas réputés adoptés, mais n'étant pas contestés par les conseils de l'OCD requérants, non plus que les sanctions prononcées, il importe d'en réitérer les termes;

Qu'en effet, le Conseil de la concurrence a relevé, dans une motivation que la cour approuve, aux points 133 à 142 concernant CNOCD:

1. La lettre-type jointe à la circulaire du 14 novembre 2002, qui comprenait le passage suivant "En conséquence, nous vous invitons à en tirer toutes les conséquences et à vous conformer à nos règles déontologiques, sachant que vous ne pourrez vous prévaloir d'un avis déontologique favorable du Conseil national en cas de poursuites disciplinaires" ; le même message a été diffusé dans l'article publié dans les parutions de janvier/février 2003 et avril 2004 de la lettre de l'ordre national des chirurgiens-dentistes (voir paragraphes 61 et 63); il faut préciser que la publication de janvier-février 2003 de "la Lettre " n° 14 dans laquelle le Conseil national de l'ordre faisait paraître un article contenant des allégations destinées à disqualifier Santéclair. Sous le titre "Le partenariat santé conseil service n'est plus déontologique", il faisait état de prétendues "pratiques contraires aux recommandations déontologiques", reprochant trois séries de faits à Santéclair, dénommée alors Santé Conseil Service. La lettre mentionnait également qu'une circulaire était adressée le même jour aux Conseils départementaux, Conseils régionaux et CRCO.

2. Les deux articles de novembre 2004 dans "la Lettre " n° 33. Dans le premier article particulièrement dénigrant intitulé " un arrêt du Conseil d'Etat : l'ordre confronté dans son rôle de garant déontologique des protocoles" et comportant le sous-titre "Plusieurs manquements à la déontologie", l'ordre national alléguait, sous la signature de son Président de la commission exercice et déontologie, qu'après l'avis favorable du Conseil de l'ordre sur le projet de protocole, que lui avais soumis Santéclair en 2001 "La suite ne fut qu'une succession de dérives constatées par le Conseil national (...)". Dans le second article, "Protocole Santéclair : une succession de dérives déontologiques " le Président de la commission exercice et déontologie de l'ordre écrivait, à propos du protocole Santéclair, qu'il s'agissait d'une "succession de dérives déontologiques", usant des termes suivants : "Son application, en revanche, aura multiplié les entorses à notre Code de déontologie". Ces deux articles entraînaient la demande, par Santéclair, de la publication d'un droit de réponse. La lettre de Santéclair, en date du 7 décembre 2004, reçue par "La Lettre ", le 9 décembre 2004, n'entraînait aucune réaction de l'ordre, ni publication du droit de réponse dans "La Lettre" du mois de janvier 2005.

Que le Conseil a aussi pertinemment relevé (points 143 à 149 relatifs aux CDOCD) sur un plan départemental que :

- La lettre circulaire comminatoire du 20 novembre 2002, adressée par le Conseil départemental du Var aux chirurgiens-dentistes de ce département indiquait : "Compte tenu des atteintes et entorses aux recommandations déontologiques constatées depuis et à plusieurs reprises, le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a décidé lors de sa session du 7 novembre 2002, de retirer l'avis déontologique favorable. En conséquence, nous vous invitons à en tirer toutes les conséquences et à vous conformer à nos règles déontologiques, sachant que vous ne pourrez vous prévaloir d'un avis déontologique favorable du Conseil national en cas de poursuites disciplinaires".

- dans le bulletin du 11 mars 2003 intitulé "Ordre Infos", le Conseil départemental de l'ordre de la Charente établissait une liste des protocoles ayant reçu un avis défavorable du Conseil national de l'ordre, ajoutant : " pour ceux qui sont signataires de ces derniers, vous devez immédiatement les dénoncer sous peine de poursuites devant le Conseil régional ".

- Le conseil départemental des Pyrénées-Orientales a indiqué, dans une circulaire du 16 mars 2004, que constituait une infraction le fait de signer ou d'avoir signé un protocole ayant reçu un avis négatif du Conseil national de l'ordre. Puis les courriers adressés, le 25 novembre 2004 par l'ordre des Pyrénées Orientales aux praticiens partenaires de Santéclair dans lequel il mettait en demeure des praticiens partenaires de Santéclair, de résilier le protocole conclu avec Santéclair; il faut aussi mentionner une nouvelle circulaire du Président de l'ordre des Pyrénées-Orientales, menaçant les chirurgiens-dentistes, partenaires de Santéclair, de poursuites disciplinaires s'ils ne résiliaient pas leur contrat avec Santéclair, notamment au motif que : "Ce contrat a été déclaré non valable par le Conseil national de l'ordre (Cf notre circulaire du 16 mars 2004 et Lettre du CNO n° 26 d'avril 2004) ".

- Le conseil départemental du Bas-Rhin a, d'une part, repris dans une circulaire de décembre 2002 les termes de la circulaire du 14 novembre 2002 du Conseil national de l'ordre et, d'autre part, diffusé à ses membres, en juillet 2004, sa propre interprétation de la portée des avis rendus par le Conseil national. Il a indiqué que ce dernier devait obligatoirement donner son accord à toute convention liant un praticien et que, dès lors, tout chirurgien-dentiste signataire d'un protocole " anti-déontologique " risquait de s'exposer à des poursuites disciplinaires.

- En janvier 2007, le conseil départemental de Saône-et-Loire a indiqué aux chirurgiens-dentistes, après leur avoir rappelé leurs obligations en matière de déclaration de contrats, comme "corollaire évident" que tout contrat n'ayant pas obtenu d'avis favorable de la part du Conseil national devait être.

- Dans une circulaire du 22 novembre 2004, le conseil départemental du Vaucluse a indiqué aux chirurgiens-dentistes de son ressort que, concernant les protocoles " dénoncés par le Conseil national de l'ordre ", " rien ne s'opposerait à une sanction disciplinaire à votre encontre ". L'interprétation diffusée par ce Conseil départemental de l'ordre est similaire à celle initiée au niveau national, dont elle renforce les effets. Cette interprétation sous-entend que les chirurgiens-dentistes doivent quitter ou s'abstenir de rejoindre le réseau Santéclair sous peine de sanctions disciplinaires.

Qu'il ressort de ce qui précède que le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et à sa suite les conseils départementaux visés par la poursuite ont, en diffusant une interprétation sciemment inexacte de la portée d'avis sur les protocoles proposés aux chirurgiens-dentistes, en vue d'évincer du marché la société Santéclair, mis en œuvre une pratique contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce;

Considérant enfin que les sanctions prononcées apparaissent proportionnées :

A la gravité des pratiques de boycott, en général et en l'espèce;

Au dommage subi par les patients ou consommateurs privés du bénéfice des prestations de Santéclair,

A la réitération des pratiques anticoncurrentielles du CNOCD, déjà sanctionné de ce chef (décision du 20 juillet 2005, arrêt confirmatif du 7 mars 2006, rejet de pourvoi du 20 février 2007),

A la situation financière relativement modeste du CNOCD et des CDOCD;

E. - Publication

Considérant que la SA Santéclair demande à la cour de faire publier le présent arrêt;

Mais considérant que la publication est une sanction complémentaire et que la décision déférée n'y recourant pas, il n'est pas permis à la cour d'y procéder en aggravant ainsi le sort des conseils de l'ordre condamnés;

Par ces motifs, Se déclare compétente; Rejette le recours; Met les dépens à la charge des conseils de l'ordre des chirurgiens dentistes requérants.