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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 28 janvier 2010, n° 08-00829

DOUAI

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Dral (SA)

Défendeur :

Renault (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Parenty

Conseillers :

M. Deleneuville, Mme Valay-Brière

Avoués :

SCP Cocheme-Labadie-Coquerelle, SCP Deleforge Franchi

Avocats :

Mes Terrillon, Selas Vogel & Vogel

T. com. Roubaix-Tourcoing, du 8 nov. 200…

8 novembre 2007

Vu le jugement contradictoire du 8 novembre 2007 du Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing ayant condamné la société Renault à payer 77 000 euro à la société Dral au tire d'indemnité compensatrice, débouté la société Dral de toutes ses autres demandes, dit que la société Renault n'a commis aucune faute à l'encontre de la société Dral, dit que la société Dral ne démontre ni le principe, ni le montant de ses prétendus préjudices, ni le lien de causalité entre les fautes allégués et les dits préjudices.

Vu l'appel interjeté le 5 février 2008 par la SA Dral;

Vu les conclusions déposées le 3 février 2009 pour la société Renault;

Vu les conclusions déposées le 14 mai 2009 la société Dral;

Vu l'ordonnance de clôture du 10 septembre 2009;

La société Dral demande à la cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il lui a accordé 77 000 euro ; elle demande 405 472 euro de réparation intégrale de son préjudice avec intérêts légaux depuis le 16 juillet 2004 et capitalisation des intérêts et 15 000 sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'intimée sollicite la confirmation de la décision sauf en ce qu'elle a accordé 77 000 euro à l'appelante ; elle demande en outre à la cour de constater qu'elle n'était pas partie aux négociations concernant la cession de la société SNAT par la société Dral au groupe GGBA; elle réclame 15 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société SNAT était concessionnaire à Tourcoing pour la distribution des véhicules et pièces de marque Renault ; jusqu'en octobre 2002, la majorité des titres de la société SNAT était détenue par la société Dral dont le siège se trouve à Bordeaux.

Par le biais d'un protocole signé le 8 juillet 2002, les sociétés Dral et GGBA ont organisé la cession des titres de la société SNAT, la date de cession effective ayant été fixée au 2 septembre 2002 ; un avenant y a été ajouté le 2 septembre 2002 et la notification de cette cession a été faite par GGBA à la DGCCRF le 20 septembre 2002, laquelle a autorisé l'opération le 25 octobre 2002. Les titres ont été cédés pour 1 917 750 euro au lieu du prix provisoire prévu de 2 058 061 euro. Durant ces deux mois d'exploitation supplémentaire, dus à l'obligation de notifier l'opération aux services de la DGCCRF, la société Dral estime que la situation de cette société s'est dégradée, ce qui aurait entraîné des pertes et une réduction du prix définitif de cession des titres, et que le dépassement de délai serait du fait de Renault.

La société Dral estime que Renault l'a contrainte à céder et est responsable du préjudice subi dans cette cession, la société Renault ayant en fait voulu mettre en place sa volonté de concentration de son réseau, l'écartant pour favoriser GGBA dont elle fera son premier distributeur; consciente de cet état de fait, la société Renault a proposé à sa signature un protocole transactionnel qui est une reconnaissance de responsabilité dans lequel elle s'engage à lui verser 77 000 euro à titre d'indemnité forfaitaire en compensation des différents chefs de préjudice invoqués. Elle fait valoir que le prix de cession avait été fixé à l'origine à 2 448 660 euro en 2001, que la décote est donc de 530 910 euro obtenue à l'usure par l'intimée sur son marché de contrainte et par sa puissance économique, que non seulement Renault l'a forcée à vendre mais même, en faisant traîner, à brader.

Elle fonde son action sur la base de l'article 1382 du Code civil:

- parce que Renault a fait traîner les négociations et s'est constamment attachée à déstabiliser la SNAT (retrait de son directeur, non réponse à des propositions de développement);

- par ce qu'elle a abusé du caractère intuitu personae du contrat de concession et de son droit d'agrément pour imposer la cession et un acquéreur unique qui n'avait aucune raison de faire évoluer rapidement les négociations, la société Dral ne pouvant en aucun cas céder les titres à un autre sans l'agrément de Renault, dans un marché "verrouillé" par elle dans le sens de l'achat comme de la vente;

- parce qu'elle l'a délibérément écartée de son réseau de distribution en l'isolant de manière définitive pour la pousser à vendre à M. Zodo qui contrôlait déjà 17 concessions Renault, les opérations étant menées sous son égide, ce que les courriers échangés prouvent, et traînant en longueur en raison de la position de l'acquéreur, certain et unique, du 2 mai 2001 au 5 mars 2003 avec usure du prix de cession ;

- parce qu'elle a utilisé la SNAT comme monnaie d'échange avec GGBA pour que ce groupe accepte la cession de sa concession de Villeneuve-d'Ascq à sa filiale Renault France Automobile Nord, ce qui a retardé l'aboutissement des négociations, la chronologie des événements prouvant cette nécessaire concomitance.

Elle ajoute que la société Renault reconnaît le caractère fautif de ses manœuvres puisqu'elle a tenté d'en limiter le risque par le protocole transactionnel qu'elle a tenté de lui faire signer, par lequel elle devait renoncer à tout recours pour toutes causes ait relation avec un préambule ayant trait à la cession dont s'agit; elle estime son préjudice, outre l'octroi de la somme de 77 000 euro évidemment due, à la somme de 328 472 euro représentant la perte ou le manque à gagner subis postérieurement au 31 décembre 2001 (après retraitement du produit exceptionnel retiré de la cession d'un actif immobilier au 31 octobre 2002) qui ont eu une incidence directe sur le prix de cession des titres SNAT, soit la perte d'exploitation enregistrée par la SNAT sur 10 mois en 2002 qui s'est élevée à 304 960 euro alors que sur la moyenne des deux exercices précédents l'entreprise avait dégagé un résultat courant positif de 23 512 euro.

La société Renault lui répond qu'elle est responsable de son propre préjudice et qu'elle-même n'a commis aucune faute.

- elle affirme n'avoir jamais tenté de déstabiliser la SNAT, conteste la valeur de l'attestation produite à l'appui de cette affirmation émanant de l'ancien directeur salarié de la SNAT qu'elle aurait soi-disant tenté de débaucher, ce qui est faux et ne vient de toute façon pas minorer le prix de vente de cette société et fait remarquer que les allégations de la société Dral émanent de ses propres courriers envoyés à Renault et pas des courriers envoyés par Renault.

- elle est restée étrangère aux négociations de cession, juste informée de l'avancée de ces dernières menées par les sociétés Dral et GGBA (puisque les deux parties étaient partenaires Renault), aucune preuve n'étant apportée ni de son rôle ni du retard qu'elle aurait elle même provoqué.

- les négociations ont commencé le 18 décembre 2001 et le protocole de cession a été signé 6 mois plus tard et elle n'est pas responsable du retard pris par les parties dans le versement du prix, notamment du chef de la procédure de contrôle des concentrations imposée par la loi NRE.

- elle n'a pas imposé d'acquéreur et la société Dral pouvait, devant l'impossibilité de se développer au sein du réseau Renault, lui proposer un autre repreneur mais elle ne prouve pas qu'elle ait cherché cet acquéreur ou encore que Renault lui aurait refusé abusivement un autre acquéreur non plus que GGBA aurait eu une raison de ne pas faire évoluer les négociations.

- elle n'avait aucune prise sur la notification aux autorités de l'opération qui appartenait aux seuls signataires et aucune faute ne peut être retenue contre elle de ce chef, laquelle notification aurait pu intervenir dès juillet 2002, ce que les parties semble-t-il n'avaient pas réalisé à cette époque.

- quant à la concomitance des deux opérations GGBA, elle relève, comme l'indiquent les pièces du seul souhait de GGBA.

- à titre subsidiaire, elle fait remarquer que la société Dral ne justifie pas de son préjudice, puisque dans son assignation d'origine, elle faisait allusion à une baisse de rentabilité sur deux mois alors que désormais elle réclame une indemnité sur 10 mois d'exploitation; elle ajoute que la baisse de rentabilité de la SNAT en 2002 ne peut lui être reprochée puisqu'elle était autonome dans sa gestion, que les négociations n'ont pas été anormalement longues, que l'ensemble du marché automobile a connu une baisse à cette période, que rien n'établit que la Dral aurait pu vendre à meilleur prix, qu'elle connaissait les risques encourus du fait de la fixation d'un prix provisoire, qu'elle pouvait éviter son préjudice en étant davantage vigilante.

- elle ne doit pas les 77 000 euro prévus au protocole puisqu'il n'a pas été signé par la société Dral.

Elle ajoute in fine que les intérêts légaux ne peuvent accompagner la condamnation, si condamnation indemnitaire il y a, avant le prononcé de l'arrêt tout comme l'anatocisme.

Sur ce,

La société Dral entend rendre responsable la société Renault du préjudice qu'elle a subi dans la cession des titres de la SNAT.

Elle affirme tout d'abord que Renault a tenté de déstabiliser la SNAT en débauchant son directeur; outre que l'attestation produite est peu probante car dénuée de date, force est de constater que dans les faits ce directeur n'a pas bougé, que de surcroît si tel avait été le cas, rien ne permet d'affirmer que cela aurait déstabilisé la concession, de même la non réponse au courrier émanant de la Dral du 21 mars 2009 dont les enjeux dépassent les intérêts de la SNAT ne peut servir d'argument la visant elle et elle seule. Ce courrier avait trait au développement de relations commerciales que la société Dral désirait avec la société Renault dans un ensemble plus vaste que l'exploitation de la SNAT qu'elle déclarait alors disponible pour une éventuelle cession. Ce premier argument sera repoussé.

Puis elle affirme que Renault a abusé de sa puissance économique dans le déroulement des négociations ; en premier lieu, même si Renault n'a pas été partie aux négociations et aux signatures des actes, elle a été forcément impliquée au regard de la clause d'agrément que la société Dral avait accepté de signer; c'est à ce titre d'ailleurs qu'elle apporte le repreneur. Cette clause d'agrément ne fait pas échec à une proposition de repreneur du choix de la Dral ou de la SNAT. Pour affirmer que ce repreneur lui aurait été imposé, la société appelante doit démontrer qu'elle a proposé d'autres repreneurs qui lui auraient été refusés, ou que Renault abusant de la clause d'agrément aurait refusé chacune de ces propositions. S'il est vrai que c'est Renault qui a proposé GGBA, il convient de constater que la société Dral a accepté d'engager les négociations avec ce repreneur, qui est resté unique, certes, mais pas obligatoirement du seul fait de Renault puisque la société Dral conservait son pouvoir de proposition. Ensuite, la société appelante affirme que les négociations ont été trop longues, du fait de Renault mais il est vrai que le premier contact est de mai 2001 et que la première pièce qui atteste de l'avancée des négociations du côté de la société Dral est de décembre 2001. Le protocole de cession d'actions signé le 8 juillet 2002, qui prévoit une vente conclue pour le mois de septembre 2002, n'est pas révélateur de négociations qui traînent en longueur et encore une fois, la preuve n'est pas rapportée que Renault aurait joué un rôle pour les retarder ou les compliquer. Au contraire, il semble qu'un nouveau retard ait été pris du fait de l'application de la loi sur les opérations de concentration, dont la société Dral aurait pu anticiper les diligences, retard qui ne peut être imputé à l'intimée, non signataire ce deuxième argument n'est pas plus convaincant.

En outre, elle plaide que la SNAT aurait servi de monnaie d'échange comme le prouve la concomitance entre la cession et une autre intéressant le repreneur GGBA et Renault; mais la seule pièce qui en représenterait la preuve est insuffisante à l'établir puisqu'il s'agit seulement d'une concomitance de notifications des deux opérations aux autorités à la demande de GGBA, ce qui en l'occurrence n'a pas forcément retardé l'opération. Là encore, le dossier n'étaye pas suffisamment cette affirmation.

Parallèlement, la société Dral plaide l'usure du prix et c'est son argument essentiel, auquel il pourra être objecté qu'elle a accepté le 8 juillet 2002 un prix provisoire, avec les risques encourus puis de signer sans être forcée l'avenant du 2 septembre 2002.

De tout cela, il résulte que la faute de Renault n'est pas prouvée; la société Dral voudrait lire dans le projet transactionnel un véritable aveu de responsabilité. Ce protocole fait une allusion très claire dans son préambule au désaccord de prime abord des actionnaires sur leur volonté de cession, puis sur le prix. Outre que ce protocole n'est pas signé, et qu'il doit être considéré comme un projet, il est à mettre en relation avec le refus initial des actionnaires et la volonté de consigner l'historique des relations ayant finalement abouti à leur accord avec versement d'une indemnité compensatrice dans le double but "que la cession intervienne dans les meilleurs conditions possible" et "de prévenir tout différend à raison des faits relatés dans le préambule"; que ces modalités peuvent s'apparenter davantage à un geste commercial mais sont de toute façon faibles pour asseoir une reconnaissance de culpabilité.

En l'absence de faute prouvée de la part de Renault, de manière superfétatoire la cour fera remarquer que le seul préjudice que la société Dral peut invoquer est la différence entre le prix de cession initial et le final mais en aucun cas baser son action sur les résultats de la SNAT mais qu'au surplus, le tribunal lui a octroyé à tort la somme de 77 000 euro en contradiction avec ses motifs qui consistaient à affirmer que "la société Renault n'a commis aucune faute". Sans celle-ci, aucun préjudice ni aucune indemnisation ne peuvent être envisagés : le jugement mérite confirmation sauf en ce qui concerne l'octroi de la somme de 77 000 euro à l'appelante. Et la société Dral doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Il convient de condamner l'appelante à verser à l'intimée une indemnité de 3 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Renault à payer 77 000 euro d'indemnité compensatrice à la société Dral. Le confirme pour le surplus. Déboute les parties de leurs plus amples demandes. Y ajoutant Condamne la société Dral à payer à la société Renault 3 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens dont distraction au profit de la SCP Deleforge Franchi, avouée à la cour, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.