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Décisions

ADLC, 26 janvier 2010, n° 10-D-04

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des tables d'opération

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Gwenaëlle Nouët, l'intervention orale de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mme Reine-Claude Mader-Saussaye, MM. Yves Brissy, , Jean-Bertrand Drummen, membres.

ADLC n° 10-D-04

26 janvier 2010

L'Autorité de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 3 août 2007, sous le numéro 07/0063 F, par laquelle le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur des tables d'opération susceptibles de relever de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu l'article 81 du traité CE, devenu l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à compter du 1er décembre 2009 ; Vu le livre IV du Code de commerce modifié ; Vu la décision de la rapporteure générale en date du 21 juillet 2009, prise en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce, qui dispose que l'affaire fera l'objet d'une décision de l'Autorité de la concurrence sans établissement préalable d'un rapport ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par les sociétés Maquet SA et Maquet GmbH & Co KG et par le commissaire du Gouvernement ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Maquet SA et Maquet GmbH & Co KG entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 9 décembre 2009 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Le ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a saisi le Conseil de la concurrence le 3 août 2007 après une enquête effectuée par la DGCCRF. Le rapport de la brigade interrégionale d'enquête de concurrence de Nantes indiquait que " les sociétés Maquet France et ALM SA répondent de fin décembre 2000 à décembre 2002 à de nombreux appels d'offres d'établissements de santé en présentant des soumissions séparées apparemment concurrentes alors que ces deux entreprises n'ont pas de réelle autonomie commerciale et surtout, que les offres d'ALM sont traitées par des cadres de Maquet. Ce faisant, elles se livrent à une simulation de concurrence qui trompe les acheteurs ".

A. LE SECTEUR CONCERNE

2. Les pratiques relevées par le rapport d'enquête concernent les marchés passés par les établissements hospitaliers français pour l'achat de tables d'opération destinées à équiper les blocs opératoires. L'enquête a porté sur les appels d'offre lancés par les établissements publics de santé, ainsi qu'un établissement privé (l'AHNAC).

1. LES PRODUITS

3. Selon la norme NF C 74-331, une table d'opération est un " ensemble mécanique, destiné à supporter un patient, animé de mouvements nécessaires aux explorations et interventions chirurgicales en salle d'opération, avec leurs parties intégrantes de base indispensables en utilisation normale ". La table d'opération permet donc de positionner le patient à opérer de manière à faciliter le travail du chirurgien.

4. Une table d'opération est composée de deux parties principales :

- le plateau opératoire sur lequel est positionné le patient durant l'intervention, généralement composé de plusieurs sections, chacune ayant son autonomie (section tête et cou / section supérieure du tronc / section siège / section cuisses / section jambes et pieds) ;

- le support plateau qui soutient le plateau opératoire et les accessoires particuliers à chaque discipline et peut être fixe ou mobile.

5. Il existe deux types de tables d'opération :

- la table à plateau non transférable ou table conventionnelle, dont le plateau est non dissociable de l'ensemble support plateau en utilisation normale. Le patient est transporté par un chariot brancard jusqu'à la table d'opération ;

- la table à plateau transférable ou table de transfert dont le plateau est dissociable de l'ensemble support plateau ou interchangeable en fonction de l'acte chirurgical. Le patient est installé sur le plateau avant son arrivée en salle puis est transporté jusqu'à la salle d'opération sur un chariot de transfert. Le plateau est ensuite verrouillé sur le socle de la table d'opération. Ainsi, les tables de transfert permettent un meilleur confort du patient et une adaptation plus rapide aux types d'opérations pratiquées dans la mesure où un simple changement de plateau suffit.

2. LES ACTEURS DU SECTEUR

a) La demande : les établissements hospitaliers

6. Les tables d'opération sont achetées par les hôpitaux publics et par les cliniques privées, pour l'équipement de leurs blocs opératoires. Ces établissements sont démarchés par les délégués commerciaux des sociétés fabricantes qui tentent de valoriser leurs produits non seulement auprès des services budgétaires des établissements, mais aussi auprès des chirurgiens et des ingénieurs biomédicaux. Les méthodes de vente de tables d'opération sont identiques à celles des autres produits de santé, et font donc essentiellement l'objet d'appels d'offres (ouverts ou fermés) ou de marchés négociés.

7. Dans le processus d'achat des tables d'opération, la maintenance joue un rôle important. En effet, la durée de fonctionnement des tables d'opération approchant 15 ans, une formation assez poussée des techniciens hospitaliers est nécessaire pour qu'ils puissent régler le matériel et les services après-vente des fabricants doivent être très réactifs pour intervenir dans les délais les plus brefs. Cet aspect devient de plus en plus important avec l'intégration de l'électronique dans l'utilisation des tables. C'est pour cette raison que les acheteurs favorisent les fabricants qui disposent d'un service après-vente intégré et géographiquement bien réparti sur le territoire national.

b) L'offre : les fabricants de tables d'opération

8. Les tables d'opération sont fabriquées aux Etats-Unis, en Europe et au Japon.

Le marché en 2000

9. Les fabricants européens de tables d'opérations étaient en 2000 :

- ALM (Air Liquide Médical), localisée en France (Ardon-45) : appartenant au groupe Air Liquide, ALM est le généraliste français de la table d'opération et se distingue surtout par un service après-vente très performant. Les produits ALM sont plutôt de gamme moyenne ;

- Maquet, localisée en Allemagne (Rasttat) : cette société, dont les produits sont distribués en France par la société Becker (localisée à Strasbourg), domine dans l'Est de la France et sur des créneaux très spéciaux de la table d'opération. Les produits Maquet sont plutôt haut de gamme ;

- Schaerer Mayfield, localisée en Suisse (Muensigen) ;

- Trumpf-Blanco, localisée en Allemagne, dont les produits sont distribués en France par la société AMSA (localisée à Clermont-Ferrand) ;

- OPT, localisée en Italie (Trente) ;

- Draeger AG, localisée en Allemagne ;

- Eschmann, localisée au Royaume-Uni.

10. Hors Europe, les grands fabricants de tables sont les sociétés Steris, présente essentiellement sur le marché américain, et Mizuho, plutôt orientée vers le Sud-Est asiatique.

11. Selon la lettre du ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie en date du 22 juin 2001 au conseil de la société Getinge Arjo France SAS relative à une concentration dans le secteur de la fabrication de matériel médical et chirurgical, les parts de marché des différents acteurs étaient les suivantes en 2000 :

<emplacement tableau>

12. Au niveau européen, ALM et Maquet étaient les leaders du marché, leurs concurrents les plus proches étant Trumpf et OPT qui sont principalement présents sur leur territoire d'implantation historique, à savoir l'Allemagne et l'Italie. Quant aux autres opérateurs, les fabricants Schaerer, Schmitz, Mizuho, Steris et Eschmann, leurs parts de marché sont beaucoup plus faibles.

13. En France, ALM et Maquet se partagent le marché, loin devant Schaerer et Trumpf-Blanco qui ne sont pas en mesure de répondre aux appels d'offres de l'ensemble des établissements de santé français.

Les rachats de Maquet et d'ALM par le groupe Getinge

14. Le groupe suédois Getinge Industrier AB (ci-après le " groupe Getinge ") est l'un des premiers fournisseurs mondiaux d'appareils techniques médicaux pour la chirurgie, les soins intensifs et le contrôle des infections.

15. En novembre 2000, le groupe allemand RWE a cédé au groupe Getinge sa filiale allemande Maquet GmbH & Co KG, leader mondial des tables d'opération. Dans le même temps, le groupe Air Liquide a décidé de spécialiser sa filiale santé dans le domaine respiratoire. Dès lors, la société ALM SA (RCS Orléans 311 844 229) qui n'a pas d'activité dans ce domaine a été mise en vente. Le 23 janvier 2001, Getinge Arjo France SAS, filiale à 100 % du groupe Getinge, a acheté ALM au groupe Air Liquide. Cette concentration a été notifiée au ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie en avril 2001.

16. Par la lettre du 22 juin 2001, précitée, ce dernier a autorisé la concentration sous réserve de l'exécution d'un certain nombre d'engagements : " Ces engagements consistent à vendre l'activité tables d'opération de la société ALM à un acquéreur indépendant agréé par le ministre dans le délai d'un an.

Cette activité tables comprend les lignes d'assemblage de tables d'opération chirurgicales ainsi que les accessoires desdites tables exploitées par ALM à Ardon dans le Loiret (sauf la ligne d'assemblage dédiée à la table CMAX), les marques "Transféris", "Universis" et "Easynox" ainsi que les droits de propriété intellectuelle afférents à l'ensemble des sous- produits et accessoires desdites marques, la technologie et une assistance technique de six mois.

Par ailleurs, Getinge proposera à un éventuel acquéreur une licence de trois ans de la marque "ALM" suivant la réalisation de la vente de l'activité tables d'opération d'ALM et s'engage à renoncer à la commercialisation des tables d'opération sous la marque ALM en France. Ces engagements permettent de résoudre les problèmes de concurrence identifiés sur le marché des tables d'opération " (Cotes 3461 à 3464 et 3465 à 3470).

17. Sont ainsi exclus de ces engagements la maintenance des tables d'opération cédées (service après-vente), la ligne d'assemblage de la table CMAX, le réseau de distribution afférent à ce type de tables et la marque ALM.

18. Les engagements souscrits par le groupe Getinge prévoyaient également que " l'activité tables d'opération d'ALM soit tenue séparée de l'activité tables d'opération du groupe Getinge/Maquet et constitue une activité distincte, viable, pouvant faire l'objet d'une vente " et que le groupe devait s'assurer " que tous les contrats nécessaires au maintien de l'activité tables d'opération d'ALM soient conclus ou maintenus en vigueur en accord avec leurs dispositions, et selon le cours normal des affaires ". Le groupe Getinge était donc tenu, au titre des engagements, de maintenir l'autonomie commerciale et l'indépendance de l'activité tables d'opération d'ALM.

19. La banque Vernes Artesia a été désignée pour assurer la gestion de cette cession. Ce mandataire avait pour mission de " surveiller (...) la gestion et le fonctionnement de l'activité tables d'opération afin de pouvoir rendre compte de la continuité de sa viabilité, de son caractère cessible et de sa compétitivité " (Cotes 3461 à 3464 et3471 à 3477).

20. Au mois de juin 2002, à la demande du groupe Getinge, la date butoir pour céder l'activité tables d'opération d'ALM a été repoussée par le ministre de l'Economie au 22 juillet 2002 (Cotes 3488 à 3489). Le délai pour réaliser la cession a encore été prolongé jusqu'au 14 août, puis jusqu'au 4 septembre 2002. Par courrier du 7 août 2002, le groupe Getinge a demandé à être libéré de son engagement, estimant ne plus être en position dominante sur le marché : " le marché est en complète mutation, la concurrence y est féroce entre les compétiteurs, nous pensons que ces nouvelles données, qui n'étaient absolument pas prévisibles début 2001 au moment de l'acquisition d'ALM par le Groupe Getinge, sont de nature à permettre un réexamen de l'engagement de cession des tables ALM par le Groupe Getinge tout en garantissant à court et moyen terme les critères d'une concurrence active sur les marchés français et européens des tables d'opération " (Cotes 115 à 118 et 3498 à 3501).

21. Par lettre du 19 juillet 2002, le ministre de l'Economie a indiqué à Getinge qu'" au regard de l'engagement de maintien de la valeur de la branche à céder, je constate une forte déperdition du chiffre d'affaires de l'activité "tables d'opération". Celle-ci s'explique selon vous par une saisonnalité atypique des prises de commande, qui semble cependant ne pas se répercuter aussi fortement sur les autres opérateurs. D'autre part, on constate, au moins optiquement, un effet de vases communicants entre les prises de commande d'ALM, en diminution, et celles de Maquet-Getinge, en croissance. Celui-ci s'explique certes par la disparition du réseau commercial d'ALM, que vous n'aviez pas à maintenir, et par l'incertitude ressentie par les clients sur ce marché, notamment quant à la pérennité du service de maintenance des tables. Ces divers éléments plaident cependant pour une résolution rapide de cette incertitude, avant qu'une dévalorisation trop forte de l'actif soit intervenue " (Cotes 3488 à 3489).

22. Le 7 octobre 2002, un protocole d'achat a été signé entre ALM et la société française Fournitures Hospitalières SA (FH) (Cotes 3613 à 4341). Il a été suivi de nombreux avenants sur les conditions de paiement et a abouti à la vente définitive de l'activité tables d'opération ALM en 2003 (Cotes 119 à 122).

23. La demande d'agrément de Fournitures Hospitalières a été une première fois refusée par le ministre de l'Economie le 19 novembre 2002, puis finalement acceptée le 31 décembre 2002 (Cotes 3510 à 3512 et 3525 à 3526). Le 19 novembre 2002, le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence pour non-respect d'engagements (Cote 3513), mais s'est désisté le 19 décembre 2003. Par la décision n° 03-C-25, du 3 décembre 2003, le Conseil a donné acte au ministre de l'Economie de son désistement et a classé le dossier.

24. ALM a confirmé à la DGCCRF la cession effective de son activité tables d'opération au groupe Fournitures Hospitalières le 13 mars 2003 (Cotes 3527 à 3528). Un protocole conclu le 14 février 2003 entre les sociétés ALM et Fournitures Hospitalières Surgical SAS (FHS), relatif aux modalités du transfert physique de l'activité cédée (y compris les stocks), a fixé la date du transfert au 1er mars 2003.

25. A effet au 31 décembre 2004, ALM a changé de dénomination sociale pour devenir Maquet SA (Cotes 6075 à 6080).

L'évolution du marché

26. Le marché des tables d'opération a connu des évolutions importantes entre 2000 et 2005.

27. Il n'y a plus de fabricant français dans ce secteur, ALM ayant successivement été rachetée par le groupe Getinge en janvier 2001, la société FHS en mars 2003, puis Stéris Surgical Technologies SAS (filiale du Groupe Américain Stéris) en décembre 2005.

28. Selon la lettre du ministre de l'Economie du 22 juin 2001, précitée, et les plannings stratégiques 2004 et 2005 de SuSy France, établis les 28 août 2003 et 27 février 2005, les évolutions des parts de marché en France ont été les suivantes : (Cotes 6081 à 6127 et 3461 à 3464)

<emplacement tableau>

29. A la lecture de ce tableau, on constate que les deux sociétés allemandes, Maquet filiale de Getinge et Trumpf, ont conquis une grande partie du marché français :

- la société Maquet a vu sa part de marché passer de 28 % en 2000 à plus de 50 % en 2003.

- la société Trumpf aurait profité de plusieurs facteurs pour élever sa part de marché de 3 % en 2000 à près de 15 % en 2003 :

i) les restructurations d'ALM et de Maquet entre 2000 et 2002 ont pu infléchir les choix des acheteurs pour se tourner vers un "challenger" ;

ii) en juin 2002, la société Maquet a été contrainte, par les autorités allemandes de concurrence (dans le cadre de l'acquisition de la société Heraeus-Med, fabricant de lampes chirurgicales et de bras de distribution, par le groupe Getinge), de céder à Trumpf une partie de ses brevets relatifs aux tables d'opération de transfert, ce qui lui a permis de proposer des produits d'une technicité équivalente à celle des tables Maquet (Cotes 3498 à 3501). Aujourd'hui, les représentants de Maquet soutiennent que leur société n'a pas été contrainte de céder ses brevets à Trumpf par les autorités allemandes de concurrence, mais que Trumpf utilisait illégalement des brevets appartenant à Maquet. A la suite d'une transaction entre les deux sociétés, Trumpf peut aujourd'hui utiliser les brevets Maquet en contrepartie d'une redevance (Cotes 6218 à 6234).

30. En revanche, la part de marché française d'ALM, qui était de plus de 60 % en 2000, a chuté. Cette baisse des ventes d'ALM dès 2002 est également révélée dans un document saisi dans l'ordinateur de M. X..., directeur des ventes France d'ALM (Cotes 6113 à 6127). En effet, ce document prévoit un passage de 264 tables ALM vendues en 2001 à 151 en 2002. Un document de synthèse élaboré pour un séminaire regroupant en Allemagne l'ensemble des équipes commerciales ALM/Maquet du 14 au 17 janvier 2002 contient un tableau montrant également que les objectifs de vente en tables ALM étaient fortement revus à la baisse en 2002 (cote 1950).

<emplacement tableau>

31. Selon la réponse de Maquet à une demande de renseignement de la rapporteure du 22 juin 2009, l'évolution des parts de marché d'ALM et de Maquet a été la suivante : (Cotes 6245 à 6250)

<emplacement tableau>

32. Lors de leur audition par la rapporteure le 22 avril 2009, les représentants de Maquet ont déclaré que leurs principaux concurrents sont toujours Stéris, Trumpf, Schaerer, Opt, Schmitz et Berchtold (Allemagne). En 2008, Maquet détient une part de marché d'environ 40 % au niveau mondial. Son principal concurrent est la société Trumpf, qui détient 20-25 % du marché des tables d'opération au niveau mondial et est plutôt spécialisée dans les tables de transfert. Stéris, troisième opérateur mondial, est plus actif sur les tables mobiles. En effet, les tables de transfert de Stéris se distinguent de celles de Maquet et de Trumpf : Trumpf et Maquet exploitent un principe de transfert impliquant une colonne (indépendante), un plateau détachable et un chariot de transfert alors que Stéris développe un système non détachable (plateau) avec des roulettes motorisées (Cotes 6218 à 6234).

B. LES PRATIQUES RELEVEES

33. Le groupe Getinge a acquis la société ALM en janvier 2001 et a conservé l'activité tables d'opération d'ALM jusqu'en décembre 2002 (transfert réel en mars 2003). Pendant cette période, ALM a vu ses forces de vente fusionner avec celles de la société Maquet et ces deux sociétés ont continué à soumissionner aux appels d'offres des établissements hospitaliers.

1. LA RESTRUCTURATION DE L'ACTIVITE TABLES D'OPERATION AU SEIN DU GROUPE GETINGE

a) La réorganisation de l'activité commerciale

34. L'intégration d'ALM dans le groupe Getinge s'est traduite en 2001 par des réorganisations portant essentiellement sur l'organisation commerciale des trois entités Getinge, Maquet et ALM. Si, durant l'année 2001, chacune des forces de vente d'ALM et de Maquet a travaillé pour sa marque affectée, en 2002 est créée l'organisation SuSy (Surgical Systems) qui a pour but de mieux faire fusionner les forces commerciales d'ALM et de Maquet. Du 14 au 17 janvier 2002, l'ensemble des vendeurs de terrain et les administratifs de la vente d'ALM et de Maquet sont invités au siège de cette dernière, à Rastatt en Allemagne, afin de participer à un "séminaire d'information et de formation de la gamme SuSy". Pour cette réunion SuSy France, un document de synthèse a été élaboré, reprenant les différentes consignes de la direction (Cotes 1793 à 1822).

35. Lors de son audition par les enquêteurs le 24 janvier 2006, Mme Séverine A... (attachée de direction auprès de M. Y..., directeur général adjoint et directeur commercial d'ALM, puis chargée de la coordination entre les sociétés ALM et Maquet à partir de septembre 2001 ; en décembre 2002, elle a rejoint la société FHS ; au moment de son audition, elle était chef de produit marketing chez Stéris, le repreneur de l'activité tables de FHS) a indiqué : " En janvier 2001, la SA ALM venait d'être rachetée par le groupe Getinge, dont la filiale Maquet avait pour fonction de vendre des tables d'opérations, sous la marque Maquet (société de droit allemand) ; les nouveaux dirigeants suédois et allemands ont voulu réorganiser les réseaux de vente pour essayer de fusionner les organisations de ventes et de distribution des 2 sociétés ALM et Maquet. Cette réorganisation s'est faite à deux niveaux :

1) au stade du management des ventes avec la désignation de responsables pour les ventes des produits ALM (F. Y...) et pour les ventes de tables Maquet (M. Z... au siège de Maquet à Rastatt)

2) au niveau de la désignation des chefs de zones (Monde) ".

36. Ainsi, ALM a perdu la responsabilité de la distribution de ses propres produits hors de France, ces activités ayant été intégrées, au sein de Getinge Surgical Système (GSS), dans les structures de la société Maquet. A cet égard, il ressort du rapport sur la situation d'ALM pour les exercices clos au 31 décembre 2001 établi par le cabinet Secafi Alpha (Cotes 128 à 354) que :

- " les anciennes filiales d'ALM aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ont été fusionnées avec les sociétés du groupe Getinge ;

- en Italie, la distribution des produits ALM constituait un centre de profit spécifique au sein de la filiale d'Air Liquide Santé, avec des moyens mis en œuvre et des ventes identifiés. Ce contrat a été dénoncé, l'activité italienne étant désormais assurée par la filiale italienne de GSS qui a repris les stocks, les comptes clients ainsi que le personnel dédié d'Air Liquide Santé ;

- en Espagne, ALM ne s'appuyait pas sur un centre de profit autonome, mais mobilisait environ 30 % des ressources de la filiale d'Air Liquide Santé. La filiale de GSS a repris les stocks et les comptes clients. En revanche, le personnel dédié à l'activité ALM au sein d'Air Liquide Santé n'a pas été intégré ;

- dans les autres pays (Chine et Japon en particulier), GSS, à travers l'ancienne structure de Maquet, prend en charge la distribution des produits ALM. Toutefois dans certains pays, des contrats sont maintenus avec les filiales d'Air Liquide Santé (Brésil, Argentine, Tunisie en particulier) ou avec les distributeurs ".

37. M. B... (directeur Europe -hors France et UK-, Afrique et Moyen Orient chez ALM en janvier 2001 et directeur des ventes et marketing chez FHS au moment de son audition), a expliqué, lors de son audition du 22 décembre 2004, que pendant l'année 2001 " il y a eu une analyse des forces et faiblesses de chaque réseau de vente, chez ALM comme chez Maquet ; la priorité a été donnée à l'Europe.

- Belgique : En mars/avril a été dénoncé le contrat avec le distributeur belge pour un transfert au 1er août 2001 des produits ALM à la filiale belge Maquet, pour vendre principalement les éclairages (80 % de part de marché en Belgique). Au 1er Août 2001, il n'y avait plus de promotion commerciale des tables d'opération ALM.

- Espagne : En Espagne le distributeur ALM était Air Liquide Santé (ALS). La relation commerciale a été dénoncée en mai 2001 avec arrêt des activités commerciales le 3l juillet 2001 et date limite de livraison au 30 septembre 2001; les bras de distribution et les éclairages ont été transférés à la Fondation Garcia Munzo, distributeur Maquet. Au 1er Août 2001, il n'y avait plus de promotion commerciale des tables d'opération ALM.

- Angleterre : Les deux sociétés possédaient chacune une filiale, une fusion a été faite entre les deux sociétés avec un partage des postes.

- Italie : La filiale Maquet a absorbé le bureau de vente ALM. A partir de juillet 2001 et en fonction des certaines dates contractuelles les relations commerciales avec des distributeurs régionaux, ont été rompues pour transférer les produits ALM aux agents ou distributeurs régionaux Maquet. Seuls deux agents ALM ont été conservés au profit des produits Maquet pour les tables d'opérations et ALM pour les éclairages et bras de distribution.

Il y a eu également la préparation pour la mise en place de la nouvelle organisation internationale, c'est-à-dire la gestion commerciale des distributeurs Maquet ou ALM depuis Rastatt (Siège de Maquet Allemagne), dirigés par M. Thomas E... sous les ordres de M. Z... Membre du Managing Board " (Cotes 1185 à 1787).

38. A contrario, ALM est devenu le distributeur de l'ensemble des produits du groupe Getinge en France. Les tables d'opération de marque Maquet et ALM sont donc vendues en France par des représentants appartenant à la structure ALM, au moyen de la fusion des équipes commerciales d'ALM et de Maquet. Les documents du séminaire SuSy France 2002 contiennent un chapitre "Human Resource" indiquant que les forces de ventes de Maquet et d'ALM pour la France se chiffraient à 16 personnes dont 11 ex-ALM et 5 Maquet (Cotes 1793 à 1822 et 1957 à 1970).

39. Le document "Analysis of Susy France - Integration of Maquet in Ardon - M. X... - 11/2001", fourni lors du "Séminaire d'information et de formation de la gamme SuSy", indique (Cotes 1793 à 1822 et 1957 à 1970 - traduction par la rapporteure) :

" - Synthèse du plan initial :

Les services techniques d'ALM et de Maquet ne feront qu'un le 1er janvier 2002.

Le service commercial d'ALM assistera le service commercial de Maquet dès que possible.

Les services commerciaux d'ALM et de Maquet ne feront qu'un à la date de séparation de l'activité tables d'ALM (estimée à avril 2002)...

- Stratégie pour les services commerciaux :

Points positifs : G3 nous donne l'opportunité de commencer à aider Maquet à participer à des appels d'offres et de proposer des devis simples.

Difficultés : former deux ou trois assistants à Ardon (2 jours avec Blandine à Ardon) / Relations entre M. C... et l'équipe d'Ardon.

Demandes : donner à ALM la possibilité de participer aux appels d'offres et aux offres commerciales où participe Maquet par le biais d'Ardon en décembre / que Blandine fasse le transfert du carnet de commande en janvier / former un assistant d'ALM à l'utilisation de la liste des prix de Maquet (Ch. 20...).

Objectifs : tous les appels d'offres et toutes les offres commerciales sont faites à Ardon le 1er janvier 2002 même si la situation commerciale n'a pas changé...

- Analyse des équipes du service commercial : [...]

- L'analyse SWOT :

Deux forces de vente maintenues

Faiblesses :

Confusion des clients avec ou sans Maquet ?

La structure Maquet n'est pas suffisamment dynamique pour maintenir les parts de marché.

Forces :

Montrer à l'autorité antitrust que nous voulons maintenir une concurrence forte entre ALM et Maquet ?

Menaces :

Aider Trumpf à avoir plus de succès pour les gros appels d'offres par manque d'activité de la force de vente de Maquet.

Les clients veulent une clarification de cette situation (ils ne veulent pas voir la même situation que celle qui s'est produite pour la stérilisation de Getinge) autrement ils s'adresseront à une autre société.

Pousser certains bons représentants ALM et Maquet à quitter l'équipe avant de promouvoir les produits Maquet.

Opportunités :

Une seule force de vente en janvier 2002

Faiblesses :

Prouver à l'autorité antitrust que nous gérons les intérêts des deux activités tables.

Perdre une partie du transfert des parts de marché ALM.

Faire ce changement en urgence.

Forces :

Clarifier la situation du point de vue des clients..

Mieux répondre avec ALM et Maquet.

Augmenter l'activité commerciale en faisant une promotion commune des produits Maquet et ALM.

Préparer le carnet de commande de la fin 2002 avec Maquet.

Menaces :

Opportunités :

Devenir à nouveau concurrentiel dans le transfert avec Maquet.

Pousser les représentants commerciaux ALM et Maquet à choisir s'ils veulent travailler pour SuSy France.

Protéger les clients de Maquet (22 % du marché).

Avoir une synergie immédiate avec les services techniques et promouvoir les contrats de manière plus facile.

Répondre de manière commune aux départements Achats de gros groupes d'investissement.

Former l'équipe commerciale d'ALM aux produits Maquet avant d'arrêter les tables ALM.

Savoir rapidement la réaction du marché français sur les produits Maquet.

. Conclusions - recommandations :

Après analyse de chacune des situations, je suggère d'avoir une unique force de vente en janvier 2002.

Les équipes commerciales d'ALM et de Maquet seront fusionnées le 15 janvier 2002 à Ardon ".

40. Une télécopie transmise par Mme D... (Maquet) au CHU de Grenoble le 6 décembre 2004 indique (Cote 2005) : " à compter du 1er janvier 2002, la Société ALM a été mandatée par le groupe Getinge afin d'assurer la promotion, la distribution et le service après-vente des l'ensemble des produits de la gamme Maquet (cf. fax ci-joint) ". Ce document joint signé par M. Z... et M. E... (Maquet) est intitulé "Pour information à qui de droit" et est daté du 24 janvier 2002. Il informe : " Par la présente nous, société MAQUET GmbH & Co KG sise à Rastatt (Allemagne), certifions que la société ALM SA sise à Ardon (France) est autorisée à faire la promotion, distribuer et assurer le service après-vente de l'ensemble des produits de la gamme MAQUET (Tables, accessoires et mobiliers associés. VARIOP).Cette autorisation prend effet à partir du 1er janvier 2002 et est valable sur l'ensemble du territoire français " (Cote 2006).

41. Selon les représentants de la société Maquet SA, auditionnés le 22 avril 2009, M. Z... était le vice-président marketing et vente de Maquet, alors que M. E... était le directeur de l'International Business Unit de Maquet. Ils précisent que " [c]e document a été transmis parce que l'hôpital d'Amiens nous avait informés qu'il n'avait pas de document officiel sur le fait que ALM distribuait les produits Maquet. A la demande d'ALM France, nous avons demandé aux dirigeants allemands de Maquet de bien vouloir nous adresser un courrier que nous puissions transmettre à tous nos clients français afin de les rassurer sur la maintenance et la vente des produits Maquet. De manière générale, ce document était très orienté SAV au départ, car ALM faisait le SAV de Maquet en tout début d'année 2002 " (Cotes 6218 à 6234).

42. Ces représentants indiquent également que la fusion des équipes commerciales de Maquet et d'ALM est intervenue le 1er mars 2002 : " Le 1er mars 2002, 90 % des équipes de ventes ont été fusionnées. Il y a eu une réunion le 20 février 2002 pour organiser en pratique la fusion ". S'agissant des motifs de cette fusion des équipes commerciales de Maquet et d'ALM, ils soulignent que " le 1er mars 2002, il y avait deux équipes commerciales distinctes : une ALM composée de 11 responsables commerciaux (RC) et deux chefs des ventes ; une Maquet composée de 6 commerciaux dont un faisait office de coordinateur (Monsieur F...) jusqu'en mars 2002. Après le 1er octobre 2001, suite à la démission de Monsieur G..., M. Luc H... a pris la succession de M. G... dans l'intérim. [...] Après la démission du directeur général de Maquet France (M. G...), un climat instable s'est installé avec le risque de perdre du personnel (commercial, administratif et technicien) ". En conséquence, " Les raisons de cette fusion étaient de retenir les commerciaux et les techniciens d'ALM et de Maquet qui craignaient de ne pas être repris. [...] Il y a eu fusion des équipes commerciales, mais dans un but de sauvegarde des emplois, tant chez Maquet que chez ALM. ALM et Maquet ont fusionné avec une intégration complète de tous les salariés de ces équipes qui le souhaitaient. Cette fusion était donc nécessaire pour éviter à l'activité de péricliter. ALM n'avait pas de choix, sinon, les personnes quittaient l'organisation ". Ils ajoutent que " suite aux réorganisations au sein du groupe Getinge, la règle était que la commercialisation des tables d'opération se faisait depuis Ardon pour la France. Pour l'international, dans 20 pays où Maquet dispose d'une filiale, la commercialisation se fait directement par la filiale. Pour le reste du monde, la commercialisation est faite par Maquet GMBH (Rastatt) - International Business Unit ".

b) Le repositionnement tarifaire

43. L'intégration d'ALM au groupe Getinge s'est également traduite par une augmentation des prix des produits des marques ALM et Maquet en 2001 et 2002 et par une politique de réduction des remises.

44. En effet, aux termes d'une lettre adressée par M. I... (directeur général d'ALM) à M. J... (président directeur général de FHS) le 13 novembre 2002 : " En 2001, le prix de vente unitaire moyen des tables (tables + pièces détachées) a été d'environ 27 000 euro. A la fin de l'année 2002, sur la même base, le prix de vente moyen d'une table est d'environ 33 600euro (s'explique par l'augmentation de tarif courant 2001, une politique de remises plus stricte et en ligne avec les objectifs de rentabilité du groupe Getinge, effet mix-produit)... " (Cotes 113 à 118).

45. Dans une lettre du 10 novembre 2006 de Maquet à la DGCCRF, M. I... indiquait, sur les prix des produits ALM et Maquet : (Cotes 355 à 898)

" Nous vous précisons, ci-dessous, le taux d'évolution :

- Tarif ALM SA - Tables de marque ALM

Année 2000 à 2001 = + 5%

Année 2001 à 2002 = + 0%

- Tarif Maquet - Tables de marque Maquet

Année 2000 à 2001 = + 5%

Année 2001 à 2002 = + 2% (dont frais de transport)

Année 2002 à 2003 = + 3% ".

46. De même, en examinant les taux de remises pratiqués sur tous les contrats de vente ALM et Maquet en 2002, il apparaît que, sur une totalité de 294 contrats de vente, seuls 35 sont affectés d'une remise supérieure à 20 %. (Cotes 355 à 898)

47. Ainsi, comme le souligne la banque Vernes Artesia dans son rapport à la DGCCRF de mars 2002 : " L'évolution comparative de la marge brute sur les tables et les pièces détachées est présentée dans le tableau ci-dessous. On constate que, malgré la baisse du chiffre d'affaires, les marges brutes mensuelles sur les tables sont en nette progression en 2002 par rapport à 2001 " (Cotes 3580 à 3584).

48. Dans son rapport d'octobre 2002, le mandataire souligne que " les marges évoluent favorablement tant sur les tables que sur les pièces détachées grâce à la maîtrise des coûts et à des révisions de tarif à la hausse " (Cotes 3602 à 3605).

2. LES APPELS D'OFFRES

a) Le mode de réponse aux appels d'offres

49. Tout au long de l'année 2002, ALM et Maquet ont répondu de manière séparée aux appels d'offres des établissements de santé français alors qu'elles appartenaient au même groupe et que leurs équipes commerciales avaient été fusionnées. Les établissements concernés sont publics, ALM et Maquet ayant essentiellement répondu à des appels d'offres de centres hospitaliers.

50. En réalité, l'élaboration des prix des soumissions était effectuée au siège d'ALM pour les deux marques et par les mêmes commerciaux, puis les soumissions étaient envoyées de manière séparée aux acheteurs.

51. En effet, Mme Sophie D... (coordinatrice du service clients de la société Maquet en 2002 et toujours salariée de cette société au moment de son audition) a expliqué lors de son audition du 5 octobre 2006 : " En octobre 2001, j'ai été nommée coordinatrice service clients pour la France. Dans le cadre de ces dernières fonctions, j'étais placée sous l'autorité de M. Frédéric X... qui me donnait mes directives de travail. En tant que coordinatrice, j'avais sous ma responsabilité un pool de huit assistantes commerciales. Cette organisation est toujours en vigueur aujourd'hui.

L'équipe dont j'assume la responsabilité est chargée du suivi administratif de l'ensemble des contrats de vente pour le secteur public et privé en France. Ce suivi administratif consiste pour les marchés privés et publics en la réception des offres commerciales, leur validation, la prise de commande, la logistique et la livraison.

S'agissant des marchés publics passés par appel d'offres, nous demandons les dossiers à la collectivité puis nous les communiquons aux commerciaux pour qu'ils rédigent les offres, nous mettons en forme les dossiers et les faisons signer avant de les adresser à l'acheteur. Jusqu'à la fin de l'année 2001, ce travail concernait les produits de marque ALM.

En début de l'année 2002, le siège allemand de la société Maquet a officialisé la distribution des produits Maquet par la société ALM et, par suite a décidé de fermer progressivement son bureau de vente pour la France dont l'adresse postale était situé à Strasbourg et de me confier le suivi administratif des contrats de vente Maquet en plus des contrats ALM. Mme K... Blandine assurait ce travail chez Maquet France à Rastatt et j'ai repris ses dossiers. A partir d'octobre 2001, nous avons commencé avec Mme K... à préparer la passation des dossiers. Je me suis rendue pour cela à plusieurs reprises à Rastatt en 2002.

En mars 2002, ce transfert de dossiers était achevé et conformément aux instructions qui m'ont été données, nous répondions systématiquement en double, c'est-à-dire une offre au nom de Maquet et une offre au nom d'ALM à tous les clients conformément aux instructions qui nous ont été données et qui consistaient à assurer la distribution des deux marques de manière équitable.

Concrètement, lorsqu'une collectivité lançait un appel d'offres, nous faisions deux demandes de dossiers, l'une au nom de la société ALM et l'autre au nom de la société Maquet. Ces dossiers étaient ensuite confiés à un même commercial qui était chargé de rédiger à la fois l'offre pour Maquet et l'offre pour ALM, ces offres, et notamment leur montant, étaient établies suivant les instructions de M. X.... Les signataires des offres étaient différents parce que nous étions deux entités juridiques différentes. Pour Maquet, ces signataires étaient titulaires d'un pouvoir donné par le Directeur Général de Maquet France, M. Luc H.... Il s'agissait généralement de MM. L..., M... et N... pour Maquet. Pour la mise en forme des pièces du marché, j'étais tenue d'avoir en ma possession un tampon de la société Maquet qui m'a été fourni par M. Luc H...... " (Cotes 1788 à 1792).

52. A cet égard, deux télécopies émanant de Mme Sophie D... à destination de M. Luc H... (ancien directeur général de Maquet France) ont été saisis au sein de la société Architel concernant une demande urgente d'envoi de tampons "Maquet" à Ardon : " En confirmation de mon message sur votre téléphone portable, merci de nous envoyer par DHL, si possible, un tampon de la société Maquet pour apposer sur les doc adim " (Cotes 1115 à 1118 et 3107). De même, un courrier électronique de Mme D... à Mme O... (Maquet Belgique) daté du 11 mars 2002 indique : " Merci de bien vouloir transmettre ce message à Mr H... afin que nous puissions avoir des pouvoirs de signature pour répondre aux appels d'offres (nous n'avons plus qu'un seul pouvoir en notre possession !).

Le texte du pouvoir sera identique à celui du 25 janvier 2002, excepté pour le nom du destinataire du pouvoir ; il faut remplacer "Dominique I..." par :

- une dizaine de pouvoirs au nom de "Manuel M...", Secrétaire Général

- une dizaine de pouvoirs au nom de "Alain L...", Directeur Financier

Je compte sur vous pour recevoir ces pouvoirs par courrier express très rapidement "

(Cotes 1119 à 1121 et 1942).

Un courrier électronique de Mme D... à Mme O... (Maquet Belgique) daté du 2 avril 2002 indique : " une nouvelle fois, je vous remercie de bien vouloir nous transmettre des pouvoirs pour la signature des appels d'offres Maquet. Malheureusement, les derniers qui ont été signés par Mr H... (à Rastatt) ne peuvent pas être transmis au client étant donné que le nom de la société ALM apparaît dans le titre de la personne désignée pour le pouvoir et d'après Mr M..., ceci n'est pas valable... C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir réaliser à nouveau une dizaine de pouvoirs pour chacun des destinataires suivant avec le texte ci-dessous défini : "Je soussigné, Luc H..., directeur de la société Maquet France, donne pouvoir à Monsieur Manuel M..., pour signer toutes les pièces nécessaires à la composition des dossiers d'appels d'offres. Fait à Strasbourg, le 25 février 2002 (date à conserver)" ". (Cote 2102)

53. De même, M. B... (directeur Europe -hors France et UK-, Afrique et Moyen Orient chez ALM en janvier 2001 et directeur des ventes et marketing chez FHS au moment de son audition) a indiqué lors de son audition du 22 décembre 2004 que, " Pour le marché français (mon bureau "open" était sur la plate forme France), les appels d'offres étaient préparés en deux versions, une offre en produits table d'opération ALM signée par une personne habilitée à signer ce type d'engagement, et une deuxième offre en produits table d'opération Maquet signée par une personne de la société ALM ayant reçu un pouvoir. En fin d'année, pour certains appels d'offres la société ALM ne répondait plus en produits table d'opération ALM, uniquement en produits table d'opération Maquet (exemple CHRU de Bordeaux) ". (Cotes 1185 à 1787)

54. Cela est aussi confirmé par M. P... (responsable commercial chargé de la région Nord chez ALM en 2001 et toujours en activité chez Maquet au moment de son audition) lors de son audition du 18 octobre 2006 : " Je suis placé sous l'autorité de Christophe F... chef des ventes depuis janvier 2002, c'est-à-dire depuis la fusion des deux réseaux commerciaux ALM et Maquet. M. Christophe F... est lui même placé sous l'autorité directe de M. Frédéric X....

En janvier 2002, j'ai suivi le séminaire commercial consacré à la fusion des deux réseaux. Les commerciaux d'ALM dont je faisais partie ont été formés aux produits Maquet et inversement. La structure de vente de Maquet SA était toutefois composée essentiellement de commerciaux multicartes dont la plupart n'ont pas souhaité être intégrés en tant que salariés par la nouvelle société...

Jusqu'en décembre 2001, je n'ai étudié et émis des propositions commerciales que pour les seuls produits ALM. Les produits Maquet étaient représentés par M. Philippe Q..., VRP multicartes.

A compter de janvier 2002, j'ai expliqué à mes clients le plus clairement possible que je distribuais les deux marques ALM et Maquet. Conformément aux instructions reçues de MM. X... et F..., j'ai systématiquement proposé à la clientèle une offre pour les produits ALM et une offre pour les produits Maquet. Lorsqu'il s'agissait d'un appel d'offres, j'établissais un devis pour chaque marque que j'adressais ensuite à Ardon pour la mise en forme des dossiers et la remise à l'établissement hospitalier d'une offre ALM et d'une offre Maquet. J'établissais les devis pour ALM et Maquet à partir du même logiciel et généralement j'appliquais la même remise par rapport aux deux tarifs " (Cotes 1835 à 1839).

55. De même, M. Jean-François R... (responsable commercial pour certains départements de l'Est de la France chez Maquet en 2002, toujours en poste au moment de son audition) a indiqué lors de son audition du 12 octobre 2002 : " Je suis placé sous l'autorité d'un chef des ventes qui couvre la moitié Est de la France et qui est lui même placé sous l'autorité directe de M. Frédéric X......

Lorsqu'un appel d'offres est lancé, je procède à une visite du client, à une définition la plus précise possible de ses besoins ...

En 2002, je me présentais en tant qu'ALM SA avec un éventail de produits qui comprenait à la fois les tables ALM et les tables Maquet et les produits annexes des deux marques... Pour les tables, j'avais pour instruction de proposer deux devis, un devis Maquet et un devis ALM. Ces deux devis étaient établis à l'aide du même logiciel...

Je n'ai jamais reçu en 2002 d'instructions explicites pour favoriser la marque Maquet aux dépens d'ALM, mais de fait, dans ma zone géographique Maquet a toujours été dominant par rapport à ALM...

La situation transitoire des tables ALM était connue des ingénieurs biomédicaux qui savaient parfaitement que nous devions nous séparer de cette activité. Cela induisait une situation d'incertitude quant à la pérennité d'ALM chez les acheteurs, situation qui a pu favoriser Maquet " (Cotes 1840 à 1844).

b) Les appels d'offres concernés

56. Selon les données issues des parties (Cotes 1845 à 1850 et 6128 à 6129), ALM et Maquet ont répondu, ensemble ou séparément, à 65 appels d'offres en 2002 (respectivement 58 et 52 selon le tableau fourni par Maquet à la DGCCRF - Cotes 1845 à 1850). Selon les représentants de Maquet SA, " la directive était que chacune des deux sociétés devait répondre à tous les appels d'offres. En conséquence, pour tous les appels d'offre "ouverts" les deux sociétés soumissionnaient. Il peut arriver que les établissements hospitaliers aient fait des appels d'offres "restreints" où une seule des deux sociétés était invitée à soumissionner " (Cotes 6218 à 6234).

57. Pour les 42 appels d'offres suivants, ALM et Maquet ont toutes deux répondu par des soumissions séparées : (Cotes 1845 à 1850, 6128 à 6129 et 4351 à 6069)

<emplacement tableau>

58. Selon le tableau précédent, 22 appels d'offres ont été remportés par Maquet (dont trois conjointement avec ALM et un conjointement avec Trumpf), 9 par ALM (dont trois conjointement avec Maquet), 8 par Trumpf (dont un conjointement avec Maquet), 1 par OPT et 5 appels d'offres ont été déclarés infructueux. Pour les 42 appels d'offres précédents, pour lesquels ALM et Maquet ont toutes deux soumissionné, Maquet a vendu 71 tables d'opération alors qu'ALM n'en a vendu que 10 (n'ont pas été comptabilisés les appels d'offres pour lesquels ALM et Maquet ont conjointement remporté le marché. Il s'agit des appels d'offres du centre hospitalier de Cochin (n° 3), du centre hospitalier de Montpellier (n° 6) et du centre hospitalier de Nancy (n° 22)).

59. Les établissements de santé concernés par ces mises en concurrence sont des hôpitaux publics à l'exception de l'AHNAC dont la représentante a précisé : " Bien que l'AHNAC ne soit pas soumis au Code des marchés publics, je suis le principe de la procédure dudit Code " (Cotes 907 à 956). Le tableau précédent montre également que les offres retenues par les établissements de santé sont loin d'être toujours les moins-disantes, les offres d'ALM étant dans la plupart des cas moins élevées que celles de Maquet.

60. Selon un tableau issu des parties, la répartition des ventes totales de tables d'opération en France en 2002 entre ALM et Maquet a été la suivante : (Cote 6130)

<emplacement tableau>

61. Selon ce tableau, sur 336 tables vendues par le groupe Getinge en 2002, 161 l'ont été par ALM et 175 par Maquet.

c) Le traitement des appels d'offres par les centres hospitaliers

62. Lors de leur audition du 22 avril 2009, les représentants de la société Maquet ont soutenu qu'" en 2002, concernant la représentation de la société et de ses produits auprès de ses clients, M. X... avait donné des instructions très claires aux équipes commerciales afin qu'ils se présentent comme étant le représentant de la société ALM/Maquet, et de bien préciser à nos clients qu'ils représentaient les deux gammes de produits (ALM et Maquet). Concernant les appels d'offres, il n'y a eu aucune incitation à favoriser une marque plutôt que l'autre et le mode de rémunération des vendeurs n'a jamais favorisé une marque par rapport à une autre " (Cotes 6218 à 6234).

63. Ils expliquent que, " concernant Maquet, il était clair qu'elle soumissionnait avec entête Maquet à Strasbourg. Pour ALM, le courrier standard était ALM/Maquet (de mémoire). ALM/Maquet ne pouvait pas répondre à la fois en produit ALM pur et en produit Maquet pur, en offre de base. Il fallait que les hôpitaux reçoivent deux soumissions distinctes afin de ne pas privilégier une marque par rapport à l'autre, conformément aux engagements pris devant le ministre ". Il s'agit selon les parties des engagements souscrits au titre de l'autorisation de la concentration par le ministre de l'Economie.

64. Ils considèrent cependant que " les établissements hospitaliers étaient parfaitement informés que les offres d'ALM et de Maquet étaient préparées par les même commerciaux qui avaient des cartes de visite ALM/Maquet. En 2002, a eu lieu le salon "hôpital expo" (du 21 au 24 mai 2002) où ALM et Maquet avaient un stand unique sur lequel les tables ALM et Maquet étaient exposées. Ce salon est le grand salon français du biomédical où les infirmières, chirurgiens et directeurs biomédicaux se déplacent en nombre. De plus, en septembre 2002, nous avons fait une campagne promotionnelle lors de la SOFCOT pour les tables ALM orthopédie. En 2002, toutes les autres actions publicitaires, directes ou indirectes, étaient faites aux entêtes ALM/Maquet. Notre volonté a été de satisfaire les engagements pris devant le ministre, mais aussi d'être honnête vis-à-vis de nos clients. Il s'agit d'un petit monde où la réputation/confiance est un facteur très important pour la vente des produits, la pérennité d'une société ".

65. Or, force est de constater que, si certains établissements hospitaliers avaient connaissance de l'appartenance de Maquet et d'ALM au même groupe, peu d'entre eux savaient que les offres d'ALM et de Maquet étaient rédigées de concert.

66. Le centre hospitalier universitaire de Lille (Cotes 1072 à 1105) :

Le représentant du CHRU, M. 7..., a déclaré, lors de son audition du 20 février 2006 : " Depuis 2001, les fournisseurs principaux qui répondent en tables médicales et accessoires au CHRU sont ALM en traumatologie, Maquet et Trumph. Dans le cadre d'un marché en 2002, ALM nous a proposé un passe-malades de marque Maquet.

Officiellement, nous savions en 2002 qu'ALM commercialisait du Maquet et qu'ALM bradait son matériel. Pour le marché de mai 2001, nous avons reçu des offres d'ALM et de Maquet à la même date, le 2 mai 2001. L'offre d'ALM était signée de M 8... Daniel. Celle de Maquet était signé de Daniel C...". Les documents annexés à ce procès-verbal d'audition montrent qu'en 2001, soit avant la fusion des équipes commerciales d'ALM et de Maquet et avant l'autorisation de la fusion par le ministre de l'Economie, ALM et Maquet ont répondu séparément à cet appel d'offres par deux dossiers distincts. Le centre hospitalier de Lille n'a cependant pas lancé d'appels d'offres pour des tables d'opération en 2002, mais uniquement pour des passes-malades.

67. L'Association Hospitalière Nord Artois Cliniques (Cotes 907 à 956) :

Le représentant de l'AHNAC, Mme 9... a déclaré, lors de son audition du 21 février 2006 :

" Bien que l'AHNAC ne soit pas soumis au Code des marchés publics, je suis le principe de la procédure dudit Code. En ce qui concerne les tables d'opérations, j'ai lancé une consultation en 2002 pour deux lots (deux tables) auprès d'ALM, Maquet, FHS et AMSA... Les offres d'ALM et de Maquet ont été déposées en même temps par un transporteur. S'agissant de deux offres distinctes (deux actes d'engagement), ces offres ont été analysées séparément ". En pratique, les documents annexés à ce procès-verbal d'audition montrent que, le 20 juin 2002, l'AHNAC a envoyé une lettre de consultation à "ALM/Maquet" à Ardon (Orléans). En réponse à cette demande, ALM et Maquet ont transmis séparément deux dossiers distincts. La réponse à entête d'ALM et produits ALM est datée du 4 juillet 2002 et signée par M. I... (directeur général d'ALM dont le siège social est à Ardon-Orléans). Il est indiqué que l'affaire est suivie par G. P.... La réponse à entête de Maquet et produits Maquet est datée du 3 juillet 2002 et signée par M. H... (directeur général de Maquet France dont le siège social est à Strasbourg). Il est indiqué que l'affaire est suivie par G. P.... Le compte rendu de la consultation tables d'opération de l'AHNAC, dressé le 9 décembre 2002, indique : " Un appel d'offres a été lancé pour le remplacement de deux tables devenues obsolètes, l'une pour la Clinique d'Auchel (lot n° 1) et l'autre pour la Polyclinique de Henin Beaumont (lot n° 2). 2 sociétés ont répondu au lot n° 2 (Polyclinique de Henin Beaumont) de l'appel d'offres : les sociétés ALM/Maquet et Fournitures Hospitalières. 1 seule société a répondu au lot n° 1 (Clinique d'Auchel) de l'appel d'offres : la société ALM/Maquet ".

68. Le centre hospitalier de Libourne (Cotes 5415 à 5444) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres distinctes à l'appel d'offres de novembre 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres. Le représentant du CHU précise : " nous étions informés de la reprise d'ALM par Maquet, les deux entreprises étant représentées par le même interlocuteur, et les devis joints aux actes d'engagement portant la référence ALM/Maquet ". Il apparaît effectivement que les offres en produits ALM et Maquet sont à entête "ALM/Maquet" et sont toutes deux suivies par le même commercial, Pierre Frachon. Elles sont en revanche signées par deux personnes différentes. Par ailleurs, la réponse en produits Maquet annexée est datée du 30 janvier 2003, c'est-à-dire après la décision d'agrément du repreneur de l'activité tables d'opération d'ALM du 31 décembre 2002. La réponse à l'appel d'offres se situe donc en dehors du champ des griefs notifiés.

69. Le centre hospitalier de Verdun (Cotes 4522 à 4560) :

Ce centre hospitalier ayant connaissance de l'appartenance d'ALM et de Maquet au même groupe, il a envoyé un seul dossier de consultation pour les deux sociétés au moment du lancement de l'appel d'offres portant sur des tables d'opération et sur des éclairages opératoires. Si seule Maquet a répondu à l'appel d'offres, en produits ALM, pour les éclairages opératoires, ALM et Maquet ont présenté deux offres distinctes pour les tables d'opération. Les deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres. Le représentant du centre hospitalier indique que : " les sociétés ALM et Maquet ne nous ont informés de leur rapprochement qu'après notification du marché ", c'est-à-dire après que Maquet a remporté l'appel d'offres.

Le rapport d'analyse des offres du 26 novembre 2002 montre que le centre hospitalier a analysé séparément les deux offres. Il y est souligné que " la société Maquet fait partie du groupe Getinge qui a racheté récemment la division tables d'opération et éclairage d'ALM. Les lois européennes anti-monopole obligent Getinge à revendre la partie tables ALM. Cette cession est en cours mais le repreneur n'est pas officiellement connu. Durant cette transition Maquet propose des tables ALM et des tables Maquet ". Après que Maquet a remporté l'appel d'offres, un courrier d'ALM au centre hospitalier du 19 décembre 2002 et un avenant au marché daté du 24 janvier 2003 indiquent que " le suivi de la livraison, l'installation, la mise en service et la maintenance de l'offre Maquet seront assurés par la société ALM SA, la société Maquet ayant confié l'exclusivité de la distribution de ses produits à ALM SA pour le territoire français ".

70. Le centre hospitalier de Draguignan (Cotes 5360 à 5414) :

Les sociétés ALM et Maquet ont retiré toutes deux le dossier de consultation et ont répondu séparément à l'appel d'offres de décembre 2002. Le représentant du centre hospitalier a indiqué que, le 8 janvier 2003, c'est-à-dire après la décision d'agrément par le ministre de l'Economie du repreneur de l'activité tables d'opération d'ALM, " le centre hospitalier a été informé du rachat par Fournitures Hospitalières de l'activité de fabrication et de distribution des tables opératoires ALM. Par suite, durant le déroulement de la procédure jusqu'au choix du titulaire, l'établissement était en relation avec le laboratoire Fournitures Hospitalières ". En effet, le 8 janvier 2003, FHS informait le centre hospitalier : " J'ai le grand plaisir de vous annoncer que notre groupe Fournitures Hospitalières SA, créé par mon père André J... en 1964, vient d'acquérir le 3l décembre 2002 l'activité de fabrication et de distribution des tables d'opération ALM, aussi bien en France qu'à l'étranger ".

71. Le centre hospitalier Jean Leclaire de Sarlat (Cotes 4460 à 4519) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres distinctes à l'appel d'offres de mars 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres les 3 et 8 avril 2002. Le représentant du centre hospitalier indique que, " d'après les documents en notre possession, il apparaît que les deux sociétés appartenaient au même groupe Getinge ". Le dossier du centre hospitalier contient une délégation de pouvoir de M. H... (Maquet) à M. I... (ALM) daté du 25 janvier 2002 et un document intitulé "Pour information à qui de droit" daté du 24 janvier 2002 et indiquant que " par la présente nous, société Maquet GmbH & Co KG sise à Rastatt (Allemagne), certifions que la société ALM SA sise à Ardon (France) est autorisée à faire la promotion, distribuer et assurer le service après-vente de l'ensemble des produits de la gamme Maquet (Tables, accessoires et mobilier associé Variop). Cette autorisation prend effet à partir du 01 janvier 2002 et est valable sur l'ensemble du territoire français ". Cependant, la date de transmission de ces documents au centre hospitalier n'est pas connue.

72. Le centre hospitalier universitaire de Montpellier (Cotes 5549 à 5554 et 5883 à 6069) : Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres distinctes à l'appel d'offres de février 2002 : ALM pour les lots 1 à 7, 9 et 10, et Maquet pour les lots 1 à 6 et 9 et 10. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres, le 18 juin 2002. Le représentant du CHU de Montpellier mentionne que " Nous avons été informés fin 2001 d'un projet d'appartenance au même groupe par publication au journal officiel du 23 octobre 2001 de la lettre du ministre de l'Economie au conseil de la société Getinge, mais les réponses à l'appel d'offres ont été séparées ". Les actes d'engagement des sociétés ALM et Maquet sont respectivement datés des 18 et 21 février 2008 et signés par les représentants de chacune des sociétés. Par ailleurs, la réponse d'ALM au centre hospitalier de Montpellier a été retrouvée. Cette réponse à entête d'ALM est datée du 1er mars 2002 et signée par M. I... (directeur général d'ALM) (Cotes 2632 à 2673). Un courrier électronique daté du 17 juin 2002 de Mme D... à C. T... (commercial ALM/Maquet) indique : " je t'adresse ci-joint le récapitulatif de l'AO de Montpellier en produits ALM & Maquet avec les montants, au vu des devis réalisés " (Cotes 2674 et 2675). Dans le tableau annexé figurent, pour les lots 1 à 8, le montant des offres ALM et celui des offres Maquet. Le montant total de la soumission d'ALM est de 1 216 865 euro alors que celle de Maquet atteint un montant de 1 364 251 euro. ALM a finalement été retenue pour 7 tables d'opération pour un montant de 403 649 euro et Maquet a été retenue pour 12 tables d'opération pour un montant de 915 310 euro.

73. Le centre hospitalier universitaire de Nancy (Cotes 4761 à 4829) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres séparées à l'appel d'offres de mai 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier qui a répondu à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres le 15 novembre 2009 et à ALM/Maquet le 23 décembre 2002. Le représentant du CHU précise que " les actes d'engagement des marchés attribués à ALM mentionnent une adresse professionnelle à ALM/Maquet et, d'autre part, que le marché attribué à Maquet est signé par M. Manuel M..., secrétaire général de la société ALM ". Il indique par ailleurs, s'agissant des informations relatives à l'appartenance de Maquet et d'ALM à un même groupe et/ou de la rédaction de concert des appels d'offres que " nous ne disposons d'aucun écrit explicite émanant de l'une ou l'autre des sociétés, pour nous donner des informations en ce sens ".

74. L'hôpital Cochin (Cotes 3123 à 3385) :

Les actes d'engagement de la société Maquet datés du 2 janvier 2002 sont signés par M. H... (directeur général de Maquet France) p/o M. I... (directeur général d'ALM). Un courrier électronique de Vincent 10... d'APHP à Chantal 11... d'ALM du 4 décembre 2002 indique : " Comme convenu ce jour par téléphone :

1 °) Marchés attribués à ALM

n° 02 5313 AE : Robert Debré (lot n°6) pour un montant de :

- tranche ferme : 13 171,01 euro

- tranche conditionnelle : 11 929,38 euro

n° 02 5314 AE : Cochin St Vincent de Paul (lot n°5) pour un montant de

- tranche ferme : 43 906,95 euro

- tranche conditionnelle : 27 161,19 euro

n° 02 5315 AE : Cochin St Vincent de Paul (lot n°4) pour un montant de

- tranche ferme : 83 990,18 euro

- tranche conditionnelle n° l : 39 539,55 euro

- tranche conditionnelle n° 2 : 38 420,11 euro

n° 02 5316 AE : Cochin St Vincent de Paul (lot n°3) pour un montant de

- tranche ferme : 25 217,93 euro

- tranche conditionnelle : 24 397,45 euro

2°) Marchés attribués à Maquet

- n° 02 5320 AE ; St Antoine (lot n°8) pour un montant de 37 266,99 euro

- n° 02 5321 AE : H. Mondor (lot n°10) pour un montant de 111 402,72 euro

- il 02 5322 AE : Beaujon (lot n° 1) pour un montant de 74 450,15 euro

On espère une notification lundi 9 décembre " (Cotes 3249 à 3250).

75. L'UGAP (Cotes 5094 à 5113) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres séparées à l'appel d'offres de mars 2002. Si la réponse d'ALM mentionne que cette société appartient au groupe Getinge, cette mention ne figure pas sur la réponse de Maquet. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres le 11 juillet 2002. L'offre d'ALM a été jugée non conforme aux spécifications du cahier des clauses techniques particulières parce que certains accessoires obligatoires avaient été omis. Le représentant de l'UGAP indique que " aucune société n'a notifié à l'UGAP son appartenance à un même groupe. Toutefois, le projet d'un rachat de la société ALM par le groupe Getinge circulait au sein de la profession et les acheteurs spécialisés de l'UGAP l'avaient su ".

76. L'hôpital Saint Vincent dépendant du GHIC de Lille (Cotes 1125 à 1184) :

Le représentant du GHIC, M. 12..., a déclaré, lors de son audition du 28 février 2006 : " Le Groupe Hospitalier de l'Institut de Lille comprend l'Hôpital Saint Philibert à Lomme, et la maternité et l'hôpital Saint Vincent de Paul à Lille. Pour l'hôpital Saint Vincent de Paul à Lille, une consultation de droit privé à caractère restreint a été lancée début 2002... La consultation a été menée par la SARL d'ingénierie et hospitalière BEEM à Guyancourt (78). Au niveau de cette consultation, il y a eu quatre réponses émanant de Maquet, ALM, AMSA (table Trumpf), et CMIM. Les négociations se sont poursuivies avec Maquet, ALM et AMSA. Le choix a été déterminé en fonction des besoins exprimés par les chirurgiens et le personnel des blocs ". Les documents annexés à ce procès-verbal d'audition montrent qu'ALM et Maquet ont répondu à cet appel d'offres de juillet 2002 par deux dossiers distincts pour chacune des gammes ALM et Maquet mais tous deux à entête ALM/Maquet et à la signature de Frédéric X... (directeur de vente France d'ALM). La réponse relative aux produits Maquet est datée du 21 mars 2002 alors que celle relative aux tables ALM est du 15 mars 2002.

77. Le centre hospitalier de Brest (Cotes 4430 à 4459) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres distinctes à l'appel d'offres d'avril 2002, mais dans un même colis. Les deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier, qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres. Le représentant du centre hospitalier indique que l'appartenance d'ALM et Maquet à un même groupe " nous avait été communiquée par le représentant commercial de la région Ouest qui distribuait les produits Maquet et qui, du fait du rapprochement de ces deux sociétés, a été amené à représenter également les matériels ALM. Ceci nous a été évidemment confirmé à la réception des deux offres contenues dans un même colis ".

78. Le centre hospitalier universitaire de Nantes (Cotes 5061 à 5093) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres distinctes à l'appel d'offres de février 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier, qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres. Le représentant du CHU indique que " par courrier nous avons été informés courant 2002 de la commercialisation des produits Maquet par la société ALM ". En effet, après que Maquet a remporté l'appel d'offres, deux lettres de la société ALM au CHU datées du 31 juillet et 1er août 2002 mentionnent : " nous vous remercions du fax d'intention de commande de ce jour et vous confirmons que l'offre rédigée par la société Maquet pour la partie tables opératoires (lot n° 3) sera suivie par la société ALM SA. L'ensemble de la commercialisation des produits Maquet sur le territoire français a été repris par la société ALM, faisant partie du groupe ALM-Maquet-Getinge " et, " nous vous confirmons par la présente que l'ensemble des produits Maquet est commercialisé depuis le 1er avril 2002 par la société ALM ". Lors de son audition avec l'inspecteur de la DGCCRF le 7 novembre 2006, M. 13... avait déclaré : " En ce qui concerne l'achat de la société Air Liquide Médical (ALM) par le groupe Getinge (janvier 2001) et plus particulièrement sa prise en main par leur filiale Maquet, j'ai, dès début 2001, été mis au courant par Mr V.... Cette personne qui était auparavant délégué commercial d'ALM, m'a indiqué dès l'année 2001, qu'elle ne me proposerait désormais que des produits Maquet, car il savait que la gamme ALM risquait d'être abandonnée par le groupe Getinge. Dans les faits, cela a été confirmé, puisque, depuis le début de l'année 2001, je n'ai officiellement jamais reçu de proposition ALM aux appels d'offres ; la société Maquet a toujours répondu en produits Maquet " (Cotes 49 à 53).

79. L'hôpital d'instruction des armées de Metz dépendant de la DAEC d'Orléans (Cotes 5122 à 5245) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres distinctes à l'appel d'offres d'avril puis de septembre 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier, qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres le 13 novembre 2002. Le représentant de la DAEC indique : " à cette époque, nous avions connaissance que la société Maquet avait racheté la société ALM mais sous conditions de la Commission européenne. En revanche, nous ne savions pas que les réponses étaient faites de concert ". Dans un procès-verbal de déclaration faite auprès des agents de la DGCCRF le 5 décembre 2003, un représentant de la DAEC avait expliqué qu'un premier appel d'offres, déclaré infructueux, avait été lancé en juin 2002, suivi d'un second appel d'offres en septembre 2002 : " les experts de la commission consultative avaient émis un avis favorable sur l'aspect technique de l'offre de Maquet mais le niveau financier de l'offre Maquet (très élevé) nous a conduits à rendre l'appel d'offres infructueux, et, suite à cette négociation, ALM a baissé ses prix, ainsi que Maquet qui est passé de 20 à 25 %. Cet effort financier effectué par Maquet a permis de contracter avec cette dernière. A ma connaissance, pour ce marché, Maquet et ALM ont joué un jeu de concurrence normale ". Le rapport de présentation des offres établi le 13 novembre 2002 indique à propos d'ALM : " Pas d'information sur le devenir de la société. Le repreneur n'est toujours pas connu ".

80. La Société de Secours Minière de Moselle Est (SSM) (Cotes 5532 à 5548) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres distinctes à l'appel d'offres de juillet 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier, qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres. Les pièces du dossier montrent en effet qu'ALM et Maquet ont répondu séparément à cet appel d'offres par deux dossiers distincts (Cotes 2961 à 2995) : la réponse en produits ALM, à entête "ALM/Maquet", est datée du 15 juillet 2002 et signée par M. I... (directeur général d'ALM). Il est indiqué que l'affaire est suivie par M. 14.... La réponse à entête de Maquet en produits Maquet est datée du 12 juillet 2002 et signée par M. H... (directeur général de Maquet France) "p/o M. L..." (directeur financier d'ALM). Il est indiqué que l'affaire est suivie par M. 14.... Un courrier électronique de Mme D... à Mme 15... du 9 juillet 2002 indique : " j'ai intégré les deux devis dans la base pour freyming : n° 1320 (Maquet) et n° 1321 (ALM) ". En réponse, la SSM a adressé le 15 novembre 2002 à ALM et à Maquet une lettre les informant individuellement que leur offre n'avait pas été retenue (Cotes 309 à 306 et 2961 et 2971). La lettre pour Maquet est envoyée à Strasbourg (5 rue Gustave Him 67000 Strasbourg) alors que celle pour ALM est envoyée à Ardon (Parc de la Limière 45074 Orléans Cedex 2).

81. Le centre hospitalier Sainte-Anne (Cotes 5810 à 5811) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres distinctes à l'appel d'offres de mars 2002. Les deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier, qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres. Le représentant du centre hospitalier indique " la seule information dont nous avons eu connaissance, en fin de consultation, est que ces sociétés appartenaient au même groupe ".

82. Le centre hospitalier d'Auch (Cotes 4566 à 4592) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres distinctes à l'appel d'offres de janvier 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier, qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres, même si la réponse du centre hospitalier à Maquet est adressée à ALM/Maquet. En effet, l'acte d'engagement d'ALM en produits ALM est daté du 27 décembre 2001 et signée par M. 16... (directeur général d'ALM). L'acte d'engagement à entête de Maquet en produits Maquet est daté du 26 décembre 2001 et signée par M. H... (directeur général de Maquet France). En réponse, le centre hospitalier d'Auch a adressé le 12 avril 2002 une lettre informant ALM que son offre était retenue et le 16 avril 2002 une lettre informant Maquet que son offre n'avait pas été retenue.

83. Les hospices civils de Lyon (Cotes 4618 à 4707) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres distinctes à l'appel d'offres de mars 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier, qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres. ALM a été écartée pour tous les lots pour absence d'essais (exigés dans le cahier des charges). La société Maquet a été retenue pour trois des quatre lots. Le représentant des hospices civils de Lyon indique que " le marché signé avec Maquet a été transféré à la société ALM, Maquet ayant confié l'exclusivité de la distribution des ses produits en France à ALM ". En effet, le 14 juin 2002 les hospices civils de Lyon ont attribué l'appel d'offres à Maquet et le 28 juin 2002 ils ont informé les sociétés de leur décision. Le 10 septembre 2002, une lettre d'ALM au centre de santé précise que " le suivi de la livraison, l'installation, la mise en service et la maintenance de l'offre Maquet seront assurés par la société ALM SA, la société Maquet ayant confié l'exclusivité de la distribution de ses produits à ALM SA pour le territoire français ". Le 26 septembre 2002, un avenant de transfert du contrat initial indique que le suivi de la livraison, l'installation, la mise en service et la maintenance de l'offre Maquet seront assurés par la société ALM. Par ailleurs, le représentant des hospices civils de Lyon mentionne que " Le rapport d'analyse des offres mentionne le fait que la société ALM avait récemment été intégrée dans le groupe Getinge dont fait également partie Maquet ; ceci était une explication donnée à l'absence de démarche commerciale de la société ALM sur ce dossier (absence d'essais) ". Ce rapport souligne en effet que, " concernant ALM, cette absence de démarche commerciale peut s'expliquer par le fait que le constructeur ait été récemment intégré dans le groupe Getinge, dont fait également partie Maquet. De plus, le groupe Getinge a dû se séparer de la partie "table d'opération" de marque ALM et, par conséquent, celle-ci ne pourra probablement pas continuer son activité de fabrication et de commercialisation au sein de ce groupe ".

84. Le centre hospitalier de Béthune (Cotes 4593 à 4617) :

L'offre d'ALM à l'appel d'offres de février 2002 a été rejetée sans être ouverte, car le pli avait été reçu hors délai. Pour Maquet, le centre hospitalier n'a reçu aucun pli, même si cette société avait fait une demande de dossier. Les demandes de dossier d'ALM et de Maquet avaient été faites distinctement le 4 janvier 2002 et le 20 décembre 2001 et le centre hospitalier a répondu individuellement à ALM pour l'informer que son offre était parvenue hors délai. Les parties soutiennent cependant que deux offres (ALM et Maquet) ont été adressées, le 18 février 2002, mais sont arrivées toutes deux hors délai (à 9 h 15 au lieu de 9 h 00). Les enveloppes font apparaître un expéditeur unique, la société ALM, pour les deux offres (Cotes 6607 et 6608).

85. Le centre hospitalier de Valenciennes (Cotes 957 à 1071) :

Le représentant du centre hospitalier a déclaré, lors de son audition avec l'inspecteur de la DGCCRF le 22 février 2006 : " En 2002, nous avons lancé un appel d'offres ouvert pour trois tables d'opérations une table au titre du lot n° 1, et deux tables pour le lot n° 2. Pour des motifs internes, cette procédure a été déclarée sans suite. Un nouvel appel d'offres ouvert a été lancé en 2003... En 2002, les offres ALM et Maquet ont été déposées en même temps par le même transporteur. Dans le cadre de notre analyse, il s'agissait d'offres séparées et distinctes ". Les documents annexés à ce procès-verbal d'audition montrent qu'ALM et Maquet ont répondu séparément aux lots 1 et 2 de cet appel d'offres de septembre 2002 par deux dossiers distincts. La réponse à entête "ALM" en produits ALM est datée du 11 septembre 2002 et signée par M. I... (directeur général d'ALM). Il est indiqué que l'affaire est suivie par G. P.... La réponse à entête "Maquet" en produits Maquet est datée du 11 septembre 2002 et signée "p/o" par M. H... (directeur général de Maquet France). Il est indiqué que l'affaire est suivie par G. P.... Si la lettre d'ALM indique que cette société appartient au groupe Getinge, tel n'est pas le cas de la lettre de Maquet. Le rapport de présentation du centre hospitalier de Valenciennes, du 5 mars 2003, indique que " la présente consultation consistait en la fourniture d'une table d'opération pour le secteur de chirurgie générale (lot #1) et de deux tables d'opération pour le secteur de gynécologie obstétrique (lot #2). Il est proposé de déclarer la procédure sans suite pour les raisons détaillées ci-après ". ALM, par courrier à entête "ALM/Maquet", répondra à un nouvel appel d'offres le 13 octobre 2003 en produits Maquet.

86. Le centre hospitalier Robert Ballanger (Cotes 5812 à 5882) :

Les sociétés ALM et Maquet ont répondu par deux offres séparées, à l'appel d'offres (lot n° 1) de juillet 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier, qui a attribué le marché à Maquet le 19 août 2002 et l'en a informée le 21 août 2002. Le représentant du centre hospitalier indique : " Notre établissement n'a été informé sur l'appartenance des deux sociétés au même groupe qu'après avoir étudié les dossiers de candidature et après avoir attribué à titre provisoire l'appel d'offres à Maquet. Cette dernière avise ensuite l'établissement par un courrier mentionnant entre autre que l'offre rédigée par la société Maquet pour le lot 1 de l'appel d'offres sera suivie par la société ALM SA ". En effet, par lettre du 9 septembre 2002, c'est-à-dire après que le centre hospitalier a attribué provisoirement le marché à Maquet, ALM indiquait au centre hospitalier que " l'ensemble de la commercialisation des produits Maquet sur le territoire a été repris par la société ALM SA depuis le 01 avril 2002, ALM SA faisant partie du groupe ALM - Maquet - Getinge. A ce titre, nous souhaitons que votre administration prenne en compte le fait que le titulaire du marché devient la société ALM SA et que par conséquent l'ensemble des documents administratifs liés à ce marché seront rédigés sous l'entité sociale ALM SA ". Le rapport, établi le 16 octobre 2002 en application de l'article 75 du Code des marchés publics, mentionne que, selon le choix de la commission d'appel d'offres, l'" offre déclarée la mieux-disante pour le lot 1 afférent aux systèmes de transfert de patients en salle d'opération :

- Celle du candidat n°6 Sté Maquet SA.

Ce choix s'appuie sur les documents élaborés au titre du comparatif des offres (ALM, Maquet, AMSA, Becker Medical) par le technicien biomédical de l'établissement et par le cadre infirmier supérieur affecté au bloc opératoire ". Il indique ensuite que " l'offre Maquet retenue est reprise au stade final de la procédure par la société ALM, cette dernière devient l'attributaire définitif au lot 1. En effet, aux termes du courrier du 9 septembre 2002 Dominique I... Directeur général de la société ALM et Luc H... Directeur Général Maquet France représenté par Alain L... sur pouvoir du 25 février 2002 cosignataires avisent le centre Hospitalier Robert Ballanger :

- "Que l'offre rédigée par la société Maquet pour le lot 1 de l'appel d'offres... sera suivie par la société ALM SA",

- "Que l'ensemble de la commercialisation des produits Maquet sur le territoire a été repris par la société ALM SA depuis le 01 avril 2002 ALM SA faisant partie du groupe ALM - Maquet - Getinge et qu'en conséquence il est souhaitable que le titulaire soit la société ALM SA et que les documents administratifs liés à ce marché soient rédigés sous l'entité sociale ALM SA,

- Ainsi que les actes d'engagement initiaux au nom de la société Maquet ont été refaits au nom de la société ALM sur des bases financières et techniques identiques.

Pareillement les actes d'engagements additionnels aux offres de base relatifs à de la fourniture complémentaire (4 têtières pour la tranche ferme, 2 têtières pour la tranche conditionnelle, substitution d'un plateau standard par un plateau spécifique pour obèses qui enduit une légère plus-value) ont été établis à l'entête de la société ALM ".

87. Les Hôpitaux Civils de Colmar (Cotes 4830 à 4868) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres séparées à l'appel d'offres de septembre 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier qui a répondu individuellement à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres. Le représentant des Hôpitaux Civils de Colmar précise que " le 23 janvier 2003, la société Maquet a été informée que sa proposition était retenue pour l'ensemble des lots. Le 17 février 2003, la société ALM nous a transmis un courrier nous précisant que la société Maquet leur avait confié l'exclusivité de la distribution des tables d'opération sur le territoire français et que la notification du marché était à transmettre à la société ALM ". Il ajoute que " Jusqu'à la désignation du titulaire du marché, nous n'avons pas été informés que les deux sociétés appartenaient au même groupe. A aucun moment nous n'avons eu connaissance d'une quelconque concertation menée par ces sociétés dans l'appel d'offres considéré ". Il apparaît que la réponse à en-tête "Maquet" en produits Maquet est datée du 5 septembre 2002 et signée par Luc H... (directeur général de Maquet France). Celle à entête "ALM" (Cotes 3009 et 3024 à 3050), en produits ALM, est datée du 5 septembre 2002 et signée par M. I... (directeur général d'ALM SA dont le siège social est à Ardon-Orléans). Le dossier contient cependant des documents portant l'entête "ALM/Maquet".

Par ailleurs, figurent au dossier, des projets de réponses d'ALM et de Maquet (Cotes 3010 à 3023 et 3051 à 3100). Un des projets de réponse d'ALM, initialement à entête "ALM/Maquet", est modifié à la main : l'entête "ALM" est entouré alors que l'entête "Maquet" est barré. Un autre de ces projets, initialement à entête "ALM/Maquet", occulte l'entête au moyen d'un post-it.

De plus, des échanges de courriers électroniques internes entre un délégué commercial (Jean-François R...) et une assistante commerciale présente à Ardon (Angelina 17...), indiquent :

- courrier électronique de M. R... à Mme 17... (04/09/02 8h38)

Sujet : AO Colmar TAB Lot 1 et 2

" je suis ce matin au bureau pour finir ces devis. Je te confirme simplement qu'il faut bien inverser pour le lot 1 et le premier devis du lot 2, l'offre de base avec la variante (soit base Maquet en 1140 et variante Maquet en 1150) "

- courrier électronique de M. R... à Mme 17... (05/09/02 2h38)

Sujet : Erratum AO Colmar offre ALM

" Je viens de classer et de contrôler tout ce que j'ai imprimé, et je m'aperçois que j'ai fait l'erreur suivante : L'offre nommée "Lot 3 - bloc opératoire du Pôle 3 - Table à pied fixe - Offre ALM" est en fait le lot 2 ! (le 1er chapitre commence par "Pilier fixe Transferis 996") "

- courrier électronique de M. 18... à Mme 17... (05/09/02)

Sujet : Schéma AO TAB Colmar

" Voici comment se décomposent nos offres :

LOT 1

Base Maquet - 1140.10* 1636

Variante Maquet - 1150.30* 1637

+ Plateau en alternative 1140.22+1150.22+1140.16 01635

Base ALM - 996+902* 1634

LOT 2

Base Maquet - 1140.10* 1662

Variante Maquet - 1150.30* 1641

Base ALM - 996+914 1658

LOT 3

Base Maquet - 1140.10 1661

Variante Maquet 1 - 1150.30 1660

Variante Maquet 2 - 1140.10 sur 1150 1659

Base ALM - 996+902 1657

* Joindre le tableau Excel correspondant et supprimer le chapitre "accessoires individuels" ou "accessoires unitaires" ou "accessoires unitaires suite" dans les devis.

1634 Lot 1 ALM

1658 Lot 2 ALM

1657 Lot 3 ALM

1636 Lot 1 Base Maquet

1637 Lot 1 Variante Maquet

1635 Lot 1 Plateau alternative

1662 Lot 2 Base

1641 Lot 2 Variante ".

(Cotes 3102 à 3105 - Sur cette copie papier de courrier électronique sont ajoutées à la main les informations en police "Arial gras").

88. Le centre hospitalier de Martigues (Cotes 4708 à 4733) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres distinctes à l'appel d'offres d'avril 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier, qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres, le 3 juin 2002. En effet, le rapport d'analyse des offres, établi le 30 mai 2002, distingue très clairement les offres d'ALM et de Maquet sans qu'aucun lien entre les deux sociétés n'apparaisse.

89. Le centre hospitalier d'Arles (Cotes 5114 à 5121) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres séparées (deux demandes de dossiers, deux réponses à l'appel d'offres) à l'appel d'offres de septembre 2002. Si la réponse d'ALM indique que cette société appartient au groupe Getinge, tel n'est pas le cas de celle de Maquet. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier, qui a répondu individuellement à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres, le 4 novembre 2002. Le représentant du centre hospitalier indique : " aucune information à notre connaissance concernant le fait que les sociétés ALM et Maquet faisaient partie du même groupe ".

90. Le centre hospitalier universitaire Amiens Picardie (Cotes 5445 à 5531) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres séparées pour l'ensemble des cinq lots de l'appel d'offres d'avril 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier, qui a répondu individuellement à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres. Le représentant du CHU précise que " les sociétés ALM et Maquet ne nous avaient pas informés qu'elles appartenaient au même groupe et que leurs réponses à nos appels d'offres étaient faites de concert ". Les actes d'engagement de la société Maquet datés du 22 août 2002 sont signés par M. H... (directeur général de Maquet France). De plus, la réponse à entête ALM (Cotes 2785 à 2863), en produits ALM, est datée du 22 août 2002 et signée par M. I... (directeur général d'ALM). Il est indiqué que l'affaire est suivie par M. W.... Le projet de réponse d'ALM (Cotes 2864 à 2882) était à entête ALM/Maquet, mais ALM est entouré d'un trait alors que Maquet est barré.

91. Le centre hospitalier d'Abbeville (Cotes 4990 à 5053) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres séparées à l'appel d'offres de mars 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier, qui a répondu individuellement à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres. Le représentant du CHU précise que " la personne ayant traité le dossier a quitté l'établissement depuis mai 2006, mais, à ma connaissance, nous n'avions pas été informés que ces sociétés appartenaient au même groupe " ; " sans être totalement affirmatif, Monsieur Bouju laisse entendre qu'une seule personne pour le compte des sociétés ALM et Maquet s'était présentée pour effectuer la visite du site ". Les documents annexés à la réponse du centre hospitalier montrent que la réponse à entête "ALM" en produits ALM est datée du 25 février 2002 et est signée par M. I... (directeur général d'ALM). Il est indiqué que l'affaire est suivie par G. P.... Les documents relatifs à la réponse de Maquet à entête "Maquet" sont datés du 27 février 2002 et signés Luc H... p/o D. I... (Cotes 2951 à 2959).

92. Le centre hospitalier de Péronne (Cotes 2713 à 2783) :

ALM et Maquet ont répondu séparément à l'appel d'offres de mars 2002, par deux dossiers distincts. La réponse à entête d'ALM en produits ALM est datée du 7 mars 2002 et signée par M. I... (directeur général d'ALM). Il est indiqué que l'affaire est suivie par G. P.... La réponse à entête de Maquet en produits Maquet est datée du 8 mars 2002 et signée par M. H... (directeur général de Maquet France) "p/o M. I...". Il est indiqué que l'affaire est suivie par G. P.... Si la lettre d'ALM indique que cette société appartient au groupe Getinge, tel n'est pas le cas de la lettre de Maquet. Dans sa réponse à la demande de renseignements du 30 janvier 2009 (Cotes 4882 à 4883), le représentant du centre hospitalier a indiqué que " les sociétés ALM et Maquet ont répondu séparément à cet appel d'offres et au marché négocié sans préciser qu'elles appartenaient au même groupe. Leurs propositions ont par conséquent été traitées de manière distincte, étant précisé que le marché ne leur a pas été attribué ".

93. Le centre hospitalier de Dr Schaffner de Lens (Cotes 2888 à 2938) :

ALM et Maquet ont répondu séparément à l'appel d'offres de mai 2002 par deux dossiers distincts. La réponse à entête d'ALM en produits ALM est datée du 7 mai 2002 et signée par M. I... (directeur général d'ALM). Il est indiqué que l'affaire est suivie par G. P.... La réponse à entête de Maquet en produits Maquet est datée du 7 mai 2002 et signée par M. H... (directeur général de Maquet France). Il est indiqué que l'affaire est suivie par G. P.... Si la lettre d'ALM indique que cette société appartient au groupe Getinge, tel n'est pas le cas de la lettre de Maquet.

En réponse, le centre hospitalier Dr Schaffner de Lens a adressé le 14 janvier 2003 à ALM et à Maquet une lettre informant individuellement ALM et Maquet que leur offre n'avait pas été retenue. La lettre pour Maquet est envoyée à Strasbourg (5 rue Gustave Him 67000 Strasbourg), alors que celle l'ALM est envoyée à Ardon (Parc de la Limière 45074 Orléans Cedex 2). (Cotes 899 à 902 et 887 et 2915).

Le dossier contient également un document daté du 30 avril 2002 à entête "ALM/Maquet" et mentionnant une version ALM et une version Maquet (cotes 2907 à 3005). Il ne s'agit en fait que d'un projet de réponse, non signé, à l'appel d'offres du centre hospitalier de Dr Schaffner, et non de la réponse réellement envoyée au centre hospitalier.

94. Les hospices civils de Beaune (Cotes 4869 à 4877) :

Les sociétés ALM et Maquet ont présenté deux offres distinctes à l'appel d'offres de septembre 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier qui a répondu séparément à ALM et à Maquet sur le résultat de cet appel d'offres, le 16 juin 2003. Le représentant des hospices civils de Beaune mentionne que " nous ignorions une quelconque entente entre ALM et Maquet ". Il apparaît qu'ALM et Maquet ont demandé séparément la transmission du dossier d'appel d'offres (Cotes 2997 et 3004). Une télécopie à entête ALM, indiquant l'adresse d'ALM à Ardon, est signée par Jocelyne 15... (assistante commerciale ALM) et datée du 30 juillet 2007, alors que la télécopie à entête Maquet, indiquant l'adresse de Maquet à Strasbourg, est signée par Blandine 19... (assistante commerciale Maquet).

La réponse d'ALM en produits ALM est datée du 20 septembre 2002 et signée par M. I... (directeur général d'ALM) (Cotes 2998 à 3003). Un courrier électronique interne envoyé par un délégué commercial (Jean-François R...) et une assistante commerciale présente à Ardon (Angelina 17...) indique : " L'offre de base Maquet est chez Jocelyne. Attention, je viens de voir une erreur en relisant mon imprimé :

Offre de base Maquet

Orthopédie/Ophtalmologie

Accessoires

Table à bras

Passer la 100126CO à 2 au lieu de 1.

Voici une partie des doc à joindre au lot 2.

Après discussion avec le client, on pourrait modifier certains points de l'offre ALM comme suit (si ce n'est pas trop tard, sinon c'est pas trop grave !) :

Orthopédie/Ophtalmologie

Chariot porte-accessoire

ORT 577 passe de 2 à 1 en qté

Accessoires :

ORT 996, 012, 001B, 350, 352A, 014A, passent de 2 à 1 en qté

ORT 356 passe de 4 à 2 en qté " (Cotes 3505 à 3506).

95. Le centre hospitalier de Saint-Dizier (Cotes 5558 à 5794) :

Les sociétés ALM et Maquet se sont portées candidates individuellement le 30 septembre 2009 et ont présenté deux offres distinctes les 2 et 5 novembre 2002 à l'appel d'offres de novembre 2002. Ces deux offres ont été considérées comme distinctes par le centre hospitalier, qui a attribué le marché à Maquet le 22 novembre 2002. Par lettre du 17 décembre 2002, c'est-à-dire après que Maquet a remporté le marché, ALM indiquait au centre hospitalier que " le suivi de la livraison, l'installation, la mise en service et la maintenance de l'offre Maquet seront assurés par la société ALM SA, la société Maquet ayant confié l'exclusivité de la distribution de ses produits à ALM SA pour le territoire français ". Un courrier daté du 24 janvier 2002 mais reçu par le centre hospitalier le 17 février 2003, intitulé "Pour information à qui de droit", informe que " par la présente nous, société Maquet GmbH & Co KG sise à Rastatt (Allemagne), certifions que la société ALM SA sise à Ardon (France) est autorisée à faire la promotion, distribuer et assurer le service après-vente de l'ensemble des produits de la gamme Maquet (Tables, accessoires et mobilier associé Variop). Cette autorisation prend effet à partir du 01 janvier 2002 et est valable sur l'ensemble du territoire français ".

C. LES GRIEFS NOTIFIES

96. Sur la base de ces éléments, les griefs suivants ont été notifiés le 21 juillet 2009 :

- " Il est fait grief à la société ALM SA, devenue Maquet SA le 31 décembre 2004 (RCS Orléans 311 844 229), de s'être entendue avec Maquet GMBH & Co KG (pour la France - RCS Strasbourg B 410 660 708), en 2002, pour présenter des soumissions séparées fictivement indépendantes, par recours à divers procédés simulant l'autonomie des offres et des entreprises, et avoir ainsi trompé les responsables des différents appels d'offres sur la nature, la portée, l'étendue ou l'intensité de la concurrence. Cette pratique est prohibée par les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE ".

- " Il est fait grief à la société Maquet GMBH & Co KG (pour la France - RCS

Strasbourg B 410 660 708) de s'être entendue avec ALM SA devenue Maquet SA le 31 décembre 2004 (RCS Orléans 311 844 229), en 2002, pour présenter des soumissions séparées fictivement indépendantes, par recours à divers procédés simulant l'autonomie des offres et des entreprises, et avoir ainsi trompé les responsables des différents appels d'offres sur la nature, la portée, l'étendue ou l'intensité de la concurrence. Cette pratique est prohibée par les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE ".

II. Discussion

97. Seront successivement abordés :

- l'applicabilité du droit communautaire ;

- la délimitation des marchés pertinents ;

- le bien-fondé des griefs ;

- l'imputabilité des pratiques ;

- les sanctions.

A. SUR L'APPLICABILITE DU DROIT COMMUNAUTAIRE

98. Ainsi que l'a rappelé la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 24 novembre 2009 rendu dans le cadre du recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés des Pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre Mer et Total Réunion, trois éléments doivent être démontrés pour établir que des pratiques sont susceptibles d'avoir affecté le commerce intracommunautaire de façon sensible : l'existence d'échanges entre États membres portant sur les produits faisant l'objet de la pratique, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et le caractère sensible de cette possible affectation.

99. S'agissant du premier élément, il ressort du dossier que les produits en cause font l'objet d'échanges entre les pays de l'Union européenne. En effet, dans le secteur de la vente de tables d'opération, les fabricants sont, pour l'essentiel, des entreprises internationales qui vendent leurs produits dans plusieurs, sinon tous les pays de l'Union européenne. Ainsi, dans la lettre du 22 juin 2001, précitée, le ministre de l'Economie soulignait que " la dimension géographique de ce marché est européenne. (...) En Europe, il n'y a aucune barrière interne entre les différents pays que ce soit en termes de coûts de transport ou d'investissement dans la maintenance et dans un réseau de distribution. En effet, des sociétés indépendantes peuvent assurer pour le compte d'un fabricant ces fonctions de distribution ou de maintenance ".

100. S'agissant du deuxième élément, il convient de relever que la notion d'affectation des échanges entre États membres est interprétée largement. En effet, selon une jurisprudence constante des juridictions communautaires, " pour être susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres, une décision, un accord ou une pratique doivent, sur la base d'un ensemble d'éléments de fait et de droit, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre Etats membres, et cela de manière à faire craindre qu'ils puissent entraver la réalisation d'un marché unique entre Etats membres " (voir notamment arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C-475-99, Rec. p. I-8089, point 48).

101. Dans ses lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité CE, la Commission a précisé que " [l]es ententes horizontales couvrant l'ensemble d'un État membre sont normalement susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. Du reste, les juridictions communautaires considèrent souvent que l'entente qui s'étend à l'ensemble du territoire d'un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité " " (...) En principe, ces accords peuvent également, par leur nature même, affecter sensiblement le commerce entre États membres, compte tenu de la couverture de marché requise pour assurer l'efficacité de ces ententes " (paragraphes 78 et suivants). Dans la décision n° 05-D-38 du 5 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du transport public urbain de voyageurs, ainsi que plus récemment dans la décision n° 09-D-05 du 2 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le travail temporaire, le Conseil de la concurrence a également rappelé que les cartels nationaux sont par définition susceptibles d'affecter le commerce intra-communautaire. Il ne s'agit cependant que d'une présomption qui est réfutable.

102. En l'espèce, les pratiques en cause ont couvert l'ensemble du territoire français, partie substantielle du marché communautaire, et ont été mises en œuvre par des sociétés d'envergure internationale, puisque ALM et Maquet sont implantes dans de nombreux pays de l'Union européenne et répondaient à de nombreux appels d'offres lancés dans les autres États membres.

103. De plus, les pratiques ont porté sur de nombreux appels d'offres auxquels des entreprises d'autres États membres ont candidaté, telle la société allemande Trumpf. Les pratiques étaient donc susceptibles d'affecter les courants d'échanges entre les États membres.

104. S'agissant du troisième élément, l'appréciation dépend des circonstances de chaque espèce, et notamment de la nature de l'accord ou de la pratique, de la nature des produits concernés et de la position de marché des entreprises en cause, ainsi que l'a rappelé la Cour d'appel de Paris dans l'arrêt du 24 novembre 2009, précité. A cet égard, plus la position de marché des entreprises en cause est forte, plus il est probable qu'un accord ou une pratique sera susceptible d'affecter le commerce de façon sensible.

105. En l'espèce, les pratiques ont été mises en œuvre par des entreprises détenant ensemble plus de 85 % du marché national de la vente de tables d'opération, ainsi que cela ressort du tableau figurant au point 28 ci-dessus. Elles sont ainsi susceptibles d'avoir eu un effet sensible sur le commerce entre États membres.

106. Il résulte de ce qui précède que les pratiques en cause doivent être examinées au regard non seulement du droit national mais également du droit communautaire de la concurrence.

B. SUR LA DELIMITATION DES MARCHES PERTINENTS

107. Le secteur des tables d'opération a déjà été analysé par le ministre de l'Economie lors du rachat d'ALM par Getinge Arjo France.

108. De plus, le Conseil de la concurrence a rappelé dans plusieurs décisions que, en matière d'entente, " il n'est [...] pas nécessaire de définir le marché avec précision, comme en matière d'abus de position dominante, dès lors que le secteur et les marchés ont été suffisamment identifiés pour permettre de qualifier les pratiques qui y ont été constatées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre (...) " (voir notamment décision 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc).

1. LES MARCHES DE PRODUITS

109. Dans la lettre du 22 juin 2001, précitée, le ministre de l'Economie a souligné la substituabilité des deux types de tables du côté de l'offre, indiquant que " les clients et les concurrents des parties à l'opération considèrent en général que ces deux types de tables sont peu substituables du fait des facilités offertes par les tables de transfert en matière de changement de plateaux, de leurs coûts à l'achat plus élevé et du remplacement d'un type de table par le même type de table lors du renouvellement du matériel.

Toutefois, au niveau de l'offre, les différences techniques entre les deux types de tables sont minimes, de sorte que tout fabricant de tables mobiles peut produire des tables de transfert et inversement. D'ailleurs, en Europe, les principaux fabricants de tables d'opération (ALM, Maquet, OPT, Trumpf et Eschmann) produisent les deux types de tables. Le niveau des ventes des parties est, de plus, quasiment identique quelle que soit la table concernée (le pourcentage des ventes est un peu supérieur pour les tables de transfert) ".

110. Il en a conclu que, " pour les besoins de la présente analyse, l'ensemble des tables seront intégrées dans un seul et même marché ".

111. De même, il est précisé dans le rapport administratif d'enquête que " ces deux catégories de tables sont complètement substituables et appartiennent au même marché, puisqu'elles sont employées toutes deux dans les blocs opératoires ".

112. Pour les besoins de la présente affaire, les tables à plateau non transférable et les tables à plateau transférable seront donc incluses dans le même marché de produits pertinent.

2. LES MARCHES GEOGRAPHIQUES

113. Dans la lettre du 22 juin 2001, précitée, le ministre de l'Economie a souligné que " la dimension géographique de ce marché est européenne. Les opérateurs sont en effet très différents d'un continent à l'autre et n'ont pas encore une stratégie d'acquisition de parts de marchés au niveau mondial.

En revanche, en Europe, il n'y a aucune barrière interne entre les différents pays que ce soit en termes de coûts de transport ou d'investissement dans la maintenance et dans un réseau de distribution. En effet, des sociétés indépendantes peuvent assurer pour le compte d'un fabricant ces fonctions de distribution ou de maintenance ".

114. Cependant, la commercialisation et la distribution des tables d'opération sont organisées en Europe au niveau national voire local. De même, le service après-vente de ces tables requiert une présence locale de chaque fabricant pour pouvoir intervenir dans un délai très réduit (voir paragraphe 7 de la présente décision).

115. De plus, en matière de marchés publics, l'analyse de l'Autorité de la concurrence est traditionnellement effectuée appel d'offres par appel d'offres. En effet, le Conseil de la concurrence a rappelé à plusieurs reprises que " Chaque marché public passé selon la procédure d'appel d'offres constitue un marché pertinent, résultant de la confrontation concrète, à l'occasion de l'appel d'offres, d'une demande du maître d'ouvrage et des propositions faites par les candidats qui répondent à l'appel d'offres.

Peuvent être sanctionnées, en application de l'article L. 420-1 du Code du commerce, non seulement les pratiques anticoncurrentielles affectant exclusivement ce marché, mais aussi l'entente organisée à un échelon plus vaste que chacun des marchés considérés et produisant des effets sur lesdits marchés, en ce qu'elle conduit les entreprises qui y sont présentes à s'en répartir illicitement les parts (Cour d'appel de Paris, arrêts des 14 janvier 2003, SA Bouygues, à l'égard duquel le pourvoi déposé a été rejeté par la Cour de cassation et 13 juillet 2004, Société DTP Terrassement et autres) " (voir notamment décision 06-D-08 du 24 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics de construction de trois collèges dans le département de l'Hérault).

116. En conséquence, seuls les appels d'offres lancés en France seront analysés.

C. SUR LE BIEN-FONDE DES GRIEFS

1. L'APPLICABILITE DU DROIT DES ENTENTES LORSQUE LE COMPORTEMENT ANTICONCURRENTIEL EST IMPOSE PAR L'ÉTAT

117. Dans leurs observations, Maquet SA et Maquet GmbH & Co KG estiment que les engagements imposés par le ministre de l'Economie, dans le cadre du contrôle des concentrations, constituaient une contrainte irrésistible pour les filiales du groupe Getinge. Ainsi, elles font valoir que les comportements relevés dans la notification de griefs ont pour origine les engagements imposés par le ministre de l'Economie. Selon elles, dans la mesure où les engagements imposaient au groupe Getinge de s'assurer " que tous les contrats nécessaires au maintien de l'activité Tables d'Opérations d'ALM soient conclus ou maintenus en vigueur en accord avec leurs dispositions, et selon le cours normal des affaires " tout en excluant du champ des engagements les activités de force de vente et de service après-vente d'ALM afin de lui permettre notamment de procéder à la fusion des entités commerciales, le groupe Getinge s'est trouvé dans l'obligation de proposer les deux offres conjointement afin d'être certain de maintenir l'activité d'ALM et de ne prendre aucun risque de non-respect desdits engagements.

118. En droit communautaire, comme en droit national, seuls sont visés les comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative (voir notamment arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 20 mars 1985, Italie/Commission, 41-83, Rec. p. 873, points 18 à 20, et du 19 mars 1991, France/Commission, C-202-88, Rec. p. I-1223, point 55). En conséquence, si un comportement anticoncurrentiel est imposé aux entreprises par une législation nationale ou si celle-ci crée un cadre juridique qui, en lui-même, élimine toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part, les articles 81 et 82 du traité CE ne leur sont pas applicables. Dans une telle situation, la restriction de concurrence ne trouve pas sa cause dans des comportements autonomes des entreprises (voir arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 11 décembre 2003, Strintzis Line Shipping/Commission, T-65-99, Rec. p. II-5433, point 119). En droit national, l'article L. 420-4 1° du Code de commerce dispose : " Ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques : 1° qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire [...] ". Les entreprises peuvent donc invoquer l'exception tirée de l'action étatique ou l'application de la loi, lorsqu'elles sont incitées à enfreindre le droit de la concurrence par la législation nationale elle-même.

119. En pratique, cette exception est peu appliquée, en droit communautaire comme en droit national, car les articles 81 et 82 du traité CE et les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce s'appliquent s'il apparaît que la législation nationale laisse subsister la possibilité d'une concurrence susceptible d'être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises (voir arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209-78 à 215-78 et 218-78, Rec. p. 3125, point 126, et arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 10 avril 2008, Deutsche Telekom/Commission, T-271-03, Rec. p. II-1747, points 86 à 88). En effet, le Conseil de la concurrence considère que l'article L. 420-4 1° ne peut exonérer que les pratiques constituant une conséquence nécessaire de l'application de textes législatifs ou réglementaires (voir, à cet égard, décision n° 96-D-18 du 26 mars 1996 relative à des pratiques mises en œuvre par le conseil régional de l'Ordre des architectes d'Auvergne et des cabinets d'architecture à l'occasion d'un marché public), ce qu'il a très rarement admis.

120. En l'espèce, la lettre du ministre de l'Economie du 22 juin 2001, précitée, ne constitue pas " un texte législatif ou un texte réglementaire " au sens de l'article L. 420-4 I. 1° du Code de commerce. Les parties ne sont donc pas fondées à se prévaloir de ce document pour invoquer l'exception tirée de l'action étatique.

121. De plus, les engagements pris par le groupe Getinge devant le ministre de l'Economie ne constituaient en aucune manière une contrainte irrésistible pour Maquet et ALM. En effet, s'ils n'incluaient pas dans la cession les forces de vente d'ALM, ils prévoyaient explicitement " que tous les contrats nécessaires au maintien de l'activité Tables d'Opérations d'ALM soient conclus ou maintenus en vigueur en accord avec leurs dispositions, et selon le cours normal des affaires " et que " l'activité tables d'opération d'ALM soit tenue séparée de l'activité tables d'opération du groupe Getinge/Maquet et constitue une activité distincte, viable, pouvant faire l'objet d'une vente ". En conséquence, le groupe Getinge n'était pas autorisé à fusionner les forces de vente d'ALM et de Maquet avant la date de cession de l'activité tables d'opération d'ALM à un repreneur indépendant, cette activité ne pouvant constituer une activité distincte et viable autrement.

122. Par ailleurs, même si les engagements avaient autorisé la fusion des équipes commerciales, ALM et Maquet ne se seraient pas pour autant trouvées dans l'obligation d'adopter un comportement anticoncurrentiel. En effet, la jurisprudence a clairement établi qu'elles auraient pu ne déposer qu'une seule offre : " Qu'il s'ensuit que, après avoir rappelé à bon droit qu'il est loisible à des entreprises, ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, mais disposant d'une autonomie commerciale, de présenter des offres distinctes et concurrentes, à la condition de ne pas se concerter avant le dépôt des offres et, en cas de concertation, pour décider quelle sera l'entreprise qui déposera l'offre, de n'en déposer qu'une seule, le Conseil a exactement déduit des pièces soumises à son appréciation l'existence d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants établissant que les sociétés SOBATP, Jean Hiriart et CEGETP ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce " (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 9 novembre 2004 "SEE Camille Bayol" rendu dans le cadre du recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence n° 04-D-08 du 30 mars 2004 relative au marché de travaux d'assainissement de la commune de Pontacq).

123. Le moyen relatif à la contrainte irrésistible exercée par les engagements pris devant le ministre de l'Economie doit donc être écarté.

2. LES COMPORTEMENTS DES ENTREPRISES APPARTENANT A UN MEME GROUPE A L'OCCASION DE PROCEDURES DE MARCHES PUBLICS

124. Selon une pratique décisionnelle constante en matière de marchés publics sur appels d'offres, il est établi que des entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée qu'elles sont convenues de coordonner leurs offres ou qu'elles ont échangé des informations antérieurement à la date à laquelle le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être (voir notamment décisions n° 03-D-10 du 20 février 2003 relative à des pratiques constatées lors d'un appel d'offres lancé par le Port autonome de Marseille et n° 03-D-19 du 15 avril 2003 relative à des pratiques relevées sur le marché des granulats dans le département de l'Ardèche). Ces informations peuvent concerner l'existence de compétiteurs, leur nom, leur importance, leur disponibilité en personnel et en matériel, leur intérêt ou leur absence d'intérêt pour le marché considéré ou les prix qu'ils envisagent de proposer. La preuve de telles pratiques de nature à limiter l'indépendance des offres et à fausser le libre jeu de la concurrence peut résulter soit de preuves se suffisant à elles-mêmes soit d'un faisceau d'indices concordants constitué par le rapprochement de divers éléments recueillis au cours de l'instruction, même si chacun de ces éléments pris isolément n'a pas un caractère suffisamment probant.

125. S'agissant plus particulièrement des comportements d'entreprises appartenant à un même groupe dans le cadre de procédures de mise en concurrence, il convient de relever que tant le Conseil de la concurrence que la Cour d'appel de Paris considèrent que le dépôt d'offres distinctes par de telles entreprises manifeste leur autonomie commerciale et l'indépendance de ces offres. Toutefois, s'il apparaît que ces offres ont été établies en concertation, ou après que les entreprises ont communiqué entre elles, elles ne sont plus indépendantes. Dès lors, les présenter comme telles trompe le responsable du marché sur la nature, la portée, l'étendue ou l'intensité de la concurrence. Cette pratique a, en conséquence, un objet ou, potentiellement, un effet anticoncurrentiel.

126. Ainsi, seront successivement étudiés les liens juridiques et financiers entre ALM et Maquet, la pluralité des offres remises aux établissements hospitaliers, l'absence d'indépendance de ces offres et la tromperie des acheteurs publics.

a) Sur les liens juridiques et financiers unissant ALM et Maquet

127. Dans leurs observations en réponse à la notification de griefs, Maquet SA et Maquet GmbH & Co KG ne contestent pas l'existence de liens juridiques et financiers unissant ALM et Maquet. Au contraire, elles considèrent que le droit des ententes, et plus particulièrement l'article 81 du traité CE, ne peut être appliqué à leur comportement sur le marché, car à l'époque des faits ALM et Maquet étaient des filiales intégrées du groupe Getinge. Selon elles, en droit de la concurrence, un accord horizontal ne peut en effet avoir lieu qu'entre entreprises commercialement autonomes. Or, ALM et Maquet n'auraient pas disposé d'une autonomie commerciale suffisante. Les éléments retenus dans la notification de griefs seraient insuffisants pour renverser cette présomption d'absence d'autonomie, la simple dualité/pluralité des offres remises n'étant en soi pas suffisante pour écarter l'immunité des accords intra-groupe. En tout état de cause, les parties considèrent que l'exception à l'immunité intra-groupe consacrée par le Conseil de la concurrence et la Cour d'appel de Paris est contraire au droit communautaire de la concurrence et devra par conséquent être écartée par l'Autorité de la concurrence en vertu de l'article 3 du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JOCE 2003, L 1, p. 1).

128. Certes, il ressort de la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence ainsi que d'une jurisprudence constante, tant nationale que communautaire, que la prohibition des ententes anticoncurrentielles n'est pas applicable aux accords passés entre des sociétés appartenant à un même groupe, dès lors que celles-ci ne disposent pas d'une réelle autonomie sur le marché. En l'absence d'autonomie commerciale et financière, ces sociétés forment en effet une unité économique au sein de laquelle les décisions et accords ne peuvent relever du droit des ententes (voir notamment arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 24 octobre 1996, Viho/Commission, C-73-95 P, Rec. p. I-5457, point 51, et décision du Conseil de la concurrence n° 99-D-18 du 2 mars 1999 relative à des pratiques relevées dans la distribution des produits de la société Laboratoires 3M Santé).

129. Cependant, concernant les comportements d'entreprises appartenant à un même groupe à l'occasion de procédures de mises en concurrence, le Conseil de la concurrence a rappelé trois principes dans sa décision n° 03-D-01 du 14 janvier 2003 relative au comportement de sociétés du groupe L'Air liquide dans le secteur des gaz médicaux, prise notamment sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité CE :

- il est possible pour des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, mais disposant d'une autonomie commerciale, de présenter des offres distinctes et concurrentes, à la condition de ne pas se concerter avant le dépôt de ces offres ;

- il est possible pour des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, mais disposant d'une autonomie commerciale, de renoncer à cette autonomie commerciale, à l'occasion de mises en concurrence et de se concerter pour décider quelle sera l'entreprise qui déposera une offre ou de se concerter pour établir cette offre, à la condition de ne déposer qu'une seule offre ;

- en revanche, il n'est pas possible pour de telles entreprises de déposer plusieurs offres, manifestant ainsi leur autonomie commerciale, dès lors que ces offres ont été établies de façon concertée, ou après que les entreprises ont communiqué entre elles, car ces offres ne sont plus indépendantes. En effet, les présenter comme telles trompe le responsable du marché sur la nature, la portée, l'étendue ou l'intensité de la concurrence. Cette pratique doit, en conséquence, être considérée comme ayant un objet ou, potentiellement, un effet anticoncurrentiel.

130. La Cour d'appel de Paris a confirmé la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence à plusieurs reprises. En particulier, dans l'arrêt "SEE Camille Bayol", précité, la Cour d'appel de Paris a sanctionné quatre entreprises pour s'être concertées et avoir présenté des offres faussement concurrentes, soulignant : " Des personnes morales distinctes, en déposant des offres séparées, ont manifesté leur autonomie commerciale et, ainsi, choisi de se présenter lors des appels d'offres comme des entreprises concurrentes. Dès lors, quels que soient les liens pouvant exister entre elles, les sociétés requérantes étaient tenues de respecter les règles de la concurrence auxquelles elles s'étaient soumises, ce qui excluait qu'elles puissent présenter des offres dont l'indépendance n'était qu'apparente " (soulignement ajouté).

131. De même, dans l'arrêt du 18 novembre 2003 "Signaux Laporte", la Cour d'appel de Paris, confirmant la décision du Conseil de la concurrence du 4 février 2003 n° 03-D-07 relative à des pratiques relevées lors de la passation de marchés d'achat de panneaux de signalisation routière verticale par des collectivités locales, a rappelé : " Considérant qu'en l'espèce, pour retenir que les sociétés Signaux Laporte et Crapie ont contrevenu aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, le Conseil a relevé, à bon droit, que les éléments avancés par ces sociétés quant à l'existence d'une entreprise unique ne sauraient conduire à écarter la qualification d'entente anticoncurrentielle, dès lors que l'entreprise unique Laporte-Crapie a délibérément remis aux acheteurs publics deux offres faussement indépendantes et résultant d'une concertation préalable pour accroître ses chances d'emporter les marchés, leur présentant ainsi une situation biaisée de la concurrence ". Le Conseil a " exactement considéré que les requérantes, personnes morales distinctes, avaient, en déposant des offres séparées, manifesté leur autonomie commerciale et, ainsi, choisi de se présenter lors des appels d'offres comme des entreprises concurrentes ". " Considérant que, dès lors, quels que soient les liens pouvant exister entre elles, les sociétés Signaux Laporte et Crapie étaient tenues de respecter les règles de la concurrence auxquelles elles s'étaient soumises, ce qui excluait qu'elles puissent présenter des offres dont l'indépendance n'était qu'apparente " (soulignement ajouté).

132. En effet, comme l'a expliqué le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 06-D-26 du 15 septembre 2006 relative à la saisine des sociétés Lamy Moto et Moto Ouest à l'encontre des sociétés Yamaha Motor France et MBK, les mécanismes de concurrence à l'œuvre dans les procédures d'appels d'offres publics ne sont pas les mêmes que ceux d'un marché classique de biens de consommation : " ... lors des procédures d'appel d'offres public, le mécanisme de formation des prix recherché et les règles de choix de l'acheteur public supposent en eux-mêmes, à l'égard de la prestation particulière qui est demandée, l'indépendance des offreurs qui formulent des offres distinctes et l'incertitude quant aux offres qui seront déposées. Dans ce contexte, sauf à ce que deux entreprises du même groupe constituent officiellement vis-à-vis du donneur d'ordre un groupement ou annoncent une sous-traitance entre elles, la formulation d'offres distinctes par de telles entreprises exige l'indépendance totale de l'élaboration de leurs offres, faute de quoi le mécanisme de formation du prix ainsi que l'application de ces règles de choix sont nécessairement perturbés, que le donneur d'ordres ait été ou non informé de l'absence d'indépendance des offres en cause. Il y a alors coordination d'offres qui ont vocation à être élaborées de manière indépendante spécifiquement pour répondre à la demande particulière préalablement exprimée. La concurrence est faussée. En revanche, dans le cas d'un marché classique d'un bien de consommation, la coordination d'offres distinctes d'entreprises appartenant au même groupe et l'absence éventuelle de connaissance, par l'acheteur, de cette coordination ne perturbent normalement pas le mécanisme de formation des prix et le libre choix de l'acheteur entre des offres existant préalablement à la manifestation de son propre besoin. Les prix et le choix résultent alors simplement du degré de compétition sur le marché, de la capacité des produits offerts à satisfaire les acheteurs et donc de la confrontation au jour le jour de l'offre et de la demande. Dans ce cadre, le consommateur arbitre en comparant les produits substituables et s'il ne choisit pas le moins cher, c'est qu'il valorise d'autres caractéristiques, comme l'image de marque. Un groupe mènera ainsi une politique de deux marques concurrentes tant qu'elle lui permettra de maximiser son profit, c'est-à-dire tant que des consommateurs en nombre suffisant seront prêts à acheter des produits de l'une des deux marques, plutôt que de se reporter sur d'autres. Le fait que l'acheteur ne sache pas que deux marques relèvent d'un même groupe d'entreprises ne fausse pas la concurrence dans ces circonstances. Pour ces raisons, l'obligation qui pèse sur des entreprises d'élaborer de manière indépendante des offres distinctes dans le cas d'un appel d'offres public, sauf à annoncer la constitution d'un groupement ou d'une sous-traitance pour l'occasion, ne s'impose pas sur un marché classique de biens de consommation ".

133. En l'espèce, tout d'abord, il y a lieu de rappeler que le groupe Getinge s'était engagé devant le ministre de l'Economie à ce que " l'activité tables d'opération d'ALM soit tenue séparée de l'activité tables d'opération du groupe Getinge/Maquet et constitue une activité distincte, viable, pouvant faire l'objet d'une vente " et devait s'assurer " que tous les contrats nécessaires au maintien de l'activité Tables d'Opérations d'ALM soient conclus ou maintenus en vigueur en accord avec leurs dispositions, et selon le cours normal des affaires ". Le groupe Getinge était donc tenu, au titre des engagements, de maintenir l'autonomie commerciale et l'indépendance de l'activité tables d'opération d'ALM.

134. Ensuite, il convient de relever que, en déposant des offres séparées, ALM et Maquet ont manifesté leur autonomie commerciale et ont choisi de se présenter, dans le cadre des appels d'offres, comme des entreprises concurrentes. Elles ne peuvent donc se prévaloir de leur absence d'autonomie par rapport au groupe Getinge pour échapper au droit des ententes.

135. Enfin, s'il est vrai que les juridictions communautaires n'ont pas admis une telle exception s'agissant de l'application de l'article 81 du traité CE, cela résulte du fait qu'elles n'ont jamais eu à connaître de pratiques mises en œuvre par des entreprises liées entre elles ayant pour objet ou pour effet de fausser la procédure d'appel d'offres en présentant des offres séparées dont l'indépendance n'était qu'apparente, et non d'une opposition à la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence et à la jurisprudence des juridictions françaises. L'argument des parties tiré du non-respect de l'article 3 du règlement n° 1-2003 relatif au rapport entre les articles 81 et 82 du traité CE et les droits nationaux de la concurrence ne saurait donc prospérer.

136. Il résulte de ce qui précède que le moyen relatif à l'inapplicabilité de l'article 81 du traité CE à des comportements de filiales appartenant à un même groupe doit être écarté.

b) Sur la pluralité des offres remises

137. Dans leurs observations, les entreprises mises en cause ne contestent pas avoir déposé des offres distinctes dans le cadre des marchés lancés par les établissements hospitaliers tout au long de l'année 2002.

138. A cet égard, il ressort des éléments du dossier et notamment du tableau fourni par Maquet à la DGCCRF qu'ALM et Maquet ont répondu respectivement à 58 et 52 appels d'offres en 2002 (voir paragraphes 56 et suivants de la présente décision). Pour 42 de ces appels d'offres, ALM et Maquet ont soumissionné séparément. Ainsi, ALM et Maquet ont répondu séparément aux appels d'offres du centre hospitalier d'Auch, du centre hospitalier de Gap, du centre hospitalier Cochin, du CHU de Nantes, du centre hospitalier de Béthune, du centre hospitalier de Montpellier, du centre hospitalier d'Abbeville, du centre hospitalier Jean Leclaire, du centre hospitalier Ste Anne, du centre hospitalier de Péronne, des Hospices Civils de Lyon, de l' UGAP, du CHU de Nice, du CHU de Dijon, du CHU de Brest, du centre hospitalier de Martigues, de la DAEC d'Orléans, du CHU d'Amiens, CHU de Rouen, CHU de Bordeaux, CH Dr Schaffner de Lens, CHU de Nancy, de l' AHNAC, du CHU de Poitiers, du centre hospitalier de Verdun, de l'Hôpital Robert Ballanger, de la Ste Secours Mi. Moselle, du CHU de Nantes, du centre hospitalier St Vincent, du centre hospitalier de Saint Etienne, du CHU d'Amiens, des Hôpitaux Civils de Colmar, du centre hospitalier d'Arles, du centre hospitalier de Valenciennes, des Hospices Civils de Beaune, du centre hospitalier de Gonesse, du centre hospitalier de Belfort, du centre hospitalier de Montbéliard, du centre hospitalier de Saint Dizier, du centre hospitalier de Libourne, du centre hospitalier de Draguignan et du CHU de Bordeaux.

139. Cependant, la pratique n'est pas limitée à ces offres, puisque le mode de réponse aux appels d'offres était systématisé (voir paragraphes 49 à 55 de la présente décision). En effet, comme l'ont indiqué les représentants de Maquet SA lors de leur audition du 22 avril 2009 : " la directive était que chacune des deux sociétés devait répondre à tous les appels d'offres. En conséquence, pour tous les appels d'offres "ouverts" les deux sociétés soumissionnaient. Il peut arriver que les établissements hospitaliers aient fait des appels d'offres "restreints" où une seule des deux sociétés était invitée à soumissionner ". (Cotes 6218 à 6234).

140. Les réponses d'ALM et de Maquet aux appels offres étaient souvent rédigées sur des papiers à entête différents dissimulant les liens directs des deux sociétés (pour 23 appels d'offres sur les 30 analysés ; voir, à cet égard, paragraphes 66 à 95 de la présente décision). Les offres à entête ALM étaient dans leur grande majorité signées par le directeur général d'ALM, M. Dominique I..., alors que les offres à entête Maquet l'étaient par d'autres salariés d'ALM (le secrétaire général ou le directeur financier) sur délégation de pouvoir du directeur général de Maquet France, M. Luc H.... Un courrier électronique de Mme D... (ALM) à Mme O... (Maquet Belgique) daté du 2 avril 2002 souligne la manœuvre volontaire de dissimulation : " une nouvelle fois, je vous remercie de bien vouloir nous transmettre des pouvoirs pour la signature des appels d'offres Maquet. Malheureusement, les derniers qui ont été signés par Mr H... (à Rastatt) ne peuvent pas être transmis au client étant donné que le nom de la société ALM apparaît dans le titre de la personne désignée pour le pouvoir et d'après Mr M..., ceci n'est pas valable... C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir réaliser à nouveau une dizaine de pouvoirs pour chacun des destinataires suivant avec le texte ci-dessous défini : "Je soussigné, Luc H..., directeur de la société Maquet France, donne pouvoir à Monsieur Manuel M..., pour signer toutes les pièces nécessaires à la composition des dossiers d'appels d'offres. Fait à Strasbourg, le 25 février 2002 (date à conserver)" " (soulignement ajouté) (Cote 2102).

141. De même, si les lettres à entête ALM mentionnaient l'appartenance de cette société au groupe Getinge, tel n'était pas le cas des lettres à entête Maquet qui occultaient cette information (voir notamment paragraphes 86, 91, 92 et 93 de la présente décision).

142. De plus, les sociétés ont délibérément entretenu vis-à-vis des acheteurs publics potentiels l'apparence d'une localisation distincte, en étant domiciliées au niveau des actes de soumission à des adresses et dans des villes différentes, correspondant à leur siège social respectif (Parc de la Limière 45074 Orléans Cedex 2 à Ardon pour ALM et 5 rue Gustave Him 67000 Strasbourg pour Maquet). Ces adresses distinctes n'avaient aucune justification concrète, puisque l'organisation fonctionnelle du groupe Getinge confiait à ALM la distribution des produits Maquet.

143. En déposant ces offres concomitantes mais distinctes, ALM et Maquet ont donc manifesté, auprès des acheteurs publics, leur autonomie commerciale et l'indépendance de leurs offres.

c) Sur l'absence d'indépendance des offres

144. Dans leurs observations, les entreprises mises en cause soutiennent que l'absence d'indépendance des offres résulte de la fusion des équipes commerciales d'ALM et de Maquet et non d'une quelconque concertation. Selon elles, le fait que les ventes des tables de marque ALM et de marque Maquet aient été confiées à un même commercial régional est une réalité que ni ALM ni Maquet n'ont tenté de dissimuler. Elles ajoutent qu'il est manifeste que les offres d'ALM et de Maquet n'étaient pas élaborées de façon autonome, ce qu'elles ont toujours reconnu et déclaré de façon constante aux enquêteurs ainsi qu'à la rapporteure. Si les offres des sociétés ALM et Maquet ont été présentées, de façon purement formelle, comme émanant de deux sociétés juridiquement distinctes, cela aurait été fait dans le seul but de proposer aux acheteurs deux offres qui puissent être, d'un point de vue formel, valablement retenues (une même société ne pouvant déposer deux offres), comme l'exigeaient les engagements pris devant le ministre de l'Economie.

145. A cet égard, il convient de relever que les sociétés ALM et Maquet ont présenté des offres dont l'indépendance n'était qu'apparente. Du fait de la fusion des équipes commerciales d'ALM et de Maquet, les réponses aux appels d'offres de ces deux sociétés ont été établies de manière centralisée tout au long de l'année 2002 (voir paragraphes 49 à 55 de la présente décision) : lorsqu'un établissement de santé lançait un appel d'offres, le siège d'ALM confiait à un même commercial la rédaction des deux offres (à la fois pour Maquet et pour ALM) qui les établissait, notamment pour leur montant, à l'aide du même logiciel et suivant les instructions du chef de vente d'ALM, M. X.... Les offres remontaient ensuite au service clients d'ALM à Ardon qui les validait et les signait. Elles étaient ensuite envoyées de manière séparée aux acheteurs publics. Mme Sophie D..., coordinatrice du service clients d'ALM puis de Maquet, a expliqué lors de son audition du 5 octobre 2006 : " Concrètement, lorsqu'une collectivité lançait un appel d'offres, nous faisions deux demandes de dossiers, l'une au nom de la société ALM et l'autre au nom de la société Maquet. Ces dossiers étaient ensuite confiés à un même commercial qui était chargé de rédiger à la fois l'offre pour Maquet et l'offre pour ALM, ces offres, et notamment leur montant, étaient établies suivant les instructions de M. X.... Les signataires des offres étaient différents parce que nous étions deux entités juridiques différentes. Pour Maquet, ces signataires étaient titulaires d'un pouvoir donné par le Directeur Général de Maquet France, M. Luc H.... Il s'agissait généralement de MM. L..., M... et N... pour Maquet. Pour la mise en forme des pièces du marché, j'étais tenue d'avoir en ma possession un tampon de la société Maquet qui m'a été fourni par M. Luc H...... " (Cotes 1788 à 1792).

146. Enfin, il a été répondu ci-dessus à l'argument selon lequel les comportements d'ALM et de Maquet répondaient aux engagements pris devant le ministre de l'Economie (voir paragraphes 120 et 121 de la présente décision).

147. En conséquence, les réponses aux appels d'offres d'ALM et de Maquet n'étaient pas indépendantes, mais concertées.

d) Sur la tromperie des acheteurs publics

148. Dans leurs observations, Maquet SA et Maquet GmbH & Co KG soutiennent que la présentation d'offres séparées n'a pas été motivée par une quelconque volonté de tromper l'acheteur public, qui disposait d'ailleurs de l'information nécessaire sur les liens entre ALM et Maquet et sur l'origine commune des offres. En effet, la connaissance par les centres hospitaliers des liens existant entre ALM et Maquet résulterait : de la participation commune d'ALM et Maquet à des salons internationaux et la publicité préalable par l'envoi d'invitations faisant figurer les logos ALM, Maquet et Getinge et mentionnant l'existence d'une nouvelle équipe pour le salon Hôpital Expo ; de la réalisation de brochures d'information sur les produits faisant figurer de façon conjointe les logos ALM et Getinge, ou ALM, Maquet et Getinge ; et de l'utilisation régulière d'entêtes "ALM/Maquet", avec mention de Getinge, dans les réponses aux appels d'offres. La connaissance par les centres hospitaliers de l'origine commune des offres d'ALM et de Maquet résulterait quant à elle : du fait que les centres hospitaliers ont été en contact personnalisé avec un seul et même commercial ; de l'affectation d'un seul et même commercial pour la visite des centres hospitaliers, la négociation, la préparation et le suivi des offres ; de la réalisation des offres sur un même logiciel, ce dont il résultait une présentation identique, facilement identifiable par les acheteurs ; et enfin du fait que les offres étaient généralement signées par un nombre restreint de personnes, avec pouvoirs de la société Maquet pour les offres Maquet donnés à des personnes connues pour travailler chez ALM, lorsque l'appartenance de ces personnes à ALM n'était pas clairement indiquée dans le pouvoir.

149. Cependant, s'il est vrai que, du fait de l'autorisation du rachat d'ALM par le groupe Getinge, de la présence d'un papier à entête "ALM/Maquet" dans les réponses à quelques appels d'offres ou par divers moyens cités par les entreprises mises en cause, certains centres hospitaliers avaient connaissance de l'appartenance d'ALM et de Maquet au même groupe (voir paragraphes 66 et suivants de la présente décision), cette circonstance, même généralisée à l'ensemble des centres hospitaliers, n'autorisait pas les sociétés ALM et Maquet à présenter des offres distinctes rédigées de concert.

150. Ainsi que la cour d'appel de Paris l'a rappelé dans l'arrêt "Signaux Laporte" précité : " des personnes morales distinctes, en déposant des offres séparées, ont manifesté leur autonomie commerciale et, ainsi, choisi de se présenter lors des appels d'offres comme des entreprises concurrentes. Dès lors, quels que soient les liens pouvant exister entre elles, les sociétés requérantes étaient tenues de respecter les règles de la concurrence auxquelles elles s'étaient soumises, ce qui excluait qu'elles puissent présenter des offres dont l'indépendance n'était qu'apparente ".

151. La Cour d'appel de Paris a également souligné à plusieurs reprises que le défaut de vigilance de l'acheteur public ou le fait qu'il ait connu les liens juridiques unissant les sociétés concernées ne pouvait légitimer les pratiques anticoncurrentielles, " dès lors que de tel liens n'impliquent pas nécessairement la concertation ou l'échange d'informations " (voir notamment arrêt "Signaux Laporte" précité). La Cour d'appel de Paris a précisé dans l'arrêt du 4 juillet 1994 "SCREG Est" : " considérant qu'il est sans incidence que les maîtres de l'ouvrage aient connu les liens juridiques unissant les société concernées, dès lors qu'ils ignoraient qu'elles constituaient une entreprise unique ou que leur offre procédait d'une connivence ; qu'en outre, s'ils l'avaient su et toléré, leur compromission ne serait pas de nature à rendre régulière une pratique manifestement illicite " (soulignement ajouté). De même, dans l'arrêt du 24 mai 2005 "SARL Imagin et autres", la Cour d'appel de Paris, confirmant la décision du Conseil de la concurrence n° 04-D-78 du 22 décembre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre dans le département de la Moselle par six entreprises d'imprimerie à l'occasion de l'impression des bulletins de vote pour les élections présidentielles des 21 avril et 5 mai 2002, a jugé que " les quatre sociétés du groupe Imagin ne peuvent valablement se prévaloir du caractère prétendument transparent de leur démarche et de leur bonne foi alors que, en déposant des offres séparées, elles ont manifesté leur autonomie commerciale et ont choisi de se présenter, dans le cadre de l'appel d'offres, comme des entreprises concurrentes ; qu'elles devaient, par conséquent, respecter les règles de la concurrence auxquelles elles s'étaient soumises et s'interdire de présenter des offres dont l'indépendance n'était qu'apparente ; que la connaissance des liens unissant ces sociétés, que pouvaient avoir les services de la préfecture, est inopérante au regard des développements qui précèdent ".

152. Dès lors, le simple fait pour ALM et Maquet de répondre aux appels d'offres des établissements de santé par deux soumissions distinctes, alors que ces offres étaient réalisées de concert, suffit à établir que ces sociétés ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité CE.

153. Au surplus, l'affirmation des parties selon laquelle les centres hospitaliers étaient informés des liens entre ALM et Maquet et de l'origine commune des offres est factuellement inexacte. Il ressort en effet des éléments du dossier (voir paragraphes 66 à 95 de la présente décision) que les entreprises mises en cause n'ont pas fait clairement savoir à l'acheteur public, " lors du dépôt de leurs offres, la nature des liens qui les unissent d'une part, le fait que leurs offres ont été établies en commun ou qu'elles ont communiqué entre elles pour les établir d'autre part " (décision n° 05-D-04 du 17 février 2005 relative à des pratiques mises en œuvre à l'occasion des marchés de travaux passés par la société d'économie mixte Gaz de Strasbourg). En conséquence, dans la quasi-totalité des cas, les centres hospitaliers ont considéré que les offres d'ALM et de Maquet étaient distinctes et indépendantes les unes des autres.

154. Un des seuls documents établissant formellement qu'ALM était le distributeur exclusif de Maquet en France est la télécopie de Maquet signé par M. Z... et M. E..., intitulée "Pour information à qui de droit", datée du 24 janvier 2002, informant que, " Par la présente nous, société Maquet GmbH & Co KG sise à Rastatt (Allemagne), certifions que la société ALM SA sise à Ardon (France) est autorisée à faire la promotion, distribuer et assurer le service après-vente de l'ensemble des produits de la gamme Maquet (Tables, accessoires et mobilier associé Variop). Cette autorisation prend effet à partir du 01 janvier 2002 et est valable sur l'ensemble du territoire français " (notamment Cote 2006). Cependant, à la lumière des dossiers d'appels d'offres fournis par les centres hospitaliers (voir notamment paragraphe 95 et de la présente décision), il apparaît que ce document était transmis aux centres hospitaliers clients après l'attribution des marchés à la société Maquet et non au moment du dépôt des offres. En effet, lorsqu'un établissement de santé confirmait sa commande auprès de Maquet, ALM transmettait ce document pour informer le centre hospitalier que la livraison du matériel et son entretien seraient effectués par ALM et non par Maquet.

3. CONCLUSION

155. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il est établi que les sociétés ALM SA (devenue Maquet SA) et Maquet GmbH & Co KG se sont entendues, en 2002, pour présenter des soumissions séparées, mais fictivement indépendantes, par recours à divers procédés simulant l'autonomie des offres et des entreprises.

156. Les pratiques relevées ont faussé le jeu de la concurrence sur le marché des tables d'opération, en donnant aux acheteurs publics une appréciation erronée de l'état de cette concurrence. Ces pratiques n'ont pas pu être sans effet, étant donné la part de marché cumulée d'ALM et de Maquet, qui était au début des pratiques de plus de 85 % (voir paragraphe 28 de la présente décision).

D. SUR L'IMPUTABILITE

157. Ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante, notamment de l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission (T-6-89, Rec. p. II-1623, point 236), lorsque l'existence d'une infraction est établie, il convient de déterminer la personne physique ou morale qui était responsable de l'exploitation de l'entreprise en cause au moment où l'infraction a été commise, afin qu'elle réponde de cette infraction.

158. Le principe fondamental de cette jurisprudence repose sur l'idée que la responsabilité du comportement infractionnel de l'entreprise suit d'abord la personne morale. En conséquence, tant que la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise qui a mis en œuvre des pratiques subsiste juridiquement, c'est elle qui doit assumer la responsabilité de ces pratiques, même si les éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction ont été cédés à une tierce personne et sans que son changement de dénomination sociale ait un quelconque effet (voir notamment décision n° 01-D-14 du 4 mai 2001 relative à des pratiques relevées lors de marchés de fabrication et de mise en œuvre d'enrobés bitumeux sur les routes départementales de l'Isère).

159. En l'espèce, le 23 janvier 2001, ALM SA a été achetée par Getinge Arjo France SAS, filiale à 100 % du groupe suédois Getinge. Comme ALM SA a subsisté jusqu'au 31 décembre 2004, date à laquelle elle a changé de dénomination sociale pour devenir Maquet SA, les pratiques mises en œuvre par ALM SA doivent être imputées à Maquet SA qui a repris ses droits et obligations. En conséquence, Maquet SA et Maquet GmbH & Co KG doivent être tenues comme responsables des pratiques en cause.

E. SUR LES SANCTIONS

160. Aux termes de l'article L. 464-2 I, troisième alinéa, du Code de commerce : " Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".

1. SUR LE PLAFOND DES SANCTIONS

161. L'article L. 464-2 I, quatrième alinéa, du Code de commerce dispose que " Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".

162. Aux termes de l'article L. 464-5 du même Code : " L'Autorité, lorsqu'elle statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3, peut prononcer les mesures prévues au I de l'article L. 464-2. Toutefois, la sanction pécuniaire ne peut excéder 750 000 euro pour chacun des auteurs de pratiques prohibées ".

163. Dès lors que les griefs sont notifiés à des personnes morales distinctes au titre d'une participation individuelle à des pratiques anticoncurrentielles, le maximum légal encouru par chacune d'entre elles s'apprécie au regard des textes rappelés ci-dessus. En conséquence, malgré leur appartenance au groupe Getinge, ALM SA (devenue Maquet SA) et Maquet GmbH & Co KG encourent chacune une sanction pouvant s'élever à 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes du groupe Getinge, sans toutefois excéder 750 000 euro.

164. Le chiffre d'affaires le plus élevé d'ALM SA devenue Maquet SA a atteint 106 253 721 euro au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2008, ses comptes étant consolidés au sein de ceux du groupe Getinge. Les comptes consolidés du groupe Getinge font apparaître pour 2008 un chiffre d'affaires de 2 004 000 000 euro. Compte tenu de ces éléments, le plafond de sanction normalement applicable, égal à 10 % du chiffre d'affaires consolidé le plus élevé de la période examinée, est de 200 400 000 euro. Toutefois, par application des dispositions de l'article L. 464-5 du Code de commerce, le plafond légal de la sanction applicable est de 750 000 euro.

165. Le chiffre d'affaires le plus élevé de Maquet GmbH & Co KG a atteint 213 656 000 euro au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2008, ses comptes étant consolidés au sein de ceux du groupe Getinge. Les comptes consolidés du groupe Getinge font apparaître pour 2008 un chiffre d'affaires de 2 004 000 000 euro. Compte tenu de ces éléments, le plafond de sanction normalement applicable, égal à 10 % du chiffre d'affaires consolidé le plus élevé de la période examinée, est de 200 400 000 euro. Toutefois, par application des dispositions de l'article L. 464-5 du Code de commerce, le plafond légal de la sanction applicable est de 750 000 euro.

2. SUR LA GRAVITE DES PRATIQUES

166. Les sociétés défenderesses soutiennent que le comportement qui leur est reproché a pour origine les engagements imposés par le ministre de l'Economie et qu'en l'espèce aucun système d'échange d'informations n'a été mis en place entre les deux filiales. De ce fait, les pratiques reprochées à ALM et Maquet ne pourraient être qualifiées de pratiques particulièrement graves. Au contraire, le contexte particulier lié aux engagements imposés par le ministre devrait être considéré par l'Autorité de la concurrence comme une circonstance atténuante. Par conséquent, la sanction infligée par l'Autorité de la concurrence en cas de condamnation ne pourrait être que symbolique.

167. A cet égard, il convient de souligner que les pratiques d'ententes entre les soumissionnaires aux appels d'offres lancés dans le cadre de marchés publics sont particulièrement graves par nature, puisque seul le respect des règles de concurrence dans ce domaine garantit à l'acheteur public la sincérité de l'appel d'offres et la bonne utilisation de l'argent public. En particulier, le fondement même des appels à la concurrence réside dans le secret dont s'entourent les entreprises intéressées pour élaborer leurs offres, chacune d'entre elles devant se trouver dans l'ignorance de la qualité de ses compétiteurs, de leurs capacités financières à proposer la meilleure prestation ou fourniture possible au prix le plus bas. Au contraire, les échanges d'informations entre entreprises, lorsqu'ils sont antérieurs à la remise des plis, libèrent les compétiteurs de l'incertitude de la compétition et leur permettent d'élaborer des offres ne prenant plus en compte seulement leurs données économiques propres, mais celles, normalement confidentielles, de leurs concurrents.

168. En l'espèce, le comportement des entreprises mises en cause ne s'est pas limité à quelques appels d'offres, puisque le mode de réponse aux appels d'offres était systématisé (voir paragraphes 49 à 55 de la présente décision) comme en ont convenu les représentants de Maquet SA lors de leur audition du 22 avril 2009 : " la directive était que chacune des deux sociétés devait répondre à tous les appels d'offres. En conséquence, pour tous les appels d'offres "ouverts" les deux sociétés soumissionnaient " (Cotes 6218 à 6234).

169. En outre, les engagements pris par le groupe Getinge devant le ministre de l'Economie n'autorisaient pas ALM et Maquet à fusionner leurs forces de vente avant la date de cession de l'activité tables d'opération d'ALM à un repreneur indépendant, ni à présenter des offres fictivement indépendantes en réponse aux appels d'offres des établissements de santé (voir paragraphes 117 et suivants de la présente décision). Le contexte des engagements pris dans le cadre de l'opération de concentration constitue donc un facteur aggravant.

170. Par ailleurs, comme l'a souligné le Conseil de la concurrence dans sa décision 08-D-28 du 3 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par des entreprises exploitant des granulats dans le département d'Ille-et-Vilaine, lorsque des entreprises sont " habituées à répondre à de nombreux appels d'offres publics, de ce fait, elles ne pouvaient ignorer le caractère prohibé des échanges d'informations entre soumissionnaires se présentant comme concurrents à un appel d'offres, rappelé par de très nombreuses décisions des autorités de concurrence et une jurisprudence constante. L'article L. 420-1 du Code de commerce vise d'ailleurs lui-même expressément les ententes qui tendent à " faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ". Or, la connaissance par l'entreprise du caractère illicite des pratiques qu'elle a commises constitue également un facteur aggravant reconnu par la jurisprudence (voir les arrêts de la Cour d'appel de Paris du 10 novembre 1998, ordre des avocats du barreau de Marseille et du 30 mars 2004, SAS Novartis Pharma) ". Or, cette jurisprudence peut être appliquée en l'espèce s'agissant d'ALM (devenue Maquet SA) et de Maquet Gmbh & CO KG, étant donné que ces entreprises sont habituées à répondre à de nombreux appels d'offres.

3. SUR L'IMPORTANCE DU DOMMAGE A L'ECONOMIE

171. Les entreprises mises en cause considèrent qu'aucun dommage à l'économie n'a résulté des pratiques incriminées, car elles n'auraient causé préjudice ni aux établissements de santé ni à l'activité tables d'opération d'ALM. En effet, selon elles, les centres hospitaliers n'ont eu à souffrir d'aucune augmentation tarifaire de la part d'ALM en 2002 et aucune modification n'est intervenue dans la politique de remise. S'agissant de l'activité tables d'opération d'ALM, elle se serait maintenue, autant que possible, en 2002, la baisse des parts de marché d'ALM ayant été provoquée par la situation d'incertitude sur le devenir de cette activité.

172. Il convient tout d'abord de rappeler que le dommage causé à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence, ainsi que l'a jugé la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 13 janvier 1998 (Fougerolle Ballot). De telles pratiques affectent en effet le principe même de l'appel d'offres, qui repose sur la loyauté des participants.

173. Dans l'arrêt du 12 décembre 2000 "Sogea Sud Est", la Cour d'appel de Paris a précisé que " ces pratiques anticoncurrentielles qui caractérisent un dommage à l'économie sont répréhensibles du seul fait de leur existence, en ce qu'elles constituent une tromperie sur la réalité de la concurrence dont elles faussent le libre jeu ".

174. Enfin, dans l'arrêt du 4 février 2003 "SNC Suburbaine de Canalisation et de Grands Travaux", la Cour d'appel de Paris a souligné que, " s'agissant d'agissements de nature à tromper les organismes publics quant à l'existence ou à l'intensité de la concurrence à l'occasion d'appels d'offres, dont sont constamment rappelés la gravité intrinsèque et les dommages qu'ils causent à l'économie, notamment au regard du risque de banalisation et d'entraînement qui peut en résulter, la société requérante ne peut valablement invoquer une absence de gravité des faits qui lui sont reprochés et de dommage causé à l'économie ".

175. En l'espèce, le dommage à l'économie doit être apprécié, notamment, au regard du montant du marché attribué, afin de déterminer si celui-ci a été supérieur au montant qui aurait résulté du libre jeu de la concurrence. Le dommage sera d'autant plus important que le marché est de grande taille et que les auteurs des pratiques y détiennent une part de marché élevée.

176. A cet égard, la taille, en valeur, du marché français de la vente de tables d'opération était la suivante (Cotes 6245 à 6250) :

<emplacement tableau>

177. Le montant des appels d'offres concernés par les pratiques s'est élevé à plus de 6 millions d'euro (voir, à cet égard, le tableau figurant au paragraphe 57 de la présente décision).

178. Les chiffres d'affaires d'ALM et de Maquet sur le marché français de la vente de tables d'opération étaient les suivants (Cotes 6245 à 6254) :

<emplacement tableau>

179. ALM et Maquet détenaient donc des parts de marché très importantes au moment des pratiques. Les données citées au paragraphe 31 ci-dessus peuvent être rappelées :

<emplacement tableau>

180. Dans sa décision du 22 juin 2001, le ministre de l'Economie soulignait qu'" En France, la prééminence de la nouvelle entité est encore plus manifeste dans la mesure où elle détient un quasi-monopole à peine contrarié par des opérateurs, Schaerer et Trumpf-Blanco, réalisant respectivement 7 % et 3 % des ventes. Leur faible notoriété s'explique non seulement par ce faible niveau des ventes mais aussi par le fait qu'ils sont loin d'être en mesure de présenter une offre à l'ensemble des mises en concurrence organisées par les établissements hospitaliers français. [...] En conséquence, pour les raisons développées ci- dessus, l'opération crée une position dominante au profit de la société Getinge " (Cotes 3461 à 3464). Or, comme la revente de l'activité tables d'opération d'ALM par le groupe Getinge n'a eu lieu qu'en 2003, ce groupe, via ALM et Maquet était toujours en position dominante sur le marché des tables d'opération au moment des pratiques en cause.

181. Par ailleurs, même s'il apparaît difficile de calculer avec exactitude le renchérissement du coût payé par les établissements de santé du fait de ces pratiques, il convient de rappeler que le rachat d'ALM et de Maquet par le groupe Getinge s'est traduit, fin 2001 par la fusion des équipes commerciales des deux entreprises (voir paragraphes 34 à 42 de la présente décision) et par une augmentation tarifaire de 5 % des produits des deux marques (voir paragraphes 43 à 47 de la présente décision).

182. En effet, aux termes d'une lettre adressée par M. I... (directeur général d'ALM) à M. J... (président directeur général de FHS) le 13 novembre 2002 : " En 2001, le prix de vente unitaire moyen des tables (tables + pièces détachées) a été d'environ 27 000 euro. A la fin de l'année 2002, sur la même base, le prix de vente moyen d'une table est d'environ 33 600euro (s'explique par l'augmentation de tarif courant 2001, une politique de remises plus stricte et en ligne avec les objectifs de rentabilité du groupe Getinge, effet mix-produit)... ". (Cotes 113 à 118).

183. S'il est vrai qu'ALM n'a pas augmenté ses prix en 2002, il apparaît que ses parts de marché sont passées de 51,9 % en 2001 à 31,8 % en 2002. Cette baisse des parts de marché d'ALM peut être, au moins pour partie, attribuée à la fusion de ses équipes commerciales avec celles de Maquet. D'une part, Maquet a vu ses parts de marché passer de 38,6 % en 2001 à 46,8 % en 2002 malgré une augmentation de ses prix de 2 %. D'autre part, si la baisse des parts de marché d'ALM peut être liée à la situation d'incertitude sur le devenir de l'activité tables d'opération d'ALM, plusieurs hôpitaux rapportent que cette incertitude a été nourrie par les équipes commerciales fusionnées (voir notamment paragraphes 78 et 83 de la présente décision), l'objectif du groupe Getinge étant de transférer les parts de marché d'ALM à Maquet avant la cession de l'activité à un tiers indépendant. En effet, le document de synthèse élaboré pour un séminaire regroupant en Allemagne l'ensemble des équipes commerciales ALM/Maquet du 14 au 17 janvier 2002 contient un tableau montrant que les objectifs de vente en tables ALM étaient fortement revus à la baisse en 2002 (voir paragraphe 30 de la présente décision).

184. Or, ces divers éléments de la stratégie menée par le groupe Getinge ont inévitablement conduit à une augmentation des prix pour les établissements de santé.

185. Il ressort de ce qui précède ainsi que de " la malheureuse valeur d'exemple que ce type de comportements peut susciter pour d'autres marchés publics " (voir, à cet égard, décision n° 06-D-08, précitée) que les pratiques anticoncurrentielles constatées ont causé un dommage certain à l'économie.

4. SUR LE MONTANT DES SANCTIONS

186. Les sociétés ALM, devenue Maquet SA le 31 décembre 2004, et Maquet GmbH & Co KG se sont entendues, en 2002, pour présenter des soumissions séparées fictivement indépendantes, par recours à divers procédés simulant l'autonomie des offres et des entreprises, alors qu'elles étaient liées juridiquement et financièrement entre elles. En fonction des éléments généraux et individuels exposés ci-dessus, il y a lieu d'infliger à chacune d'elles une sanction pécuniaire d'un montant de 750 000 euro.

Décision

Article 1er : Il est établi que les sociétés ALM SA (devenue Maquet SA) et Maquet GmbH & Co KG ont enfreint les dispositions de l'article 81 du traité CE et de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

. à la société ALM SA (devenue Maquet SA) une sanction de 750 000 euro ;

. à la société Maquet GmbH & Co KG une sanction de 750 000 euro.