Livv
Décisions

CA Rouen, 2e ch., 6 novembre 2008, n° 07-03987

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SCP Guérin Diesbecq (ès qual.), Herpin

Défendeur :

Auberge du Cheval Blanc (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

M. Lottin, Mme Vinot

Avoués :

Mes Couppey, SCP Hamel Fagoo Duroy

Avocats :

Mes Taffou, Bendjebbour

T. com. Evreux, du 6 sept. 2007

6 septembre 2007

Exposé du litige

Par acte du 8 novembre 2001, la société Auberge du Cheval Blanc a cédé à Madame Herpin à titre de gérance libre l'exploitation de son fonds de commerce de café restaurant sis à Etrépagny, ce pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction et moyennant le paiement d'une redevance et d'une indemnité d'occupation.

Ce contrat de location-gérance comportait une clause résolutoire de plein droit de 8 jours après une simple sommation de payer tout ou partie des loyers échus.

Après avoir, le 20 avril 2004, fait délivrer à Madame Herpin une sommation de payer une somme de 42 888,16 euro et visant la clause résolutoire, la société Auberge du Cheval Blanc a fait assigner cette dernière en référé aux fins notamment de constater la résiliation du contrat.

Par ordonnance du 16 décembre 2004, le juge des référés a relevé l'existence d'une contestation sérieuse mais, sur la demande reconventionnelle de Madame Herpin, a ordonné une expertise aux fins d'évaluer les sommes dues par celle-ci et celles réglées par elle.

Par acte du 21 août 2006, la société Auberge du Cheval Blanc a fait assigner Madame Herpin devant le Tribunal de commerce d'Evreux statuant au fond aux fins de voir constater la résiliation du bail, voir ordonner son expulsion et la voir condamner à lui payer en principal la somme de 94 620,59 euro.

Madame Herpin a conclu notamment à la nullité pour violence et dol du contrat de location-gérance et qu'il soit enjoint à la société Auberge du Cheval Blanc d'exécuter les travaux de réparation lui incombant, sollicitant le paiement de dommages et intérêts pour privation de jouissance, la réduction de la somme réclamée et l'octroi de délais.

Par jugement du 6 septembre 2007, le Tribunal de commerce d'Evreux a:

- débouté Madame Herpin de sa demande reconventionnelle

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire aux torts exclusifs de Madame Herpin

- ordonné l'expulsion immédiate de Madame Herpin sous astreinte

- condamné Madame Herpin à payer à la SARL Auberge du Cheval Blanc la somme de 120 402,68 euro avec intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2004 pour les sommes dénoncées dans la sommation de payer et avec intérêts au taux légal pour le surplus à compter du 21 août 2006

- condamné Madame Herpin à payer à la SARL Auberge du Cheval Blanc la somme de 800 euro au titre de l'article 700 du NCPC

- condamné Madame Herpin en tous les dépens

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Madame Herpin a interjeté appel de ce jugement.

Par jugement du 13 décembre 2007, elle a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 23 juin 2008 par Madame Herpin et la SCP Guérin Diesbecq ès qualités de mandataire judiciaire et le 17 septembre 2008 par la SARL Auberge du Cheval Blanc.

Madame Herpin et la SCP Guérin Diesbecq concluent au prononcé de la nullité du contrat de location-gérance, en toute hypothèse au débouté de la société Auberge du Cheval Blanc de toutes ses demandes, qu'il soit enjoint à la société Auberge du Cheval Blanc d'avoir à exécuter les travaux de réparation lui incombant sous astreinte de 50 euro par jour de retard, à la condamnation de la SARL Auberge du Cheval Blanc à restituer à Madame Herpin l'intégralité des sommes qu'elle a versées en exécution de ce contrat, en tout cas à la condamnation de la SARL Auberge du Cheval Blanc à payer à Madame Herpin la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts, à titre subsidiaire qu'il soit constaté que la créance de la société Auberge du Cheval Blanc ne peut excéder la somme de 92 325,68 euro et à la condamnation de cette société à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Auberge du Cheval Blanc conclut au débouté de l'ensemble des demandes de Madame Herpin, à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, en conséquence à la fixation au passif de Madame Herpin de sa créance de 120 402,68 euro au titre des redevances et indemnités d'occupation dues pour la période de novembre 2002 à mai 2007, à la fixation au passif de sa créance de 42 211,36 euro au titre des redevances et indemnités d'occupation dues pour la période de juin 2007 à septembre 2008 et à la condamnation de Madame Herpin et de la SCP Guerin Diesbecq au paiement de la somme de 3 500 euro par application de l'article 700 du NCPC.

En cours de délibéré, il a été demandé aux parties de présenter leurs observations sur les conséquences d'une nullité du contrat de location-gérance.

Les observations qui ont été contradictoirement formulées sont jointes au dossier de la procédure.

Sur ce

Aux termes des dispositions de l'article L. 144-3 du Code de commerce applicables au jour de la conclusion de la convention litigieuse, " les personnes physiques ou morales qui concèdent une location-gérance doivent avoir été commerçants ou avoir été immatriculés au répertoire des métiers pendant sept années ou avoir exercé pendant une durée équivalente les fonctions de gérant ou de directeur commercial ou technique et avoir exploité pendant deux années au moins le fonds ou l'établissement artisanal mis en gérance. "

Il s'ensuit que, quand le loueur est une société, celle-ci doit avoir été immatriculée depuis au moins sept ans puisque c'est cette formalité qui confère la qualité de commerçant.

En l'espèce, le loueur est la société Auberge du Cheval Blanc et c'est donc cette société qui devait pouvoir justifier d'une immatriculation depuis au moins sept ans et non la personne physique qui la gère.

Il est constant, ainsi que cela résulte de l'extrait Kbis produit aux débats, que la société Auberge du Cheval Blanc a été immatriculée à compter du 28 mars 1997.

La condition de sept ans n'était donc pas remplie à la date de conclusion du contrat de location-gérance, peu important à cet égard que Madame Bentchakal, gérante, ait pu quant à elle être immatriculée au registre du commerce depuis 1991.

Il s'ensuit que la nullité du contrat de location-gérance est encourue, nullité absolue qui ne peut dès lors qu'être prononcée.

Le jugement sera en conséquence infirmé.

La nullité d'un acte a un effet rétroactif et remet les parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant l'acte.

En conséquence, la demande formée par la SCP Guérin Diesbecq et Madame Herpin tendant à la restitution des sommes versées en exécution du contrat est justifiée.

De son côté la société Auberge du Cheval Blanc se borne à soutenir que la demande de nullité n'est pas fondée et que sa créance de redevances contractuelles doit être fixée, sans s'expliquer sur les conséquences d'une éventuelle nullité, sans prétendre qu'une indemnité pouvait lui être due dans un tel cas au titre de la jouissance du fonds loué et surtout sans former, même à titre subsidiaire, une demande en paiement d'une telle indemnité ni davantage s'expliquer sur la façon dont elle devrait être calculée.

Dès lors, il ne pourra qu'être fait droit à la demande de restitution susvisée sans compensation avec une indemnité qui n'est pas sollicitée.

Il sera relevé à titre surabondant que la seule déclaration de créance dont il est justifié avait en tout état de cause été formée au titre de redevances dues en vertu du contrat de bail pour la période échue à mai 2007 et non à un autre titre.

La demande de fixation au passif sera donc rejetée.

Compte tenu de la nullité du contrat de location-gérance, Madame Herpin et la SCP Guérin Diesbecq ne sont pas fondées à solliciter l'exécution de travaux de réparation pas plus qu'elles ne sont fondées à obtenir des dommages et intérêts pour trouble de jouissance.

Les dispositions du jugement ayant ordonné l'expulsion sous astreinte ne sont pas expressément critiquées et seront confirmées, le départ des lieux étant la conséquence de la nullité.

Il n'y a pas lieu d'allouer de sommes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement entrepris, sauf en celles de ses dispositions ayant ordonné l'expulsion sous astreinte. Prononce la nullité du contrat de location-gérance conclu le 8 novembre 2001 entre la SARL Auberge du Cheval Blanc et Madame Herpin. Déboute la SARL Auberge du Cheval Blanc de sa demande de fixation de créance à titre de redevances et indemnités d'occupation contractuelles sur la procédure de redressement judiciaire de Madame Herpin. Condamne la société Auberge du Cheval Blanc à restituer à Madame Herpin assistée de la SCP Guérin Diesbecq les sommes versées en exécution du contrat de location-gérance annulé. Déboute Madame Herpin et la SCP Guérin Diesbecq de leurs demandes d'exécution de travaux et de paiement de dommages et intérêts. Déboute les parties de leurs demandes formées sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Auberge du Cheval Blanc à payer les dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.