CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 4 février 2010, n° 07-20178
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Garage Huguenin (SA)
Défendeur :
Claas Tractor (SAS), Claas France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Deurbergue
Conseillers :
Mme Le Bail, Mouillard
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Monin d'Auriac de Brons, Me Teytaud
Avocats :
Mes Bourgeon, Henry, Gauclère
Depuis 1945, le Garage Huguenin, situé à Fère en Tardenois, était agent de la société Renault Agriculture pour la vente de tracteurs neufs et le service après-vente. Ayant pris la forme d'une SA à partir de 1975, il est devenu concessionnaire exclusif pour les pièces de rechange en 1978, puis, le 17 septembre 1996 et, en dernier lieu, le 30 avril 2001, pour la distribution de tracteurs neufs et de pièces de rechange, et les services d'entretien et de réparation dans divers cantons de l'Aisne et de l'Oise.
Ce dernier contrat, conclu pour une durée indéterminée et résiliable avec un préavis d'un an, a été dénoncé par Renault Agriculture le 20 décembre 2001 pour le 31 décembre 2002.
Les relations commerciales se sont néanmoins poursuivies au-delà de cette date et, le 7 septembre 2004, Renault Agriculture a informé tous ses concessionnaires que son activité était reprise, dans le cadre d'un contrat de location-gérance, par la société Claas France qui allait leur proposer un nouveau contrat.
Garage Huguenin n'a pu s'entendre avec Claas France sur les modalités de leur collaboration et, le 8 mars 2005, cette dernière lui a notifié la cessation de leurs relations commerciales pour le 30 septembre 2005.
C'est dans ces conditions que, reprochant à Claas France une rupture brutale et abusive du contrat de concession, Garage Huguenin l'a assignée, ainsi que Renault Agriculture, le 19 septembre 2005, pour obtenir leur condamnation solidaire au paiement de dommages et intérêts.
Renault Agriculture et Claas France se sont opposées à la demande, Claas France réclamant reconventionnellement le paiement de factures impayées, outre une indemnité pour procédure abusive.
Par jugement du 31 octobre 2007, le Tribunal de commerce de Paris a débouté Garage Huguenin de sa demande d'indemnisation et l'a condamné à payer à Claas France la somme de 26 650,29 euro pour solde de factures impayées, outre celle de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, de même qu'à Renault Agriculture, déboutant Claas France de sa demande de dommages et intérêt pour procédure abusive.
LA COUR,
Vu l'appel de ce jugement interjeté par Garage Huguenin le 30 novembre 2007;
Vu les conclusions signifiées le 7 octobre 2009 par lesquelles l'appelant, qui a pris la forme d'une SARL le 30 septembre 2009, poursuit l'infirmation du jugement et demande à la cour de condamner solidairement Renault Agriculture et Claas France à lui payer la somme de 300 000 euro à titre de dommages et intérêts, outre celle de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
Vu les conclusions signifiées le 30 novembre 2009 par lesquelles Claas France poursuit la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il la déboute de sa demande d'indemnisation pour procédure abusive, et réclame à Garage Huguenin une somme de 5 000 euro à ce titre et une autre de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile;
Vu les conclusions signifiées le 2 décembre 2009 par lesquelles la SAS Claas Tractor, venant aux droits de Renault Agriculture, poursuit la confirmation du jugement, faisant valoir subsidiairement que Garage Huguenin ne justifie d'aucun préjudice, et réclame à Garage Huguenin une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
Sur ce :
Considérant, d'abord, que l'appelant n'articule aucun moyen contre le jugement en ce qu'il le condamne à payer à Claas France la somme de 26 650,29 euro pour solde de factures impayées ; que le jugement doit donc être confirmé de ce chef;
Considérant, ensuite, qu'il est constant qu'en dépit de la résiliation notifiée pour le 31 décembre 2002, les relations de concession pour la commercialisation de tracteurs neufs et de leurs pièces de rechange et les services d'entretien et de réparation se sont poursuivies entre Garage Huguenin et Renault Agriculture au-delà de cette date, aux conditions antérieures, sauf pour l'exclusivité, sur laquelle les parties s'opposent alors que des concurrents ont été admis à s'installer, à partir de 2004, sur le territoire initialement concédé à Garage Huguenin ; que ces relations étaient encore en cours lorsque, le 7 septembre 2004, Renault Agriculture a informé Garage Huguenin qu'elle avait donné son fonds de commerce en location-gérance à Claas France et que, les contrats de distribution n'étant pas cessibles, le sien prendrait fin le 30 septembre 2004, étant entendu que Claas France lui soumettrait un nouveau contrat courant octobre 2004;
Considérant qu'il résulte encore des courriers échangés entre les parties que Claas France a effectivement proposé, début octobre 2004, un nouveau contrat à Garage Huguenin, qui l'a refusé au motif qu'il n'y trouvait pas le même degré de protection puisqu'il perdait la qualité de concessionnaire, selon lui exclusif, au profit de celle de distributeur sélectif; qu'en définitive, Claas France, qui exigeait cette étape de transition pour réaliser un audit de l'ensemble des distributeurs Renault Agriculture qu'elle intégrait à son propre réseau, a pris acte de leur désaccord et notifié à Garage Huguenin, le 8 mars 2005, qu'elle renonçait à l'intégrer et que leurs relations prendraient donc fin le 1er octobre 2005 ;
Considérant qu'il s'évince de cet exposé que le contrat de concession verbal qui continuait à unir Garage Huguenin et Renault Agriculture a été dénoncé par cette dernière, sans ambiguïté, pour le 30 septembre 2004, mais que les relations se sont poursuivies, aux fins de négociation d'un nouveau contrat, avec Claas France, qui s'est substituée à Renault Agriculture, jusqu'au 30 septembre 2005 ; qu'ainsi, Garage Huguenin, qui ne pouvait se méprendre sur le sens et la portée de la dénonciation notifiée par Renault Agriculture, a bénéficié d'un préavis effectif de un an ;
Que c'est à juste titre toutefois qu'eu égard à la durée considérable (60 ans) de la relation contractuelle qui l'avait uni à Renault Agriculture (qui ne le nie pas), Garage Huguenin revendique un délai plus long, comme l'y autorise l'article L. 442-6, I,5°, du Code de commerce; que le délai global de deux ans qu'il réclame à ce titre apparaît justifié au regard de cette durée et de la part représentée par l'ensemble de l'activité attachée aux produits contractuels tant au sein de son chiffre d'affaires global (35 %) que de sa marge brute (20 %) ; que Renault Agriculture ne saurait, au prétexte de la mise en location-gérance de son fonds, laquelle, faute de stipulation expresse en ce sens, n'a pu avoir pour effet de mettre automatiquement un terme au contrat de concession conclu avec Garage Huguenin, s'exonérer de cette responsabilité, de même que Claas France, qui s'est volontairement substituée à elle dans l'exécution de ce contrat et qui s'est ainsi rendue débitrice solidaire de ses engagements envers Garage Huguenin; que Renault Agriculture et Claas France ne sont pas fondées à reprocher à Garage Huguenin, qui demandait seulement à poursuivre le contrat avec Claas France aux conditions antérieures, au moins le temps qu'elle procède à l'audit du réseau Renault Agriculture, de ne pas avoir accepté les modifications substantielles, défavorables, qui lui étaient imposées ; qu'il suit de là que c'est à bon droit que Garage Huguenin réclame à Renault Agriculture et à Claas France, solidairement, l'indemnisation de la période de préavis non exécutée ;
Considérant que cette indemnisation s'entend de la perte de la chance de réaliser la même marge brute que celle obtenue au cours des années précédentes et ce, sans qu'il y ait lieu d'appliquer un abattement de 30 % au titre de coûts variables, dont Renault Agriculture se borne à supposer l'existence (frais de publicité, de prospection, de préparation des produits liées à l'activité, de salaires et commissions versées au vendeurs au titre de l'activité qui a cessé, des commissions versées aux "éventuels" agents mandataires pour la vente des produits concernes), qu'au vu de l'ensemble des documents comptables produits, qui confirment d'ailleurs la diminution d'activité invoquée par Garage Huguenin en 2006, ce dernier est fondé à obtenir une indemnité de 100 000 euro à ce titre ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Garage Huguenin n'a pas fait de son droit d'agir en justice un usage fautif et que Claas France doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour ce motif;
Et considérant que Garage Huguenin a dû exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge; qu'il y a lieu de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, dans la mesure qui sera précisée au dispositif, et de rejeter les demandes présentées par les intimées à ce titre;
Par ces motifs, Confirme le jugement en ce qu'il condamne la société Garage Huguenin à payer à la société Claas France la somme de 26 650,29 euro pour solde de factures impayées, et en ce qu'il déboute la société Claas France de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, L'infirme partiellement, en ce qu'il déboute la société Garage Huguenin de sa demande de dommages et intérêts, Et statuant à nouveau de ce chef, Dit que la société Renault Agriculture et la société Claas France ont engagé leur responsabilité en rompant la relation contractuelle avec la société Garage Huguenin sans lui accorder un préavis de deux ans, Condamne en conséquence la société Claas Tractor, venant aux droits de la société Renault Agriculture, solidairement avec la société Claas France, à payer à la société Garage Huguenin une indemnité de 100 000 euro au titre de la période de préavis de un an non effectuée, Condamne les sociétés Claas Tractor et Claas France, sous la même solidarité, à payer à la société Garage Huguenin la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette leurs demandes formées à ce titre, Condamne les sociétés Claas Tractor et Claas France aux dépens de première instance et d'appel et dit que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.