CA Colmar, ch. soc. C, 18 janvier 2008, n° 05-05845
COLMAR
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Tiger (SARL)
Défendeur :
Dautreville
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Die (faisant fonction)
Conseillers :
Mmes Wolf, Weber
Avocats :
Mes Weckerlin, Tabak
Faits et procédure
M. Patrick Dautreville a été engagé à compter du 3 janvier 2002 par la SARL Tiger en qualité de technico-commercial dans les conditions fixées par les articles L. 751-1 et suivants du Code du travail moyennant un salaire brut mensuel de 2 134 euro outre commissions sur chiffre d'affaires.
M. Dautreville était chargé de vendre tous produits relevant de l'objet social de la société sur 17 départements.
L'entreprise comportait habituellement au moins onze salariés.
Le contrat de travail prévoyait une clause de quotas à respecter.
Par lettre du 2 juillet 2003 la société Tiger a reproché à M. Dautreville de n'avoir pas atteint l'objectif fixé pour le 1er semestre, le mettant en garde pour l'objectif à atteindre au 2e semestre.
M. Dautreville a été licencié par lettre du 29 janvier 2004 pour insuffisance professionnelle génératrice d'une insuffisance de résultat et non concrétisation des entretiens de vente.
Contestant son licenciement, M. Dautreville a saisi le 15 avril 2004 la section encadrement du Conseil de prud'hommes de Mulhouse de demandes aux fins d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité de clientèle et indemnité de non-concurrence.
Par jugement du 24 novembre 2005 le Conseil de prud'hommes a dit que le licenciement de M. Dautreville était dénué de cause réelle et sérieuse et a condamné la SARL Tiger à lui payer :
- 20 000 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 10 561 euro au titre de la clause de non-concurrence,
- 11 000 euro à titre de l'indemnité de clientèle,
- 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
et a ordonné l'exécution provisoire du jugement.
La SARL Tiger a régulièrement interjeté appel.
Elle conclut à l'infirmation du jugement et au débouté des demandes, sollicitant le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement ainsi qu'un montant de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
M. Dautreville conclut à la confirmation du jugement en formant un appel incident au quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, réclamant à ce titre un montant de 63 370,56 euro, sollicitant de plus une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que l'exécution provisoire de la décision.
La cour se réfère aux conclusions des parties, visées par le greffier le 18 janvier 2007 en ce qui concerne la société Tiger et le 9 novembre 2006 en ce qui concerne Monsieur Dautreville dont elles ont repris les termes à l'audience ; le conseil de ce dernier précisant former un appel incident aux fins d'obtenir également les montants de 15 842,66 euro au titre de la clause de non-concurrence et 20 858 euro au titre de l'indemnité de clientèle.
Motivation
- Sur le licenciement
La lettre de licenciement mentionne :
" Nous vous informons par la présente de notre décision de vous licencier aux motifs d'une insuffisance professionnelle générant un manque évident de résultats.
Ce constat résulte de la non-réalisation des objectifs que vous vous étiez pourtant engagé contractuellement à atteindre et ce malgré tous les moyens mis à votre disposition, autant humains que financiers ou matériels.
En effet, lors d'un précédent entretien en nos locaux, en date du 24 janvier 2003, vous nous aviez assuré être en mesure d'atteindre et réaliser les objectifs fixés dans votre contrat de travail dès le 1er semestre 2003, ne les ayant jamais atteints jusque là depuis votre embauche.
Pourtant, le chiffre d'affaires réalisé sur votre secteur auprès de la clientèle n'a cessé de décroître mois après mois, nous obligeant à vous adresser deux nouvelles mises en garde verbales en date des 22 mai et 13 juin 2003 insistant sur la nécessité de redresser la barre.
Hélas, les résultats ont été largement insuffisants en dépit des efforts consentis et la patience affichée par la direction.
Cette situation nous a contraint à vous adresser une lettre d'avertissement en date du 2 juillet 2003 afin de vous sensibiliser une nouvelle fois sur cet état de fait.
En vain.
En effet, les résultats enregistrés sur votre secteur au cours du second semestre de l'année 2003 sont décevants et largement insuffisants, la situation s'aggravant de façon alarmante et intolérable, preuve d'une négligence manifeste de votre part dans la prospection de la clientèle
De surcroît, vous ne concrétisez pas vos entretiens de vente.
Nous tenons à vous préciser que les résultats obtenus sur les autres secteurs par vos collègues sont régulièrement positifs.
Ces faits remettent en cause à l'évidence la bonne marche du service commercial, ce qui nous a malheureusement contraint à provoquer l'entretien préalable organisé le 27 janvier dernier.
Lors de cet entretien, vous n'avez pas fourni d'explications permettant d'espérer une quelconque amélioration.
Cette insuffisance professionnelle génératrice d'une insuffisance de résultats ne nous permet pas de poursuivre notre collaboration. "
La société Tiger reproche ainsi à M. Dautreville une insuffisance de résultat résultant d'une insuffisance professionnelle.
M. Dautreville qui ne conteste pas les éléments chiffrés impute ses mauvais résultats à des causes extérieures.
Le contrat de travail de M. Dautreville comportait en son article 7 une clause de quotas aux termes de laquelle, le chiffre d'affaires hors taxes minimum à réaliser par celui-ci était fixé comme suit :
- 1er semestre 2002 : 690 000 euro,
- 2e semestre 2002 : 730 000 euro,
- 1er semestre 2003 : 780 000 euro,
- 2e semestre 2003 : 840 000 euro,
- 1er semestre 2004 : 900 000 euro et
- 2e semestre 2004 : 960 000 euro
Il est constant que le chiffre d'affaires réalisé par M. Dautreville s'est élevé aux montants suivants :
- 646 312 euro pour le 1er semestre 2002,
- 633 623 euro pour le 2e semestre 2002,
- 676 522 euro pour le 1er semestre 2003,
- 591 794 euro pour le 2e semestre 2003.
Ces chiffres démontrent que le quota contractuel n'a jamais été atteint, avec une dégradation significative au 2e semestre 2003 et ce malgré plusieurs mises en gardes de l'employeur, en dernier lieu par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 juillet 2003. Le chiffre d'affaires réalisé en 2003 était inférieur de 27,7 % aux objectifs minimum fixés, et inférieur au chiffre d'affaires réalisé en 2002.
Il résulte des pièces versées aux débats que les successeurs de M. Dautreville ayant le même secteur ont réalisé voire dépassé les objectifs fixés qui n'étaient ni excessifs ni irréalisables alors que M. Dautreville ne les a pas atteints. En effet, Monsieur Blon engagé en mars 2004 qui avait un chiffre d'affaires à réaliser à compter du 1er semestre 2005, a enregistré en avril et mai 2004 des progressions respectives de 12 % et 7 % par rapport aux chiffres d'avril et mai 2003, sur le secteur de M. Dautreville qui avait à cette période plus d'un an d'ancienneté.
Il y a lieu d'ajouter que la comparaison faite par M. Dautreville entre les objectifs contractuels à réaliser par celui-ci au 2e semestre 2004 soit 960 000 euro et ceux de Monsieur Blon pour le 1er semestre 2005 de 720 000 euro n'est pas pertinente alors que le premier aurait eu une ancienneté de deux ans et demi et le second de dix mois. En revanche à ancienneté égale le chiffre d'affaires à réaliser était favorable à Monsieur Dautreville et en tout cas comparable, si l'on tient compte d'une évolution normale annuelle du chiffre d'affaires :
- 690 000 euro au 1er semestre 2002 pour M. Dautreville,
- 720 000 euro au 1er semestre 2005 pour M. Blon.
M. Blon qui a mis un terme à son contrat de travail à l'issue de sa période d'essai a été remplacé en octobre 2004 par M. Risser.
A ancienneté égale, celui-ci avait des objectifs contractuellement impartis supérieurs à ceux de M. Dautreville qu'il a constamment réalisés et dépassés, avec des progressions de + 15,6 % et 25 % en 2005 et 2006.
S'agissant du prédécesseur de M. Dautreville, les premiers juges ont relevé que M. Spiehlmann a, en 2001 réalisé un chiffre d'affaires inférieur à Monsieur Dautreville. Cette comparaison n'est pas pertinente alors que M. Spiehlmann avait un secteur géographique moins étendu que celui de M. Dautreville, étant observé que la progression entre 2000 et 2001 a été particulièrement importante.
Enfin, les pièces versées aux débats démontrent que les trois autres VRP sur les autres régions ont tous enregistré en 2003 une progression de leur chiffre d'affaires de + 3,9 %, + 37,7 % et + 96,5 %, en comparaison avec l'année 2002, seul M. Dautreville ayant enregistré une perte de - 0,9%.
Contrairement aux écritures de M. Dautreville, M. Machecourt commercial sur la région Rhône-Alpes Sud n'a pas enregistré une baisse de son chiffre d'affaires de 3,5 % entre 2001 et 2002, mais une progression de 1,4 % (cf. annexe 13, société Tiger).
M. Dautreville ne peut imputer ses mauvais résultats à des causes extérieures.
En premier lieu, la concurrence du marché à la supposer établie affecte tous les secteurs et non spécifiquement le secteur de M. Dautreville. Il en est de même en ce qui concerne les problèmes de qualité de produits distribués et d'approvisionnement des produits.
S'agissant plus spécifiquement des clients sur le secteur de M. Dautreville, des difficultés ponctuelles sur des commandes isolées sont établies et admises, néanmoins elles n'ont pas sensiblement affecté les résultats.
Il résulte au contraire des pièces versées aux débats que la société Tiger a continué de développer son chiffre d'affaires avec les clients concernés, les sociétés Hammerlin, Sedac France, Outils Wolf, la société Sitras.
M. Dautreville n'apporte aucun justificatif concernant les autres sociétés clientes visées à ce titre.
Le fait que des sociétés clientes aient fait l'objet d'une procédure collective n'est pas spécifique au secteur de M. Dautreville, mais relève des aléas économiques auxquels sont soumis tous les commerciaux.
M. Dautreville affirme encore que de nombreuses sociétés ont rompu leurs relations avec la SARL Tiger en raison de la politique des prix, mise en place par cette dernière. En premier lieu, ce fait, à le supposer avéré, concernerait tous les secteurs et non pas seulement celui attribué à M. Dautreville. En second lieu, Monsieur Dautreville produit à cet effet la seule correspondance d'un seul client, la société Hermès Métal du 18 mars 2003 indiquant ne pouvoir retenir son offre de prix des poudres Epoxy concernant le marché 2003/2004, M. Dautreville estimant ce manque à gagner à environ 20 000 euro selon mention manuscrite sur ce courrier.
Cette société a toutefois réalisé avec la société Hermès Métal un chiffre d'affaires de 33 000 euro en 2003 (32 799 euro) ce qui démontre que cette société est restée cliente, même si en effet le chiffre d'affaires était moindre que celui de 2002.
Enfin, les impayés des clients qui ne sont pas spécifiques au secteur de Monsieur Dautreville ne peuvent au surplus être sérieusement invoqués alors qu'aux termes de son contrat de travail M. Dautreville devait effectuer toute démarche appropriée pour le règlement.
En conséquence, il n'y a pas de circonstance extérieure ayant pu influer ses résultats et malgré une augmentation moins sensible du chiffre d'affaires de la société pour 2003 de + 10,7 % comparé à 2004 et 2005 et un chiffre d'affaires moins satisfaisant (cf note de service du 03/12/2003), l'ensemble des commerciaux, à l'exception de Monsieur Dautreville ont présenté des chiffres satisfaisants.
Il résulte enfin des pièces adverses que plusieurs sociétés ont manifesté leur mécontentement quant au suivi technique et commercial de M. Dautreville (société Mim, SKB et Laque Design) ce qui est corroboré par les feuilles hebdomadaires de travail établies par M. Dautreville démontrant un manque manifeste de prospection, malgré les termes de son contrat de travail et note du 9 juillet 2003.
Il est ainsi démontré une insuffisance de résultat importante et persistante malgré plusieurs mises en garde alors que les objectifs étaient parfaitement réalisables, résultant exclusivement d'une insuffisance professionnelle imputable à Monsieur Dautreville sans que celui-ci ne puisse se prévaloir d'une conjoncture étrangère à son activité personnelle pour justifier de ses mauvais résultats. Celle-ci constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement. M. Dautreville doit être débouté de sa demande en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement doit être réformé en ce sens.
- Sur l'indemnité au titre de la clause de non-concurrence
Le contrat de travail ou la convention collective peut subordonner la mise en œuvre de la clause de non-concurrence à une cause ou un mode particulier de rupture, auquel cas celle-ci devra recevoir application.
L'article 13 du contrat de travail mentionne "M. Dautreville s'interdit expressément pendant la durée d'un an ou à partir de la rupture du présent contrat et dans le secteur défini à l'article 3 de s'intéresser (...) à toute affaire créée ou en voie de création susceptible de concurrencer la société.
Cet article ne prend effet qu'à l'issue de la période d'essai et reste sans valeur si la rupture de contrat est à l'initiative de l'employeur."
Il résulte ainsi des termes clairs et précis du contrat de travail que la clause de non-concurrence ne pouvait trouver application qu'en [sic] cas de licenciement, mode de rupture à l'initiative de l'employeur, clause parfaitement licite sur ce point.
Le contrat de travail mentionne par ailleurs que M. Dautreville exerce les fonctions de représentant technico-commercial dans les conditions fixées par les articles L. 751-1 et suivants du Code du travail. Les parties ont admis une application volontaire du statut des VRP.
La clause contractuelle de non-concurrence, limitée au cas d'une rupture à l'initiative du salarié, n'est pas contraire aux dispositions impératives de la convention collective des VRP, notamment l'article 17, la clause de non-concurrence étant une clause facultative, y compris dans les cas d'ouverture qu'elle prévoit.
C'est donc à juste titre que la société Tiger soutient que cette clause ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce dès lors que la rupture est intervenue à l'initiative de l'employeur qui a licencié M. Dautreville.
Enfin, si d'une manière générale un salarié qui a respecté une clause de non-concurrence illicite en l'absence de contrepartie financière peut prétendre à des dommages et intérêts, force est d'admettre en l'espèce que M. Dautreville, licencié, ne peut utilement invoquer avoir respecté ladite clause alors que les parties étaient convenues de la rendre inapplicable en cas de licenciement.
En conséquence, M. Dautreville doit être débouté de sa demande d'indemnité au titre de la clause de non-concurrence.
Le jugement doit être infirmé en ce sens.
- Sur l'indemnité de clientèle
Aux termes de l'article L. 751-9 du Code du travail, le salarié a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui.
M. Dautreville soutient avoir apporté de nouveaux clients dont il fournit la liste. Toutefois, les pièces versées aux débats et notamment celles de M. Dautreville n'attestent pas d'un développement en nombre de la clientèle. Les tableaux de M. Dautreville démontrent en effet que de nombreux clients n'ont passé aucune commande en 2003 ; plusieurs clients dont des clients importants (société Mim, Laque Désigne et SKB) ont manifesté par lettre leur insatisfaction dans le suivi commercial de Monsieur Dautreville. Certains ont même expressément indiqué que la baisse du chiffre d'affaires avec la société Tiger était due à leur insatisfaction.
Au demeurant, le chiffre d'affaires réalisé par M. Dautreville, non seulement était bien en-deçà des objectifs minimum, mais a également baissé entre 2002 et 2003.
M. Dautreville ne peut donc prétendre à aucune indemnité, étant observé qu'il a perçu une indemnité de licenciement comme en atteste son bulletin de paie de mars 2004, ce qui est par ailleurs admis, tout comme le non-cumul desdites indemnités.
Le jugement doit être infirmé sur ce point.
- Sur la demande reconventionnelle en remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire
Le présent arrêt constituant un titre exécutoire une fois signifié, il se suffit à lui même de sorte que la demande en remboursement est sans objet.
- Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile tant pour les frais de première instance qu'en cause d'appel.
Le jugement doit être infirmé sur ce point.
- Sur la demande d'exécution provisoire de l'arrêt
Le présent arrêt exécutoire une fois signifié nonobstant un éventuel pourvoi en cassation, l'exécution provisoire de l'arrêt est sans objet.
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Dit que le licenciement de M. Dautreville repose sur une cause réelle et sérieuse. Déboute M. Dautreville de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité de clientèle, d'indemnité au titre de la clause de non-concurrence. Déclare sans objet les demandes d'exécution provisoire de l'arrêt et en remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement. Condamne M. Patrick Dautreville aux dépens de première instance et d'appel. Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.