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Décisions

Cass. com., 2 février 2010, n° 09-11.303

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Dan Foam APS (Sté), Tempur France (SAS)

Défendeur :

Seifram (Sté), Ena (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Mandel

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Thomas-Raquin, Bénabent

TGI Paris, du 27 juin 2007

27 juin 2007

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 octobre 2008 rectifié par arrêt du 19 novembre 2008) que la société Dan Foam est titulaire de la marque française verbale "Tempur" déposée le 10 avril 1992, régulièrement renouvelée, et enregistrée pour désigner notamment en classes 10 et 20 les sièges, sommiers, matelas, coussins, oreillers, de la marque communautaire semi-figurative "+ Tempur" déposée le 4 mai 1999 et enregistrée pour désigner notamment en classes 10 et 20 les oreillers, coussins et matelas à usage médical et de la marque communautaire verbale "Tempur" déposée le 20 mai 1999 et enregistrée pour désigner en classes 10 et 20 les coussins d'assise et matelas, en particulier coussins matelassés, matelas et surmatelas ; que la société Tempur France est le distributeur exclusif en France des articles de literie de marque "Tempur" ; qu'ayant découvert que des articles de literie étaient commercialisés sous la dénomination "Sompur" dans les magasins à l'enseigne l'Univers du Sommeil, la société Dan Foam a assigné la société Ena qui est à la tête, en France du réseau de franchise "l'Univers du Sommeil" ainsi que la société Chaîne française de l'ameublement Seifram (société Seifram) en contrefaçon des marques "Tempur" tandis que la société Tempur France assignait ces mêmes sociétés sur le fondement de la concurrence déloyale en invoquant une reproduction des caractéristiques de ses produits et une reprise de ses arguments de vente ; que devant la cour d'appel, la société Tempur France a également sollicité leur condamnation pour parasitisme ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Dan Foam fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en contrefaçon par imitation de ses marques Tempur, alors, selon le moyen : 1°) que l'appréciation globale du risque de confusion, à laquelle les juges du fond doivent se livrer, implique une certaine interdépendance entre les facteurs en présence, en sorte qu'un faible degré de similitude entre les signes en présence peut être compensé par un degré élevé de similitude ou une identité entre les produits et services couverts ; qu'en se bornant, pour exclure tout risque de confusion entre les marques Tempur et Sompur, à comparer les signes en présence, sans prendre en compte dans son appréciation, comme l'y invitaient pourtant les conclusions de la société Dan Foam (p. 18), la stricte identité des produits désignés, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 711-4 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle tels qu'ils doivent s'interpréter à la lumière des articles 4-§1-b) et article 5-§1-b) de la directive CE 89-04 du 21 décembre 1988, et des articles 8-§1-b et 9-§-1-b) du règlement (CE) n° 40-94 du conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire ; 2°) qu'il y a lieu, pour l'examen d'un risque de confusion entre les signes en présence, de comparer l'impression d'ensemble produite par chacun d'eux en prenant en compte tous les facteurs pertinents, dont notamment la connaissance acquise par le public de la marque première ; qu'en l'espèce, la société Dan Foam faisait expressément valoir que sa marque première Tempur était connue et visible sur le marché de la literie, ainsi qu'en témoignait la multiplication par cinq de son chiffres d'affaires entre 2000 et 2005 (cf. conclusions p. 17 et s.), avant que la marque Sompur ne fasse son apparition en 2005 ; qu'en s'abstenant totalement de prendre en considération la connaissance de la marque antérieure Tempur sur le marché pour procéder à l'appréciation du risque de confusion, la cour d'appel a de ce chef privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 711-4 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle tels qu'ils doivent s'interpréter à la lumière des articles 4-§1-b) et article 5-§1-b) de la directive CE 89-04 du 21 décembre 1988, et des articles 8-§1-b et 9-§-1-b) du règlement (CE) n° 40-94 du conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire ; 3°) que le risque de confusion qui comprend le risque d'association est celui susceptible de conduire un consommateur normalement informé et raisonnablement avisé à attribuer aux produits désignés une origine commune ou à les rattacher à des entreprises économiquement liées ; qu'en l'espèce la cour d'appel a écarté tout risque de confusion, en omettant de définir le niveau d'attention du consommateur moyen qui varie en fonction de la catégorie de produits, et en particulier en ne prenant pas en compte le fait qu'en matière de literie les actes d'achat ne se produisent qu'épisodiquement, de sorte que le consommateur moyen doit se fier à l'image non parfaite qu'il a gardée en mémoire ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a derechef privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 711-4 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle tels qu'ils doivent s'interpréter à la lumière des articles 4-§1-b) et article 5-§1-b) de la directive CE 89-04 du 21 décembre 1988, et des articles 8-§1-b et 9-§-1-b) du règlement (CE) n° 40-94 du conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire ; 4°) que les juges sont tenus d'examiner les pièces produites par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, pour établir que le risque de confusion qu'elle invoquait s'était réalisé, la société Dan Foam produisait et visait dans ses conclusions (p. 20) l'attestation de M. Giroux, acheteur d'un matelas Sompur, qui affirmait expressément s'être trompé en croyant avoir acquis un matelas de la marque Tempur ; qu'en s'abstenant totalement d'analyser ladite attestation pour apprécier le risque de confusion, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 5°) que la société Dan Foam faisait expressément valoir qu'il existait une similarité phonétique entre le phonème [tã] (comme dans "temps" ou "tant") du signe Tempur et le phonème [sõ] (comme dans "son" ou "sombre") du terme Sompur ; qu'en se bornant à prendre en compte la vibration acoustique de la première lettre (T et S) de chacune des syllabes litigieuses, sans à aucun moment se prononcer sur l'impression phonétique d'ensemble dégagée par les phonèmes en cause, la cour d'appel a derechef privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 711-4 et L. 713-3 du Code de propriété intellectuelle tels qu'ils doivent s'interpréter à la lumière des articles 4-§1-b) et article 5-§1-b) de la directive CE 89-04 du 21 décembre 1988, et des articles 8-§1-b et 9-§-1-b) du règlement (CE) n° 40-94 du conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire ; 6°) que les juges ne peuvent dénaturer les écrits soumis à leur appréciation ; qu'en affirmant que la seule dénomination "Sompur" se comprend "sans difficulté" comme la contraction du groupe nominal "sommeil pur", la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, l'identité ou la similarité des produits en cause, l'arrêt retient qu'au plan visuel les signes se différencient par le graphisme et la syllabe d'attaque, qu'au plan phonétique les vocables donnent à entendre le même rythme binaire et la même sonorité finale mais que l'émission en position d'attaque des phonèmes Tem et Son produit une vibration acoustique dissemblable, qu'au plan conceptuel la dénomination "Tempur" peut évoquer la température ou le temps tandis que la dénomination "Sompur" se comprend comme la contraction du groupe nominal "sommeil pur" ; qu'il retient encore que, en dépit de l'identité voire la similitude des produits en cause, tant au plan visuel, phonétique que conceptuel le suffixe "Pur" commun aux signes en présence n'est pas de nature, eu égard à la faiblesse de ses caractères tant distinctif que dominant, à introduire dans l'esprit du consommateur normalement informé et raisonnablement avisé de la catégorie des produits visés par les marques en présence un risque de confusion ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, a procédé à une appréciation globale du risque de confusion vis-à-vis du public ciblé et hors toute dénaturation, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen : - Attendu que la société Tempur France fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande en concurrence déloyale, alors, selon le moyen : 1°) que la cassation à intervenir sur la disposition de l'arrêt déboutant la société Dan Foam de son action en contrefaçon (premier moyen) entraînera l'annulation du chef de dispositif ayant débouté la société Tempur France de son action en concurrence déloyale (second moyen), en application de l'article 624 du Code de procédure civile ; 2°) que les juges ne peuvent dénaturer les écrits soumis à leur appréciation ; qu'en l'espèce, la couverture du catalogue Tempur représentait une femme, jambes nues, endormie sous un drap blanc, en situation d'apesanteur au dessus de son matelas ; que celle du catalogue Sompur représentait une femme nue endormie sous un drap blanc au dessus d'un trait blanc et du slogan "vivez en apesanteur" ; qu'en affirmant que les deux couvertures "donnaient banalement à voir, s'agissant de promouvoir des articles de literies, une femme endormie, mais dans une pose et suivant un cadrage différents", quand les deux femmes n'étaient pas endormies "banalement" sur un lit, mais toutes deux en situation d'apesanteur, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 3°) que pour solliciter l'infirmation du jugement ayant retenu qu'une différence de cinq années séparait les brochures commerciales Sompur de 2005 et Tempur 2000 si bien qu'elles n'avaient pu se trouver en circulation au même moment, la société Dan Foam produisait en pièce 42 l'attestation de M. Drocourt, directeur général de Tempur, certifiant que "la collection Tempur 2000 a été commercialisée sous ce nom au moins jusqu'en 2005" ; qu'en se contentant de confirmer la motivation des premiers juges sans nullement examiner, même sommairement, l'attestation de M. Drocourt, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 4°) qu'un acte de concurrence déloyale caractérisé par une imitation susceptible de provoquer une confusion sur l'origine du produit doit s'apprécier globalement au regard des ressemblances ; que le fait de commercialiser une gamme de produits identiques sous un signe similaire dans les mêmes réseaux de distribution peut caractériser un acte de concurrence déloyale ; qu'en l'espèce, il était constant qu'avait été vendu du matériel de literie en mousse viscoélastique sous la marque "Tempur" et sous le slogan "une impression d'apesanteur", était vendu dans le même réseau de distribution, sous la marque "Sompur", du matériel strictement identique, avec le slogan "vivez en apesanteur" ; qu'en déboutant la société Tempur de son action en concurrence déloyale au seul vu des différences d'argumentation publicitaire et de physionomie propre des catalogues, sans procéder à une analyse globale du risque de confusion au regard de l'ensemble des ressemblances invoquées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 5°) que la substitution d'une gamme de produits concurrents à ceux d'un ancien partenaire sous une dénomination similaire, source de confusion, dans un même réseau de distribution, peut constituer une faute de concurrence déloyale ; qu'en l'espèce, la société Dan Foam produisait au soutien de son action en concurrence déloyale les attestations de M. Giroux et de Mme Chantaraud, respectivement visées et citées dans ses écritures (cf. conclusions d'appel n° 2 signifiées le 30 juin 2008 p. 20 et 30), établissant l'existence d'une confusion portant sur l'origine et les qualités des produits en cause, d'une part, et leur substitution au sein du réseau de distribution "Univers du Sommeil" au profit des produits Sompur ; qu'en se contentant d'affirmer que la société Tempur France n'établissait pas une faute de nature à induire dans l'esprit du public un risque de confusion sur l'origine des produits concernés, sans examiner les attestations produites qui établissaient le contraire, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que le premier moyen ayant été rejeté, le grief qui invoque la cassation par voie de conséquence est inopérant ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que la société Tempur qui ne saurait détenir un quelconque monopole sur une épaisseur déterminée de matelas non plus qu'un quelconque droit privatif sur la mousse viscoélastique, n'est pas fondée à reprocher aux sociétés Ena et Seifram de reproduire les caractéristiques de ses produits en commercialisant des modèles de matelas d'une épaisseur respective de 17 cm et 20 cm composés de mousse viscoélastique thermosensible ; qu'il constate que, dans les arguments publicitaires, le produit Tempur est vanté pour être le fruit de la recherche spatiale et pour être reconnu par le corps médical tandis que le produit Sompur est présenté sans référence aux travaux de la Nasa et sans arguer de recommandations des professions médicales ; qu'il constate également que les brochures commerciales des parties présentent chacune une physionomie propre ; que l'arrêt relève enfin, à l'époque des faits de la cause, l'engouement général des fabricants de literie pour la mousse viscoélastique unanimement présentée comme étant à la pointe de l'innovation technologique et garantissant un bénéfice pour la santé ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche, la cour d'appel qui a fait ressortir, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, l'absence de tout risque de confusion entre les gammes de produits en cause, sans avoir à s'expliquer sur les éléments qu'elle n'a pas pris en compte, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, enfin, que l'analyse de documents qui constituent seulement un élément de preuve soumis à l'appréciation souveraine des juges du fond, sans altération de leur présentation, n'est pas susceptible d'être critiquée par le grief de dénaturation ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.