CJUE, 3e ch., 11 février 2010, n° C-541/08
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fokus Invest AG
Défendeur :
Finanzierungsberatung-Immobilientreuhand und Anlageberatung GmbH
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Lenaerts
Avocat général :
M. Bot
Juges :
MM. Juhász (rapporteur), Arestis, Malenovský, von Danwitz
Avocat :
Me Naske
LA COUR (troisième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 25 de l'annexe I de l'accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, signé à Luxembourg le 21 juin 1999 (JO 2002, L 114, p. 6), ainsi que des articles 63 TFUE et 64, paragraphe 1, TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'une affaire pendante devant les juridictions autrichiennes et portant sur les conditions régissant l'acquisition, par une société de droit autrichien dont les parts sont détenues par une société de droit suisse, d'un bien immobilier situé sur le territoire autrichien.
Le cadre juridique
L'accord
3 La Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, ont signé le 21 juin 1999 sept accords, dont l'accord sur la libre circulation des personnes (ci-après l'"accord"). Par la décision 2002-309-CE, Euratom, du Conseil et de la Commission, du 4 avril 2002 (JO L 114, p. 1), ces sept accords ont été approuvés au nom de la Communauté, et sont entrés en vigueur le 1er juin 2002.
4 Aux termes du préambule de l'accord, les parties contractantes ont conclu cet accord "convaincu[e]s que la liberté des personnes de circuler sur les territoires des parties contractantes constitue un élément important pour le développement harmonieux de leurs relations, [et] décidé[e]s à réaliser la libre circulation des personnes entre [elles] en s'appuyant sur les dispositions en application dans la Communauté européenne".
5 L'article 1er de l'accord, sous l'intitulé "Objectif", dispose:
"L'objectif de cet accord, en faveur des ressortissants des États membres de la Communauté européenne et de la Suisse, est:
a) d'accorder un droit d'entrée, de séjour, d'accès à une activité économique salariée, d'établissement en tant qu'indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes;
b) de faciliter la prestation de services sur le territoire des parties contractantes, en particulier de libéraliser la prestation de services de courte durée;
c) d'accorder un droit d'entrée et de séjour, sur le territoire des parties contractantes, aux personnes sans activité économique dans le pays d'accueil;
d) d'accorder les mêmes conditions de vie, d'emploi et de travail que celles accordées aux nationaux."
6 L'article 5, paragraphe 1, de l'accord, sous l'intitulé "Prestataire de services", prévoit:
"Sans préjudice d'autres accords spécifiques relatifs à la prestation de services entre les parties contractantes (y inclus l'accord sur le secteur des marchés publics pour autant qu'il couvre la prestation de services), un prestataire de services, y compris les sociétés conformément aux dispositions de l'annexe I, bénéficie du droit de fournir un service pour une prestation sur le territoire de l'autre partie contractante qui ne dépasse pas 90 jours de travail effectif par année civile."
7 L'article 17 de l'annexe I de l'accord, sous l'intitulé "Prestataire de services", énonce:
"Est interdite dans le cadre de la prestation de services, selon l'article 5 du présent accord:
a) toute restriction à une prestation de services transfrontalière sur le territoire d'une partie contractante ne dépassant pas 90 jours de travail effectif par année civile.
b) toute restriction relative à l'entrée et au séjour dans les cas visés à l'article 5 paragraphe 2 du présent accord en ce qui concerne
i) les ressortissants des États membres de la Communauté européenne ou de la Suisse qui sont des prestataires de services et sont établis sur le territoire d'une des parties contractantes, autre que celui du destinataire de services;
ii) les travailleurs salariés, indépendamment de leur nationalité, d'un prestataire de services intégrés dans le marché régulier du travail d'une partie contractante et qui sont détachés pour la prestation d'un service sur le territoire d'une autre partie contractante, sans préjudice de l'article 1."
8 Aux termes de l'article 18 de cette annexe I:
"Les dispositions de l'article 17 de la présente annexe s'appliquent à des sociétés qui sont constituées en conformité de la législation d'un État membre de la Communauté européenne ou de la Suisse et ayant leur siège statuaire, leur administration centrale ou leur établissement principal sur le territoire d'une partie contractante."
9 Le titre VI de l'annexe I, sous l'intitulé "Acquisitions immobilières", comprend uniquement l'article 25, qui prévoit:
"1. Le ressortissant d'une partie contractante qui a un droit de séjour et qui constitue sa résidence principale dans l'État d'accueil bénéficie des mêmes droits qu'un ressortissant national dans le domaine de l'acquisition d'immeubles. Il peut à tout moment établir sa résidence principale dans l'État d'accueil, selon les règles nationales, indépendamment de la durée de son emploi. Le départ hors de l'État d'accueil n'implique aucune obligation d'aliénation.
2. Le ressortissant d'une partie contractante qui a un droit de séjour et qui ne constitue pas sa résidence principale dans l'État d'accueil bénéficie des mêmes droits qu'un ressortissant national en ce qui concerne l'acquisition des immeubles qui servent à l'exercice d'une activité économique; ces droits n'impliquent aucune obligation d'aliénation lors de son départ de l'État d'accueil. Il peut également être autorisé à acquérir une résidence secondaire ou un logement de vacances. Pour cette catégorie de ressortissants, le présent accord n'affecte pas les règles en vigueur concernant le placement pur de capitaux et le commerce de terrains non bâtis et de logements.
3. Un frontalier bénéficie des mêmes droits qu'un ressortissant national en ce qui concerne l'acquisition des immeubles qui servent à l'exercice d'une activité économique et d'une résidence secondaire; ces droits n'impliquent aucune obligation d'aliénation lors de son départ de l'État d'accueil. Il peut également être autorisé à acquérir un logement de vacances. Pour cette catégorie de ressortissants, le présent accord n'affecte pas les règles en vigueur dans l'État d'accueil concernant le placement pur de capitaux et le commerce de terrains non bâtis et de logements."
La réglementation nationale
10 La loi sur le registre foncier (Grundbuchgesetz) prévoit, à ses articles 53 et 57, que le titulaire d'un droit de propriété immobilière peut demander l'inscription de son droit au registre foncier et la radiation d'autres inscriptions concernant le bien immobilier sur lequel est exercé ce droit.
11 La loi du Land de Vienne relative à l'acquisition par des ressortissants étrangers de biens immobiliers (Wiener Ausländergrunderwerbsgesetz), (Wiener Landesgesetzblatt 1998-11, du 3 mars 1998, ci-après le "WrAuslGEG"), entrée en vigueur le 4 mars 1998, prévoit à son article 1er, paragraphe 1:
"La validité de l'acquisition entre vifs, par un ressortissant étranger, de la propriété (copropriété), d'un droit de construction, d'un droit de servitude personnelle portant sur des fonds bâtis ou non bâtis de toute nature, ou de la mise en possession d'un ressortissant étranger d'un tel fonds au titre d'un bail avec mention au registre foncier, est subordonnée à son autorisation administrative."
12 L'article 2 de cette loi dispose:
"Est à considérer comme ressortissant étranger au sens de la présente loi:
1) toute personne physique qui n'a pas la nationalité autrichienne;
2) toute personne morale et toute société de personnes dotée de la capacité juridique dont le siège est situé à l'étranger;
3) toute personne morale et toute société de personnes dotée de la capacité juridique dont le siège est situé en Autriche dans laquelle des ressortissants étrangers au sens des points 1 et 2 détiennent une participation majoritaire;
[...]"
13 Conformément à l'article 3, paragraphe 2, de ladite loi, les dispositions de l'article 1er ne sont pas applicables, entre autres, aux personnes physiques et aux personnes morales qui bénéficient des libertés établies par le droit de l'Union et par l'accord sur l'Espace économique européen et, conformément à cet article 3, paragraphe 3, "dans la mesure où d'autres engagements internationaux s'y opposent".
14 L'article 5 de la même loi énonce:
"1. Les droits visés à l'article [1er], paragraphe 1, ne peuvent faire l'objet d'une inscription au registre foncier au bénéfice d'un ressortissant étranger [...] qu'à condition que le requérant produise la décision d'octroi d'une autorisation conformément à la présente loi [...].
[...]
4. Si l'acquisition d'un droit est exemptée, en vertu de l'article 3, paragraphes 2 ou 3, de l'obligation d'autorisation prévue à l'article 1er, l'autorité municipale doit le confirmer par écrit à l'acquéreur, sur simple demande accompagnée des éléments de preuve nécessaires (attestation négative)."
15 L'exigence d'une attestation négative lorsque l'acquisition d'un droit immobilier par des ressortissants étrangers est exemptée de l'obligation d'autorisation a été introduite le 4 mars 1998 par le WrAuslGEG, qui a abrogé, à compter de cette date, la loi du Land de Vienne relative à l'acquisition par des ressortissants étrangers de biens immobiliers à Vienne (Wiener Landesgesetz betreffend den Grunderwerb durch Ausländer in Wien), de 1967 (Wiener Landesgesetzblatt 1967-33, ci-après l'"AuslGEG").
16 Conformément à l'AuslGEG, l'acquisition de la propriété (copropriété) de biens immobiliers par des ressortissants étrangers était, en principe, soumise à l'obligation d'obtenir une autorisation. La notion de "ressortissant étranger" recouvrait également les personnes morales majoritairement détenues par des ressortissants étrangers, et l'inscription au registre foncier était subordonnée à la présentation de la décision d'octroi de l'autorisation. La différence entre le régime institué par l'AuslGEG et le régime actuel réside dans le fait que, conformément à cette loi précédente, le juge compétent en matière de registre foncier ("Grundbuchsgericht") était habilité à examiner lui-même l'existence d'une exception légale au bénéfice de l'acquéreur d'une propriété foncière, tout en n'étant pas autorisé à trancher des questions de fait. Il incombait donc à la personne sollicitant l'inscription d'établir que les conditions factuelles posées en vue d'une acquisition non subordonnée à autorisation étaient remplies, en produisant des pièces faisant foi. Une "attestation négative" n'était, ainsi, pas exigée.
17 Conformément au régime actuel, l'autorité habilitée à cet égard est non pas le juge du registre foncier, mais l'autorité municipale. Celle-ci, à la demande de l'acquéreur, qui doit fournir les éléments de preuve nécessaires, doit confirmer par écrit que les conditions posées pour l'obtention d'une exemption de l'obligation d'autorisation sont réunies, en lui délivrant à cet effet l'"attestation négative" prévue à l'article 5, paragraphe 4, du WrAuslGEG.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18 La société à responsabilité limitée de droit autrichien Finanzierungsberatung-Immobilientreuhand und Anlageberatung GmbH (ci-après "FIAG"), dont le siège est situé à Vienne (Autriche), a acquis, par contrat de vente du 18 avril 2007, pour un montant de 4 208 333,34 euros, des parts d'un bien immobilier situé dans cette même ville lui conférant la propriété de 28 appartements à usage d'habitation et de 24 emplacements de stationnement, qui ont été loués. En ce qui concerne la "qualité de ressortissant autrichien" de cette société, son gérant de l'époque avait déclaré sur l'honneur, dans le contrat de vente, que le siège de la société était situé sur le territoire national et que la totalité des parts de cette société était détenue par des sociétés anonymes de droit suisse. Il était également mentionné que le contrat de vente ne nécessitait pas l'obtention d'une autorisation d'acquisition de biens immobiliers par un étranger, en vertu de l'article 25 de l'annexe I de l'accord. À cette époque, la société Fokus Invest AG (ci-après "Fokus Invest"), ayant son siège social en Suisse, détenait des parts dans le capital de FIAG. Actuellement, une société anonyme dont le siège social est situé en Suisse détient encore la majorité des parts de FIAG.
19 Par suite du contrat de vente, FIAG a demandé l'inscription de son droit de propriété au registre foncier et la radiation d'inscriptions contenues dans ce registre, au nombre desquelles figurait l'annotation en ordre subsidiaire, en faveur de Fokus Invest, de la mise en œuvre d'une procédure d'adjudication visant à obtenir le paiement de créances et de frais.
20 Le Bezirksgericht Döbling a accédé à la demande d'inscription au registre foncier introduite par FIAG, laquelle a été effectuée le 19 novembre 2007. Fokus Invest, n'ayant pas d'intérêt à la radiation de l'annotation contenue en sa faveur dans le registre, a attaqué cette inscription devant le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien. Cette juridiction a confirmé l'inscription, au motif que, en vertu de l'article 25 de l'annexe I de l'accord, une société dont le siège est situé en Autriche et dont les parts sont exclusivement détenues par des sociétés suisses bénéficierait du même traitement qu'une société autrichienne. Par conséquent, il n'y aurait pas lieu de produire une "attestation négative" de l'autorité compétente portant sur l'exemption de la transaction en question de l'obligation d'autorisation.
21 Fokus Invest a introduit un pourvoi en "Revision" contre cette décision devant l'Oberster Gerichtshof.
22 La juridiction de renvoi relève que l'accord accorde également, à son article 1er, un droit d'établissement "en tant qu'indépendant" et que, pour désigner les titulaires des droits découlant de l'accord, il se réfère, à ses articles 1er, 2 et 3, aux "ressortissants d'une partie contractante". En outre, les articles 5, paragraphe 1, de l'accord et 17 de son annexe I concerneraient les "prestataires de services". Ce dernier article interdirait en principe toute restriction en ce qui concerne des prestations de services de courte durée et ses dispositions s'appliqueraient également, conformément à l'article 18 de l'annexe I, aux sociétés.
23 Cette juridiction fait par ailleurs observer que l'article 48 CE prévoit expressément l'assimilation des personnes morales aux personnes physiques ressortissantes des États membres, aux fins de l'application des dispositions relatives à la liberté d'établissement. L'accord concernerait également le droit d'établissement "en tant qu'indépendant", mais il ne comporterait toutefois aucune assimilation expresse des personnes morales aux personnes physiques, comparable à celle prévue à l'article 48 CE. La juridiction nationale en conclut que, si l'accord ne vaut que pour les personnes physiques, notamment en ce qui concerne le droit d'établissement, l'entreprise en cause ne peut être assimilée à un ressortissant autrichien ou à un citoyen de l'Union européenne aux fins de l'acquisition foncière en question.
24 Dans le cas où une telle réponse serait apportée à cette question, la juridiction de renvoi relève que la liberté de circulation des capitaux, établie à l'article 56, paragraphe 1, CE, couvre également le droit des ressortissants étrangers d'effectuer des investissements immobiliers dans un État membre. Toutefois, l'article 57, paragraphe 1, CE permettrait le maintien, à l'égard des pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993. Se poserait donc la question de savoir si les restrictions prévues à compter du 4 mars 1998 par le WrAuslGEG en ce qui concerne les acquisitions immobilières effectuées par les étrangers, à savoir l'obligation d'être titulaire d'une autorisation ou bien l'exemption de cette obligation par suite de l'obtention d'une "attestation négative", peuvent être considérées comme des restrictions existant le 31 décembre 1993, sous l'empire de l'AuslGEG alors en vigueur.
25 Eu égard à ces considérations, l'Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) L'article 25 de l'annexe I de l'accord [...] doit-il être interprété en ce sens que l'égalité de traitement avec les ressortissants nationaux prescrite en matière d'acquisitions immobilières ne vaut que pour les personnes physiques, à l'exclusion des sociétés?
2) En cas de réponse affirmative à la première question:
Les dispositions [du WrAuslGEG], qui imposent la production d'une attestation d'exemption de l'obligation d'autorisation en cas d'acquisition de biens immobiliers par des sociétés étrangères au sens de son article 2, point 3, (articles 5, paragraphe 4, et 3, point 3, du WrAuslGEG), constituent-elles une restriction à la libre circulation des capitaux (article 56 CE) admissible à l'égard de la [Confédération suisse], en tant qu'État tiers, conformément à l'article 57, paragraphe 1, CE?"
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
26 La question de savoir si les dispositions de l'accord peuvent être interprétées en ce sens qu'elles s'appliquent également aux personnes morales avait été soulevée, sous l'aspect particulier du droit d'établissement, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 12 novembre 2009, Grimme (C-351-08, non encore publié au Recueil).
27 Dans cet arrêt, la Cour a relevé, à titre liminaire, que l'accord a été signé postérieurement au rejet par la Confédération suisse, le 6 décembre 1992, de l'accord sur l'Espace économique européen (EEE) et que, par son refus, cette dernière n'a pas souscrit au projet d'un ensemble économique intégré avec un marché unique, fondé sur des règles communes entre ses membres, mais a préféré la voie d'arrangements bilatéraux avec l'Union et ses États membres, dans des domaines précis (voir, en ce sens, arrêt Grimme, précité, point 27).
28 Par suite de ces constatations, la Cour a conclu que la Confédération suisse n'a pas adhéré au marché intérieur de l'Union et que, par conséquent, l'interprétation donnée aux dispositions de droit de l'Union concernant ce marché ne peut être automatiquement transposée à l'interprétation de l'accord, sauf dispositions expresses à cet effet prévues par l'accord lui-même (voir, en ce sens, arrêt Grimme, précité, points 27 et 29 ainsi que jurisprudence citée).
29 Ensuite, la Cour a souligné que les objectifs de l'accord, définis à son article 1er, sont établis, conformément au libellé de cette disposition, en faveur des ressortissants des États membres et de la Confédération suisse et, par conséquent, en faveur des personnes physiques, et que toutes les catégories de personnes, ressortissantes des États membres et suisses, visées par l'accord, à l'exception des prestataires et des destinataires de services, présupposent par leur nature qu'il s'agit de personnes physiques (voir, en ce sens, arrêt Grimme, précité, points 33 et 34).
30 La Cour est parvenue à la constatation que, à l'exception des articles 5, paragraphe 1, de l'accord et 18 de son annexe I, qui prévoient que les sociétés bénéficient d'un droit de prestation de services déterminé, aucune disposition de cet accord ou de son annexe n'octroie de droit aux personnes morales (voir, en ce sens, arrêt Grimme, précité, point 35).
31 Après avoir constaté que, selon l'accord, le droit d'établissement, sur le territoire d'une partie contractante, est réservé au seul indépendant ressortissant d'un État membre de l'Union ou de la Confédération suisse, et que l'article 1er, point a), de l'accord reconnaît explicitement comme objectif le droit d'établissement en tant qu'indépendant aux seules personnes physiques, la Cour en a conclu qu'il ne saurait être soutenu que les personnes morales jouissent du même droit d'établissement que les personnes physiques au titre de l'accord (voir, en ce sens, arrêt Grimme, précité, points 36, 37 et 39).
32 Cette interprétation de l'accord faite par la Cour dans l'arrêt Grimme, précité, et notamment la position de principe qui y est énoncée à l'égard de la portée du droit d'établissement dans le cadre de l'accord sont également valables aux fins de l'appréciation de la présente affaire.
33 La question soulevée en l'occurrence concerne le droit d'acquisition d'un bien immobilier situé sur le territoire d'une partie contractante par une personne morale ayant son siège social sur ce territoire, mais détenue par des personnes morales relevant du droit de l'autre partie contractante.
34 Il y a lieu de souligner, à cet égard, que l'invocation de l'article 48 CE, en ce sens qu'il assimilerait les sociétés aux personnes physiques en ce qui concerne la liberté d'établissement, n'est pas pertinente en l'espèce. En effet, il importe de rappeler que l'interprétation des dispositions du droit de l'Union, y compris celles du traité, relatives au marché intérieur ne peut être automatiquement transposée à l'interprétation de l'accord et que, en tout état de cause, les personnes morales ne jouissent pas, au titre de l'accord, du droit d'établissement.
35 Il convient de relever que l'article 25 de l'annexe I de l'accord régissant les acquisitions immobilières mentionne, comme titulaires des droits dans ce domaine, le "ressortissant d'une partie contractante qui a un droit de séjour" et le "frontalier".
36 Par conséquent, il ressort sans équivoque du libellé des dispositions de cet article 25 que les catégories de personnes, bénéficiaires du droit en question, visées dans ces dispositions présupposent par leur nature qu'il s'agit de personnes physiques qui exercent ce droit dans le cadre de la liberté de circulation.
37 Dans ces conditions, il convient de répondre à la première question que l'article 25 de l'annexe I de l'accord doit être interprété en ce sens que l'égalité de traitement avec les ressortissants nationaux prescrite en matière d'acquisitions immobilières vaut uniquement pour les personnes physiques.
Sur la seconde question
38 Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 64, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que des dispositions nationales telles que celles du WrAuslGEG, qui imposent aux ressortissants étrangers, au sens de cette loi, en cas d'acquisition de biens immobiliers, l'obligation d'être titulaires d'une autorisation aux fins de cette acquisition ou bien la production d'une attestation selon laquelle les conditions prévues par la même loi pour bénéficier d'une exemption de cette obligation sont réunies, constituent une restriction à la libre circulation des capitaux admissible à l'égard de la Confédération suisse en tant que pays tiers.
39 Bien que cette question, telle que formulée par la juridiction de renvoi, vise uniquement l'attestation devant être accordée par l'autorité municipale compétente et confirmant l'exemption de l'obligation susvisée, l'exigence d'obtention d'une telle attestation constitue une modalité qui résulte de l'obligation de base imposée aux ressortissants étrangers d'obtenir une autorisation pour pouvoir procéder à l'acquisition d'un bien immobilier. Dès lors, il y a lieu d'étendre l'examen de la Cour à cette obligation de base.
40 Il convient de préciser que, conformément à l'article 64, paragraphe 1, TFUE, l'interdiction des restrictions à la libre circulation des capitaux, au sens de l'article 63 TFUE, ne porte pas atteinte à l'application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit de l'Union, en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de tels pays lorsqu'ils impliquent des investissements directs, y compris, entre autres, les investissements immobiliers.
41 Dès lors, il y a lieu de vérifier si les restrictions que comportent les dispositions susmentionnées du WrAuslGEG peuvent être considérées comme des restrictions existant le 31 décembre 1993, compte tenu du fait que cette loi est entrée en vigueur postérieurement à cette date, à savoir le 4 mars 1998.
42 Il importe de relever à cet égard que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la condition introduite à l'article 64, paragraphe 1, TFUE en ce qui concerne les restrictions existant à l'égard des pays tiers le 31 décembre 1993 est remplie lorsqu'une réglementation nationale adoptée après cette date comporte des dispositions qui, dans leur substance, sont identiques à une réglementation antérieure, existant à cette date. Cette condition n'est pas remplie lorsque les dispositions adoptées postérieurement à cette date reposent sur une logique différente de celle du droit antérieur et mettent en place des procédures nouvelles (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2007, Holböck, C-157-05, Rec. p. I-4051, point 41 et jurisprudence citée).
43 Il ressort du dossier soumis à la Cour que, déjà sous l'empire de la réglementation autrichienne en vigueur le 31 décembre 1993, à savoir l'AuslGEG, l'acquisition de la propriété ou de la copropriété de biens immobiliers situés dans le Land de Vienne par des ressortissants étrangers au sens de cette réglementation, y compris par des sociétés, n'était pas libre. Elle était subordonnée à l'obligation de base d'obtenir une autorisation, dont l'intéressé était exempté s'il prouvait qu'il bénéficiait de dispositions dérogatoires, par exemple dans le cadre d'engagements internationaux de la République d'Autriche.
44 La notion de "ressortissant étranger" recouvrait déjà les personnes morales majoritairement détenues par des ressortissants étrangers, et l'inscription au registre foncier était subordonnée à la présentation de la décision d'octroi de l'autorisation requise ou d'une preuve de l'existence d'une exemption légale.
45 La différence entre la réglementation précédente et la réglementation actuelle réside dans le fait que l'autorité compétente pour confirmer l'existence d'une exemption légale de l'obligation d'obtenir une autorisation était auparavant le juge du registre foncier, alors que, actuellement, cette compétence revient à l'autorité municipale dans le ressort de laquelle est situé le bien immobilier concerné. Cette dernière, à la demande de l'acquéreur, doit vérifier si les conditions auxquelles est soumise l'obtention d'une telle exemption sont réunies et doit accorder, si tel est le cas, l'"attestation négative" prévue à l'article 5, paragraphe 4, du WrAuslGEG.
46 Toutefois, il n'est pas contesté que tant la législation précédente que le WrAuslGEG soumettent l'acquisition d'un bien immobilier en Autriche par un ressortissant étranger à l'obtention d'une autorisation préalable. Dans ces conditions, l'obligation d'obtenir une autorisation préalable qui s'impose à une société étrangère telle que FIAG, doit être considérée comme permise au titre de l'article 64, paragraphe 1, TFUE.
47 Les modifications procédurales auxquelles se réfère la décision de renvoi ne concernent que les acquisitions immobilières par les ressortissants étrangers susceptibles de bénéficier d'une exemption prévue par le cadre réglementaire national. Toutefois, dès lors que sous l'empire tant de l'ancienne loi que du WrAuslGEG, une société telle que FIAG doit être considérée comme un ressortissant étranger qui ne peut bénéficier d'une exemption aux fins d'une acquisition immobilière en Autriche, ainsi qu'il résulte de la réponse apportée à la première question, figurant au point 37 du présent arrêt, et du point précédent de cet arrêt, les modifications procédurales introduites par le WrAuslGEG ne peuvent influer sur la solution du litige au principal.
48 En tout état de cause, pour le cas où un doute subsisterait en ce qui concerne le champ d'application des exemptions prévues par le cadre réglementaire national, il y a lieu de constater que les points de divergence existant entre la réglementation en vigueur et la législation précédente, à savoir la détermination de l'autorité compétente pour confirmer l'existence d'une exemption et de la procédure à suivre à cet effet, se limitent à des modalités qui sont sans incidence sur la substance même de la réglementation applicable, consistant en l'exigence fondamentale, pour les ressortissants étrangers, d'obtenir une autorisation aux fins de procéder à des acquisitions immobilières et en l'obligation qui leur est faite d'apporter la preuve que les conditions auxquelles est soumise la reconnaissance d'une exemption sont réunies. Ainsi, la réglementation en vigueur ne repose pas sur une logique différente de celle du droit antérieur et ne met pas en place des procédures substantiellement nouvelles.
49 Il convient, dès lors, de répondre à la seconde question que l'article 64, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que les dispositions du WrAuslGEG, qui imposent aux ressortissants étrangers, au sens de cette loi, en cas d'acquisition de biens immobiliers situés dans le Land de Vienne, l'obligation d'être titulaires d'une autorisation aux fins de cette acquisition ou bien la production d'une attestation selon laquelle les conditions prévues par cette loi pour bénéficier d'une exemption de cette obligation sont réunies, constituent une restriction à la libre circulation des capitaux admissible à l'égard de la Confédération suisse en tant que pays tiers.
Sur les dépens
50 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (troisième chambre) dit pour droit:
1) L'article 25 de l'annexe I de l'accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, signé à Luxembourg le 21 juin 1999, doit être interprété en ce sens que l'égalité de traitement avec les ressortissants nationaux prescrite en matière d'acquisitions immobilières vaut uniquement pour les personnes physiques.
2) L'article 64, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que les dispositions de la loi du Land de Vienne relative à l'acquisition par des ressortissants étrangers de biens immobiliers (Wiener Ausländergrunderwerbsgesetz), du 3 mars 1998, qui imposent aux ressortissants étrangers, au sens de cette loi, en cas d'acquisition de biens immobiliers situés dans le Land de Vienne, l'obligation d'être titulaires d'une autorisation aux fins de cette acquisition ou bien la production d'une attestation selon laquelle les conditions prévues par cette loi pour bénéficier d'une exemption de cette obligation sont réunies, constituent une restriction à la libre circulation des capitaux admissible à l'égard de la Confédération suisse en tant que pays tiers.