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Décisions

Cass. com., 16 février 2010, n° 09-11.968

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

France Télécom (SA), Orange France (SA), Apple Sales International (Sté), Apple Inc. (Sté)

Défendeur :

Bouygues Télécom (SA), UFC Que Choisir, SFR (SA), Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Tric (faisant fonction)

Rapporteur :

Mme Beaudonnet

Avocat général :

M. Bonnet

Avocats :

SCP Defrenois, Levis, Me Spinosi, SCP Baraduc, Duhamel, SCP Piwnica, Molinié, SCP Thomas-Raquin, Bénabent

Cass. com. n° 09-11.968

16 février 2010

LA COUR : - Joint les pourvois n° 09-11.968 formé par la société France Télécom et la société Orange et n° 09-65.440 formé par la société Apple Sales International et la société Apple Inc., qui attaquent le même arrêt ; - Statuant sur le pourvoi n° 09-65.440 formé par les sociétés Apple Sales International et Apple Inc. (les sociétés Apple) ; - Donne acte aux sociétés Apple de leur désistement ; - Statuant sur le pourvoi n° 09-11.968 formé par la société France Télécom et la société Orange ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 février 2009), que, se plaignant d'avoir été exclue de la commercialisation du terminal mobile vendu sous la dénomination iPhone, la société Bouygues Télécom (Bouygues) a, le 18 septembre 2008, saisi le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence, (le Conseil) de pratiques mises en œuvre dans le cadre de la distribution de l'iPhone sur le marché français et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; que, par décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008, le Conseil, après avoir sollicité l'avis de l'ARCEP, et avoir retenu l'existence d'une atteinte grave et immédiate portée à l'économie du secteur des services de téléphonie mobile et à l'intérêt des consommateurs en raison d'accords d'exclusivités liant les sociétés Apple aux sociétés France Télécom et Orange relativement au terminal iPhone fabriqué par Apple, exclusivités susceptibles de contrevenir aux dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, a prononcé des mesures conservatoires consistant notamment en la suspension de clauses contractuelles faisant d'Orange l'opérateur mobile exclusif pour les terminaux iPhone et de celles désignant Orange en qualité de grossiste habilité à titre exclusif à acheter des produits iPhone à des fins de distribution ;

Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense : - Attendu que la recevabilité du pourvoi immédiat est contestée par la société Bouygues au motif que les dispositions du Code de procédure civile ne cédant que devant les dispositions expressément contraires du Code de commerce ou aménageant des modalités propres aux recours contre les décisions du Conseil, la recevabilité du pourvoi en cassation est, en matière de mesures conservatoires, régie par les dispositions des articles 606 et 608 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que les arrêts de la Cour d'appel de Paris statuant sur recours formés contre des décisions du Conseil prises au titre de l'article L. 464-1 du Code de commerce, peuvent, par application des dispositions des articles L. 464-7 et L. 464-8 du même Code, être frappées d'un pourvoi en cassation dans le délai d'un mois à compter de leur notification ; qu'il s'ensuit que le pourvoi est recevable ;

Attendu que le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa neuvième branche et le troisième moyen, pris en ses quatrième, cinquième, huitième, neuvième et dixième branches, ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche : - Vu les articles 81 du traité CE, L. 420-1 et L. 464-1 du Code de commerce ; - Attendu que, pour dire les exclusivités accordées par Apple à Orange susceptibles d'être contraires aux dispositions de l'article 81 du traité et L. 420-1 du Code de commerce, l'arrêt, statuant par motifs propres et adoptés, constate qu'en vertu du partenariat liant ces sociétés, Orange est, en France, l'opérateur mobile exclusif pour les terminaux iPhone, qu'Orange est également le grossiste exclusif de ces produits et que l'exclusivité qui lui est consentie en qualité d'opérateur de réseau est renforcée dans les contrats de distribution sélective proposés par Apple à ses distributeurs agréés, qui prévoient que ceux-ci doivent offrir à la vente la gamme complète des services de téléphonie mobile d'Orange pour l'iPhone et que, s'ils peuvent vendre les terminaux "nus", c'est à la condition que ces derniers soient bloqués pour n'accepter que des cartes SIM du réseau Orange, étant précisé que le consommateur demandant le déverrouillage de l'appareil pour l'utiliser sur un autre réseau avant un délai de six mois, doit acquitter une somme de 100 euro ; qu'il relève que ces exclusivités, qui conduisent à ce que l'iPhone soit commercialisé uniquement avec un abonnement Orange, excluent toute commercialisation de ce terminal dans les réseaux monomarques des opérateurs de réseau concurrents d'Orange et imposent à un consommateur désireux d'acquérir un iPhone de souscrire simultanément un contrat chez Orange, ou d'acquitter des frais de "désimlockage" injustifiés, augmentant ainsi le coût de changement d'opérateur et rendant donc le contournement du monopole plus difficile et de fait des plus limité ; qu'il rappelle que l'Arcep a souligné dans son avis la durée exceptionnelle de l'exclusivité ainsi consentie à Orange, soit 5 ans pour tous les produits de la gamme iPhone au lieu de, habituellement, 3 à 6 mois et pour un modèle de terminal donné et relève que la durée de l'exclusivité, serait-elle réduite à trois ans par la volonté d'Apple qui s'en est contractuellement réservé la possibilité, est disproportionnée au regard des investissements spécifiques consentis par Orange ; qu'il précise que l'iPhone, qui se distingue d'autres smartphones par son ergonomie d'usage, a vocation à bénéficier de l'effet de levier résultant de la position largement prééminente d'Apple, sur le marché des baladeurs numériques grâce à l'iPod, et sur celui du téléchargement payant de musique en ligne ; qu'il relève que le champ et la durée de l'exclusivité consentie à Orange, jointe à l'attractivité particulière de l'iPhone est de nature à conférer à Orange un avantage concurrentiel majeur ; qu'il retient que, compte tenu de la faible intensité compétitive qui règne d'ores et déjà sur le marché des services de téléphonie mobile, dont celui de l'internet mobile est un nouveau segment, tenant aux circonstances que les opérateurs sont peu nombreux (3 licences et quelques MVNO), qu'ils ont pour habitude de coupler la vente de terminaux avec des engagements de durée et que les coûts de changement d'opérateurs sont élevés, cet avantage est susceptible de renforcer la position d'Orange, leader sur le marché des services de téléphonie mobile avec 43,8 % du parc d'abonnés en septembre 2008, devant SFR, 33,7 % et Bouygues, 17,3 % et d'affaiblir un peu plus la concurrence que peuvent se faire les opérateurs mobiles sur ce marché ; qu'il ajoute qu'un risque de cloisonnement vertical du marché pourrait résulter des effets cumulatifs de tels partenariats si d'autres opérateurs choisissaient de se faire concéder des exclusivités similaires, telle l'exclusivité d'un an consentie à SFR sur le Blackberry Storm de RIM ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'existence de terminaux concurrents de l'iPhone fabriqué par Apple, nouvel entrant sur le marché des terminaux, n'était pas de nature à permettre à des opérateurs de téléphonie mobile concurrents d'Orange, de proposer aux consommateurs des offres de services de téléphonie et Internet haut débit mobiles associées à des terminaux, concurrentes de celles proposées par Orange avec l'iPhone, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Et sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche : - Vu les articles 81 § 3 du traité CE, L. 420-4 et L. 464-1 du Code de commerce ; - Attendu que, pour écarter l'argumentation des sociétés France Télécom et Orange selon lesquelles l'exclusivité accordée à Orange était justifiée par la nécessité d'amortir les investissements consentis par celle-ci pour le lancement de l'iPhone, l'arrêt, après avoir déterminé le montant des investissements spécifiques à prendre en compte, retient que le bénéfice net réalisé par Orange en commercialisant des services de téléphonie mobile associés à l'iPhone montre que la durée de l'exclusivité était disproportionnée au regard des investissements spécifiques consentis par Orange ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la prise en compte de l'intégralité du chiffre d'affaires généré par les communications mobiles des acheteurs d'iPhones, et non d'un revenu additionnel, ne revenait pas à considérer qu'Orange aurait perdu ou n'aurait pas gagné l'intégralité des clients ayant souscrit à ses offres de services de téléphonie mobile comprenant un iPhone si elle n'avait pas commercialisé ce terminal, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 février 2009, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.