ADLC, 31 décembre 2009, n° 09-DCC-94
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à l'acquisition d'actifs de la Société des Pétroles Shell et du groupe Total par le groupe Rubis dans le secteur de la vente au détail de carburants
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 27 novembre 2009, relatif à l'acquisition du réseau de stations-service de la Société des Pétroles Shell (ci-après " Shell ") en Corse et de 10,5 % de ses titres dans la société Dépôts Pétroliers de la Corse (ci-après " DPLC "), formalisée par un contrat le 21 juillet 2009, ainsi qu'à l'acquisition d'une partie du réseau de stations-service de la société Total Corse et de 25 % des titres de Total Raffinage Marketing dans DPLC, formalisées par un accord cadre et trois conventions de cession d'actions et d'actifs le 1er octobre 2009 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. La société Rubis (ci-après " Rubis ") est une société en commandite par actions, dont le titre est coté à Paris, détenue par environ 1800 actionnaires, tant individuels qu'institutionnels. Rubis, via la société Rubis Terminal qu'elle détient à 99,11 %, stocke des carburants et d'autres produits chimiques dans des installations détenues en propre, pour le compte d'acteurs de la distribution à dominante alimentaire, de compagnies pétrolières, d'industriels de la chimie ou de traders sur les marchés internationaux de produits pétroliers, engrais et autres produits liquides. De plus, Rubis distribue, via sa filiale Vitogaz SA détenue à 100 %, du butane, du propane et du gaz de pétrole liquéfié (GPL) auprès de particuliers, de collectivités et des secteurs agricole et industriel, sous les marques Vitogaz, Gaz'L et ViTO. Le groupe Rubis est présent dans la distribution de carburants au détail en Guadeloupe, Martinique et Guyane, à la suite de l'acquisition, en 2005, d'actifs de la société des pétroles Shell. Enfin, le groupe Rubis est actif dans le négoce de produits pétroliers via sa filiale HP Trading, détenue à 100 %. Le chiffre d'affaires hors taxes consolidé du groupe Rubis pour l'année 2008 était de 1 192 millions d'euros, dont [>75] millions d'euros réalisés en France, incluant [>15] millions d'euros dans le commerce de détail.
2. Au terme d'un contrat de cession conclu le 21 juillet 2009, la société des pétroles Shell (ci-après " Shell ") s'est engagée à céder au groupe Rubis, sous différentes conditions suspensives, des actifs relatifs à 23 stations-service situées en Corse ainsi que des actions représentant 10,5 % du capital de la société Dépôts Pétroliers de La Corse (ci-après " DPLC "). DPLC exploite les deux dépôts pétroliers en Corse, l'un étant situé à Ajaccio et l'autre à Lucciana. Ces deux dépôts fournissent l'ensemble des stations-service de Corse.
3. Au terme d'un accord cadre et de trois conventions de cession d'actifs signés le 1er octobre 2009, les sociétés du groupe Total (ci-après " Total "), Total Raffinage Marketing et Total Corse se sont engagées, sous différentes conditions suspensives, à céder au groupe Rubis des actifs relatifs à 34 stations-service situées en Corse ainsi que 25 % du capital de DPLC.
4. Les acquisitions projetées par Rubis auprès de Shell et de Total sont liées par les conditions dont elles dépendent. En effet, il ressort du contrat de cession entre Shell et Rubis que cette cession dépend de " l'acquisition effective par l'acquéreur de au moins 25 % des titres de DPLC et au moins 30 stations service en Corse [...] ", critères qui ne peuvent être remplis que si la cession des actifs de Total est aussi réalisée. De plus, ces deux acquisitions concomitantes, pour lesquelles les parties à l'opération ont convenu, dans les actes soumis à notification, une notification simultanée auprès des autorités de concurrence, poursuivent le même objectif économique, celui de permettre à Rubis, nouvel entrant sur le marché de la distribution de carburants en Corse, de constituer un réseau de stations-service suffisant pour couvrir l'ensemble du territoire de la Corse et de participer à la gestion des deux dépôts pétroliers. Dès lors, les deux opérations constituent une concentration unique et doivent faire l'objet d'une seule décision.
5. Rubis pourra ainsi acquérir 9 stations-service CODO (" Company Owned, Dealer Operated ") du groupe Total et 2 stations-service CODO de Shell. Ces acquisitions portent, selon les stations-service, sur les terrains, les murs, le fonds de commerce, ou les contrats de location-gérance dont le pétrolier est bénéficiaire afin d'exploiter les stations-service, ainsi que sur différents équipements d'exploitation. Elles confèreront à Rubis une influence déterminante sur l'activité de distribution de carburants de ces stations-service. En 2008, le chiffre d'affaires réalisé par ces 11 stations-service CODO s'est élevé à [>15] millions d'euros, [>15] millions d'euros pour les stations-service du groupe Total et [<15] millions d'euros pour les stations-service de Shell.
6. L'opération prévoit aussi le transfert à Rubis de contrats de fourniture exclusive de carburants conclus entre 21 stations service DODO (" Dealer Owned, Dealer Operated ") et Shell, ainsi qu'entre 25 stations service du même type et Total Corse. De plus, concernant ces stations-service, Rubis acquiert des actifs d'exploitation tels que des pompes et volucompteurs, incluant ou non les terminaux de paiement, des cuves, des matériels d'agencement extérieur ou intérieurs et des équipements et outillages accessoires. Dans la mesure où la qualification du contrôle exercé par Rubis sur les stations service de type DODO n'a pas d'incidence sur le caractère contrôlable de l'opération ni sur les conclusions de l'analyse concurrentielle, il est possible de laisser cette question ouverte. A titre indicatif, en 2008, le chiffre d'affaires réalisé par la fourniture de carburants aux stations services DODO s'est élevé respectivement à [...] millions d'euros pour les stations fournies par Shell et à [...] millions d'euros pour les stations fournies par Total Corse.
7. En ce qui concerne DPLC, à l'issue de l'opération, Rubis Terminal et HP Trading détiendront respectivement [...] % et [...] % du capital et des droits de vote de cette société, soit ensemble 35,5 %. Les autres associés Total, Esso et BP détiendront respectivement [<50] %, [<50] % et [<50] % du capital de DPLC et des droits de vote. Cependant, il convient de relever que DPLC ne peut être considérée comme une entreprise de plein exercice, au sens de la communication consolidée de la Commission européenne (notamment du paragraphe 98). En effet, l'activité de DPLC consiste en des prestations de stockage de produits pétroliers réalisées uniquement pour le compte des associés de DPLC, qui en détermine le prix annuellement au sein du comité de direction. DPLC n'est de ce fait pas présente sur un marché de prestations de stockage.
8. Au surplus, la prise de participation de 35,5 % du groupe Rubis au capital de DPLC n'est pas de nature à lui conférer de droits excédant ceux normalement consentis à un actionnaire minoritaire pour protéger ses intérêts financiers. En effet, d'après les statuts de DPLC, les décisions stratégiques sont prises par le comité de direction au sein duquel chaque associé est représenté par des personnes physiques disposant des droits de vote de l'associé. Le comité de direction délibère à la majorité, sauf pour certaines décisions prises à la majorité des deux tiers qui relèvent de la protection des intérêts financiers des actionnaires minoritaires, telles que les modifications statutaires, l'augmentation, l'amortissement ou la réduction du capital, la transformation de la société en une autre forme sociale, ou la dissolution anticipée de la société.
9. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle de 11 stations-service CODO en Corse par Rubis, l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Les seuils de contrôle mentionnés à l'article L. 430-2-II du Code de commerce, relatifs au commerce de détail, sont franchis. En revanche, l'opération n'a pas de dimension communautaire. Elle est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
A. DELIMITATION DES MARCHÉS DE PRODUITS
10. Les parties sont simultanément présentes sur le secteur de la vente au détail de carburants. Les autorités de concurrence (1) ont déjà considéré qu'il existait un marché de la vente au détail de carburants, tous types de carburants confondus, en distinguant uniquement selon que le carburant est distribué sur autoroutes ou hors autoroute, dans la mesure où les autorités de concurrence ont considéré que la demande était plus captive sur autoroute. Les stations-service concernées par l'opération sont toutes situées en agglomération ou sur des routes franches. Ainsi, conformément à la pratique décisionnelle, l'analyse concurrentielle portera uniquement sur le marché de la vente au détail de carburants hors autoroutes.
11. Pour ce qui est des activités annexes à la vente de carburants (lavage automatique, vente de lubrifiants, de sandwiches, etc.), compte tenu du caractère marginal des volumes et des chiffres d'affaires en cause ainsi que de la présence de concurrents autres que les stations-service susceptibles de vendre les produits et services considérés, la présente opération n'aura qu'un impact marginal sur les marchés concernés et ne fera donc pas l'objet d'une analyse concurrentielle.
B. DELIMITATION DES MARCHÉS GEOGRAPHIQUES
12. S'agissant de la dimension géographique des marchés de la vente de carburants en stations-service hors autoroutes, les autorités de concurrence françaises ont considéré dans plusieurs décisions (2) qu'ils étaient de dimension locale. Elles ont ainsi le plus souvent effectué une analyse au niveau de l'agglomération (3).
13. La Commission européenne a également indiqué dans la décision précitée M. 1464 Total / PetroFina précitée que le marché revêtait un caractère local : " le marché géographique pour la vente de carburants doit être défini par référence à la demande, constituée par les automobilistes qui s'approvisionnent en carburants dans les stations à proximité de leurs centres d'activités, sans parcourir des grandes distances. Par conséquent, la substituabilité entre stations d'approvisionnement s'avère, du côté de la demande, géographiquement limitée. "
14. Toutefois, la partie notifiante relève que " d'autres éléments sont parfois pris en compte par les autorités de concurrence pour tendre à une dimension nationale du marché, tels que l'homogénéité des gammes de produits, de la qualité, du niveau de service ou des prix à l'échelon régional voire national ", et renvoie à la décision de la Commission européenne IV/M.1383 - Exxon / Mobil précitée, qui avait retenu pour les marchés concernés une dimension nationale en Autriche, en Allemagne et au Royaume-Uni. S'agissant plus spécifiquement de la Corse, la partie notifiante considère qu'il existe des chevauchements entre les zones de chalandise de toutes les stations-service situées sur ce territoire, à l'origine d'un continuum des prix au détail qui ne présentent pas de différences significatives entre les stations-service en fonction de leur localisation géographique. Elle en conclut que le marché géographique pertinent en l'espèce est celui de la Corse entière.
15. L'Autorité relève au contraire que l'examen du maillage des stations-service sur l'île tend à conforter la pratique des autorités de concurrence françaises en ce qu'il permet de déterminer différentes zones, isolées et éloignées les unes des autres, correspondant à des agglomérations (Bastia et Ajaccio) ou à des bassins urbains (Calvi, Porto, etc.) dans lesquelles les conditions d'exercice de la concurrence diffèrent.
16. Au cas d'espèce, il n'est pas nécessaire de trancher définitivement la question de la délimitation géographique du marché de la vente au détail de carburants en territoire corse, dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle seront inchangées quelle que soit la définition adoptée. L'analyse sera toutefois menée au niveau le plus fin, c'est-à-dire au niveau de zones de chalandise de chaque agglomération ou bassin urbain, regroupant les stations-service situées à l'intérieur ou à proximité des villes et villages concernés.
III. Analyse concurrentielle
A. EFFETS UNILATERAUX
17. A titre liminaire, on peut relever que, sur la Corse entière, étaient présents avant l'opération, les réseaux des groupes Total, Esso, BP et Shell avec des parts de marché respectives, calculées en volume, de [40-50] %, [20-30] %, [10-20] %, et [10-20] %. Les grandes et moyennes surfaces à dominante alimentaire ne distribuent pas de carburants en Corse. A l'issue de l'opération, le réseau Rubis sera leader du marché avec une part de [30-40] % en volume et fera face aux réseaux des groupes Total, Esso et BP qui disposeront respectivement de [20-30] %, [20-30] % et [10-20] % de parts de marché. L'opération, sur la Corse entière, conduit donc à une déconcentration du marché, l'indice IHH passant de 2994 à 2658. Comme exposé précédemment, il convient toutefois d'analyser l'impact concurrentiel de l'opération, zone par zone.
18. Sur les zones du nord du cap Corse, de l'Ile-Rousse, de Borgo, de Propriano, Sartène, et Sagone/Cargèse, le réseau Rubis acquiert une partie du réseau Total et aucune station-service du réseau Shell, Total restant présent. En conséquence, l'opération conduit à un accroissement du nombre d'acteurs présents sur la zone et à une déconcentration du marché par l'entrée de Rubis.
19. Sur les zones de Corte, Planottoli-Caldarello, Aléria, le réseau Rubis acquiert la totalité des stations-service Shell et aucune station-service du réseau du groupe Total. Rubis se substitue donc à Shell sur ces zones et la structure concurrentielle n'est pas modifiée, le nombre d'acteurs présents sur la zone et leurs parts de marché respectives restant identiques.
20. Sur la zone de Santa Maria Siché, le réseau Rubis acquiert l'unique station-service Total et aucune station-service Shell. La structure concurrentielle n'est pas non plus modifiée sur cette zone.
21. Sur les zones de Bastia (de Erbalunga à Casatorra, y compris Pietrabugno), Saint Florent, Calvi (incluant Lumio), Ponte Leccia, Porto (incluant Serriera), Ajaccio (incluant Mezzavia), Ghisonaccia, Porto Vecchio, le réseau Rubis acquiert simultanément des stations-service Shell et des stations-service du groupe Total, le groupe Total restant, ou non, présent. L'opération étant donc susceptible de conduire à une concentration du marché, il convient d'analyser chacune des ces zones individuellement.
22. Pour ces 8 zones, la partie notifiante a fourni la répartition des stations-service entre les réseaux ainsi que des estimations de parts de marché, basées sur les volumes vendus en 2008 par les stations-service qui rejoindront le réseau Rubis et sur les volumes moyens par station-service, sur la Corse entière, pour les autres réseaux.
23. La répartition des stations-service sur ces différentes zones entre les réseaux est présentée dans le tableau ci-dessous :
<emplacement tableau>
24. Sur toutes ces zones, sauf Saint Florent, le nombre d'acteurs présents ne sera pas modifié par l'opération.
25. En ce qui concerne la répartition des stations-service entre les réseaux, sur les zones de Porto Vecchio, Calvi et Ajaccio, l'opération conduit à un rééquilibrage. Sur les zones de Ghisonaccia, Ponte Leccia et Porto, l'opération ne modifie pas la structure de la répartition des stations-service entre les acteurs. L'opération ne conduit donc à une modification de la structure de la concurrence que sur les zones de Bastia et St Florent.
26. Sur la zone de Bastia, où le nombre d'acteurs présents ne sera pas modifié, les parts de marché des réseaux, après l'opération, sont estimées à [30-40] % pour Rubis, [30-40] % pour Esso, [10-20] % pour Total et [10-20] % pour BP. Le réseau Rubis fera donc face à la concurrence de réseaux ayant des positions significatives sur la zone.
27. S'agissant de la zone de Saint-Florent, qui ne comporte que 3 stations-service, Rubis occupera une position importante avec 2 stations-service et aura pour seul concurrent BP, avec une station-service dont la part de marché est estimée à [30-40] %. Toutefois, il convient de relever que Saint-Florent est situé à proximité de Bastia, à une distance de 22 kilomètres, soit une vingtaine de minutes de trajet (5) et que les touristes ou les habitants de Saint-Florent sont susceptibles de s'approvisionner en carburant à Bastia, ces derniers pouvant résider à Saint-Florent mais travailler dans la capitale économique de l'Ile.
28. Compte-tenu des éléments qui précèdent, la présente opération n'est pas de nature à présenter de risque pour la concurrence par le biais d'effets unilatéraux sur les marchés de la vente au détail de carburants en Corse.
B. EFFETS COORDONNES
29. Une opération peut modifier la nature de la concurrence sur un marché de telle sorte que les entreprises qui, jusque-là, ne coordonnaient pas leur comportement, soient beaucoup plus susceptibles de le faire ou, si elles coordonnaient déjà leurs comportements, puissent le faire plus facilement. En d'autres termes, une opération peut créer ou renforcer une position dominante collective en augmentant les incitations et la capacité des entreprises présentes sur le marché à maintenir tacitement un équilibre collusif.
30. L'arrêt Airtours/First Choice (6) du Tribunal de première instance des Communautés européennes a défini trois critères cumulatifs, repris par le Conseil d'Etat dans sa décision Fiducial du 31 juillet 2009, pour apprécier les risques de position dominante collective: pour qu'un risque existe, il faut non seulement que la transparence du marché soit telle que chaque oligopoleur soit en mesure de parvenir à une stratégie commune, et de détecter les éventuelles déviations, mais aussi que le fonctionnement du marché permette la mise en œuvre de représailles efficaces et qu'aucune réaction des concurrents résiduels ou potentiels ainsi que des clients ne permette de déstabiliser un éventuel équilibre collusif. La Cour de justice des Communautés européennes a confirmé l'analyse de l'arrêt Airtours dans son arrêt Impala (7) en soulignant de plus qu'une telle coordination n'était possible que si les entreprises étaient en mesure de comprendre l'objectif commun et les moyens d'y parvenir.
31. Plusieurs caractéristiques du marché de la vente de carburants en Corse sont susceptibles de contribuer à l'existence d'une position dominante collective, à l'aune de ces critères.
32. Le marché de la distribution des carburants est particulièrement transparent. En effet, les carburants sont des produits homogènes, dans la mesure où il s'agit des mêmes types de carburants qui sont distribués dans chaque station (SP 95, gazole, etc.). Dans sa décision Exxon/Mobil (8), la Commission a ainsi noté que le degré d'homogénéité élevé des carburants était susceptible de simplifier la coordination tacite des politiques de prix. La comparaison des prix est d'ailleurs très aisée, dans la mesure où les prix sont affichés à l'entrée des stations-service et, de plus, où des relevés de prix à la pompe sont effectués mensuellement par l'administration, concernant chaque type de carburant pour chaque station, qui les publie sur un site Internet.
33. Contrairement aux autres régions françaises, la concurrence sur le marché de la distribution de carburants en Corse n'est pas animée par les grandes et moyennes surfaces alimentaires. La concurrence potentielle est, de plus, quasi-nulle, au regard des fortes barrières à l'entrée sur le marché. En effet, les stations service sont des installations classées qui requièrent une autorisation administrative. Il en est de même s'agissant des dépôts de pétrole, qui représentent en outre des investissements coûteux, mais dont l'accès est nécessaire pour s'établir sur le marché de la distribution au détail de carburants. Il faut par ailleurs noter que les deux seuls dépôts existant en Corse sont contrôlés par les quatre opérateurs susceptibles de mettre en œuvre une démarche collusive. Enfin, tant les contrats de location-gérance que les contrats d'approvisionnement de stations service sont exclusifs, limitant la potentialité de l'entrée d'un nouvel acteur, et ont des durées relativement longues, autour de cinq ans. Ainsi, Rubis n'a pu entrer sur ce marché que dans la mesure où Shell s'en désengageait totalement, et Total pour partie.
34. Le contrepouvoir de la demande est lui aussi quasi-inexistant, dans la mesure où celle-ci est essentiellement constituée d'automobilistes isolés ne disposant d'aucune force de concertation.
35. Cependant, l'arrivée de Rubis, nouvel entrant sur le marché corse de la distribution de carburants, est plutôt de nature à déstabiliser un éventuel équilibre collusif qu'à le créer ou le renforcer. En effet, la définition commune d'une ligne d'action coordonnée est d'autant plus aisée que les entreprises concernées sont semblables, notamment en termes de structure des coûts, d'intégration verticale ou de parts de marché. Or, si l'opération conduit à un léger rééquilibrage des parts de marché, Rubis, contrairement aux trois autres acteurs présents, et à Shell auquel il se substitue, n'est pas un groupe pétrolier mondial présent sur tous les stades de la filière pétrolière. Il s'agit d'un acteur de niche, de taille beaucoup plus réduite que les grands groupes pétroliers, spécialisé dans le stockage et la distribution des produits pétroliers. L'opération, en tant que telle, n'apparaît donc pas être de nature à créer une position dominante collective ou renforcer une position dominante collective préexistante.
Décide
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 09-0109 est autorisée.
Notes :
1 Voir en ce sens les décisions de la Commission Européenne du 29/09/1999, M.1383, Exxon/Mobil et du 26/03/1999, M.1464 Total/PetroFina. Voir également la décision du ministre de l'économie du 23 janvier 2003 relative à l'acquisition par la société AGIP de 35 stations-service appartenant au réseau Shell ainsi que Plus récemment, voir la décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-59 du 26 octobre 2009 relative à l'acquisition de 37 stations-service du réseau Shell par la société Total Raffinage Marketing SA, ainsi que les décisions 09-DCC-57 et 09-DCC-60 relatives à l'acquisition de stations-service du réseau Shell par Picoty Réseau SAS et Thevenin & Ducrot Distribution
2 Voir notamment la lettre du ministre de l'économie du 20 novembre 2002 au PDG de la société AGIP Française SA relative à une concentration dans le secteur de la vente de carburant et la décision du 23 janvier 2003 relative à l'acquisition par la société AGIP de 35 stations-service appartenant au réseau Shell.
3 Voir la décision de l'Autorité de la concurrence précitée n° 09-DCC-59.
4 Données couvertes par le secret des affaires, le nombre final de stations-service Rubis dépendant des négociations en cours avec les propriétaires de stations-service DODO.
5 Source : Mappy.fr.
6 TPICE, T-342/99, Airtours c/Commission, 6 juin 2002.
7 CJCE, C-430-06, IMPALA, 10 juillet 2008.
8 Décision de la Commission du 29 septembre 1999, affaire n° IV/M.1383 - Exxon/Mobil.