CE, 7e et 2e sous-sect. réunies, 11 mai 2007, n° 298863
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Région Guadeloupe
Défendeur :
FPRB (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Martin
Commissaire du gouvernement :
M. Casas
Rapporteur :
M. de Nervaux
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle
LE CONSEIL : - Vu la requête, enregistrée le 17 novembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la région Guadeloupe, représentée par le Président du conseil régional ; la région Guadeloupe demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler l'ordonnance du 3 octobre 2006 par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif de Basse-Terre, statuant en application de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative, a, à la demande de la société FPRB, annulé la procédure d'appel d'offre ouvert engagée le 28 avril 2006 pour la passation d'un marché relatif à des travaux d'enrobés et divers sur les chaussées en Guadeloupe ; 2°) statuant comme juge des référés, de rejeter la demande de la société FPRB devant le juge des référés du Tribunal administratif de Basse-Terre ; 3°) de mettre à la charge de la société FPRB une somme de 5 000 euro au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la directive 2004-18-CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, et notamment son annexe VII A ; Vu le règlement (CE) n° 1564-2005 de la Commission du 7 septembre 2005 établissant les formulaires standard pour la publication d'avis dans le cadre des procédures de passation des marchés publics conformément aux directives 2004-17-CE et 2004-18-CE du Parlement européen et du Conseil, et notamment son annexe II ; Vu le Code des marchés publics ; Vu le Code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Alban de Nervaux, Auditeur, - les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la région Guadeloupe et de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société FPRB, - les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du Gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative : Le Président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics, des marchés mentionnés au 2° de l'article 24 de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics, des contrats de partenariat, des contrats visés au premier alinéa de l'article L. 6148-5 du Code de la santé publique et des conventions de délégation de service public. Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement... Le Président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours... ;
Considérant que la région Guadeloupe a lancé un appel d'offre ouvert pour l'attribution d'un marché relatif à des travaux d'enrobés et divers sur la voirie nationale de Guadeloupe divisé en cinq lots correspondants à différents secteurs géographiques de la région ; qu'après avoir enjoint à la personne responsable du marché, par une ordonnance du 19 septembre 2006, de surseoir à la signature du contrat, le juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Basse-Terre, saisi sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative par la société FPRB, a, par une ordonnance du 3 octobre 2006, annulé l'ensemble de la procédure de passation du marché ; que la région Guadeloupe se pourvoit en cassation contre cette dernière ordonnance ;
Sur la régularité de la procédure suivie devant le juge des référés : - Considérant qu'aux termes de l'article L. 5 du Code de justice administrative : L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence ; que l'ordonnance du juge des référés précontractuels, statuant en application de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative, est rendue à la suite d'une procédure particulière, adaptée à la nature de la demande et à la nécessité d'une décision rapide ; que la région Guadeloupe ne conteste pas avoir pu prendre connaissance, lors de l'audience publique qui s'est tenue le 2 octobre 2006, du mémoire en réplique de la société FPRB, enregistré le 30 septembre 2006, qui ne lui avait pas été préalablement communiqué ; qu'il ressort d'ailleurs des mentions de l'ordonnance attaquée que le moyen nouveau soulevé dans ce mémoire a fait l'objet d'observations orales de la part de la société FPRB au cours de cette audience ; qu'ainsi le juge des référés du Tribunal administratif de Basse-Terre a pu, sans méconnaître le caractère contradictoire de la procédure, se fonder, pour annuler la procédure de passation du marché, sur un moyen soulevé dans cette production ;
Sur la recevabilité de la demande présentée au juge des référés par la société FPRB : - Considérant que la société FPRB avait contesté devant le juge des référés du Tribunal administratif de Basse-Terre la partie commune de la procédure de passation du marché alloti ; que, par suite, nonobstant la circonstance que cette société ne s'était portée candidate que pour quatre des cinq lots du marché, la région Guadeloupe n'est pas fondée à soutenir que le juge des référés aurait commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en admettant la recevabilité de sa demande tendant à l'annulation de l'ensemble de la procédure de passation de ce marché ;
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée : - Considérant qu'aux termes de l'article 36 de la directive 2004-18-CE du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, les avis de marché comportent les informations mentionnées à l'annexe VII A et, le cas échéant, tout autre renseignement jugé utile par le pouvoir adjudicateur selon le format des formulaires standard adoptés par la Commission (...) ; que l'annexe VII A de la directive ainsi que le règlement de la Commission n° 1564-2005 du 7 septembre 2005 établissant les formulaires standard d'avis de marché font notamment figurer parmi les mentions que doivent comporter de tels avis l'indication des modalités essentielles de financement et de paiement du marché ou les références aux textes qui les réglementent ;
Considérant que le V de l'article 40 du Code des marchés publics alors applicable, qui a notamment pour objet de transposer en droit interne le principe de l'obligation de publicité résultant des dispositions des directives communautaires, dispose : Pour les marchés de fournitures et de services d'un montant supérieur à 150 000 euro hors taxe pour l'Etat et 230 000 euro hors taxe pour les collectivités territoriales, et pour les marchés de travaux d'un montant supérieur à 5 900 000 euro hors taxe, la personne publique est tenue de publier un avis d'appel public à la concurrence dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics et au Journal officiel de l'Union européenne (...) ; qu'aux termes du VI du même article : Les avis mentionnés aux III, IV et V sont établis conformément aux modèles fixés par arrêté du ministre chargé de l'Economie... ; que demeurait en vigueur, à l'époque des faits litigieux, en ce qui concerne la publication des avis au Journal officiel de l'Union européenne, l'arrêté du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 4 décembre 2002 fixant les modèles de formulaires pour la publication de tels avis, qui n'a pas été abrogé par l'arrêté du même ministre du 30 janvier 2004 pris en application des articles 40 et 80 du Code des marchés publics et fixant les modèles de formulaires pour la publication des avis relatifs à la passation et à l'attribution de marchés publics, lequel ne s'applique qu'aux publications effectuées dans des journaux nationaux ; que, toutefois, à la date à laquelle a été pris l'arrêté du 4 décembre 2002, aucune disposition du Code des marchés publics ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ne donnait compétence au ministre aux fins d'édicter de telles mesures ; qu'ainsi, cet arrêté a été pris par une autorité incompétente ; que l'intervention des dispositions précitées du VI de l'article 40 du Code des marchés publics, dans sa rédaction issue du décret du 7 janvier 2004, n'a pu avoir pour effet de couvrir le vice dont est entaché cet arrêté, lequel demeure illégal ; que, s'agissant d'un marché de seuil communautaire, il appartenait à la région Guadeloupe, en l'absence de règles nationales légales applicables à la procédure de passation du marché litigieux permettant d'assurer une publicité de l'avis d'appel public à la concurrence dans des conditions compatibles avec les objectifs de la directive 2004-18-CE, d'assurer une publicité de ses intentions compatible avec les objectifs de cette directive, et notamment avec les prescriptions de son annexe ; que, par suite, le juge des référés a pu, sans entacher son ordonnance d'une erreur de droit ni d'une insuffisance de motivation, se fonder sur les dispositions de la directive 2004-18-CE, notamment son annexe VII A, et du règlement n°1564-2005, pour estimer que tant l'avis paru dans le Journal officiel de l'Union européenne que celui publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics devaient comporter des indications quant aux modalités essentielles de financement du marché ;
Considérant que l'obligation de mentionner les modalités essentielles de financement dans l'avis d'appel public à la concurrence doit être entendue comme imposant à la collectivité publique d'indiquer, même de manière succincte, la nature des ressources qu'elle entend mobiliser pour financer l'opération faisant l'objet du marché, qui peuvent être ses ressources propres, des ressources extérieures publiques ou privées, ou des contributions des usagers ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés précontractuels que les avis de marché publiés par la région Guadeloupe précisaient au titre de la rubrique susmentionnée : Délai global de paiement de 45 jours. Ordonnateur : Monsieur le Président du conseil régional de la Guadeloupe. Comptable public assignataire des paiements : Monsieur le payeur régional. Paiement des acomptes : hormis l'avance forfaitaire définie telle que fixée par l'article 87 du Code des marchés publics, il n'est pas prévu le versement de l'avance facultative définie à l'article 88 du même Code. Le marché donnera lieu à des acomptes mensuels correspondants aux prestations réalisées, telles que validées par constat contradictoire avec le titulaire du marché ; que le juge des référés, qui n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que des renseignements relatifs aux modalités essentielles de financement du marché devaient figurer dans les avis d'appel public à la concurrence, n'a pas dénaturé les pièces du dossier en estimant que les indications précitées ne font référence qu'aux modalités essentielles de paiement du marché mais ne comportent aucune mention, même succincte, relative aux modalités essentielles de financement de celui-ci ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge des référés que de telles mentions se trouvaient dans d'autres rubriques de l'avis ; qu'ainsi le moyen tiré de que le juge des référés précontractuels se devait de relever que des indications relatives aux modalités de financement du marché figuraient dans d'autres rubriques de l'avis ne peut, en tout état de cause, qu'être rejeté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la région Guadeloupe n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative : - Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société FPRB, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la région Guadeloupe demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application des mêmes dispositions et de mettre à la charge de la région Guadeloupe une somme de 4 000 euro au titre des frais de même nature exposés par la société FPRB ;
Décide :
Article 1er : La requête de la région Guadeloupe est rejetée.
Article 2 : La région Guadeloupe versera la somme de 4 000 euro à la société FPRB au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la région Guadeloupe et à la société FPRB.