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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 23 juin 2009, n° 06-03291

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Malterre (SA)

Défendeur :

Jacadi (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. de Mordant de Massiac

Conseillers :

M. Bougon, Mme Belladina

Avoués :

SCP Tetelin Marguet, de Surirey, Me Caussain

Avocats :

Mes Cornec, Binder

T. com. Amiens, du 16 juin 2006

16 juin 2006

En relations d'affaires avec la société Jacadi depuis plusieurs années pour les maillots de bain, la société Malterre, fabricant, considère que la société Jacadi a rompu de façon insidieuse à partir de 2002 et brutalement en 2003 les relations commerciales qui les unissaient, sans préavis et qu'elle a subi un préjudice. De son côté la société Jacadi prétend que la société Malterre n'a montré aucun empressement pour continuer à travailler avec elle et que ses produits étaient inadaptés à sa propre collection.

La société Malterre a attrait la société Jacadi devant le Tribunal de commerce d'Amiens par acte du 12 mai 2004 en estimant son préjudice à la somme de 226 884 euro à titre de dommages et intérêts.

Vu l'appel interjeté par la société Malterre le 7 août 2006 d'un jugement rendu le 16 juin 2006 qui l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Jacadi la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Vu les dernières conclusions de la société Malterre déposées au greffe de la cour le 11 juin 2008 par lesquelles elle demande de :

Infirmer le jugement

Constater que les relations établies des parties ont duré onze ans,

Donner acte à la société Jacadi qu'elle renonce à invoquer toute exception d'inexécution,

Dire que la société Jacadi avait l'obligation de collaborer avec son cocontractant et de l'informer de ses nouvelles orientations,

Constater qu'elle ne l'a pas fait,

Constater que la société Jacadi a consulté d'autres fournisseurs dès janvier 2002,

Constater l'absence de tout préavis écrit de rupture,

Constater l'absence de tout annonce d'arrêt des relations par la société Jacadi jusqu'à la fin de la période de commandes annuelles,

Dire que la société Jacadi a mis un terme brutalement à la relation et doit l'indemniser de la marge manquée pendant la période de préavis,

Fixer le préavis normal à une saison franche (soit le cycle de production de 18 mois),

Dire que les produits qu'elle fabriquait pour la société Jacadi l'étaient sous marque de distributeur,

Dire en conséquence, vu l'article 442-6-I 5° du Code de commerce que la durée du préavis doit être doublée et portée à deux saisons franches soit en l'espèce 30 mois,

Vu son taux de marge brute de 36,63 %,

Condamner la société Jacadi à lui payer la somme de 160 256,25 euro HT soit 191 666,47 euro TTC à titre de dommages et intérêts,

Condamner la société Jacadi en tous les dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Tetelin-Marguet et de Surirey, avoués, et à lui payer une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions de la société Jacadi déposées le 24 juin 2008 par lesquelles elle prie la cour de :

Dire et juger que la société Malterre est mal fondée en son appel,

Dire et juger qu'elle ne s'est rendue coupable à l'égard de la société Malterre d'aucune rupture abusive de relations commerciales établies,

Dire et juger que c'est la société Malterre qui n'a pas souhaité poursuivre la fabrication des maillots de bains Jacadi postérieurement à la saison été 2002,

Dire et juger que la cessation des relations commerciales entre les parties est intervenue d'un commun accord de part et d'autre,

Dire et juger qu'en toute hypothèse, la société Malterre ne rapporte la preuve d'aucun préjudice qui soit imputable à la société Jacadi,

En conséquence,

Débouter la société Malterre de ses demandes,

Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamner la société Malterre au paiement d'une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et en tous les dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Caussain, avoué.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 novembre 2008

Sur ce :

Attendu que la société Malterre expose qu'elle est un spécialiste du maillot de bain depuis 1955 ; qu'elle fabrique pour des grandes marques, conçoit des modèles et peut tout fabriquer quelle que soit la demande technique et a également créé sa propre ligne de maillots de bain sous sa propre marque ; qu'elle a toujours fabriqué les maillots de bains commandés par la société Jacadi selon un " dossier style " élaboré par les stylistes de cette société ;

Attendu que la société Jacadi expose qu'elle distribue des vêtements, des chaussures pour enfants ainsi que des articles de puériculture ; qu'elle distribue depuis 1992 sous la marque Véronique Delachaux des vêtements pour la femme enceinte ; que la société Jacadi est entrée en relations commerciales avec la société Malterre pour la fabrication des maillots de bain pour enfants (une collection par an pour l'été) et pour femmes enceintes (deux collections par an pour la piscine et la plage) ;

Attendu que la société Jacadi indique que le processus de fabrication est toujours le même : création des modèles par ses stylistes et constitution d'un dossier technique ; envoi en mars-avril de ce dossier technique à la société Malterre pour la réalisation d'un prototype ; validation après discussion par la société Jacadi des prototypes définitifs courant juin-juillet ; envoi en septembre des prototypes aux franchisés et succursales Jacadi ; lancement de la production en série en octobre pour la collection de l'été suivant ;

Qu'elle aurait rencontré à partir de 1998 plusieurs problèmes avec la société Malterre tenant notamment aux matières, couleurs et finitions et reproche essentiellement à la société Malterre d'offrir peu de choix et de créativité et de ne pas respecter les délais de livraison et d'assurer des livraisons partielles qui lui ont été préjudiciables en raison de ses propres obligations contractuelles vis-à-vis de ses franchisés ;

Que les maillots de bain vendus sous sa marque n'étaient pas fabriqués exclusivement par la société Malterre car elle avait d'autres fournisseurs depuis 1998 notamment la société DR Diffusion ;

Que les affirmations de la société Malterre sur sa prétendue volonté d'augmenter sa rentabilité en baissant la qualité de ses produits à la suite de difficultés financières sont du dénigrement alors qu'au contraire, elle a cherché à obtenir des tissus de qualité et à la mode ; qu'elle n'a jamais changé sa stratégie commerciale ;

Que pour la collection été 2001, la société Malterre aurait signifié à la société Jacadi son intention d'arrêter son activité de création de modèles à façon ; qu'en 2002, la société Malterre n'aurait transmis les échantillons de matière que tardivement, en mars 2002 au lieu de janvier, et offert une seule gamme de coloris unis de sorte que la société Jacadi aurait été contrainte de contacter d'autres fournisseurs et malgré une discussion entre les directeurs des achats et l'envoi d'un dossier technique, la société Malterre n'aurait envoyé aucun prototype; que début août 2002 devant le silence de la société Malterre, elle aurait été contrainte de s'adresser ailleurs pour lancer la production et les deux nouveaux fournisseurs ayant donné satisfaction, elle a continué à travailler avec eux ;

Qu'en revanche, elle continue toujours à confier à la société Malterre la fabrication des maillots de bain pour les femmes enceintes sous la marque Véronique Delachaux ;

Qu'enfin la société Malterre ne se serait plaint de la situation qu'en juillet 2003 par la saisine de la DGCCRF, puis le dossier ayant été classé sans suite, elle a saisi le tribunal de commerce en mai 2004, soit deux ans après les faits invoqués ;

Attendu que la société Malterre reproche à la société Jacadi avec laquelle elle entretenait des relations commerciales depuis 1991 d'avoir rompu brutalement celles-ci sans préavis écrit ; que la société Jacadi ne contesterait ni les relations commerciales, ni la rupture au moins partielle, ni l'absence de préavis ; que la société Jacadi n'invoquerait aucune exception d'inexécution ; que la société Jacadi affirme sans preuve qu'elles auraient décidé d'arrêter leurs relations commerciales, ce qui est inexact ; que la société Jacadi aurait tiré immédiatement un bénéfice de sa rupture brutale ; qu'en réalité la rupture a pour origine un changement de stratégie marketing et le souhait de fabriquer des maillots de bains moins cher à la suite de difficultés de la société Jacadi en 1996 ; que la société Jacadi ne l'a pas informée de ce changement de politique commerciale alors qu'elle était son fournisseur exclusif et s'est adressée directement à des fournisseurs étrangers ; que la société Jacadi tente de lui faire porter la responsabilité de la rupture au motif qu'elle ne voulait pas s'adapter à la demande de ses clients étant précisé que même si cela était vrai, la société Jacadi devait rompre les relations par écrit ; qu'elle n'a pas été inactive puisqu'elle a saisi la DGCCRF dès l'été 2002 ; que leur relation est un contrat de louage d'ouvrage et une obligation de collaboration ;

Attendu qu'en l'espèce la relation commerciale ne repose sur aucun écrit et qu'il n'y a eu aucune lettre de rupture ; que néanmoins, il n'est pas contesté par les parties qu'elles étaient en relation d'affaire depuis plusieurs années, en tout cas, au moins depuis 1996 en l'absence d'archives conservées antérieurement à cette période par la société Jacadi ; qu'il n'existait donc aucun accord sur un chiffre d'affaires garanti ou une quelconque durée des relations commerciales ;

Attendu que l'action de la société Malterre n'est pas de nature contractuelle, mais fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6, 5° du Code de commerce qui précise l'application de l'article 1382 du Code civil sur la responsabilité délictuelle à la situation de relations commerciales établies auxquelles l'un des partenaires entend mettre fin ;

Attendu que l'article L. 442-6, 5° du Code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par tout producteur, commerçant, ou industriel ou personne immatriculée au registre des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ; qu'en application de ce texte, pour être préjudiciable et ouvrir droit à des dommages-intérêts, la rupture des relations commerciales doit être brutale, c'est-à-dire imprévisible et soudaine et avoir été effectuée sans préavis écrit, respectant un délai raisonnable et suffisant tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels ; que lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale du préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur; qu'il existe une faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que la société Jacadi a continué à se fournir auprès de la société Malterre pour ses collections distribuées sous la marque Véronique Delachaux de même que la société Malterre n'a engagé aucune étude ou des frais particuliers pour satisfaire la demande de la société Jacadi qui n'était pas son seul client, son chiffre d'affaires oscillant entre 0,41 % et 5,07 % selon l'enquête de la DGCCRF (entre 1999 et 2002 inférieur à 3 %) ; qu'au surplus, le tribunal a parfaitement relevé que le chiffre d'affaires de la société Malterre n'a cessé d'augmenter y compris après 2002 ;

Attendu que les parties sont en désaccord sur la notion d'exclusivité, la société Jacadi prétendant avoir pris contact avec la société Malterre pour lui confier la fabrication de maillots de bain à titre non exclusif et la société Malterre prétendant être le fournisseur exclusif de la société Jacadi ; que la société Jacadi justifie qu'elle se fournissait auprès de la société DR Diffusion pour des maillots de bains au moins en 1998 et 1999 ; qu'en tout état de cause, en l'absence de contrat, aucune exclusivité ne peut être revendiquée par la société Malterre ;

Attendu qu'il ressort des pièces communiquées que la société Malterre était un fabricant de qualité pour les maillots de bains et offrait une gamme de tissus plutôt unis et de style classique; que la société Jacadi est sur le même registre de classicisme ; que toutefois les maillots de bain pour enfants nécessitent pour être attractifs d'être liés à l'évolution de la mode, tant au niveau des matières, des coupes que des coloris et des finitions ; qu'il a existé une inadéquation entre l'offre de la société Malterre et les souhaits de création de la société Jacadi ou les quantités ; qu'au surplus, il y a eu de nombreux retards de livraison imputables à la société Malterre ; que la société Jacadi établit ces deux faits ; que les directeurs de la société Malterre entendus par la DGCCRF ont indiqué dans le procès-verbal de déclaration qu'en 2001, la société Malterre qui assurait la fabrication des modèles à façon a arrêté cette activité et que c'est la société SCR qui a repris la fabrication de certains de ces produits et que la société Jacadi représentait un volume d'affaires insuffisant pour la société Malterre pour qu'elle crée des modèles spécifiques; que la Direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, saisie par la société Malterre a refusé de poursuivre l'instruction du dossier de rupture des relations commerciales au motif que l'inexécution contractuelle de la société Malterre en matière de délais de livraison était de nature à dégager la responsabilité de la société Jacadi ;

Attendu que toutefois, la société Jacadi indique dans ses conclusions qu'elle n'a jamais cherché à se prévaloir de ces retards ou de l'inadaptation des tissus de la société Malterre pour rompre le contrat ni pour faire valoir une prétendue exception d'inexécution ; que la société Jacadi soutient que le seul motif qui l'a décidée à se fournir ailleurs est la défaillance de la société Malterre dans l'envoi de prototypes en 2002 ; que c'est donc ce seul motif qu'il convient d'étudier, qui consiste en une inexécution par l'autre partie de son obligation ;

Attendu qu'il est établi que le 10 janvier 2002 la société Jacadi a demandé par mail à la société Malterre de lui transmettre les échantillons matière ; que la société Malterre n'a transmis que le 25 mars 2002 les gammes de coloris en unis matière lycra pour la saison été 2003 sans qu'elle puisse raisonnablement prétendre que les unis sont la base de tous les imprimés alors que la société Jacadi attend l'envoi des échantillons unis et motifs proposés par la société Malterre pour la réalisation du dossier technique et d'autres matières que le lycra ; que le 26 mars 2002, la société Malterre a confirmé que suite à l'entretien téléphonique du même jour, il était possible de réaliser deux imprimés exclusifs Jacadi à décliner sur plusieurs modèles afin de faire des métrages industriels ce qui revenait à imposer à la société Jacadi de grandes quantités pour ce choix d'imprimés ; que le 5 avril 2002, la société Malterre a envoyé une nouvelle matière développée pour la saison été 2003 mais a appelé l'attention de la société Jacadi sur l'absence de conformité du produit au niveau de l'extensibilité demandée par la société Jacadi, ce qui réduisait à néant cet envoi, lequel au surplus était tardif ; qu'en effet, c'est à cette période que devait être envoyé le dossier technique de la société Jacadi et pour cela elle devait disposer courant janvier ou février de tous les tissus proposés par la société Malterre ; qu'en l'espèce le retard de la société Malterre à produire ses échantillons de tissus et les discussions nécessaires pour les tissus créés pour la société Jacadi par la société Malterre justifient que la société Jacadi s'inquiète de la réalisation de sa collection été 2003 ; qu'au surplus il n'y a plus eu d'échanges jusqu'en juin 2002 alors que les prix son arrêtés en mai et que les prototypes sont validés en juillet pour être présentés aux franchisés ; que la rencontre entre Monsieur Pointard, directeur des achats de la société Jacadi et Monsieur Bloquert de la société Malterre le 26 juin 2002 n'est pas contestée ; qu'à cette occasion un dossier technique a été remis à la société Malterre ; qu'il n'y a au aucune réponse, aucun envoi de prototype ou de proposition tarifaire ; que la société Malterre qui conteste la remise de ce dossier technique n'a jamais réclamé ce dernier à la société Jacadi alors qu'elle n'ignorait pas les délais à tenir, se contentant d'un mail le 6 mai 2002 indiquant que partant " en Chine le 16 mai et il serait bien que nous ayons les dossiers concernant les boxer-shorts " ;

Attendu que les relations se sont donc trouvées rompues par la présentation tardive voire artificielle des échantillons par la société Malterre, l'absence d'envoi de prototypes ou de proposition tarifaire ; qu'il n'est donc pas établi que la société Jacadi ait rompu brutalement les relations commerciales en raison d'un changement de stratégie marketing en 2001 ; qu'aucune faute ne peut être imputée à la société Jacadi ; que le jugement sera confirmé et la société Malterre déboutée de ses demandes ;

Attendu que succombant, la société Malterre sera condamnée aux dépens d'appel ; qu'il serait inéquitable que la société Jacadi supporte la totalité des frais irrépétibles qu'elle a engagé en cause d'appel ; que la société Malterre sera condamnée à verser à la société Jacadi une somme complémentaire de 5 000 euro en sus de la somme déjà allouée en première instance ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement, Y ajoutant, Condamne la société Malterre à payer à la société Jacadi la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Malterre aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Caussain avoué.