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Décisions

Cass. crim., 25 juin 2008, n° 07-88.373

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dulin (faisant fonction)

Rapporteur :

Mme Labrousse

Avocat général :

M. Salvat

Avocat :

Me Haas

Aix-en-Provence, 5e ch. corr., du 31 oct…

31 octobre 2007

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par X Jean, Z Paul, Y Dominique, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5e chambre, en date du 31 octobre 2007, qui les a condamnés, le premier, pour atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité dans les marchés publics, le deuxième pour complicité et le troisième, pour recel de ce délit, chacun à 10 000 euro d'amende avec sursis ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 2 et 7 de la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991, 432-14 du Code pénal, 41, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité des poursuites soulevées par les prévenus ;

" aux motifs qu'il n'a pas été porté atteinte aux droits de la défense ni au principe d'un procès équitable, dans la mesure où l'avis de la Mission interministérielle d'enquête sur les marchés et les conventions de délégation de service public de l'Etat a été porté à la connaissance des intéressés, qu'il était l'une des pièces de la procédure pénale, et qu'il a pu être librement et contradictoirement débattu ;

" alors que les rapports et comptes-rendus d'audition relatifs à des enquêtes portant sur les marchés et collectivités territoriales, les établissements publics locaux et les sociétés d'économie mixte locales, doivent, d'abord, être communiqués au représentant légal de la collectivité ou de l'organisme concerné, pour être, ensuite seulement, transmis au préfet et, le cas échéant, à l'autorité à l'origine de l'enquête ; que les conclusions de ces rapports doivent être portés à la connaissance des personnes mises en cause préalablement à l'engagement de poursuites pénales ; que l'inobservation de cette formalité, essentielle au respect des droits de la défense et à la garantie d'un procès équitable, doit entraîner la nullité des poursuites " ;

Attendu que, pour écarter l'exception de nullité des poursuites prise de ce que le Ministère public a sollicité l'avis sur les contrats litigieux de la Mission interministérielle d'enquête sur les marchés publics (MIEM) et versé celui-ci à la procédure, sans respecter les formalités prévues à l'article 2 de la loi du 3 janvier 1991, l'arrêt énonce que cet avis a pu être librement et contradictoirement débattu par les parties dans le cadre de l'information judiciaire et qu'ainsi aucune atteinte n'a été portée à leurs droits ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que l'avis sollicité ne constitue pas une enquête au sens de l'article 2 précité, la cour d'appel a justifié sa décision, sans méconnaître les dispositions légales et conventionnelles invoquées ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er, 26 et 35 III 4°, du Code des marchés publics, 121-3 et 122-3 du Code pénal, L. 111-1 du Code de propriété intellectuelle, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré coupables Jean X de délit de favoritisme, Paul Z de complicité de ce délit, et Dominique Y de recel de fonds ;

" aux motifs, propres et adoptés, que Jean X, en sa qualité d'adjoint au maire, en ayant signé les actes d'engagement pour la conception et la réalisation par la société SEM [A], du magazine " B ", a bien porté atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics et octroyé à la SEM [A] un avantage injustifié ; que Paul Z, en sa qualité de maire, en ayant participé aux délibérations des conseils municipaux ayant approuvé la passation des marchés négociés, a personnellement participé à la commission du délit en aidant sciemment à sa consommation ; que l'article 35 III, 4°, du Code des marchés publics prévoit la possibilité d'absence de mise en concurrence lorsque, pour des raisons techniques ou artistiques, on ne peut les confier qu'à un prestataire déterminé ou lorsque celui-ci a des droits d'exclusivité ; qu'à cet égard, la ville de C soutient que la SEM [A] est propriétaire du magazine dont la marque a été déposée auprès de l'INPI, l'exclusivité portant sur la propriété intellectuelle définie par la loi protégeant les droits d'auteur ; que, toutefois, le simple fait que cette société ait été propriétaire du titre ne dispensait pas la ville d'une mise en concurrence, pour la réalisation du bulletin municipal comme en éditent beaucoup de villes françaises, le besoin de la ville de C étant de réaliser un magazine, quel que soit le support et ce support ne pouvant être pré-désigné par la détention de droits exclusifs ; que, sur l'élément intentionnel, ces mêmes faits avaient déjà fait l'objet d'un rapport de la DDCCRF ; qu'à cette occasion, l'attention des élus avait été particulièrement attirée sur le principe d'une mise en concurrence ; que Paul Z, maire de la commune depuis trente ans, ne pouvait ignorer les règles applicables de par son expérience et son ancienneté dans la fonction ; que, sur l'existence d'une prestation " in house ", ni la SEM [A] ni la SA [D] ne pouvaient être considérées comme soumises de la part de la commune de C à un contrôle comparable à celui qu'elle exerce sur ses propres services ; qu'en effet, ces entités restent des sociétés commerciales, donc des sociétés de droit privé, dirigées par leurs propres organes, même en cas de participation minoritaire de la personne privée dans le capital d'une société à laquelle participe également une collectivité territoriale ; qu'il en résulte que la passation du marché de conception et réalisation d'un magazine municipal exigeait un appel d'offres ; que Jean X, adjoint au maire, ne pouvait ignorer que le recours à un marché négocié posait difficulté ; que les faits ont bien été commis en connaissance de cause ; que Dominique Y, directeur de la SEM [A], puis président de la SA [D], a bénéficié, en termes de monopole pour ces sociétés, de retombées positives résultant de l'attribution irrégulière de marchés ; qu'il a ainsi sciemment recelé les fonds, qu'il savait provenir du délit de favoritisme reproché à Jean X ;

" 1°) alors que la passation d'un marché public sans mise en concurrence, se justifie lorsqu'il ne peut être confié qu'à un prestataire déterminé en raison de droits d'exclusivité qu'il détient ; qu'ayant retenu, à la charge des prévenus la violation des règles de mise en concurrence, tout en relevant que la SEM [A] était propriétaire exclusive du titre " B ", ce qui faisait d'elle le seul prestataire susceptible de réaliser ce magazine, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;

" 2°) alors que, en cas de contrat dit " in house ", les marchés publics peuvent être passés sans appel d'offres ; que les critères de ce contrat sont, d'une part, un contrôle de l'autorité publique sur l'entité prestataire analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services, et, d'autre part, la réalisation par l'entité prestataire de l'essentiel de son activité avec la ou les collectivités publiques qui la détiennent ; qu'en se fondant sur un critère organique inopérant tiré de la forme sociale des sociétés prestataires concernées, tout en relevant que le capital de ces sociétés commerciales de droit privé, était minoritairement détenu par la personne privée, ce dont il découlait qu'elles étaient contrôlées par la collectivité territoriale détenant la majorité de leur capital social, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;

" 3°) alors que, dans leurs conclusions d'appel, pour contester l'élément intentionnel des infractions qui leur étaient reprochées, les prévenus faisaient valoir que la ville de C avait obtenu l'accord, en 1998, 1999 et 2003, du contrôle de légalité, avant la passation des marchés, objet des poursuites ; que tout acte administratif étant présumé légal, la cour d'appel ne pouvait pas, pour retenir les prévenus dans les liens de la prévention, considérer que les contrôles de légalité effectués a posteriori ne constituaient pas une erreur de droit invincible ;

" 4°) alors que, en se prononçant uniquement sur la portée de contrôle a posteriori, quand les prévenus s'appuyaient sur l'existence d'accords de l'administration préfectorale préalables à la passation des marchés litigieux, sur l'existence et la portée desquels elle a omis de se prononcer, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, par délibération en date du 15 novembre 2002, la commune de C, dont Paul Z était le maire, a attribué, pour l'année 2003, sans mise en concurrence, le marché relatif à la création et à la réalisation d'un bulletin municipal, dénommé " B " à la société d'économie mixte [A], dirigée par Dominique Y, déjà bénéficiaire pour les années précédentes d'un tel marché ; que, par une nouvelle délibération, en date du 14 novembre 2003, ce marché a été confié, selon la même procédure, pour les années 2004 à 2006, à la société précitée, transformée en société anonyme ; que ces deux marchés ont été signés par Jean X, adjoint au maire et délégué aux marchés publics ;

Attendu que, pour déclarer Jean X, Paul Z, et Dominique Y coupables respectivement de favoritisme, complicité et recel de ce délit, l'arrêt énonce que le simple fait que la société attributaire du marché soit propriétaire du titre " B " ne dispensait pas la commune d'une mise en concurrence, le support du bulletin municipal ne pouvant être " pré-désigné " par la détention de droits exclusifs ; que les juges ajoutent que les marchés litigieux ne peuvent être qualifiés de contrats à prestations intégrées, la société attributaire et la société anonyme de même nom restant des sociétés de droit privé, dirigées par leurs propres organes, même en cas de participation minoritaire d'une personne privée dans leur capital et ne pouvant dès lors être considérées comme soumises de la part de la commune de C à un contrôle comparable à celui qu'elle exerce sur ses propres services ; qu'ils retiennent enfin que les faits ont été commis en connaissance de cause par les élus qui, en raison de leur expérience et de leur ancienneté dans leurs fonctions et dont l'attention avait été appelée dès 1999 par la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sur la nécessité d'une mise en concurrence, ne pouvaient ignorer l'illégalité de la procédure litigieuse ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que la participation, fût-elle minoritaire, d'une entreprise privée dans le capital d'une société à laquelle participe également une collectivité locale exclut en tout état de cause que celle-ci puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services, la cour d'appel, qui a fait une exacte application des articles 3, 1°, et 35 III, 4°, du Code des marchés publics alors applicable, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, qui, en ses troisième et quatrième branches, manque en fait, aucun accord préalable sur la procédure à suivre ayant été donné par l'autorité préfectorale pour les marchés, objet des poursuites, doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette les pourvois.