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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 8 octobre 2008, n° 07-15873

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Dan Foam APS (Sté), Tempur France (SAS)

Défendeur :

Chaîne Française de l'Ameublement-Seifram (SARL), Ena (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre-Pierrat

Conseillers :

Mmes Rosenthal-Rolland, Chokron

Avoués :

Me Huyghe, SCP Gerigny-Freneaux

Avocats :

Mes Zeller, Bonnaffons

TGI Paris, du 27 juin 2007

27 juin 2007

Vu l'appel interjeté le 12 septembre 2007 par les sociétés Dan Foam et Tempur France, d'un jugement rendu le 27 juin 2007 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a débouté la première de sa demande en contrefaçon par imitation de ses marques Tempur, la seconde de sa demande en concurrence déloyale et les a condamnées in solidum à verser à chacune des sociétés Ena et Chaine Française de l'Ameublement-Seifram la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions, signifiées le 30 juin 2008, par lesquelles les sociétés Dan Foam et Tempur France, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demandent à la cour, au visa des articles L. 713-3 et L. 716-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, 9 du règlement CE n° 40-94 du 20 décembre 1993, 1382 du Code civil, statuant à nouveau, de:

- dire que le signe Sompur utilisé par les sociétés Ena et Chaine Française de l'Ameublement-Seifram à titre de marque pour la présentation et la commercialisation d'articles de literie, constitue une contrefaçon par imitation des marques Tempur dont la société Dan Foam est titulaire,

- dire que les sociétés Ena et Chaine Française de l'Ameublement-Seifram ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Tempur France,

En conséquence,

- leur faire interdiction, sous astreinte de 500 euro par infraction constatée, à compter de la signification de la décision à intervenir, de poursuivre l'utilisation du signe Sompur à titre de marque pour la désignation d'articles de literie,

- les condamner in solidum à payer chacune à la société Dan Foam la somme de 75 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon,

- les condamner in solidum à payer chacune à la société Tempur France la somme de 150 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale,

- ordonner à leur frais in solidum la publication de la décision à intervenir dans 5 journaux, dans la limite de 5 000 euro HT par insertion,

En tout état de cause,

- les condamner in solidum à payer chacune aux sociétés Dan Foam et Tempur France la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris le coût des constats d'huissier des 7 décembre 2005 et 5 mai 2006 qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du même Code;

Vu les ultimes écritures, signifiées le 22 août 2008, aux termes desquelles les sociétés Chaîne Française de l'Ameublement-Seifram et Ena, poursuivant la confirmation du jugement entrepris, prient la cour de débouter les sociétés appelantes de toutes leurs prétentions et de les condamner in solidum à leur payer à chacune la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du même Code;

Sur ce, LA COUR

Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :

- la société de droit danois Dan Foam est propriétaire:

* de la marque verbale française Tempur, déposée le 10 avril 1992, enregistrée sous le n° 92 41 46 07, dûment renouvelée le 18 mars 2002,

* de la marque semi-figurative communautaire + Tempur déposée le 4 mai 1999, enregistrée sous le n° 01 167 923,

* de la marque verbale communautaire Tempur déposée le 20 mai 1999, enregistrée sous le n° 01 200 179, toutes trois pour désigner les produits des classes 10 et 20 et notamment des oreillers, coussins, matelas,

- elle expose avoir développé dans les années 1980, en collaboration avec la Nasa, un procédé de fabrication d'une mousse viscoélastique inerte, résistante au temps, thermosensible, susceptible d'absorber les pressions exercées sur elle,

- limitée d'abord au secteur de l'équipement médical, l'application de cette technologie a été ensuite étendue, sous la dénomination Tempur, au marché grand public de la literie,

- la société Tempur France, filiale de la société Dan Foam, est le distributeur exclusif en France des produits Tempur,

- la société Ena est à la tête, en France, du réseau de franchise l'Univers du sommeil, qui compte 40 points de vente spécialisés dans les articles et accessoires de literie,

- la société Chaine Française de l'Ameublement-Seifram est le distributeur exclusif en Europe d'articles de literie composés de mousse viscoélastique et thermosensible, commercialisés sous la dénomination de Sompur, fabriqués par la société Carpenter, étrangère à la cause,

- ayant découvert l'offre en vente de produits Sompur dans les magasins l'Univers du sommeil, les sociétés Dan Foam et Tempur France ont introduit à l'encontre des sociétés Ena et Chaine Française de l'Ameublement, par assignation du 27 décembre 2005 devant le Tribunal de grande instance de Paris, la présente instance en contrefaçon de marques et en concurrence déloyale;

Sur la contrefaçon de marques

Considérant que la société Dan Foam fait grief aux sociétés intimées de faire usage, pour distinguer les articles de literie qu'elles distribuent et commercialisent, du signe verbal Sompur qu'elle considère contrefaisant les marques communautaires Tempur et + Tempur et française Tempur dont elle est propriétaire;

Considérant en droit, s'agissant des marques communautaires opposées, que l'article L. 717-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que "constitue une contrefaçon engageant la responsabilité de son auteur la violation des interdictions prévues aux articles 9, 10, 11 et 13 du règlement (CE) 40-94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire" ;

Que, selon l'article 9 de ce règlement, la marque confère à son titulaire un droit exclusif. "Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires : a) (...) ; b) d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque communautaire et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprenant le risque d'association entre le signe et la marque";

Et considérant, s'agissant de la marque nationale, qu'en vertu de l'article L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle, "l'atteinte portée au droit du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits de la marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4" ;

Que selon l'article L. 713-3, "sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public : a) (...) ; b) L'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ;

Considérant en l'espèce, qu'il est constant que les produits désignés par le signe critiqué sont soit identiques, soit similaires à raison de leur destination ou de leur complémentarité à ceux visés à l'enregistrement des marques dont la société Dan Foam revendique la protection;

Qu'il convient dès lors de rechercher s'il résulte des circonstances de la cause un risque de confusion dans l'esprit du public qui doit être déterminé au terme d'une appréciation globale, fondée sur l'impression d'ensemble produite par les dénominations en présence eu égard à leur similitude, visuelle, phonétique et conceptuelle, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants;

Qu'il doit être précisé à cet égard qu'en ce qui concerne la marque communautaire semi-figurative + Tempur, les parties ne discutent pas le caractère dominant de l'élément graphique Tempur et portent le débat sur la comparaison des signes verbaux Tempur-Sompur;

Considérant, au plan visuel, que les signes examinés se différencient au premier regard par le graphisme : des lettres d'imprimerie droites, de couleur noire, pour les marques antérieures, des caractères de couleur, légèrement inclinés, de forme arrondie, pour le signe second ; qu'ils se distinguent en outre, de manière immédiatement perceptible, par la syllabe d'attaque qui leur est propre : Tem pour les unes, Som pour l'autre;

Considérant, au plan phonétique, que les vocables comparés donnent à entendre le même rythme binaire résultant de leur structure dissyllabique ainsi que la même sonorité finale, pur, toutefois, l'émission en position d'attaque des phonèmes Tem et Som produit une vibration acoustique dissemblable, de la nature du sifflement pour l'un, du tintement pour l'autre, qui les oppose d'emblée radicalement ;

Considérant, au plan conceptuel, que la dénomination Tempur ne revêt pas au premier abord une signification évidente pour le consommateur moyen mais peut cependant évoquer, à raison du préfixe Temp, la température ou le temps, tandis que la dénomination Sompur se comprend sans difficulté comme la contraction du groupe nominal " sommeil pur ", de sorte que, la première, pour en rechercher le sens, se verra scindée en ses éléments : Temp/Ur, tandis que la seconde en ses éléments : Som/Pur;

Qu'il s'ensuit que tant au plan visuel, phonétique, que conceptuel, le suffixe Pur, commun aux signes en présence, n'est pas de nature, eu égard à la faiblesse de ses caractères tant distinctif que dominant, à introduire dans l'esprit du consommateur normalement informé et raisonnablement avisé de la catégorie des produits visés par les marques en présence un risque de confusion susceptible de le conduire à leur attribuer une origine commune ou à les rattacher à des entreprises économiquement liées;

Que la société Dan Foam n'est pas fondée, par voie de conséquence, à faire grief aux sociétés intimées de contrefaire par l'emploi du signe Sompur les marques communautaires et française Tempur dont elle revendique la protection;

Que le jugement attaqué mérite confirmation en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de prétention;

Sur la concurrence déloyale

Considérant que la société Tempur France fait griefs aux sociétés intimées d'avoir commis à son préjudice des actes de concurrence déloyale en reproduisant systématiquement les caractéristiques de ses produits, en reprenant ses arguments de vente, de manière à créer dans l'esprit du public un risque de confusion, à capter sa clientèle sans bourse déliée, à tirer injustement profit des investissements en recherche, développement et communication qu'elle a dû réaliser pour se faire connaître sur le marché et promouvoir ses produits ;

Que ce dernier grief relève précisément de la qualification de concurrence parasitaire étant rappelé que la concurrence déloyale et le parasitisme sont certes fondés sur l'article 1382 du Code civil mais sont caractérisés au regard de critères distincts ;

Considérant que la concurrence déloyale doit être appréciée à l'aune du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, à supposer au demeurant que la preuve en soit rapportée, sous certaines conditions tenant, notamment, à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, préjudiciable à l'exercice paisible et loyal du commerce;

Or considérant que les premiers juges ont pertinemment observé, par de justes motifs que la cour adopte, que la société Tempur, qui ne saurait détenir un quelconque monopole sur une épaisseur déterminée de matelas non plus qu'un quelconque droit privatif sur la mousse viscoélastique, n'est pas fondée à reprocher aux sociétés Ena et Chaîne Française de l'Ameublement de reproduire les caractéristiques de ses produits en commercialisant des modèles de matelas d'une épaisseur respective de 17 cm et 20 cm composés de mousse viscoélastique thermosensible; qu'elle ne saurait davantage au regard de la liberté du commerce contester aux sociétés intimées le droit d'offrir à la vente une gamme de sommiers composée de sommiers tapissiers, des sommiers électriques à lattes et des sommiers à plots deux moteurs, nombre de sociétés concurrentes dans le secteur de la literie proposant au demeurant un tel choix ;

Que les premiers juges ont, encore à juste titre, écarté le grief selon lequel les sociétés intimées auraient copié les arguments publicitaires, axés sur l'innovation technologique et le progrès médical, de la société Tempur France ; qu'ils constatent en effet, à raison, que le produit Tempur est vanté pour être le fruit de la recherche spatiale " un développement du programme spatial de la Nasa " et pour être reconnu par le corps médical " utilisé dans les hôpitaux pour alléger la pression et faciliter la circulation ", " recommandé par les spécialistes du dos dans le monde entier ", tandis que le produit Sompur est présenté comme " issu de la recherche fondamentale " sans référence aux travaux de la Nasa, le slogan " vivez en apesanteur " n'étant pas nécessairement et exclusivement évocateur de l'aventure spatiale, et comme doté d'" effets thérapeutiques non négligeables " pour " s'adapter progressivement à votre morphologie - résultat votre circulation sanguine est améliorée " sans arguer de recommandations des professions médicales;

Qu'il convient d'ajouter qu'il résulte des éléments de la procédure, notamment d'un article de la revue Mobilium de septembre/octobre 2005 au titre de " literie : Ils voient du polyuréthane partout ", que la mousse viscoélastique thermosensible, issue des recherches menées par les chimistes sur la fabrication de caoutchouc synthétique, le polyuréthane, " a conquis une place enviable dans nos matelas devant son prédécesseur, le latex " et que nombre de sociétés du secteur de la literie ont axé leur publicité sur " les propriétés extraordinaires " de ce matériau " issu de la recherche spatiale ", " développé pour la Nasa " (Wifor - France Best Matelas - Carpenter) qui " s'adapte à la morphologie ", " soulage les zones d'appui ", assure " un bon maintien de la colonne vertébrale " (Wifor - Roviva - Visco - Energy - Les Pros du Matelas - France Best Matelas - Le Lit International), " améliore la circulation du sang " (ELSA), de sorte que, force est de constater à l'époque des faits de la cause, l'engouement général des fabricants de literie pour la mousse viscoélastique unanimement présentée comme étant à la pointe de l'innovation technologique et garantissant un bénéfice pour la santé;

Considérant enfin que les premiers juges ont, toujours pertinemment, relevé qu'une différence de 5 années séparait les brochures commerciales Sompur de 2005 et Tempur de 2000 soumises à leur appréciation et déduit que ces documents n'ont pu se trouver en circulation au même moment sur le marché de la literie tout en constatant par ailleurs, par des motifs que la cour adopte, qu'ils présentent chacun une physionomie propre tant à raison de la mise en page, que des photographies et des illustrations techniques ou encore de la couverture, qui donne banalement à voir, s'agissant de promouvoir des articles de literie, une femme endormie, mais dans une pose et suivant un cadrage différents;

Qu'il s'ensuit que la société Tempur France n'établit pas à la charge des sociétés intimées une faute de nature à induire dans l'esprit du public un risque de confusion sur l'origine des produits concernés de sorte que, par confirmation du jugement déféré, elle doit être déboutée de sa demande au titre de la concurrence déloyale;

Considérant que le parasitisme est caractérisé dès lors qu'une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements ;

Or considérant que la société Tempur France, qui ne justifie pas des investissements tant techniques que publicitaires propres aux modèles en cause, ni de son savoir-faire alors même qu'il résulte des constatations précédentes que les grandes marques de literie offrent à la vente une gamme d'articles en mousse viscoélastique, n'est pas fondée, au regard des critères ci-dessus rappelés, à reprocher aux sociétés intimées d'avoir cherché, en l'imitant, à détourner sa clientèle et à tirer profit du succès rencontré par ses produits;

Qu'il s'ensuit, ajoutant au jugement déféré, que la société Tempur France doit être également déboutée du chef de la concurrence parasitaire;

Sur les autres demandes

Considérant qu'au regard du sens de l'arrêt, les sociétés appelantes doivent être déboutées de leurs demandes aux fins de publication et au fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; que l'équité commande en revanche de faire droit aux demandes formées sur ce même fondement par les sociétés intimées auxquelles il convient d'allouer à chacune une indemnité complémentaire de 7 500 euro;

Considérant que les sociétés appelantes succombant à l'appel en supporteront les dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code précité;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Déboute le société Tempur France de sa demande du chef de la concurrence parasitaire, Condamne in solidum les sociétés Dan Foam et Tempur France à verser à chacune des sociétés Ena et Chaîne Française de l'Ameublement une indemnité complémentaire de 7 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Les condamne in solidum aux dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code précité.