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Décisions

ADLC, 3 mars 2010, n° 10-D-08

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre par Carrefour dans le secteur du commerce d'alimentation générale de proximité

ADLC n° 10-D-08

3 mars 2010

L'Autorité de la concurrence (section III),

Vu la lettre enregistrée le 6 juin 2007, sous le numéro 07/0047 F, par laquelle le Syndicat de l'Epicerie Française et de l'Alimentation Générale (ci-après SEFAG) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Carrefour SA ; Vu le livre IV du Code de commerce; Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ; Vu l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, et notamment son article 5 ; Vu le rapport CA n° 09-01 du 18 décembre 2009 transmis par le conseiller auditeur ; Vu la note en délibéré du 14 janvier 2010 transmise par la société Carrefour SA ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par la société Carrefour SA, le SEFAG et le commissaire du Gouvernement ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Carrefour SA et du SEFAG, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 7 janvier 2010 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Par lettre enregistrée le 6 juin 2007 sous le numéro 07/0047 F, le Syndicat de l'Epicerie Française et de l'Alimentation Générale (ci-après, le "SEFAG") a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Carrefour SA et ses filiales (ci-après "Carrefour") sur le marché du commerce d'alimentation générale de proximité en France. Selon le SEFAG, Carrefour dissuaderait ses franchisés de sortir de son réseau et entraverait leur liberté commerciale. Ces pratiques seraient, notamment, constitutives d'abus de dépendance économique.

2. Avant d'exposer les pratiques dénoncées, il convient de présenter le secteur et les parties concernés.

A. LE SECTEUR CONCERNE : LE COMMERCE D'ALIMENTATION GENERALE DE PROXIMITE

3. Le commerce d'alimentation générale de proximité se caractérise par une clientèle composée majoritairement de personnes se rendant à pied sur le lieu de vente (personnes âgées, femmes actives ...) et réalisant des achats courants de faibles montants (entre 10 et 12 euro à Paris et inférieurs à 7,5 euro en province). La zone de chalandise de ce type de commerce est donc très limitée : 80 % de la clientèle des magasins de moins de 400 m² habite à moins de 500 mètres du commerce (voir étude Xerfi du mois de mars 2007 sur le commerce d'alimentation générale).

4. D'après la Fédération des Entreprises du Commerce et de la Distribution (FCD), " [l]e commerce de proximité regroupe des magasins essentiellement alimentaires généralistes, d'une surface inférieure à 1 200 m². Indépendants ou affiliés à des groupes adhérents à la [FCD], ils bénéficient de la même efficacité logistique et organisationnelle que les hypermarchés et supermarchés. Cette modernité, associée à la qualité du service, confère au commerce de proximité une place prépondérante au niveau de la vie locale puisqu'il permet à la population de satisfaire des besoins immédiats. La réussite de ces formats repose ainsi sur la volonté de préserver un service à taille humaine tout en garantissant une organisation moderne et fiable ".

5. La FCD a identifié trois types de formats de proximité : la supérette (commerce alimentaire en libre-service de moins de 400 m²), le supermarché de proximité (surface comprise entre 400 et 1 200 m²) et le " convenience-store " (magasin situé sur des lieux de passage ou de transit proposant un assortiment de produits de dépannage et de services de proximité).

6. Dans son étude sur le commerce de proximité de 2007, l'Institut français du libre-service (IFLS) définit l'univers de la proximité d'alimentation générale comme l'ensemble des petits libre-service (0 à 119 m²), des supérettes (120 à 399 m²), des supermarchés de proximité (399 à 999 m²), des magasins de maxi-discompte et des magasins populaires de centre-ville qui réalisent plus de 60 % de leur chiffre d'affaires dans l'alimentaire.

B. LES PARTIES CONCERNEES

1. LE GROUPE CARREFOUR

a) Généralités

7. Le groupe Carrefour est issu de la société Carrefour supermarchés créée en 1959 par les familles Fournier et Badin-Defforey. Sa holding, la société Carrefour SA, est une société anonyme à directoire et conseil de surveillance.

8. Le groupe Carrefour exploite tous les formats de distribution à dominante alimentaire au travers de ses nombreuses enseignes, dont le nombre et la diversité se sont accrus depuis la fusion avec le groupe Promodès le 30 mars 2000. Il compte désormais :

- des hypermarchés : 1163 magasins dans le monde, dont 218 en France ;

- des supermarchés : 2 708 dans le monde, dont 1 021 en France ;

- des magasins de maxi-discompte : 6 166 dans le monde, dont 897 en France ;

- des magasins de proximité : 4 800 magasins, dont 3 245 en France ;

- des magasins de " cash and carry " : 154 magasins, dont 134 en France.

9. Présent dans 29 pays avec 14 991 magasins exploités en propre et en franchise (dont 5 515 en France), le groupe Carrefour est le premier distributeur à dominante alimentaire en Europe et le deuxième dans le monde. En 2008, il a réalisé un chiffre d'affaires de 86,9 milliards d'euro HT, dont 37,9 milliards d'euro en France.

b) Les enseignes de proximité du groupe Carrefour

10. Dans son rapport annuel pour 2006, le groupe Carrefour indique qu'il détient, en chiffres d'affaires, 24,1 % de parts de marché sur le marché français de la distribution alimentaire de proximité par le biais de ses enseignes Shopi, Marché Plus, 8 à Huit, Proxi et Sherpa. Seules les trois premières enseignes rassemblent des magasins franchisés, les deux autres étant des enseignes de négoce.

11. L'enseigne Shopi est passée du positionnement de supérette à celui de supermarché de proximité en milieu rural et urbain, en développant les services à la clientèle. Marché Plus vise à répondre à la demande des consommateurs cherchant à faire leurs courses rapidement en centre-ville, à des horaires très variables. 8 à Huit se décline, quant à elle, en trois concepts en fonction du lieu d'implantation : des petits magasins de convenance positionnés sur des axes de fort trafic, des magasins pratiques en centre-ville, et des magasins ruraux offrant éventuellement des services complémentaires.

12. Le tableau ci-dessous présente les principaux indicateurs de ces trois enseignes au 31 décembre 2006 :

Shopi / Marché plus / 8 à Huit

Nombre de magasins : 576 / 329 / 747

Surface : 400 à 900 m² / 200 à 400 m² / 70 à 400 m²

Chiffre d'affaires : 2 à 4,6 M € / 1,5 à 3,8 M € / 0,5 à 1,6 M €

Chiffre d'affaires/m² : 4 800 € / 6 900 € / 3 900 €

Panier moyen : 16 € / 8,50 € / 6 à 15 €

Nombre de références : 6 500 / 4 000 / 2 000 à 5 000

Indice de cherté (Opus*) : 102-105 (109 Paris et PACA) / 106 / 110-120

Sources : plaquettes de présentation des enseignes.

* L'opus est un indice de cherté qui a été créé par la société Nielsen. Il est basé sur une sélection de produits qui correspond à une base 100. L'indice correspond au prix relatif de cette sélection de produits dans différents magasins.

c) Les filiales du groupe Carrefour participant à l'activité de commerce d'alimentation générale de proximité

13. Les magasins de proximité exploités sous les enseignes du groupe Carrefour sont des entreprises indépendantes liées au groupe par des contrats de franchise et des contrats d'approvisionnement, auxquels s'ajoutent parfois un ou plusieurs autres contrats.

14. Tous ces contrats sont signés entre les franchisés et des sociétés filiales détenues à 100 % par le groupe Carrefour, constituées sous forme de sociétés par actions simplifiées.

15. Ainsi, les contrats de franchise sont-ils signés avec la société Prodim. Ils sont accompagnés d'un contrat d'approvisionnement conclu avec la société CSF. Par ailleurs, lors de la signature du contrat de franchise, il arrive que soit constituée une société entre un exploitant et une filiale du groupe Carrefour, autre que le franchiseur. La société Selima a ainsi vocation à prendre des participations à hauteur de 26 % dans le fonds de commerce de certaines sociétés franchisées, avec ou sans la conclusion d'un pacte d'associés. Enfin, pour qu'ils puissent exploiter leur fonds de commerce, la société Soval loue aux franchisés certains murs dont elle est propriétaire. L'ensemble de ces contrats est en outre complété par différentes conventions tarifaires (ristournes ...).

2. LES PRINCIPAUX CONCURRENTS DU RESEAU DE PROXIMITE DE CARREFOUR

16. Les principaux concurrents de Carrefour dans le secteur du commerce d'alimentation générale de proximité sont le groupe Casino et Francap Distribution. Francap Distribution est un groupement de PME régionales indépendantes spécialisées.

17. En 2006, les enseignes de supérettes du groupe Casino (Petit Casino, Spar et Vival) avaient réalisé un chiffre d'affaires de 1 564 millions d'euro avec un parc de 5 652 magasins sur le territoire français. Les supermarchés Franprix et Leader Price avaient réalisé un chiffre d'affaires de 4 021 millions d'euro. Les enseignes Spar, Franprix, Leader Price et Eco Service rassemblent des franchisés et des magasins intégrés.

Nombre de points de vente / Surface / CA annuel / nombre de références

Spar : 871 / < 500 m² / 458 000 € à 3,8M € / 4 400 à 11 400

Vival : 1 640 / 60 à 150 m² / 80 000 à 750 000 € / 2 000

Petit Casino 24 : 25 / 20 à 80 m² / 70 000 à 150 000 € / 200

Petit Casino : 1 935 / 50 à 500 m² / 100 à 350 K € / 3 500

Franprix* : 652 / 120 à 2 100 m² / 700 à 11 700 K € / 5 300

Leader Price* : 489 / 190 à 1 990 m² / 1 400 à 13 200 K € / 3 900

* Les données sur le CA annuel de Franprix et Leader Price ne concernent que les magasins intégrés, ce type de données n'étant pas centralisé pour les franchisés.

18. Francap, quant à lui, possède les enseignes de franchise Coccinelle et CocciMarket qui sont approvisionnées par le grossiste Segurel. Il approvisionne également, par l'intermédiaire du grossiste Diapar, les franchisés des enseignes G20 (détenues par le groupe G20), Diagonal et Sitis (détenues par Diapar).

Nombre de points de vente / Surface / CA annuel / nombre de références

Coccinelle : 172 / > 400 m² / 1,5 à 3 M € / 5 000

Coccimarket : 590 / 100 à 400 m² / 500 000 à 1,5 M € / 3 000-4 000

G20 : 130 / 250 à 1 000 m² / 2,5 à 6 M € / 6 000

Diagonal : 30 / 300 à 500 m² / 1,5 à 2,5 M € / 4 000

Colruyt : 18 / 800 à 1 200 m² / 3,5 à 7,8 M € / 7 000

Sitis : 60 / 150 à 400 m² / 750 000 à 1,5 M € / 3 000

19. Les principaux autres concurrents du groupe Carrefour sur le marché de la distribution d'alimentation générale de proximité sont les groupes de maxi-discompte allemands Lidl et Aldi, suivis d'ITM et Système U, qui possèdent plusieurs enseignes de magasins de proximité intégrés.

Les principaux acteurs du secteur du commerce de proximité

Groupes : Nombre de magasins / Poids / Surface / Poids

Casino : 4930 / 18 % / 869 246 / 13 % Casino : 4930 / 18 % / 869 246 / 13 %

Carrefour : 3164 / 12 % / 799 645 / 12 % Carrefour : 3164 / 12 % / 799 645 / 12 %

Francap : 1434 / 5 % / 285 182 / 4 % Francap : 1434 / 5 % / 285 182 / 4 %

Lidl : 1282 / 5 % / 851 406 / 13 % Lidl : 1282 / 5 % / 851 406 / 13 %

Aldi Marché : 732 / 3 % / 445 422 / 7 % Aldi Marché : 732 / 3 % / 445 422 / 7 %

ITM : 649 / 2 % / 223 998 / 3 % ITM : 649 / 2 % / 223 998 / 3 %

Système U : 407 / 2 % / 144 888 / 2 % Système U : 407 / 2 % / 144 888 / 2 %

Coop Atlantique : 267 / 1 % / 35 687 / 1 % Coop Atlantique : 267 / 1 % / 35 687 / 1 %

Coop d'Alsace : 196 / 1 % / 45 015 / 1 % Coop d'Alsace : 196 / 1 % / 45 015 / 1 %

Norma : 126 / 0 % / 80 854 / 1 % Norma : 126 / 0 % / 80 854 / 1 %

Shiever : 94 / 0 % / 27 640 / 0 % Shiever : 94 / 0 % / 27 640 / 0 %

Coop Normandie : 74 / 0 % / 112 115 / 2 % Coop Normandie : 74 / 0 % / 112 115 / 2 %

Autres et indépendants : 13499 / 50 % / 2 621 523 / 40 % Autres et indépendants : 13499 / 50 % / 2 621 523 / 40 %

Total Proximité : 26854 / 100 % / 6 542 621 / 100 % Total Proximité : 26854 / 100 % / 6 542 621 / 100 %

Source : " Le commerce de proximité ", IFLS, 2007.

3. LE SEFAG

20. Le Syndicat de l'Epicerie Française et de l'Alimentation Générale (SEFAG) est une organisation professionnelle patronale créée en 1856. Syndicat historique des épiciers et commerçants indépendants en alimentation générale, il réunit 41 400 exploitants sur le territoire français, réalisant un chiffre d'affaires annuel total de 16,1 milliards d'euro.

21. La majorité des adhérents du SEFAG sont des entreprises unipersonnelles. Le syndicat compte environ une soixantaine de franchisés Carrefour parmi ses adhérents.

22. Selon l'article 2 de ses statuts, le SEFAG " groupe des commerçants actifs ou retraités, des entreprises commerciales et organisations professionnelles désirant lui assigner comme objectif : de défendre, en tous lieux et par tous les moyens que procure la loi aux syndicats, les intérêts matériels et moraux de la profession de commerçant en alimentation ; de diffuser auprès de ses adhérents une information relative à l'exercice de leur métier ; de favoriser l'échange d'expérience professionnelle ; d'agir pour la pérennité du commerce de proximité alimentaire ; [...] ".

C. LES PRATIQUES DENONCEES

23. Dans sa saisine, le SEFAG dénonce deux types de pratiques mises en œuvre par Carrefour : des pratiques visant à dissuader ses franchisés de sortir du réseau d'une part, et des pratiques visant à entraver leur liberté commerciale, d'autre part.

1. LES PRATIQUES VISANT A DISSUADER LES FRANCHISES DE SORTIR DU RESEAU CARREFOUR

a) La durée des engagements souscrits

24. Les contrats de franchise conclus avec la société Prodim ont une durée initiale de sept ans, reconductible " automatiquement par périodes successives de sept ans ". Ils sont résiliables à leur date d'anniversaire, sous réserve d'un délai de préavis d'un an.

25. En cas de rupture anticipée du contrat de franchise du fait du franchisé, " [ce dernier] devra une indemnité forfaitaire hors taxes égale à la perte de cotisation de franchise subie par le franchiseur pour la durée restant à courir du contrat de franchise, étant précisé que le montant de cette indemnité ne saurait être inférieur à deux années de cotisation de franchise ". Le montant de la cotisation de franchise est de 2 % du chiffre d'affaires annuel HT pour Marché Plus, 1 % du chiffre d'affaires annuel TTC pour 8 à Huit, et varie entre 0,48 % et 1,54 % du chiffre d'affaires annuel TTC pour Shopi, en fonction du chiffre d'affaires réalisé.

26. Les contrats d'approvisionnement conclus avec la société CSF prévoient des clauses de même nature. Ainsi, la durée initiale de ces contrats est-elle également de sept ans, renouvelable par tacite reconduction pour des périodes de sept ans. Si le franchisé ne souhaite pas reconduire son contrat, un préavis d'un an est exigé avant l'échéance de chaque période.

27. En cas de rupture anticipée du contrat du fait du franchisé, l'article 10 prévoit que " ce dernier devra verser au fournisseur une indemnité forfaitaire hors taxes correspondant à la perte de marge brute enregistrée sur les entrepôts du Fournisseur du fait de la perte du chiffre d'affaires du client quelle que soit la date de la rupture anticipée. Cette indemnité sera calculée sur le manque à gagner sur les années restant à courir sans être inférieure à deux années. Si le client avait diminué de façon significative son chiffre d'affaires avec le fournisseur sur cette période, il serait pris pour référence les douze mois représentant les plus forts chiffres d'affaires, que ces mois soient successifs ou non ".

b) L'interdépendance des différents contrats et le décalage de leur échéance

28. Dans sa saisine, le SEFAG dénonce le décalage d'échéance entre les différents contrats conclus entre les filiales du groupe Carrefour et les franchisés, qui aurait pour conséquence de prolonger artificiellement leur durée.

Le contrat de franchise et le contrat d'approvisionnement

29. Les durées initiales des contrats de franchise et d'approvisionnement, ainsi que leurs durées de reconduction tacite étaient auparavant distinctes. Leur homogénéisation s'est faite progressivement, de manière décalée et par un alignement à la hausse.

30. En effet, dans le réseau 8 à Huit, la durée initiale du contrat d'approvisionnement était de 5 ans, alors que celle du contrat de franchise était de 7 ans. Depuis le 1er octobre 1999, la durée initiale des deux contrats est de 7 ans. Les périodes de reconduction tacite des contrats de franchise et d'approvisionnement étaient également distinctes jusqu'au 30 septembre 1999. Elles sont depuis cette date de 7 ans. Dans le réseau Shopi, les durées initiales des contrats de franchise "concept 1995" (signés avant février 2000) et d'approvisionnement ont connu la même évolution que celles du réseau 8 à Huit. Depuis le mois de février 2000, les contrats de franchise et d'approvisionnement ont la même durée initiale de 7 ans et une période de reconduction tacite identique de 7 ans également. Il en va ainsi pour le réseau Marché Plus depuis le mois de décembre 2000.

31. Le SEFAG indique que la présence dans le contrat de franchise d'une clause d'assortiment minimal, comprenant un assortiment en produits de marque propre Carrefour, établit un lien entre les deux contrats de franchise et d'approvisionnement. Par conséquent, le franchisé dont le contrat d'approvisionnement viendrait à échéance avant le contrat de franchise, serait contraint d'en accepter le renouvellement tacite.

32. Selon les éléments transmis par Carrefour, les contrats de franchise et d'approvisionnement des franchisés des régions Nord et Est sont, dans la quasi-totalité des cas, conclus simultanément (96 %). Il en irait de même dans les régions Sud et Ouest, le peu de décalages restants résulteraient de la fusion entre Carrefour et Promodès.

33. Lors de la séance, Carrefour a accepté de mettre fin à cette situation, héritée de la fusion précitée, en alignant sur une même date les échéances des contrats de franchise et d'approvisionnement en cours qui comporteraient des termes différents. L'entreprise l'a confirmé par écrit dans une note en délibéré produite le 14 janvier 2010.

Le contrat de franchise et les contrats de bail ou de location-gérance

34. L'existence d'une interdépendance de fait entre le contrat de franchise et le contrat de bail, d'une part, et entre le contrat de franchise et le contrat de location-gérance, d'autre part, est également dénoncée par le SEFAG. En effet, le contrat de bail, conclu pour 9 ans, contient une clause d'enseigne, qui prévoit que " le preneur déclare destiner les lieux loués exclusivement à l'exploitation d'un commerce d'alimentation générale de type supermarché sous enseigne " " ou toute autre enseigne du groupe Carrefour ". Le contrat de location-gérance contient aussi une clause d'enseigne à son article 15, qui dispose que " [l]e " preneur " s'oblige à exploiter le présent fonds de commerce sous l'enseigne " " ou tout autre enseigne du groupe Carrefour, à l'exclusion de toute autre, pendant toute la durée de la location gérance ". Or, l'article 7 des contrats de franchise des enseignes Shopi, 8 à Huit et Marché Plus prévoit notamment que " [d]ans le cas où l'accord est rompu, le franchiseur procèdera au retrait de l'enseigne ". Dans ces conditions, la résiliation du contrat de franchise ne permettrait plus au franchisé de respecter le contrat de bail, ni le contrat de location-gérance qui se poursuivent, et le contraindrait à en accepter le renouvellement tacite.

c) Les dispositions limitant le droit de cession à des tiers

35. Dans sa saisine, le SEFAG indique que certaines dispositions contractuelles visent à limiter les possibilités qu'ont les franchisés du réseau de céder leur fonds de commerce à des concurrents.

Le pacte de préférence du contrat de franchise

36. L'article 4 des contrats de franchise Prodim prévoit un pacte de préférence aux termes duquel :

" [l]e franchisé reconnaît au franchiseur ou à toute autre personne physique ou morale qu'il lui plaira de se substituer, un droit de préférence à prix et conditions égales dans les cas suivants :

- vente ou mise en location-gérance du fonds de commerce objet des présentes ;

- cession des actions ou parts détenues dans la société exploitant ledit fonds ;

- apport partiel d'actif ;

- augmentation de capital ;

- et plus généralement toute opération mettant en cause le caractère personnel du présent contrat.

[...] Le franchiseur disposera d'un délai de trois mois pour faire jouer ou non son pacte de préférence.

[...] Il est expressément convenu entre les parties que ledit pacte de préférence ne deviendra caduc qu'à l'expiration de la cinquième année qui suivra celle de la date de la perte de qualité du franchisé et ce quels que soient les motifs de la perte de cette qualité ".

Les prises de participations minoritaires de 26 % de Carrefour

37. Depuis la fin des années 1980, le groupe Carrefour prend des participations minoritaires à hauteur de 26 % dans le capital de certaines sociétés franchisées par le biais de sa filiale Selima. Par ailleurs, il arrive qu'un pacte d'associés soit signé entre Selima et l'exploitant co-associé. Ce pacte prévoit un droit de préemption réciproque " pour l'acquisition des titres dont ils sont propriétaires respectivement dans le capital social de la société A en cas de cession ou transmission, volontaire ou forcée, à quelque titre et sous quelque forme que ce soit ". Le bénéficiaire de ce droit dispose d'un délai de 90 jours pour l'exercer.

38. Selon le SEFAG, cette situation permettrait à Carrefour de s'opposer aux décisions les plus stratégiques des sociétés franchisées, notamment celles qui concernent la cession des parts sociales d'un exploitant souhaitant quitter le réseau.

39. Il indique à cet égard que, comme le montre le graphique ci-dessous, le pourcentage de magasins dans lesquels le groupe Carrefour détient une participation minoritaire dans le fonds de commerce est en augmentation depuis 2000.

Graphique 1 : Pourcentage de magasins pour lesquels le groupe Carrefour détient une participation minoritaire (Données : transmises par Carrefour)

<graphique>

d) La dévalorisation du fonds de commerce lors de l'exercice du droit de préemption

40. Lorsque l'un des associés (Selima ou l'exploitant) de la société franchisée souhaite céder ses parts dans la société commune qui exploite le fonds de commerce, le pacte d'associés prévoit que l'autre associé peut exercer son droit de préemption " à un prix d'achat provisoire déterminé selon les modalités ci-après annexées " (article 1 du pacte d'associés). L'annexe en question contient une grille de valorisation des parts sociales qui liste des éléments devant être déduits de la valeur du fonds de commerce :

- valeur nette comptable de toutes les immobilisations corporelles et incorporelles ;

- coûts de remise aux normes (notamment des équipements frigorifiques, ainsi que les travaux préconisés par la commission de sécurité et d'hygiène et par l'organisme chargé de la vérification des installations électriques) ;

- valeur nette comptable théorique des biens financés en crédit-bail immobilier et mobilier ;

- capitalisation sur dix ans des loyers annuels HT résultant des baux en vigueur, de la taxe foncière et des charges locatives.

41. Dans sa saisine, le SEFAG indique que l'application de cette grille de valorisation conduit l'exploitant à céder ses parts sociales à Carrefour à " vil prix ", alors même qu'un réseau concurrent pourrait se porter acquéreur à un meilleur prix. Ainsi, un ancien franchisé de Carrefour a expliqué qu'il s'était vu offrir par le groupe ITM, concurrent du groupe Carrefour, un million d'euro pour le rachat de l'intégralité du fonds de commerce qu'il exploitait sous enseigne Shopi mais qu'il avait dû renoncer à cette opportunité à la suite du refus de son associé, Selima, qui détenait 26 % des parts du fonds de commerce, soit une minorité de blocage, de lui céder ses parts. Par application de la grille de valorisation prévue dans le pacte d'associés, Selima avait valorisé les 74 % de parts sociales détenues par l'exploitant à 96 000 euro. Malgré le fait que l'offre d'ITM portait sur 100 % des parts, il existait donc un écart très important entre cette offre et la valorisation de Selima.

e) Les pénalités en cas de rupture anticipée des contrats

42. Les contrats de franchise des enseignes Shopi, 8 à Huit et Marché Plus prévoient, qu'en cas de rupture anticipée du contrat du fait du franchisé, ce dernier devra s'acquitter d'une indemnité calculée selon les modalités exposées au paragraphe 25. Cette indemnité s'élève à 63 000 euro pour un Shopi, à 17 540 euro pour un 8 à Huit et à 75 000 euro pour un Marché Plus.

43. L'article 7 des contrats de franchise des trois enseignes indique que l'indemnité de rupture anticipée se justifie " notamment par l'acquis d'un savoir-faire résultant de la franchise, laquelle n'avait pas donné lieu à droit d'entrée ". Lors de leur audition du 18 mars 2008, les représentants de Carrefour ont souligné qu'il s'agissait d'une clause pénale : " Cette indemnité vise également à nous dédommager de tout autre préjudice subi, comme par exemple l'atteinte à l'image de l'enseigne. En fonction de la cause de la rupture, nous pouvons demander des dommages et intérêts en plus de cette indemnité ".

44. Le contrat d'approvisionnement prévoit également le versement d'une indemnité en cas de rupture anticipée du contrat du fait du franchisé, selon les modalités exposées au paragraphe 26. En revanche, il est indiqué à l'article 9 du contrat que " [l]e non renouvellement n'entraînera aucune indemnité au profit de l'une ou l'autre partie ".

45. Selon le SEFAG, l'ensemble de ces pénalités auraient pour effet de rendre la sortie du réseau très coûteuse pour les franchisés.

f) Le recours aux procédures d'arbitrage en cas de litige

46. Les contrats qui lient les franchisés aux différentes filiales de Carrefour (contrats de franchise, d'approvisionnement, de location gérance, de bail, pacte d'associés, convention de ristourne " achats et fidélité " et convention tarifaire) contiennent tous une clause compromissoire prévoyant le recours à une procédure d'arbitrage en cas de litige.

47. D'après les éléments recueillis au cours de l'instruction, les procédures d'arbitrage ont un coût compris entre 35 000 et 45 000 euro.

48. Au cours d'une audition du 3 janvier 2008, le directeur général de Codis Aquitaine, une coopérative dont dix membres exploitent un fonds de commerce sous enseigne 8 à Huit, a souligné le coût élevé de ces procédures : " En tout, en comptant les procédures qui impliquent les magasins et Codis Aquitaine, nous avons eu près de 200 procédures. Les procédures d'arbitrage nous ont déjà coûté environ 800 000 euro (ce chiffre ne comprend que le coût de la procédure) et en tout, nous en sommes à deux millions d'euro environ ".

49. De même, lors de leur audition du 11 décembre 2007, les représentants de Diapar et Ségurel ont déclaré : " nous avons une bonne quinzaine de litiges impliquant Diapar et/ou Segurel avec leur franchiseur ou avec leur fournisseur, pour des demandes de dommages et intérêts qui atteignent en cumulés, une bonne dizaine de millions d'euro ".

50. Selon le SEFAG, Carrefour n'hésiterait pas à faire usage de la clause d'arbitrage et multiplierait les procédures juridiques à l'encontre des franchisés qui souhaiteraient renégocier certaines clauses de leurs contrats, voire quitter le réseau.

51. Ainsi, les multiples procédures juridiques qui opposent Codis Aquitaine à Prodim et CSF auraient pour origine des prises de contact de Codis Aquitaine avec des concurrents de Carrefour : " [...] il nous était reproché d'avoir eu des contacts avec l'enseigne Spar en mai 2005. J'ai rencontré M. Gérard X... [directeur exécutif de la proximité France de Carrefour] au cours d'une réunion début juin 2005 suite à ce contact avec Spar, au cours de laquelle nous avons obtenu certaines avancées, mais également reçu des menaces de M. X..., qui nous a prévenus qu'il nous demanderait 1,7M€ si nous ne resignions pas de contrat avec Prodim et CSF. Suite à ces menaces, je lui ai adressé un courrier lui demandant quelle faute de notre part justifierait le versement d'une telle somme. Carrefour ne nous a jamais fourni d'explication ".

g) Les clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence

52. Dans sa saisine, le SEFAG indique que les franchisés sont liés à Carrefour par des clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence non justifiées par la nécessité de protéger le savoir-faire de Carrefour.

Dans les contrats de franchise

53. Les contrats de franchise 8 à Huit, Marché Plus et Shopi contiennent tous les trois une clause de non-réaffiliation en cas de rupture anticipée du contrat par le franchisé.

54. Cette clause prévoit que : " [e]n cas de rupture de la présente convention avant son terme [...] le franchisé s'oblige à ne pas utiliser directement ou indirectement, personnellement ou par personne interposée, en société ou autrement, une enseigne déposée ou non, arborée par plus de vingt magasins au niveau national et à ne pas offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à ces enseignes (marques propres) ceci dans un rayon de 5 km du magasin [8 à Huit, Marché Plus ou Shopi] faisant l'objet du présent accord ".

55. Depuis décembre 1998, la durée de la clause de non-réaffiliation du contrat de franchise est de deux ans. A cet égard, lors de leur audition du 18 mars 2008, les représentants de Carrefour ont indiqué : " Le savoir-faire est évolutif, c'est-à-dire que le concept d'un magasin change régulièrement, qu'il s'agisse de la décoration, de la présentation des produits, de l'assortiment, du positionnement des produits dans le magasin [...] ".

56. Lors de l'instruction, il est apparu que certains anciens franchisés étaient parvenus à maintenir leur activité sans enseigne pendant la période d'application de la clause de non-réaffiliation.

Dans les pactes d'associés

57. Les pactes d'associés conclus entre un exploitant et la société Selima, filiale de Carrefour, en vue de l'exploitation en commun d'un fonds de commerce sous l'une des enseignes de proximité du groupe Carrefour, contiennent une clause de non-concurrence post contractuelle d'une durée de sept ans. Avant février 2004, la durée de cette clause était de dix ans. Dans la version actuelle des pactes, cette clause prévoit que : " Les soussignés de première part s'engagent à ne pas s'intéresser directement ou indirectement ou par personne interposée, à quelque titre que ce soit, à une activité de même nature ou susceptible de concurrencer celle de la société [...] et ce, dans un rayon de [...] km du point de vente exploité par la société [...] à [...].Cet engagement trouvera à s'appliquer, à compter du jour où la cession sera réalisée pendant une durée de 7 ans à compter du jour de la prise d'effet ".

58. En principe, le rayon géographique de la zone dans laquelle s'applique cette clause est de 5 km en milieu urbain et de 15 km en milieu rural, à quelques exceptions près (à Paris le rayon est par exemple de 2 km et il peut atteindre 20 km dans les zones rurales dans lesquelles la densité commerciale est particulièrement faible).

Dans les contrats de location-gérance

59. Les contrats de location-gérance, signés entre un franchisé et un bailleur, en vue de l'exploitation d'un fonds de commerce sous l'une des enseignes de proximité du groupe Carrefour, contiennent également une clause de non-concurrence post contractuelle d'une durée de cinq ans : " A l'expiration du bail gérance, le " preneur " s'interdit formellement d'exploiter ou de faire valoir un fonds de commerce de la nature de celui qui est présentement loué, ni de s'intéresser directement ou indirectement, même en tant que simple salarié, dans l'exploitation d'un semblable fonds, pendant un délai de cinq années à compter de la résiliation du bail et dans un rayon de :

- 5 kilomètres à vol d'oiseau autour du fonds loué en milieu urbain,

- 15 kilomètres à vol d'oiseau autour du fonds loué en milieu rural ".

2. LES PRATIQUES VISANT A RESTREINDRE LA LIBERTE COMMERCIALE DES FRANCHISES DU RESEAU CARREFOUR

a) Les pratiques relatives à l'approvisionnement des franchisés

60. Dans sa saisine, le SEFAG indique que, même si les franchisés ne sont pas contractuellement tenus de s'approvisionner exclusivement auprès de Carrefour, ils y sont largement contraints en pratique.

Les clauses contractuelles

Le contrat d'approvisionnement

61. Les contrats d'approvisionnement conclus entre les franchisés des réseaux Shopi, Marché Plus et 8 à Huit (contrats " type proximité ") et le fournisseur CSF contiennent tous les trois une clause d'approvisionnement prioritaire et, pour les contrats signés à partir du 22 avril 2005, une clause d'approvisionnement minimum, avec un seuil plancher quantifié.

62. L'article 1, " Objet du contrat ", des contrats d'approvisionnement des trois enseignes précise en effet : " Le Client s'engage à s'approvisionner de façon prioritaire auprès du Fournisseur ou auprès des fournisseurs que le Fournisseur a spécifiquement agréés ".

63. Pour les contrats d'approvisionnement signés entre le 22 avril 2005 et le 5 septembre 2006, cet article 1er prévoyait en outre que " le montant des approvisionnements réalisés auprès du Fournisseur devra représenter au minimum 60 % du chiffre des achats annuels HT nécessaires aux besoins de l'activité du Client ".

64. Dans les contrats signés à partir du 5 septembre 2006, le taux de fidélité minimum de 60 % a été diminué et des sanctions ont été prévues en cas de non-respect de ce taux.

65. Ainsi, l'article 11 du contrat d'approvisionnement 8 à Huit, intitulé " Non-respect du taux de fidélité ", prévoit :

" [...] le Client, au titre des achats qu'il réalise sur les entrepôts du Fournisseur, s'engage irrévocablement à respecter un taux de fidélité au minimum égal à 40 % ou 50 % selon que le Client exploite ou non un rayon Boucherie traditionnelle.

A la fin de chaque quadrimestre civil, le taux de fidélité réalisé par le Client sur les entrepôts du groupe auquel appartient le fournisseur sera calculé de la façon suivante :

Si le taux de fidélité du Client est inférieur au taux de fidélité minimum sus énoncé, le Client sera redevable d'une indemnité forfaitaire non révisable et définitive égale à 5 % du chiffre d'affaires TTC consommateur hors essence réalisé par le magasin au cours du quadrimestre civil écoulé multiplié par l'écart constaté entre le taux de fidélité minimum et le taux de fidélité effectivement réalisé par le Client, soit :

Cette indemnité sera exigible de plein droit, sans aucune formalité et du seul fait de la non-atteinte du taux de fidélité minimum sus visé. Cette indemnité fera l'objet d'une facturation soumise aux mêmes conditions de règlement que les factures émises au titre de l'approvisionnement ".

66. Le taux de fidélité minimum est compris entre 45 et 50 % pour le réseau Shopi et s'élève à 55 % pour le réseau Marché Plus.

Le contrat de franchise

67. Les contrats de franchise des trois enseignes contiennent une clause d'assortiment minimum. Cette clause prévoit que le franchisé s'oblige à " [d]étenir l'assortiment minimum défini par le franchiseur notamment en matière de "marques propres" " (articles 3.1.2 du contrat Shopi et 3.1.3 du contrat Marché Plus) et à " [s]uivre les plans d'implantation de l'assortiment minimum déterminés par le franchiseur " (articles 3.1.3 du contrat Shopi, 3.1.4 du contrat Marché Plus et 3.1.2 du contrat 8 à Huit).

68. Les trois contrats de franchise prévoient par ailleurs que " le franchisé [a] toujours le loisir de compléter cet assortiment minimum en fonction de son environnement propre " (articles 2.4. du contrat 8 à Huit et 2.5 des contrats Shopi et Marché Plus). Les contrats de franchise Shopi et Marché Plus stipulent en outre " que l'assortiment minimum est constitué d'un tronc national et d'un complément régional ".

69. Le non-respect de l'obligation d'assortiment minimum est une cause de rupture du contrat de franchise du fait du franchisé.

La convention de ristourne " Achats et fidélité "

70. La ristourne "volumique" est prévue pour les enseignes Shopi et 8 à Huit par la convention annuelle dite " Achats et fidélité ". Cette convention prévoit, au bénéfice du franchisé, l'octroi d'une ristourne sous réserve que celui-ci accepte d'exposer en magasin les produits nouveaux référencés par CSF. Le taux d'approvisionnement minimum permettant de bénéficier de la ristourne volumique est de 50,50 %. Si ce taux n'est pas atteint, le franchisé s'engage à verser à CSF une certaine somme forfaitaire annuelle.

71. Ainsi, il est prévu que le " refus par le client de commercialiser ou de réceptionner les produits nouveaux emportera le paiement par ce dernier au profit du fournisseur, pour une année pleine, d'une pénalité d'un montant forfaitaire de 500 (cinq cent) [respectivement 150 (cent cinquante)] euro HT " (article 7 de la convention Shopi et article 8 de la convention 8 à Huit). En 2007, le nombre total de nouveaux produits s'est élevé à 273 pour le réseau Shopi et à 182 pour le réseau 8 à Huit.

72. Le taux de ristourne annuelle dépend du taux de fidélité du franchisé et du montant de ses achats HT annuel auprès du fournisseur ou des filiales de Carrefour. Le taux de fidélité est lui-même calculé en fonction du montant des achats HT annuel divisé par le chiffre d'affaires TTC consommateur réalisé par magasin.

La transmission des cadenciers

73. Les franchisés prennent connaissance de l'assortiment minimum par le biais de cadenciers qui leur sont remis chaque mois par le franchiseur. Les cadenciers listent tous les produits qui peuvent être commandés auprès de CSF, en précisant notamment leur prix unitaire indicatif.

74. Selon Carrefour, le système du cadencier a été adopté car " il contient pour telle enseigne, Shopi par exemple, les différents assortiments minimums proposés en fonction de la superficie des magasins. Nous ne sommes pas obligés, avec ce système, d'adresser de multiples versions papier et/ou informatiques de nos assortiments minimums selon la taille des magasins, ce qui serait beaucoup plus complexe à gérer, outre le fait que le cadencier nous permet également de proposer à nos clients des produits qui ne font pas partie de l'assortiment minimum ".

75. Dans sa saisine, le SEFAG indique que les cadenciers manquent de clarté dans la mesure où ils ne permettent pas aux franchisés d'avoir une vision d'ensemble de l'assortiment minimum qui correspond à leur magasin. Le recours à ce mécanisme rendrait donc difficile le respect de la clause d'assortiment minimum.

En pratique

76. Lors de l'instruction, les franchisés ont déclaré qu'ils étaient en pratique contraints d'acheter auprès de CSF les produits de l'assortiment minimum qui ne sont pas des marques propres (produits de marque nationale, frais ou régionaux).

77. Ainsi, au cours de son audition, la coopérative Codis Aquitaine, qui rassemble dix franchisés sous enseigne 8 à Huit, a indiqué, qu'à la suite d'une prise de contact " avec les concurrents de Carrefour, à savoir Casino, Système U et Bach dans la perspective du renouvellement de contrat avec Carrefour, afin de faire jouer la concurrence ", elle a subi en représailles une rupture d'approvisionnement brutale de la part de CSF : " Le 3 octobre 2005, nous avons reçu deux lettres de résiliation à notre tort exclusif nous reprochant un comportement déloyal, signées par M. Y..., l'une émanant de CSF et l'autre de Prodim. En parallèle, notre entrepôt a vu son approvisionnement stoppé par CSF [...] ".

78. Par ailleurs, en cas d'approvisionnement des franchisés, les fournisseurs concurrents seraient de manière quasi-systématique assignés en justice par Carrefour pour tierce complicité de rupture de contrats de franchise et d'approvisionnement.

79. Le représentant de Distribution Casino France SAS a ainsi déclaré : " Les magasins qui sont passés de Prodim à Casino ont donné lieu à des procédures judiciaires, engagées par Prodim à l'encontre des franchisés et de Casino. [...] CSF nous attaque quant à lui pour tierce complicité pour rupture du contrat d'approvisionnement et nous réclame l'indemnisation de leur préjudice qu'ils n'ont pas obtenu devant la juridiction arbitrale ".

80. Les représentants de Ségurel et Diapar ont tenu des propos similaires : " La quasi totalité des franchisés qui ont souhaité quitter une enseigne Carrefour pour rejoindre une enseigne de Diapar ou de Segurel ont fait l'objet d'une procédure à l'initiative de Carrefour. En conséquence, certains commerçants sont retournés chez une enseigne du groupe Carrefour à l'issue de procédures judiciaires à répétition. Les sociétés Diapar et Segurel sont parties à plusieurs contentieux de ce type au titre de tiers complice de l'obligation d'approvisionnement ou au titre de la clause de non-réaffiliation. En conséquence, nous refusons désormais, à quelques exceptions près, d'approvisionner les franchisés des enseignes de Prodim. CSF interprète en effet la notion de priorité de ses contrats d'approvisionnement comme une obligation quasi exclusive ".

81. D'après les déclarations de Carrefour : " [...] les franchisés peuvent acheter chez des fournisseurs non référencés des produits non vendus par CSF mais vendus par des fournisseurs directs référencés ".

82. Les franchisés, quant à eux, ont cependant déclaré qu'ils rencontraient en pratique des difficultés pour s'approvisionner auprès de fournisseurs tiers non référencés par CSF pour les produits qui sont également proposés par les fournisseurs directs référencés. Ainsi, lors d'une audition, M. Z..., un ancien franchisé Shopi, a déclaré : " Avant, j'étais livré en viande par l'entrepôt Carrefour de Hazebrouck. En 1994, une société est venue me démarcher, Montdidier viande, en me proposant des conditions d'achat beaucoup plus favorables. J'ai donc changé de fournisseur pour la viande, de même que beaucoup d'autres franchisés Shopi du secteur, à qui j'avais communiqué l'information. Au bout d'un an - un an et demi, Montdidier viande a rompu nos relations en me disant que Prodim leur avait interdit de livrer tous les magasins Shopi en direct, en l'échange de quoi ils achetaient chez eux toute la viande de porc pour leur entrepôt d'Hazebrouck. Un an après, Montdidier viande est revenu me voir, car Prodim, ayant obtenu satisfaction, avait cessé de s'approvisionner chez eux. Quelques mois plus tard, Montdidier viande a déposé le bilan ".

83. En pratique, les taux de fidélité des franchisés s'élèvent au total et par réseau, à 55,17 % en 2005 et à 55,50 % en 2006 pour le réseau Shopi, à 52,09 % en 2005 et à 52,77 % en 2006 pour le réseau 8 à Huit et à 63,36 % en 2005 et à 63,42 % en 2006 pour le réseau Marché Plus. Ces taux de fidélité pour 2006 correspondent à des taux d'achat HT entrepôts sur achats HT totaux magasins d'environ 77,6 % pour le réseau Shopi, 72,8 % pour le réseau 8 à Huit et 84,1 % pour Marché Plus.

84. Les marques propres quant à elles représentent, en moyenne, 22 % des références d'un magasin Shopi et respectivement 30 et 28 % de celles d'un magasin 8 à Huit et Marché Plus.

b) Les pratiques relatives à la politique tarifaire des franchisés

85. Dans sa saisine, le SEFAG indique que Carrefour contraint par différents moyens les franchisés à appliquer les prix conseillés par le fournisseur CSF.

L'opacité des conditions tarifaires du fournisseur

L'absence de conditions générales de vente

86. Contrairement aux exigences posées par l'article L. 441-6 du Code de commerce, CSF ne communiquait pas à ses clients franchisés de conditions générales de vente, malgré les demandes répétées de plusieurs d'entre eux. Selon les déclarations recueillies auprès du directeur juridique contentieux France de Carrefour : " Il n'existe pas de conditions générales de vente en tant que document unique mais un contrat d'approvisionnement, accompagné des extraits des CGV au dos des factures, du cadencier, et la vision des prix sur le logiciel Meti (le back office) ainsi que la convention de ristourne d'achat et de fidélité ".

87. Depuis le 1er mai 2008, les conditions générales de vente applicables dans les trois réseaux de franchise figurent désormais dans un document unique, conformément à l'article L. 441-6 du Code de commerce, précité.

La complexité du système des remises et des ristournes

88. Selon le SEFAG, Carrefour serait dotée d'un système de remises et ristournes complexe qui inciterait les franchisés à pratiquer les prix de vente conseillés. Ainsi, la ristourne "volumique" (voir paragraphes 70 à 72) s'accompagnerait des ristournes tarifaires, des remises différées et des renvois de marge.

89. Les ristournes tarifaires bénéficient aux magasins situés dans une zone de concurrence intense. En effet, les franchisés bénéficiaires sont ceux à l'OPUS (1) 100 et 102,5 dans le réseau Shopi (23,96 % des 576 franchisés), ceux à l'OPUS 112 du réseau 8 à Huit (10,73 % des 736 franchisés), et ceux à l'OPUS 105 du réseau Marché Plus (0,91 % des 328 franchisés).

90. Pour bénéficier de la ristourne, les franchisés doivent " pratiquer un tarif de vente consommateur conseillé agressif correspondant au tarif XX et s'engage[r] à maintenir ce positionnement tarifaire. L'obligation susvisée doit s'entendre comme le respect de prix de vente maxima susceptibles d'être adaptés par le client dans la limite de la dérive tarifaire ci-après définie. Le fournisseur procèdera à un contrôle quatre fois par an [deux pour les Shopi à l'OPUS 102,5 et pour les 8 à Huit à l'OPUS 112, et quatre pour les Marché Plus à l'OPUS 105]". En outre, le client doit réaliser pour son point de vente un taux de fidélité minimal.

91. En réponse à un questionnaire envoyé par le SEFAG à 55 de ses franchisés en décembre 2007, deux franchisés (dont l'un est une coopérative rassemblant 10 franchisés 8 à Huit) ont déclaré avoir reçu une convention tarifaire, sans toutefois avoir compris ce qu'était l'OPUS. L'un d'entre eux a par ailleurs ajouté qu'il ne recevait plus de convention tarifaire depuis 2005.

92. Les remises différées des fournisseurs directs référencés sont quant à elles des remises de fin d'année calculées sur la base du chiffre d'affaires réalisé tout au long de l'année avec des fournisseurs référencés. Dans un courrier en date du 21 avril 2008, Carrefour a indiqué : " Il n'existe pas de document qui contractualise ces remises avec nos franchisés, étant précisé que nos franchisés peuvent demander aux dits fournisseurs communication de leurs conditions générales de vente ".

93. Enfin, les renvois de marge ont été mis en place en 1997. Selon Carrefour, "[l]a raison de ces renvois de marge résidait dans nos possibilités d'actions tarifaires limitées au regard du contexte législatif (seuil de revente à perte). Pour maintenir un positionnement tarifaire acceptable au regard des concurrents tout en permettant au franchisé d'exercer son métier, nous avons développé cette politique de renvoi de marges ". Ces renvois de marge ne sont contractualisés par aucun document et sont communiqués aux franchisés par l'envoi de courriers.

Les incitations à appliquer les prix de vente conseillés

La faible marge entre prix de cession et prix de vente conseillés

94. Dans sa saisine, le SEFAG dénonce les prix de cession élevés pratiqués par CSF par rapport à ceux des fournisseurs concurrents. L'écart entre le prix de cession de CSF et le prix de vente maximum conseillé par Carrefour serait en effet tellement faible que les franchisés seraient en pratique quasiment privés de leur liberté tarifaire. Plusieurs indices attesteraient du caractère excessif des prix de cession de CSF.

95. Ainsi, tout d'abord, d'après le compte-rendu du 23 avril 2007 de l'enquête de la DGCCRF menée dans le Calvados, les magasins franchisés ont une mauvaise rentabilité, en majeure partie attribuable au niveau élevé des prix de cession. Le seul magasin Shopi, sur les 9 contrôlés, qui affiche une marge satisfaisante, a reconnu s'être en partie approvisionné chez un grossiste concurrent, à savoir Segurel.

96. Par ailleurs, Codis Aquitaine qui négocie avec CSF pour le compte de ses membres, a indiqué, lors de son audition, avoir obtenu de meilleurs prix de cession que les magasins livrés directement par CSF : " Par rapport aux 8 à Huit directement approvisionnés par Carrefour en Aquitaine, nos prix de cession étaient 1 % moins chers en 2005. Par rapport aux prix de cession magasin accordés par CSF à Proxi, nous étions 4 % à 5 % moins chers. Pour tout ce qui est négoce, c'est-à-dire les petites épiceries indépendantes sans enseignes, l'écart pouvait atteindre 7 % à 8 % ".

97. Lors de leur audition du 11 décembre 2007, les représentants de Segurel ont également affirmé qu'ils pratiquaient des prix de cession inférieurs à ceux de CSF, et que l'écart de prix était dû à la rétrocession des marges arrière négociées avec les industriels : " La différence entre un Shopi et un G20 en termes de prix de cession est de l'ordre de 10 % à 12 %, hors ristournes quantitatives, le G20 étant le moins cher. Cette comparaison est une estimation menée par des affiliés à partir de leurs factures. [...] CSF a de meilleures conditions d'achat que nous auprès des industriels, au moins 2 à 3 % meilleures. Mais Carrefour garde une partie plus importante de la marge arrière. Notre plus grande compétitivité vient juste d'une distribution plus favorable à nos détaillants. A la différence de Carrefour, nos affiliés sont en effet libres de quitter le réseau, nous nous devons donc d'être compétitifs ".

98. En effet, d'après le SEFAG, Carrefour ne rétrocèderait aux franchisés aucun pourcentage de la marge arrière négociée par Interdis, la centrale d'achat du groupe, avec ses fournisseurs. L'article 3.2. de l'accord de partenariat conclu en 2006 entre Interdis et Nestlé précise ainsi que " [l]e fournisseur [Nestlé] autorise Carrefour à opérer compensation entre les sommes due par le Fournisseur à l'ensemble des entités juridiques exploitant des magasins aux enseignes du Groupe Carrefour et les sommes dont les entités du Groupe Carrefour sont redevables envers le Fournisseur, à quelque titre que ce soit ". Si les sommes versées par les fournisseurs, au titre de la coopération commerciale (les marges arrières) à Interdis sont reversées pour partie à CSF, celle-ci ne rétrocèderait rien aux franchisés.

99. Enfin, le SEFAG indique, qu'en pratique, les prix de cession des hypermarchés sont inférieurs à ceux dont bénéficieraient les magasins de proximité. Ainsi, en prenant comme base 100, l'écart moyen entre les tarifs de cession du réseau de proximité et ceux des supermarchés serait de 103,25 pour Shopi, de 103,55 pour Marché Plus et de 106,25 pour 8 à Huit.

La ristourne conditionnelle au respect de la politique tarifaire

100. D'après le SEFAG, Carrefour incite ses franchisés à respecter les prix conseillés par le biais de la ristourne conditionnelle (voir paragraphes 89).

Les systèmes de contrôle des prix mis en place par Carrefour

Les audits prévus dans les contrats de franchise

101. Les contrats de franchise des trois enseignes prévoient que le franchiseur assure " la fourniture et la mise à jour des tarifs de vente souhaitables d'appliquer dans ce type de magasin avec la possibilité pour le franchisé de les adapter dans le respect de l'image de l'enseigne " (articles 2.2.4 du contrat 8 à Huit et 2.3.2 des contrats Shopi et Marché Plus).

102. L'article 3.1.3 du contrat 8 à Huit précise que le franchisé s'engage à " [s]uivre la politique de vente tarifaire tout en pouvant l'adapter, dans le respect de l'image de l'enseigne ". L'article 6 du même contrat prévoit : " A tout moment, le franchiseur, comme le franchisé, pourra contrôler la bonne application des engagements figurant dans les articles 2 et 3. A cette fin, le franchisé devra faciliter l'accès à ses locaux ".

103. L'article 3.1.4. du contrat Shopi et l'article 3.1.5 du contrat Marché Plus disposent que le franchisé s'engage à " [s]uivre la politique de vente tarifaire tout en pouvant l'adapter, dans le respect de l'image de l'enseigne Shopi " et que " [l]e franchisé accepte d'ores et déjà tout audit de prix de vente consommateur par le franchiseur notamment au moyen de système informatique, le cas échéant connecté sur l'informatique du ou des magasin(s) du franchisé. Cet audit n'a d'autre but que de s'assurer de l'adéquation de la politique tarifaire à l'attente des consommateurs et générer éventuellement la mise en place d'un plan d'action commercial.". L'article 7 du contrat 8 à Huit, mentionné ci-dessus, figure également dans les contrats Shopi et Marché Plus (respectivement les articles 6 et 7).

La mise en place du logiciel "Meti"

104. Le logiciel "Meti" est un système informatique interne mis en place par Carrefour au mois de février 2004. Par l'intermédiaire de ce logiciel, le franchiseur effectue automatiquement les changements de prix de cession des différents produits ainsi que des prix de vente conseillés. Le franchisé reçoit les modifications dix jours avant l'application du nouveau tarif.

105. Le franchisé a la possibilité de modifier dans le logiciel les prix de vente consommateurs de chaque produit, mais il doit pour cela procéder produit par produit. Par défaut, le logiciel imprime des étiquettes mentionnant le prix de vente conseillé par Carrefour.

106. Lors d'une audition en date du 9 janvier 2008, M. Z..., ancien franchisé Shopi, a déclaré : " Je reconnais que je ne faisais pas très attention aux conditions tarifaires de Carrefour, du fait qu'ils me donnaient des étiquettes (les labels) avec les prix de vente déjà inscrits ". A la question " Est-ce que vous pouviez changer le prix de ces étiquettes ? ", M. Z... a répondu : " Non, du fait qu'il fallait changer article par article. Or, j'avais 5 000 références, ce qui prenait un temps excessif ". D'après les déclarations de Mme A..., également ancienne franchisée Shopi, changer les prix restait cependant possible : " moi qui était informatisée depuis le début, j'ai souvent changé les prix de vente conseillés à la hausse, notamment lorsque Carrefour préconisait des baisses, afin de maintenir ma marge. ".

107. Le logiciel "Meti" permet au franchiseur une remontée d'informations comptables et commerciales, en continu, très précise. A cet égard, les contrats de franchise des trois enseignes prévoient que " le franchisé s'engage à acquérir et utiliser de préférence les matériels et logiciels informatiques compatibles avec celui du franchiseur. Dans ce cadre, le franchisé accepte que Prodim collecte, par l'intermédiaire des logiciels qu'elle concède aux franchisés et notamment ceux relatifs à son système d'encaissement, tous types d'informations, telles que celles dites " sorties de caisse ", se rapportant entre autre aux EAN 13, quantités, PVC [prix de vente consommateurs], au chiffre d'affaires réalisé par le franchisé et à sa ventilation ... ".

108. Lors de leur audition du 18 mars 2008, les représentants de Carrefour ont expliqué que " [l']usage de ce matériel est recommandé pour des raisons d'homogénéité, pour la transmission des prix de cession et le recueil des données liées à la carte de fidélité. Des indépendants qui ont fait le choix de ne pas accepter la carte de fidélité n'utilisent pas de système informatique compatible. Pour les franchisés qui n'ont pas de système informatique compatible, il est néanmoins possible de leur transmettre des prix de cession via l'envoi de disquettes ".

109. Bien que l'adoption du logiciel " Meti " par les franchisés ne soit pas obligatoire, la majeure partie d'entre eux en est dotée. C'est le cas de 95 % du parc de franchisés Shopi et de 99 % des franchisés Marché Plus. En revanche, le taux d'utilisation du système est plus faible parmi les magasins 8 à Huit, puisqu'il s'élève à 43 %.

110. Selon le compte-rendu de la DDCCRF de Gironde : " Certains petits magasins 8 à Huit utilisent encore de vieux logiciels sous l'exploitation MS Dos mais compte-tenu de leur faible niveau de chiffre d'affaires et du coût du matériel, le franchiseur n'insiste pas particulièrement ".

L'application des prix de vente conseillés par Carrefour

111. Dans le cadre de la tâche intitulée " Recherche de pratiques de prix imposés dans un réseau de franchise de la grande distribution : Prodim/Shopi ", la DGCCRF a procédé à des relevés de prix sur 14 produits dans 58 magasins aux enseignes Shopi, Marché Plus et 8 à Huit, situés dans quatre régions (Aquitaine, Midi-Pyrénées, Limousin et Poitou- Charentes). 812 prix ont ainsi été relevés.

112. Dans son rapport la DGCCRF indique que " l'analyse des relevés de prix effectués dans les magasins aux enseignes Shopi, 8 à Huit et Marché Plus permet d'émettre les observations suivantes : Enseigne Shopi : 50 % des établissements ont respecté les prix de vente conseillés, 30 % (TAREP) ont augmenté leurs prix par rapport [au] TAREP et 20 % ont légèrement baissé leurs prix sur seulement quelques articles. Enseigne 8 à Huit : 17 % des magasins ont suivi les tarifs conseillés, 60 % ont majoré les prix conseillés et 23 % les ont baissés. Enseigne Marché Plus : sur 7 relevés, 3 supermarchés ont respecté les prix repères et 4 ont légèrement baissé ".

D. LES GRIEFS NOTIFIES

113. Au vu de l'ensemble des éléments qui précèdent, trois griefs ont été notifiés à Carrefour S.A.

Grief n° 1 :

" Il est fait grief à la société Carrefour d'avoir abusé de l'état de dépendance économique des franchisés de proximité des enseignes Shopi, 8 à Huit et Marché Plus sur le marché de la franchise du commerce de détail et sur les marchés de la distribution de détail de proximité à dominante alimentaire en ayant imposé des restrictions non justifiées et excessives aux franchisés qui souhaitent quitter le réseau de proximité de Carrefour. Ces restrictions consistent en l'imposition de clauses de non-réaffiliation excessives, en l'insertion de plusieurs clauses contractuelles qui restreignent la possibilité de résilier les contrats à échéance et en l'utilisation de divers moyens de pressions, juridiques et financiers, exercés à rencontre des franchisés qui souhaiteraient quitter le réseau.

Cette pratique a eu pour objet et pour effet de fausser la concurrence sur le marché de la franchise du commerce de détail et sur les marchés de la distribution de détail de proximité à dominante alimentaire. Elle est prohibée par l'article L. 420-2 du Code de commerce.

L'objet et l'effet anticoncurrentiel des restrictions imposées à la sortie du réseau des franchisés résultent de leurs effets cumulés, qui sont devenus significatifs depuis la fusion entre Carrefour et Promodès en 2000 et tendent à s'accentuer depuis ".

Grief n° 2 :

" Il est fait grief à la société Carrefour d'avoir abusé de l'état de dépendance économique des franchisés de proximité des enseignes Shopi, 8 à Huit et Marché Plus sur les marchés de l'approvisionnement du secteur de la distribution de proximité à dominante alimentaire en ayant limité la liberté d'approvisionnement des franchisés de manière disproportionnée au regard des objectifs inhérents à la franchise.

Cette pratique a eu pour objet et pour effet de fausser la concurrence sur les marchés de l'approvisionnement du secteur de la distribution de proximité à dominante alimentaire. Elle est prohibée par l'article L. 420-2 du Code de commerce.

L'objet et l'effet anticoncurrentiel des limitations imposées à la liberté d'approvisionnement des franchisés résultent de leurs effets cumulés, qui sont devenus significatifs depuis la fusion entre Carrefour et Promodès en 2000 et tendent à s'accentuer depuis ".

Grief n° 3 :

" Il est fait grief à la société Carrefour d'avoir abusé de l'état de dépendance économique des franchisés de proximité des enseignes Shopi, 8 à Huit et Marché Plus sur les marchés de la distribution de détail de proximité à dominante alimentaire en ayant limité la liberté tarifaire des franchisés de manière disproportionnée au regard des objectifs inhérents à la franchise.

Cette pratique a eu pour objet et pour effet de fausser la concurrence sur les marchés de la distribution de détail de proximité à dominante alimentaire. Elle est prohibée par l'article L. 420-2 du Code de commerce.

L'objet et l'effet anticoncurrentiel des limitations imposées à la liberté d'approvisionnement [liberté tarifaire] des franchisés résultent de leurs effets cumulés, qui sont devenus significatifs depuis la fusion entre Carrefour et Promodès en 2000 et tendent à s'accentuer depuis ".

II. DISCUSSION

114. Seront successivement examinés :

- les moyens de procédure,

- le bien-fondé des griefs.

A. SUR LA PROCEDURE

1. SUR LA RECEVABILITE DE LA PLAINTE DU SEFAG

115. Carrefour soutient que le SEFAG n'a pas qualité pour agir devant l'Autorité de la concurrence (à l'époque le Conseil de la concurrence), car il aurait déposé sa plainte non pour représenter l'intérêt collectif de ses membres mais l'intérêt individuel de deux de ses membres, ou tout au plus l'intérêt de la Francap, un groupement concurrent de Carrefour, qui n'est au demeurant pas membre du SEFAG. La plainte du SEFAG serait donc irrecevable.

116. Il résulte cependant des termes de l'article L. 462-5 du Code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, que les organismes habilités à consulter le Conseil de la concurrence, énumérés à l'article L. 462-1, alinéa 2 dudit code, peuvent saisir le Conseil pour toute affaire qui concerne les intérêts dont ils ont la charge.

117. Selon les statuts du SEFAG, ce syndicat est en charge des " intérêts matériels et moraux de la profession de commerçant en alimentation [...] " (voir paragraphes 20 à 22). En l'espèce, les pratiques dénoncées visant à restreindre la liberté commerciale des franchisés du groupe Carrefour, dont l'activité est la distribution alimentaire de proximité, ainsi qu'à entraver la fluidité inter-enseignes des commerçants indépendants dans ce secteur sont bien de nature à porter atteinte aux intérêts dont le SEFAG a la charge.

118. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient Carrefour, la plainte du SEFAG est recevable.

2. SUR LE PRETENDU NON-RESPECT DES DROITS DE LA DEFENSE

a) Sur le principe de séparation des fonctions d'instruction et de décision

119. Un courrier en date du 17 décembre 2007, adressé par la secrétaire administrative de la Francap à la rapporteure, cite M. Jacques B..., alors membre du collège du Conseil de la concurrence et président de la Francap, comme étant à l'origine de cette demande d'envoi : " Suite à la demande de Monsieur B..., nous vous prions de trouver ci-joint deux exemples de notification de la société Carrefour. ". Les documents en question sont un contrat de franchise Shopi et un contrat d'approvisionnement CSF, adressés par Carrefour à la Francap.

120. Carrefour relève que la Francap, qui regroupe plusieurs enseignes et fédère un certain nombre de grossistes régionaux, est un concurrent direct de Carrefour. Ainsi, le courrier du 17 décembre 2007 attesterait qu'un membre du collège, M. Jacques B..., ayant par ailleurs des intérêts directs dans la saisine, savait que l'affaire en cause était en cours d'instruction, connaissait l'identité de la rapporteure en charge de l'instruction du dossier et a eu des contacts informels avec elle. De telles constatations feraient naître un doute légitime sur le point de savoir si l'organe d'instruction présentait, en l'espèce, les garanties d'indépendance requises à l'égard du collège du Conseil, devenu Autorité de la concurrence.

121. Mais contrairement à ce qu'allègue Carrefour, les circonstances décrites ci-dessus ne sont pas de nature à faire naître un doute légitime sur le point de savoir si la rédaction de l'acte d'accusation a pu être influencée par un membre du collège. Deux contrats ont été adressés à la rapporteure à titre de simples renseignements, à l'initiative de M. B..., en sa qualité de président de la Francap. Cette simple transmission unilatérale de pièces non décisives dans l'instruction du dossier ne saurait autoriser à suspecter la neutralité objective et subjective de la rapporteure.

122. Par ailleurs, M. B... qui n'est pas membre du collège de l'Autorité de la concurrence en fonction depuis le 2 mars 2009, n'a pas participé à la formation qui a délibéré sur la saisine du SEFAG. L'impartialité de la formation de décision ne saurait donc être remise en cause. 123. Le moyen soulevé par Carrefour doit par conséquent être écarté.

b) Sur la prétendue déloyauté dans la conduite de l'instruction

124. Carrefour met en doute l'impartialité de la rapporteure dans la conduite de son instruction. Ainsi, elle ne se serait aucunement interrogée sur les conditions de recevabilité de la saisine du SEFAG. Par ailleurs, elle ne se serait pas préoccupée du respect par le SEFAG de la confidentialité de la procédure devant l'Autorité de la concurrence. En outre, certaines pièces du dossier auraient été recueillies de manière déloyale. A cet égard, Carrefour fait valoir que le SEFAG aurait réalisé un sondage auprès de ses adhérents en se présentant comme intervenant pour le compte de l'Autorité de la concurrence. Enfin, l'instruction de la rapporteure aurait été menée exclusivement à charge.

125. Mais il résulte d'une jurisprudence constante que le rapporteur fonde la notification des griefs sur les faits qui lui paraissent de nature à en établir le bien-fondé et que le fait que la notification des griefs ne cite pas tous les faits et indices qui n'ont pas été retenus comme indices des pratiques anticoncurrentielles ne peut faire grief aux entreprises, dès lors que celles-ci ont eu accès à l'ensemble de la procédure et ont eu toute latitude pour apporter les éléments qui paraissaient utiles à leur défense (voir, notamment, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 janvier 2006, Ordre des avocats au barreau de Marseille).

126. De même, selon la jurisprudence, le rapporteur n'est pas tenu de répondre à tous les arguments développés par les parties et dispose d'un pouvoir d'appréciation quant à la conduite de ses investigations. Lorsque l'affaire résulte d'une saisine directe par une entreprise et que des griefs sont notifiés, il est inévitable que la position du rapporteur soit, dans une certaine mesure, proche de celle du plaignant. Ce ne peut donc être, à soi seul, un indice de partialité (voir décision n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés des Pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre Mer et Total Réunion, paragraphe 204, confirmée par la Cour d'appel de Paris du 24 novembre 2009).

127. Ainsi, contrairement à ce que soutient Carrefour, la rapporteure n'était pas tenue d'exposer les raisons pour lesquelles elle considérait la saisine du SEFAG recevable. Par ailleurs, la partialité de l'instruction ne saurait résulter de la seule circonstance que la rapporteure n'aurait pas tenu compte d'éléments qui, selon Carrefour, viendraient au soutien de sa défense, dès lors que cette société a été en mesure d'en faire état dans la discussion sur le bien-fondé des griefs. Il en va de même s'agissant des éléments qui auraient été recueillis de façon déloyale par le SEFAG, puisque Carrefour a pu les discuter lors du débat contradictoire. Enfin, Carrefour ne démontre pas en quoi la prétendue violation du secret de l'instruction par le SEFAG serait imputable à la rapporteure.

128. Il résulte de ce qui précède que le moyen de Carrefour tiré de la prétendue déloyauté dans la conduite de l'instruction doit être écarté.

B. SUR LE BIEN-FONDE DES GRIEFS

129. Dans un premier temps, il convient d'examiner le fondement juridique des griefs. Dans un deuxième temps, seront définis les marchés pertinents. Dans un troisième temps, il sera procédé à l'examen des pratiques dénoncées au regard de l'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce.

1. SUR LE FONDEMENT JURIDIQUE DES GRIEFS

130. Carrefour soutient que l'application de l'article L. 420-2, alinéa 2 du Code de commerce à des relations entre fournisseurs et distributeurs, sans en rechercher l'éventuelle conformité à l'article 81 du traité CE devenu article 101 TFUE le 1er décembre 2009, et au règlement (CE) nº 2790-1999 de la Commission, du 22 décembre 1999 concernant l'application de l'article 81 (devenu 101 TFUE), paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, constituerait une violation du droit communautaire.

131. Mais l'article 3(2) du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (devenu 101 et 102 TFUE) précise que " Le présent règlement n'empêche pas les Etats membres d'adopter et de mettre en œuvre sur leur territoire des lois nationales plus strictes qui interdisent ou sanctionnent un comportement unilatéral d'une entreprise ".

132. En l'espèce, l'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce, précité, qui a servi de fondement aux griefs notifiés, vise les pratiques d'abus de dépendance économique qui constituent une catégorie d'infractions distincte de celle des ententes anticoncurrentielles prévue par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE (devenu 101 TFUE). Par ailleurs, l'infraction d'abus de dépendance économique de l'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce n'a pas d'équivalent en droit communautaire de la concurrence.

133. Dans ces conditions, les pratiques dénoncées pouvaient être appréciées au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce, sans en rechercher au préalable la conformité avec les articles L. 420-1 du Code de commerce, 81 du traité CE (devenu 101 TFUE) et le règlement (CE) n° 2790-1999, précités.

2. SUR LES MARCHES PERTINENTS

134. Plusieurs marchés sont concernés par les pratiques dénoncées par le SEFAG dans sa saisine, parmi lesquels : le marché de la distribution alimentaire de proximité et les marchés amont de l'approvisionnement des commerces d'alimentation générale de proximité.

a) Sur le marché du commerce d'alimentation générale de proximité

135. La jurisprudence communautaire et nationale distingue généralement six marchés de la distribution de détail alimentaire en utilisant plusieurs critères, notamment, la taille des magasins, leurs techniques de ventes, leur accessibilité, la nature du service rendu et l'ampleur des gammes de produits proposés : les hypermarchés, les supermarchés, le commerce spécialisé, le petit commerce de détail (la proximité), les maxi discompteurs et la vente par correspondance (voir, décision de la Commission européenne Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000 et avis du Conseil de la concurrence Carrefour/Promodes n° 00-A-06 du 3 mai 2000). Selon la pratique décisionnelle du Conseil, il convient néanmoins de prendre en considération les conditions dans lesquelles le marché fonctionne effectivement (avis n° 00-A-06, précité).

136. Ainsi, en l'espèce, il y a lieu de relever, tout d'abord, une certaine continuité de l'offre entre les supérettes (commerces d'alimentation générale de moins de 400 m²) et les petits supermarchés (jusqu'à 1 000 m² environ). En effet, ces derniers cherchent à capter la clientèle spécifique des supérettes en développant des services à la clientèle (souplesse des horaires, livraison à domicile ...), en améliorant la rapidité du service et en proposant de plus en plus de produits à forte valeur ajoutée (épicerie fine, produits biologiques, plats cuisinés ...). Les supérettes, quant à elles, répondent à cette concurrence en proposant de plus en plus de produits de marques de distributeurs et de premiers prix (entre 25 et 30 % du nombre de références). La stratégie du groupe Carrefour suit cette évolution puisqu'il développe un nouveau concept de supermarchés urbains sous l'enseigne Champion, plus adapté au marché de la proximité.

137. Du point de vue de la demande, on observe également une forte substituabilité entre les supérettes et les petits supermarchés. Bien que le nombre de références disponibles dans les supérettes soit plus faible (de l'ordre de 2 000 références pour les petits 8 à Huit au format "convenance" et 4 000 pour un Marché Plus, contre 6 500 pour un Shopi), de même que la valeur du panier moyen (10 euro en moyenne pour une supérette, contre 17,5 euro pour un petit supermarché), les rayons, la structure de vente par rayon et les services proposés sont similaires (horaires flexibles, livraison à domicile).

138. Les petits supermarchés (jusqu'à 1 000 m² environ) relèvent donc du même marché pertinent que les supérettes (moins de 400 m²).

139. Selon l'analyse retenue par le Conseil de la concurrence dans l'avis n° 00-A-06, précité, font aussi partie de ce même marché les magasins de maxi-discompte: " le Conseil, dans son avis n° 98-A-06 du 5 mai 1998 relatif à l'acquisition par la société Casino des magasins Franprix Leader-Price, a considéré les magasins de maxi-discompte comme relevant du même marché que les supermarchés ; que, de même, l'Insee estime que ces magasins ne constituent pas une catégorie particulière de la nomenclature et peuvent être présents parmi tous les formats de magasins, même si la plupart d'entre eux correspondent au format des supermarchés ; qu'en effet, si le positionnement en termes de prix spécifique et si le service rendu et l'absence de nombreux articles pourraient plaider pour une substituabilité limitée de ces deux formats, les surfaces exploitées sont en général les mêmes que celles des supermarchés et, surtout, les enseignes de maxi-discompte se positionnent, en France, de plus en plus comme des concurrents directs des supermarchés traditionnels en ajoutant aux produits de leur marque une offre de produits de marque plus réputée ; qu'ainsi, l'assortiment global de ces magasins peut être évalué entre 1 300 à 2 000 références, alors que le nombre moyen de références offertes par un " discounter " est plus proche de 800/900 références ; que, d'ailleurs, le système français est généralement qualifié de " soft discount " ; que, selon une étude de la société Sécodip, cette stratégie a eu pour conséquence de générer des transferts de clientèle des supermarchés vers les magasins de maxi-discompte, ce mouvement touchant tous les rayons, y compris ceux qui sont les points forts des supermarchés ; qu'en conséquence, les magasins de maxi-discompte seront considérés comme concurrents des autres magasins relevant du même format (généralement des supermarchés), lorsque le cas se présente et que les données sont disponibles ".

140. Dans son avis n° 00-A-06, précité, le Conseil de la concurrence a également considéré que, du point de vue de la demande, les hypermarchés peuvent, dans certains cas, se substituer aux supermarchés ou aux supérettes : " [...] une partie substantielle de la clientèle des commerces de proximité est constituée par des personnes se rendant à pied dans le lieu de vente, faisant des achats courants et de faibles montants ; que, toutefois, les achats de proximité des ménages ne constituent pas une part fixe de leurs dépenses de produits de consommation courante ; qu'en effet, les ménages qui sont situés dans la zone de chalandise d'un hypermarché, laquelle est d'une dimension nettement supérieure à la zone de chalandise d'un commerce de proximité, sont susceptibles, en planifiant leurs achats, de faire dans cet hypermarché une partie substantielle de leurs courses, réduisant ainsi leur demande de service commercial de proximité ; que, par ailleurs, lorsqu'un hypermarché est situé en centre ville ou dans une zone urbaine dense, les ménages situés à proximité immédiate peuvent utiliser ce type de commerce comme un commerce de proximité ; qu'il peut ainsi exister une certaine concurrence entre des supermarchés ou supérettes et des hypermarchés ".

141. Cependant, si la continuité du point de vue de la demande peut être envisagée entre les hypermarchés accessibles à pied pour certains ménages depuis leur lieu d'habitation et les commerces de proximité d'une surface inférieure à 400 m², la réciproque n'est pas vraie. En effet, les commerces de proximité ne possèdent pas de quatrième rayon et proposent une offre alimentaire beaucoup plus restreinte, à des prix supérieurs.

142. Par ailleurs, malgré les efforts mis en œuvre par les grandes surfaces pour offrir des services similaires à ceux proposés par les magasins de proximité (adaptation de l'agencement des magasins pour permettre aux clients d'effectuer un circuit court s'ils ne souhaitent acheter que quelques produits, extension de l'amplitude horaire ...), leur accessibilité reste moins aisée pour les personnes sans véhicule, le temps de courses reste supérieur et le panier moyen est nettement plus élevé, les ménages y faisant une partie des achats qu'ils auraient pu effectuer dans un magasin de proximité en même temps que leurs courses de la semaine. En outre, les grandes surfaces développent parallèlement une stratégie qui les éloigne au contraire des commerces de proximité, notamment en développant l'offre non alimentaire et en proposant des services annexes distincts (station d'essence, services de crédit à la consommation notamment).

143. Sur son site Internet, Carrefour présente lui-même sa stratégie de développement pour ses enseignes de proximité comme distincte de celle qui prévaut pour les autres formats du groupe, et notamment pour les hypermarchés : " Grâce à ses activités de proximité, le groupe Carrefour répond aux problématiques du monde urbain et s'adapte également aux environnements les plus ruraux. En effet, d'une part, pour les clients des grandes villes, ces enseignes [Shopi, 8 à Huit, Marché Plus, Sherpa et Proxi] représentent une alternative aux hypermarchés souvent éloignés des domiciles, puisqu'ils sont implantés en périphérie des agglomérations. D'autre part, pour les communes rurales, ces commerces permettent de maintenir des lieux de vie. Ils constituent même un outil de lutte contre la désertification des campagnes. Par leur présence, ils encouragent aussi l'installation d'autres commerçants ".

144. Les hypermarchés font donc l'objet d'une stratégie d'offre distincte et ne répondent pas à la même demande que celle qui s'adresse aux magasins de proximité, notamment aux plus petits d'entre eux et à ceux situés sur des axes de passage. En conséquence, les hypermarchés ne sauraient être inclus dans le marché de la distribution alimentaire de proximité.

145. Enfin, comme le Conseil l'a également retenu dans son avis n° 00-A-06, sont également exclus du marché des commerces de proximité, les magasins de centre-ville spécialisés dans la vente de produits surgelés, et notamment les magasins Picard Surgelés : " [...] selon l'avis n° 94-A-30 du 6 décembre 1994, relatif à l'acquisition par Carrefour de la société Picard Surgelés, les magasins à l'enseigne Picard Surgelés ne sont pas substituables aux surfaces de supermarchés et d'hypermarchés ; qu'en effet, ces magasins se différencient des supermarchés par leur situation géographique (essentiellement en centre ville), les gammes de produits vendus, les services proposés, le niveau des prix pratiqués, les marques commercialisées ; qu'en conséquence, les grandes et moyennes surfaces généralistes ne se trouvent pas sur le même marché que les magasins spécialisés dans la vente de produits surgelés ".

146. Il résulte de ce qui précède que peut être identifié un marché pertinent du commerce d'alimentation générale de proximité incluant l'ensemble des magasins d'une surface inférieure à 1 000 m² et les magasins de maxi-discompte.

147. Comme l'indiquent les éléments du dossier, sur l'ensemble du marché national, les enseignes du groupe Carrefour représentent 12 % de l'offre, aussi bien en termes de nombre de magasins qu'en termes de surfaces de vente (paragraphe 19). Carrefour quant à elle évalue ses parts en chiffres d'affaires à hauteur de 24,1 % (paragraphe 10).

b) Sur les marchés amont de l'approvisionnement des commerces d'alimentation générale de proximité

148. En qui concerne les marchés " amont " de l'approvisionnement, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence délimite autant de marchés pertinents que de groupes de produits et considère que ces marchés sont de dimension nationale. Le groupe Carrefour est présent sur ces marchés par l'intermédiaire de sa filiale CSF.

3. SUR L'ETAT DE DEPENDANCE ECONOMIQUE DES FRANCHISES DU RESEAU DE PROXIMITE DE CARREFOUR A L'EGARD DE CARREFOUR

149. L'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce prohibe " [...] dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires [...] ".

150. Selon une pratique décisionnelle constante du Conseil de la concurrence, confirmée par la Cour d'appel de Paris et la Cour de cassation, pour caractériser l'existence d'une situation de dépendance économique il convient de tenir compte " de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de la part de marché du fournisseur, de l'importance de la part de fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur et, enfin, de la difficulté pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents " (voir, arrêts de la Cour de cassation du 12 octobre 1993 et de la Cour d'appel de Paris du 4 juin 2002, et la décision n° 09-D-02 du 20 janvier 2009 du Conseil de la concurrence relative à une demande de mesures conservatoires présentée par le Syndicat National des Dépositaires de Presse).

151. La modification de l'article L. 420-2 du Code de commerce introduite par la loi du 15 mai 2001, qui a éliminé la référence à la notion de " solution équivalente ", n'exempte pas les parties d'en démontrer l'existence. En effet, le Conseil de la concurrence a eu l'occasion de rappeler, postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001, que l'état de dépendance économique implique " l'impossibilité dans laquelle se trouve une entreprise de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées " (voir décision n° 01-D-49 du 31 août 2001).

152. Sur l'absence de solution alternative pour le distributeur, la Cour d'appel de Paris a précisé dans un arrêt du 15 octobre 2008, SCEA Vergers de la Motte, que " l'état de dépendance économique se définit comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; qu'il s'ensuit que la seule circonstance qu'un distributeur réalise une part importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce ".

153. Par ailleurs, le Conseil de la concurrence considère que " les situations de dépendance relevant de la disposition précitée du Code de commerce [article L. 420-2] s'inscrivent dans le cadre de relations bilatérales entre deux entreprises et doivent donc être évaluées au cas par cas, et non pas globalement pour toute la profession " (voir décisions n° 03-D-42 du 18 août 2003 relative à des pratiques mises en œuvre par Suzuki et autres sur le marché de la distribution des motocycles et n° 09-D-02, précitée).

154. Dans ses observations, Carrefour conteste la base juridique retenue en l'espèce, à savoir, l'abus de dépendance économique. Carrefour allègue ainsi qu'il est impossible de considérer comme constitutives d'un état de dépendance économique des clauses contractuelles non pas imposées, mais volontairement souscrites par les futurs franchisés. Enfin, elle fait valoir que, compte-tenu de l'absence totale d'homogénéité des situations des différents franchisés, il serait impossible de fonder une prétendue situation de " dépendance collective ". Carrefour souligne enfin qu'en tout état de cause, aucun des critères cumulatifs permettant de caractériser un état de dépendance économique ne serait rempli en l'espèce. Ainsi, en raison de sa position sur le marché pertinent extrêmement réduite (12 %), Carrefour ne serait en rien un acteur incontournable pour des franchisés ou des candidats franchisés. Par ailleurs, les franchisés disposeraient, à l'issue de leur contrat de franchise, de solutions équivalentes pour accomplir une activité similaire.

155. En l'espèce, il convient d'examiner successivement la situation qui prévaut pour les candidats à l'ouverture d'un commerce alimentaire de proximité c'est-à-dire ex ante, puis celle des franchisés une fois qu'ils sont entrés dans le réseau de proximité de Carrefour, c'est-à-dire ex post.

a) Sur la situation qui prévaut pour les candidats à l'ouverture d'un commerce alimentaire de proximité

156. Comme il a été indiqué au paragraphe 150, l'existence d'une situation de dépendance économique s'apprécie en fonction de plusieurs critères cumulatifs, parmi lesquels figure notamment la part de marché du fournisseur.

157. Il résulte de l'instruction que les parts de Carrefour sur le marché national du commerce d'alimentation générale de proximité se situent entre 12 et 24 % (voir paragraphes 10 et 19). Carrefour ne dispose donc pas sur ce marché d'une position susceptible d'en faire un partenaire commercial obligé pour tout candidat à l'ouverture d'un magasin d'alimentation générale de proximité. En effet, pour exercer leur activité, ces candidats auront le choix entre ouvrir un commerce indépendant ou rejoindre l'une des enseignes présentes sur le marché, Carrefour représentant une fraction réduite de ces solutions possibles.

158. Au vu de ce qui précède, aucune situation de dépendance économique à l'égard de Carrefour ne peut donc être caractérisée en ce qui concerne les candidats à l'ouverture d'un commerce alimentaire de proximité.

b) Sur la situation des franchisés après leur entrée dans le réseau de proximité de Carrefour

159. Comme la Cour d'appel de Paris l'a souligné dans un arrêt du 25 janvier 2005, " l'état de dépendance économique, pour un distributeur, se définit comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ".

160. La Cour de justice des Communautés européennes a défini le contrat de franchise de la manière suivante : " [...] une entreprise qui s'est installée dans un marché comme distributeur et qui a ainsi pu mettre au point un ensemble de méthodes commerciales accorde, moyennant rémunération à des commerçants indépendants la possibilité de s'établir dans d'autres marchés en utilisant son enseigne et les méthodes commerciales qui ont fait son succès. Plutôt que d'un mode de distribution, il s'agit d'une manière d'exploiter financièrement, sans engager de capitaux propres, un ensemble de connaissances. Ce système ouvre par ailleurs à des commerçants dépourvus de l'expérience nécessaire l'accès à des méthodes qu'ils n'auraient pas pu acquérir qu'après de longs efforts de recherche et les fait profiter de la réputation du signe " (arrêt du 28 janvier 1986, Pronuptia, 161-84, Rec. p. 353, point 15).

161. Les lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales (Journal officiel C 291 du 13.10.2000) définissent quant à elles les accords de franchise comme les accords verticaux comportant " une licence de droits de propriété intellectuelle relatifs à des marques ou à des signes distinctifs ou à un savoir-faire pour l'utilisation et la distribution de biens ou de services. Outre une licence de droits de propriété intellectuelle, le franchiseur fournit normalement au franchisé, pendant la période d'application de l'accord, une assistance commerciale et technique " (point 199).

162. Dans le cadre d'un réseau de franchise, la sauvegarde de l'identité du réseau ainsi que la protection du savoir-faire du franchiseur justifient l'exercice par ce dernier d'un certain contrôle sur la politique commerciale des franchisés. Cependant un tel contrôle ne saurait excéder ce qui est strictement nécessaire à la réalisation de ces objectifs.

163. La mise en évidence d'une situation de dépendance économique de franchisés à l'égard d'un franchiseur pourrait ainsi résulter du jeu cumulé d'un ensemble de clauses contractuelles imposées par ce dernier, dont la finalité serait de limiter la possibilité des franchisés de quitter le réseau et de restreindre leur liberté contractuelle dans des proportions dépassant les objectifs inhérents à la franchise, sans que la circonstance que ces clauses aient été volontairement souscrites puisse leur être opposée (voir, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 25 janvier 2005).

164. En l'espèce, la situation de dépendance économique des franchisés du réseau de proximité de Carrefour à l'égard de Carrefour doit donc être examinée au regard des clauses contractuelles dénoncées par le SEFAG.

165. Mais l'état de dépendance économique s'apprécie in concreto, soit dans la relation bilatérale entre deux opérateurs économiques, soit plus largement, dans les relations entre un fournisseur et son réseau de distribution, pourvu que ce réseau constitue un groupe d'entreprises aux caractéristiques suffisamment homogènes, dont les membres sont placés, à l'égard de ce fournisseur, dans la même position économique et juridique (voir décisions n° 03-D-42 du 18 août 2003 et n° 09-D-02 du 20 janvier 2009, précitées).

166. Dans la présente affaire, aucune de ces deux situations n'a pu cependant être mise en évidence, en l'absence d'éléments sur la situation individuelle de chaque franchisé à l'égard d'une filiale du groupe Carrefour et en l'absence d'homogénéité de la position des franchisés au sein du réseau de Carrefour. En effet, les franchisés relèvent de sept régimes contractuels différents, ce qui rend leur situation difficilement comparable :

Caractéristiques / % des franchisés des régions Nord et Sud-ouest

Cas n° 1 : Franchisé personne physique, propriétaire du fonds de commerce et des murs. Entre 3,1 et 7,2 %

Cas n° 2 : Franchisé personne physique, locataire-gérant de Carrefour. Jusqu'à 8,9 %

Cas n° 3 : Société franchisée (sans participation minoritaire de Carrefour), propriétaire du fonds de commerce ou du fonds de commerce et des murs. Entre 9,7 et 26,8 %

Cas n° 4 : Société franchisée (sans participation minoritaire de Carrefour), locataire-gérant de Carrefour. Entre 4,3 et 21,5 %

Cas n° 5 : Société franchisée (avec participation minoritaire de Carrefour, sans pacte d'associés), locataire-gérant de Carrefour. Entre 11,8 et 16,1 %

Cas n° 6 : Société franchisée (avec participation minoritaire de Carrefour, sans pacte d'associés), propriétaire du fonds de commerce, les murs appartenant soit à la société, soit à Carrefour, soit à un tiers. Entre 6,8 et 14,3 %

Cas n° 7 : Franchisé en société (avec participation minoritaire de Carrefour, avec pacte d'associés), propriétaire du fonds de commerce, les murs appartenant soit à la société franchisée, soit à Carrefour, soit à un tiers. Entre 34,1 et 35,4 %

Selon les données fournies par Carrefour et non contestées par le saisissant

167. Dans ces conditions, le dossier ne permet pas de caractériser une situation de dépendance économique de l'ensemble des franchisés du réseau de proximité de Carrefour à l'égard de Carrefour.

168. Il en résulte qu'aucun des griefs notifiés n'est constitué.

Décision

Article unique : Il n'est pas établi que Carrefour a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce.

Délibéré sur le rapport oral de Mme Maud Aubier et l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Anne Perrot, vice-présidente, présidente de séance, Mmes Laurence Idot, Reine-Claude Mader-Saussaye et Carol Xueref, membres.

Notes

1 Comme indiqué au paragraphe 12, l'opus est un indice de cherté qui a été créé par la société Nielsen. Il est basé sur une sélection de produits qui correspond à une base 100. L'indice correspond au prix relatif de cette sélection de produits dans différents magasins.