CA Chambéry, ch. com., 1 juillet 2008, n° 08-00222
CHAMBÉRY
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Celsius (SARL)
Défendeur :
Jacob's & Turner Ltd (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Robert
Conseillers :
Mme Carrier, M. Bétous
Avoués :
SCP Bollonjeon-Arnaud-Bollonjeon, SCP Dormeval-Puig
Avocats :
Me Gardette, SCP Foucaud Tchekhoff Pochet
La société Jacob's & Turner Ltd, fabricant écossais de vêtements de sport ayant son siège à Glasgow, a conclu avec la société Celsius, le 13 janvier 1995, un contrat d'agent commercial non exclusif soumis au droit écossais et à la directive européenne de 1986, pour la commercialisation de la gamme de vêtements de sport Trespass en France et en Andorre auprès de tous les détaillants de sport indépendants à l'exclusion de tous les groupes importants.
Des difficultés étant survenues dans les relations entre les parties, la société Celsius a, au mois d'octobre 2006, assigné la société Jacob's & Turner Ltd devant le Tribunal de grande instance d'Annecy afin d'obtenir la résiliation judiciaire du contrat et l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
Par lettre recommandée en date du 8 juin 2007, elle a notifié à la société Jacob's & Turner Ltd qu'elle considérait le contrat comme rompu du fait d'agissements de celle-ci qui rendaient impossible la poursuite de relations contractuelles et qu'elle s'estimait en conséquence libérée de toutes obligations à son égard.
Par lettre datée du même jour, la société Jacob's & Turner Ltd a répondu qu'elle ne considérait pas la rupture ainsi intervenue comme valable, contestant avoir manqué à ses obligations, et que, devant le fait accompli, elle notifiait elle-même à la société Celsius la rupture immédiate de leurs relations contractuelles en application de la clause 12-1 du contrat.
Par exploit du 13 novembre 2007, la société Celsius a saisi le juge des référés du Tribunal de grande instance d'Annecy à l'effet d'obtenir le paiement d'une provision de 183 572,80 euro à valoir sur les commissions dues pour les affaires conclues par ses soins au 8 juin 2007 et la communication sous astreinte des éléments comptables nécessaires au calcul des commissions dues sur les affaires conclues sur le territoire contractuel jusqu'au 8 juin 2007.
Par ordonnance en date du 21 janvier 2008, le juge des référés du Tribunal de grande instance d'Annecy a débouté la société Celsius de l'ensemble de ses demandes en l'état d'une contestation sérieuse et l'a condamnée à payer à la société Jacob's et Turner la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.
La société Celsius a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 28 mai 2008, elle conclut à l'infirmation de l'ordonnance déférée et demande à voir condamner la société Jacob's & Turner Ltd au paiement d'une provision de 415 066,64 euro outre intérêts au taux légal à valoir sur les commissions sur les ventes conclues par son intermédiaire jusqu'au 8 juin 2007 et à lui remettre sous astreinte le relevé de l'ensemble des factures auprès de ses clients du territoire contractuel pour les opérations conclues jusqu'au 8 juin 2007, ainsi que le double de toutes les factures et l'équivalent en matière de comptabilité des entreprises écossaises du grand livre des comptes " clients " certifié conforme par son expert comptable.
Elle sollicite l'allocation de la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle expose que les commissions réclamées ne concernent que les ventes intervenues jusqu'au 8 juin 2007 au titre de la saison d'hiver 2007/2008.
Elle estime avoir droit à commissions pour toutes les commandes qu'elle a apportées et qui ont été acceptées par le mandant jusqu'au 8 juin 2007, s'agissant d'opérations commerciales qui doivent être considérées comme conclues pendant le cours du mandat dans la mesure où le contrat avec le client s'est formé avant la date de la rupture, sans qu'il y ait lieu de rechercher, ainsi que le prétend la partie adverse, si la commande obtenue été effectuée, acceptée, exécutée et payée avant cette date, seul le versement de la commission étant suspendu à l'exécution du contrat.
Elle rappelle que les dispositions de la directive n° 86-653-CEE et de la loi britannique de 1993 relatives à la rémunération des agents commerciaux sont d'ordre public, qu'à supposer qu'il y ait désaccord entre la directive et la loi nationale, c'est la directive qui prime.
Elle conteste la créance compensatoire invoquée par Jacob's & Turner Ltd faisant valoir que la clause prévue à l'article 12-5 est sans justification économique d'une part, qu'il existe d'autre part une contradiction entre cette clause et l'article 12-1 qu'il n'appartient pas au juge des référés de trancher; qu'en tout état de cause, la clause prévue à l'article 12-5 n'a vocation à s'appliquer que lorsque le contrat d'agence commerciale est résilié par le mandant dans les cas limitativement énumérés à l'article 12-1 ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque le contrat a été rompu par le mandataire, le courrier de rupture de Jacob's & Turner Ltd étant postérieur au sien; qu'enfin, aucun justificatif du montant de la somme réclamée n'est fourni.
Elle soutient que sa demande de communication de pièces comptables est justifiée au regard de l'article 12 de la directive et de la loi britannique et que l'imputabilité de la rupture est sans incidence sur l'obligation du mandant de communiquer les pièces nécessaires au calcul des commissions.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 13 mai 2007, la société Jacob's & Turner Ltd conclut à la confirmation de l'ordonnance déférée.
Subsidiairement, elle demande à voir débouter la société Celsius de toutes ses demandes, à voir constater le caractère incontestable de sa propre créance et condamner la société Celsius à lui payer la somme de 655 539,03 euro outre intérêts de retard à compter du 13 septembre 2007 et la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure " dilatoire et abusive ".
Encore plus subsidiairement, elle demande à voir compenser sa créance avec toute somme éventuellement allouée à la société Celsius.
Elle sollicite en tout état de cause l'allocation de la somme de 8 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que les commissions réclamées portent sur des opérations conclues après la cessation du contrat d'agence auxquelles la société Celsius a renoncé en application de la clause 8; que la clause 8.8 ne constitue pas une violation des dispositions d'ordre public de la réglementation britannique ou de la directive européenne lesquelles ne sont pas d'ordre public; que les parties ont pu librement définir la notion de contrat conclu et décider que les transactions étaient conclues lorsque la commande avait été acceptée, exécutée et payée.
Elle soutient qu'elle a communiqué toutes les copies des factures et relevés relatifs aux ventes conclues jusqu'à la résiliation du contrat; que la société Celsius n'a pas de droit exclusif dans une zone géographique et qu'elle ne peut prétendre à commissions sur des affaires qui n'ont pas été conclues par son intermédiaire; qu'en tout état de cause, sa demande de ce chef se heurte à une contestation sérieuse.
Elle prétend que la lettre de la société Celsius du 8 juin 2007 constitue un refus de poursuivre l'exécution du contrat et de fournir les services contractuellement convenus; qu'elle-même a donc valablement mis fin au contrat en application de son article 12-1.
Elle invoque une créance de 655 539,03 euro au titre des échantillons fournis depuis le début du contrat, ce en application des clauses 12-1 et 12-5 du contrat d'agence, de nature à rendre sérieusement contestable tout obligation éventuelle envers la société Celsius.
Motifs de la décision
Sur la demande de provision
Selon la clause 8.8 du contrat d'agence liant les parties, l'agent reconnaît que son droit à commission concerne seulement les ventes effectuées pendant la période du contrat et renonce à tout droit qu'il pourrait détenir au titre de la réglementation 8 de la législation anglaise mettant en œuvre la directive du Conseil 86-653. Pour les besoins de cette clause 8.10 (en fait 8.8 ?) une vente signifiera un contrat conclu entre le mandant et un client dans le territoire.
Il résulte de cette disposition, dépourvue de toute ambiguïté, que le droit à commission de l'agent naît lorsque le contrat est formé entre le mandant et le client apporté par le mandataire, c'est-à-dire lorsqu'il y a commande ferme du client acceptée par le mandant. L'article 7.4 du contrat, prévoyant qu'il n'y aura pas paiement de la commission dans le cas où la commande acceptée n'a pas été honorée, ne saurait s'analyser comme dérogeant à l'article 8.8, s'agissant d'une disposition relative à la perte du droit au paiement de la commission en cas d'inexécution du contrat par le client et non pas au fait générateur du droit à commission.
Il en résulte à l'évidence que lorsque l'opération a été conclue entre le mandant et son client antérieurement à la rupture du contrat d'agence, l'agent a droit à commission peu important que les marchandises commandées aient été livrées et/ou payées par le client postérieurement à cette date.
L'article 8.5 du contrat impose au mandant de fournir dès que possible après réception de la demande écrite de l'agent, toute information que celui-ci pourra raisonnablement demander aux fins de vérification des montants des commissions payées au titre de cette convention, l'article 8.4 lui imposant de verser à l'agent toute commission due au plus tard le dernier jour du mois suivant la fin du trimestre au cours duquel elle sera dûe et de lui fournir en même temps un relevé indiquant le calcul de ladite commission.
Le relevé des opérations conclues produit par la société Celsius ne fait l'objet d'aucune critique par la société Jacob's & Turner Ltd. Celle-ci ne justifie pas avoir notifié à la société Celsius un refus d'acceptation des commandes transmises par ses soins conformément à l'article 7.2 du contrat. Pas plus, elle ne justifie des ventes qui n'auraient pas été exécutées et au titre desquelles le droit à commission serait perdu, alors qu'elle a été mise en demeure de produire le relevé des factures et des commissions par lettre du 6 juillet 2007.
A supposer que la clause de l'article 12-5 du contrat, prévoyant qu'en cas de résiliation de la convention par le mandant, l'agent versera immédiatement à celui-ci une somme égale à la différence entre le prix tarif de tous les échantillons fournis à l'agent par le mandant et le montant payé pour lesdits échantillons par l'agent au mandant, soit interprétée comme visant l'ensemble des échantillons remis depuis le début du contrat, l'indemnité due apparaîtrait dépourvue de cause économique comme étant la contrepartie de vêtements d'anciennes collections, par hypothèse obsolètes et démodés, et la question de sa validité se poserait au regard des dispositions d'ordre public de la directive européenne sur le droit à indemnité du mandataire en cas de rupture du mandat. En tout état de cause, seul le juge du fond est à même de se prononcer sur l'imputabilité de la rupture et le prétendu droit à indemnité de la société Jacob's & Turner Ltd est, en l'état, hypothétique et insusceptible de faire apparaître comme sérieusement contestable la créance de la société Celsius au titre de la rémunération de prestations effectivement fournies par ses soins depuis de nombreux mois et dont le paiement revêt un caractère alimentaire.
Il sera en conséquence fait droit à la demande de provision à hauteur de la somme de 415 066,64 euro et la demande reconventionnelle de la société Jacob's & Turner Ltd sera déclarée irrecevable.
Sur la demande de communication de pièces
Selon l'article 7 de la directive européenne, repris par l'article 7 de la loi britannique de transposition, l'agent commercial a droit à commission lorsque l'opération a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre; l'agent commercial a également droit à commission soit lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminées, soit lorsqu'il jouit d'un droit d'exclusivité pour un secteur géographique ou un groupe de personnes déterminées et que l'opération a été conclue avec un client appartenant à ce secteur ou à ce groupe.
Il en résulte que la société Celsius a vocation à percevoir des commissions sur certaines ventes conclues sans son intermédiaire sur le territoire concédé et dont, par hypothèse, elle n'a pas connaissance. Elle a d'autre art, en application de l'article 8.5 suscité et de la loi britannique de transposition de la directive, un droit d'information et de contrôle sur les livres comptables du mandant. La demande de communication de pièces aux fins de vérifier l'exhaustivité et le calcul de ses commissions ne se heurte dès lors à aucune contestation sérieuse.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme l'ordonnance déférée. Statuant à nouveau, Condamne la société Jacob's & Turner Ltd à payer à la société Celsius la somme de 415 066,64 euro à titre de provision à valoir sur les commissions sur les ventes conclues par son intermédiaire jusqu'au 8 juin 2007, ce outre intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2007 sur la somme de 183 572,80 euro et du 17 décembre 2007 pour le surplus. Condamne la société Jacob's & Turner Ltd à remettre à la société Celsius sous astreinte de 100 euro par jour de retard et dans le délai de un mois à compter de la signification de la présente décision: - le relevé de l'ensemble des factures auprès de ses clients du territoire contractuel, c'est-à-dire la France et l'Andorre, pour les opérations conclues jusqu'au 8 juin 2007 ainsi que le double de toutes les factures, - l'équivalent en matière de comptabilité des entreprises écossaises du grand livre des comptes " clients " certifié conforme par son expert comptable. Dit n'y avoir lieu à se réserver la liquidation de l'astreinte. Déclare la demande reconventionnelle de la société Jacob's & Turner Ltd irrecevable en référé. Condamne la société Jacob's & Turner Ltd à payer à la société Celsius la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. La condamne aux dépens de première instance et d'appel avec, pour ceux d'appel, distraction au profit de la SCP Bollonjeon Arnaud Bollonjeon par application de l'article 699 du Code de procédure civile.