CJUE, 3e ch., 11 mars 2010, n° C-384/08
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Attanasio Group Srl
Défendeur :
Comune di Carbognano, Felgas Petroli Srl
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cunha Rodrigues
Avocat général :
M. Mazák
Juges :
Mme Lindh, MM. Rosas, Ó Caoimh (rapporteur), Arabadjiev
Avocat :
Me Russo
LA COUR (troisième chambre),
1 La présente demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 43 CE, 48 CE, 49 CE et 56 CE ainsi que des "principes de concurrence économique et de non-discrimination juridique consacrés par le traité [CE]".
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Attanasio Group Srl (ci-après "Attanasio") au Comune di Carbognano (commune de Carbognano) à propos de l'octroi à un tiers, Felgas Petroli Srl (ci-après "Felgas Petroli"), d'un permis de construire en vue de la réalisation d'une installation de distribution de carburants.
Le cadre juridique national
3 Le système de distribution des carburants en Italie a été réformé par le décret législatif n° 32, du 11 février 1998, portant rationalisation du système de distribution des carburants, conformément à l'article 4, paragraphe 4, sous c), de la loi n° 59, du 15 mars 1997 (GURI n° 53, du 5 mars 1998, p. 4), modifié et complété par la suite à plusieurs reprises (ci-après le "décret législatif nº 32-1998").
4 Conformément à l'article 2 dudit décret législatif, la réalisation et l'exploitation d'installations de distribution de carburants sont soumises à autorisation administrative. Celle-ci est octroyée par la commune sur le territoire de laquelle sont exercées ces activités, sous réserve de la constatation de la conformité des installations avec les dispositions du plan d'occupation des sols, avec la réglementation fiscale et celle relative à la sécurité sanitaire, environnementale et routière, avec les dispositions relatives à la protection des biens historiques et artistiques, ainsi qu'avec les programmes d'orientation des régions italiennes.
5 L'article 19 de la loi n° 57, du 5 mars 2001, portant dispositions en matière d'ouverture et de réglementation des marchés (GURI n° 66, du 20 mars 2001, p. 4, ci-après la "loi nº 57-2001"), prescrit l'adoption d'un plan national visant à assurer la qualité et l'efficience du service, le gel des prix de vente et la rationalisation du système de distribution des carburants, et contenant les lignes directrices visant à moderniser le système de distribution des carburants (ci-après le "plan national"). Conformément à ce plan, adopté par un décret ministériel du 31 octobre 2001 portant approbation du plan national contenant les lignes directrices pour la modernisation du système de distribution des carburants (GURI nº 279, du 30 novembre 2001, p. 37, ci-après le "décret ministériel du 31 octobre 2001"), les régions, dans le cadre des pouvoirs de programmation qui leur sont attribués, rédigent des plans régionaux dans lesquels elles établissent notamment des critères pour l'ouverture de nouveaux points de vente. Selon les observations écrites de la Commission des Communautés européennes, à l'époque des faits à l'origine du litige au principal, les distances minimales obligatoires entre installations faisaient partie de ces critères.
6 Dans ce cadre, la Regione Lazio (Région du Latium) a adopté la loi régionale n° 8-2001 (Bollettino Ufficiale della Regione Lazio, du 10 avril 2001). En vertu de l'article 13 de cette loi, les communes, dans l'exercice de la compétence qui leur est octroyée pour définir les critères, exigences et caractéristiques concernant les zones où peuvent être réalisées les installations de distribution de carburants ainsi que les dispositions qui seront applicables à celles-ci, doivent tenir compte de différents critères au nombre desquels figurait, à l'époque des faits au principal, le respect de distances minimales entre les différentes installations. Pour ce qui est notamment des installations situées sur les routes provinciales, ledit article 13 prescrit une distance minimale de trois kilomètres.
7 Peu de temps après la date à laquelle la décision de renvoi a été rendue et avant que celle-ci ne parvienne à la Cour, le législateur italien a adopté la loi n° 133, du 6 août 2008, convertissant en loi le décret législatif n° 112, du 25 juin 2008, portant dispositions urgentes pour le développement économique, la simplification, la compétitivité, la stabilisation des finances publiques, ainsi que la péréquation fiscale (supplément ordinaire à la GURI n° 195, du 21 août 2008, ci-après la "loi nº 133-2008"). Cette loi, à son article 83 bis, paragraphe 17, prévoit:
"Afin de garantir le plein respect des dispositions de la législation communautaire sur la protection de la concurrence et d'assurer un bon fonctionnement uniforme du marché, la mise sur pied et l'exploitation d'une installation de distribution de carburant ne peuvent être subordonnées à la fermeture d'installations existantes ni au respect d'obligations, à finalité commerciale, portant sur un numerus clausus, des distances minimales entre installations et entre installations et exploitations ou surfaces commerciales très petites, ou qui imposent des limitations ou des obligations à l'offre éventuelle, dans la même installation ou dans la même zone, d'activités et de produits complémentaires."
8 Ledit article 83 bis énonce, à son paragraphe 18, que "les dispositions du paragraphe 17 constituent des principes généraux en matière de protection de la concurrence et des niveaux essentiels des prestations au sens de l'article 117 de la Constitution".
9 Aux termes de l'article 1er, paragraphe 2, dernier alinéa, de la loi n° 131, du 5 juin 2003, portant dispositions d'adaptation du droit de la République à la loi constitutionnelle n° 3, du 18 octobre 2001 (GURI nº 132, du 10 juin 2003, p. 5):
"Les dispositions légales régionales relatives aux matières relevant de la compétence législative exclusive de l'État, applicables à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, restent d'application jusqu'à la date de l'entrée en vigueur des dispositions nationales dans ces matières [...]"
Le litige au principal et la question préjudicielle
10 Attanasio, établie à Viterbe (Italie), a présenté au Comune di Caprarola une demande d'autorisation en vue de la réalisation d'une installation de distribution de carburants, de lubrifiants et de gaz de pétrole liquéfié (GPL) en bordure de la route provinciale dite "Massarella". Au cours de la procédure administrative, il s'est avéré que le Comune di Carbognano avait entre-temps accordé à Felgas Petroli l'autorisation d'implanter une station de distribution de carburant à une courte distance du site faisant l'objet de la demande d'Attanasio.
11 En vertu de l'article 13 de la loi régionale n° 8-2001, la délivrance du permis de construire à Felgas Petroli par le Comune di Carbognano ne permettait donc plus au Comune di Caprarola de faire droit à la demande d'Attanasio.
12 Il ressort de la décision de renvoi qu'Attanasio a, par la suite, introduit un recours devant la juridiction de renvoi à l'encontre de l'octroi d'une autorisation à Felgas Petroli, en présentant une demande en référé visant à la suspension des effets de cette autorisation.
13 La juridiction de renvoi estime que la réglementation pertinente, à savoir, en particulier, l'article 13 de la loi régionale n° 8-2001, mais également le décret législatif n° 32-1998, la loi n° 57-2001 et le décret ministériel du 31 octobre 2001, est "susceptible d'enfreindre les dispositions du traité qui consacrent le respect des principes de concurrence, de liberté d'établissement et de libre prestation des services".
14 Selon cette juridiction, si l'incompatibilité avec le droit communautaire des dispositions nationales et régionales qui s'opposent à la réalisation de l'installation d'Attanasio était établie, ces dernières devraient rester inappliquées. Dès lors, le recours au principal devrait être déclaré irrecevable pour défaut d'intérêt à agir dans le chef d'Attanasio.
15 Dans ces conditions, le Tribunale amministrativo regionale del Lazio a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"Les dispositions régionales et nationales italiennes qui prévoient des distances minimales obligatoires entre les installations routières de distribution de carburants, et spécialement l'article 13 de la loi régionale [n° 8-2001], applicable aux faits soumis à la juridiction de céans et pertinente pour la solution du litige, ainsi que les dispositions nationales de référence (décret législatif n° 32-1998 [...], loi n° 57-2001 et décret ministériel du 31 octobre 2001), en ce qu'elles ont permis, ou en tout cas n'ont pas empêché, la prescription, dans le cadre de l'exercice des compétences réglementaires reconnues à l'État italien, de distances minimales entre les installations routières de distribution de carburants dans le cadre de l'article 13 précité, sont-elles compatibles avec le droit communautaire, et plus précisément avec les articles [43 CE, 48 CE, 49 CE et 56 CE] et avec les principes communautaires de concurrence économique et de non-discrimination juridique consacrés par le traité [...]?"
Sur la question préjudicielle
Considérations liminaires
16 Eu égard au libellé de la question posée, il convient de rappeler d'emblée que, dans le cadre de l'article 267 TFUE, la Cour n'est compétente pour se prononcer ni sur l'interprétation de dispositions législatives ou réglementaires nationales ni sur la conformité de telles dispositions avec le droit de l'Union (voir, notamment, arrêts du 18 novembre 1999, Teckal, C-107-98, Rec. p. I-8121, point 33; du 4 mars 2004, Barsotti e.a., C-19-01, C-50-01 et C-84-01, Rec. p. I-2005, point 30, ainsi que du 23 mars 2006, Enirisorse, C-237-04, Rec. p. I-2843, point 24 et jurisprudence citée).
17 Toutefois, la Cour a itérativement jugé qu'elle est compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d'interprétation relevant du droit de l'Union qui peuvent lui permettre d'apprécier une telle conformité pour le jugement de l'affaire dont elle est saisie (voir, notamment, arrêts du 2 juillet 1987, Lefèvre, 188-86, Rec. p. 2963, point 6; du 15 décembre 1993, Hünermund e.a., C-292-92, Rec. p. I-6787, point 8, ainsi que Enirisorse, précité, point 24).
18 Ainsi, en présence de questions formulées de manière impropre ou dépassant le cadre des fonctions qui sont dévolues à la Cour par l'article 267 TFUE, il appartient à celle-ci d'extraire de l'ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l'Union qui appellent une interprétation compte tenu de l'objet du litige (voir en ce sens, notamment, arrêts du 29 novembre 1978, Redmond, 83-78, Rec. p. 2347, point 26; du 17 juin 1997, Codiesel, C-105-96, Rec. p. I-3465, point 13, et du 26 mai 2005, António Jorge, C-536-03, Rec. p. I-4463, point 16).
19 Il appartient donc à la Cour, en l'occurrence, de limiter son examen aux dispositions du droit de l'Union en en fournissant une interprétation qui soit utile pour la juridiction de renvoi, à laquelle il revient d'apprécier la conformité des dispositions législatives nationales avec ledit droit (voir par analogie, notamment, arrêt du 31 janvier 2008, Centro Europa 7, C-380-05, Rec. p. I-349, point 51). Dans cette optique, il incombe à la Cour de reformuler la question qui lui est posée (voir par analogie, notamment, arrêt du 23 mars 2006, FCE Bank, C-210-04, Rec. p. I-2803, point 21).
20 À cet égard, dans la mesure où la question posée vise une interprétation de ce qui est qualifié par la juridiction de renvoi de "principes communautaires de concurrence économique et de non-discrimination", il convient, en application de la jurisprudence mentionnée au point 18 du présent arrêt, de comprendre cette question comme portant sur l'interprétation, d'une part, des règles de concurrence figurant dans la troisième partie, titre VI, chapitre 1, du traité, lequel comprend les articles 81 CE à 89 CE, et, d'autre part, de l'article 12 CE, qui interdit dans le domaine de l'application dudit traité, sans préjudice des dispositions particulières que celui-ci prévoit, toute discrimination exercée en raison de la nationalité.
21 Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre la question posée comme demandant si le droit de l'Union, en particulier les articles 12 CE, 43 CE, 48 CE, 49 CE et 56 CE ainsi que 81 CE à 89 CE, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions de droit interne, telles que celles en cause au principal, qui prévoient des distances minimales obligatoires entre les installations routières de distribution de carburants.
Sur la compétence de la Cour et la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
22 Il convient de relever d'emblée qu'il ressort du dossier soumis à la Cour que, comme d'ailleurs la juridiction de renvoi le relève elle-même en substance, tous les éléments du litige au principal sont cantonnés à l'intérieur d'un seul État membre. Dès lors, il y a lieu de vérifier à titre liminaire si la Cour est compétente dans la présente affaire pour se prononcer sur les dispositions du traité énumérées dans la question préjudicielle, à savoir les articles 43 CE, 48 CE, 49 CE et 56 CE (voir, par analogie, arrêt Centro Europa 7, précité, point 64).
23 En effet, une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui est, selon son libellé, indistinctement applicable aux ressortissants italiens et aux ressortissants des autres États membres, n'est, en règle générale, susceptible de relever des dispositions relatives aux libertés fondamentales garanties par le traité que dans la mesure où elle s'applique à des situations ayant un lien avec les échanges entre les États membres (voir arrêts du 5 décembre 2000, Guimont, C-448-98, Rec. p. I-10663, point 21; du 11 septembre 2003, Anomar e.a., C-6-01, Rec. p. I-8621, point 39 et jurisprudence citée, ainsi que Centro Europa 7, précité, point 65).
24 Cependant, il ne saurait nullement être exclu en l'occurrence que des entreprises établies dans des États membres autres que la République italienne aient été ou soient intéressées à commercialiser des carburants dans ce dernier État membre.
25 Par ailleurs, il appartient en principe aux seules juridictions nationales d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une question préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour (arrêt Guimont, précité, point 22). Le rejet par celle-ci d'une demande formée par une juridiction nationale n'est possible que s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit de l'Union n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal (arrêts du 6 juin 2000, Angonese, C-281-98, Rec. p. I-4139, point 18, ainsi que Anomar e.a., précité, point 40).
26 Dans ses observations écrites, le gouvernement italien a fait valoir que, à la suite de l'adoption de l'article 83 bis, paragraphe 17, de la loi n° 133-2008, l'article 13 de la loi régionale n° 8-2001 n'est plus d'application, puisqu'il est incompatible avec ledit article 83 bis, paragraphe 17, lequel relève d'un rang supérieur dans l'ordre juridique interne italien. Il en résulte, selon ce gouvernement, que cet article 13 devrait rester inappliqué dans la procédure administrative relative à la demande d'Attanasio.
27 Dans ces conditions, il pouvait sembler que, tout comme dans l'hypothèse évoquée dans la décision de renvoi et exposée au point 14 du présent arrêt, selon laquelle ledit article 13 est incompatible avec le droit de l'Union, Attanasio était dépourvue d'intérêt à agir dans le litige au principal.
28 C'est la raison pour laquelle, le 17 septembre 2009, la Cour, en application de l'article 104, paragraphe 5, de son règlement de procédure, a demandé à la juridiction de renvoi si, compte tenu notamment des développements figurant dans la décision de renvoi sur l'éventuel défaut d'intérêt à agir d'Attanasio dans l'affaire au principal, les modifications apportées au régime juridique italien pertinent par l'article 83 bis, paragraphes 17 et 18, de la loi n° 133-2008, lu en combinaison avec l'article 1er, paragraphe 2, dernier alinéa, de la loi n° 131, du 5 juin 2003, avaient une incidence sur l'intérêt à obtenir une décision préjudicielle dans la présente affaire. Il convient en effet de rappeler à cet égard que la fonction confiée à la Cour dans le cadre des renvois préjudiciels est de contribuer à l'administration de la justice dans les États membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques (voir en ce sens, notamment, arrêts du 3 février 1983, Robards, 149-82, Rec. p. 171, point 19; du 9 février 1995, Leclerc-Siplec, C-412-93, Rec. p. I-179, point 12, et du 16 juillet 2009, Zuid-Chemie, C-189-08, non encore publié au Recueil, point 36).
29 Par ordonnance du 3 décembre 2009, déposée au greffe de la Cour le 22 janvier 2010, la juridiction de renvoi a confirmé que, en principe, les modifications susmentionnées ont pour conséquence que, notamment, l'article 13 de la loi régionale n° 8-2001 ne peut plus être appliqué. Toutefois, cette juridiction a maintenu sa demande de décision préjudicielle. En effet, la loi n° 133-2008 serait destinée à ne produire des effets qu'à partir de la date de son entrée en vigueur. En outre, la simple possibilité pour Attanasio d'introduire une nouvelle demande d'autorisation conformément à la réglementation italienne modifiée pourrait rencontrer des obstacles non encore identifiables, qui rendent aléatoire la protection du droit substantiel invoqué dans le litige au principal.
30 Dans ces conditions, il n'apparaît pas de manière manifeste que l'interprétation du droit de l'Union sollicitée par la juridiction de renvoi ne serait pas nécessaire à cette dernière pour résoudre le litige dont elle est saisie.
31 Il s'ensuit que la question posée est recevable en ce qu'elle vise les articles 43 CE, 48 CE, 49 CE et 56 CE, lesquels, en prévoyant des règles spécifiques de non-discrimination dans les domaines relevant, respectivement, de la liberté d'établissement, de la libre prestation des services et de la libre circulation des capitaux, constituent l'expression spécifique, dans ces domaines, du principe général d'interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité édicté à l'article 12 CE.
32 En revanche, dans la mesure où la question posée, telle que reformulée au point 21 du présent arrêt, vise une interprétation des articles 81 CE à 89 CE, il convient de rappeler que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l'Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir arrêt Centro Europa 7, précité, point 57 et jurisprudence citée). Ces exigences valent tout particulièrement dans le domaine de la concurrence, qui est caractérisé par des situations de fait et de droit complexes (voir en ce sens, notamment, arrêts du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C-320-90 à C-322-90, Rec. p. I-393, point 7; du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado, C-238-05, Rec. p. I-11125, point 23, ainsi que du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications Belgium e.a., C-250-06, Rec. p. I-11135, point 20).
33 Or, en l'occurrence, la décision de renvoi ne fournit pas à la Cour les éléments de fait et de droit qui lui permettraient de déterminer les conditions dans lesquelles des mesures étatiques telles que celles en cause au principal pourraient relever des dispositions du traité relatives à la concurrence. En particulier, ladite décision ne fournit aucune indication quant aux règles précises de la concurrence dont elle demande l'interprétation ni aucune explication concernant le lien qu'elle établit entre ces règles et le litige au principal ou l'objet de celui-ci.
34 Dans ces conditions, en tant que la question posée peut être interprétée comme visant une interprétation des articles 81 CE à 89 CE, elle doit être déclarée irrecevable.
35 Dès lors, il y a lieu d'examiner la question posée, telle que reformulée au point 21 du présent arrêt, au regard des seuls articles 12 CE, 43 CE, 48 CE, 49 CE et 56 CE.
Sur le fond
36 La réalisation d'installations routières de distribution de carburants relève de la notion d'"établissement" au sens du traité. Cette notion est très large et implique la possibilité pour un ressortissant de l'Union de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d'un État membre autre que son État d'origine et d'en tirer profit (voir en ce sens, notamment, arrêts du 21 juin 1974, Reyners, 2-74, Rec. p. 631, point 21; du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55-94, Rec. p. I-4165, point 25, et du 11 octobre 2007, ELISA, C-451-05, Rec. p. I-8251, point 63).
37 Il y a lieu de rappeler que l'article 12 CE n'a vocation à s'appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l'Union pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination. Or, le principe de non-discrimination a été mis en œuvre, dans le domaine du droit d'établissement, par l'article 43 CE (voir en ce sens, notamment, arrêts du 29 février 1996, Skanavi et Chryssanthakopoulos, C-193-94, Rec. p. I-929, points 20 et 21; du 13 avril 2000, Baars, C-251-98, Rec. p. I-2787, points 23 et 24, ainsi que du 17 janvier 2008, Lammers & Van Cleeff, C-105-07, Rec. p. I-173, point 14).
38 Dès lors, il n'y a pas lieu en l'occurrence de procéder à une interprétation de l'article 12 CE.
39 En outre, en vertu de l'article 50, premier alinéa, CE, les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services ne trouvent application que si celles relatives au droit d'établissement ne s'appliquent pas. Dès lors, l'article 49 CE n'est pas non plus pertinent en l'occurrence. En effet, la réalisation des installations routières de distribution de carburants par les personnes morales au sens de l'article 48 CE implique nécessairement l'accès de ces dernières au territoire de l'État membre d'accueil aux fins d'une participation stable et continue à la vie économique de cet État, notamment au moyen de la création d'agences, de succursales ou de filiales (voir, par analogie, arrêts Gebhard, précité, points 22 à 26, ainsi que du 29 avril 2004, Commission/Portugal, C-171-02, Rec. p. I-5645, points 24 et 25).
40 Par ailleurs, à supposer que la réglementation en cause au principal ait des effets sur la libre circulation des capitaux, il résulte de la jurisprudence que de tels effets seraient la conséquence inéluctable d'une éventuelle entrave à la liberté d'établissement et ne justifieraient pas, dès lors, un examen autonome de ladite réglementation au regard de l'article 56 CE (voir, par analogie, arrêts du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-196-04, Rec. p. I-7995, point 33; du 18 juillet 2007, Oy AA, C-231-05, Rec. p. I-6373, point 24, ainsi que du 26 juin 2008, Burda, C-284-06, Rec. p. I-4571, point 74).
41 Il résulte de ce qui précède qu'il convient de répondre à la question posée, telle que reformulée au point 21 du présent arrêt, à la lumière des seules dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement.
42 La liberté d'établissement, que l'article 43 CE reconnaît aux ressortissants de l'Union et qui comporte pour eux l'accès aux activités non salariées et leur exercice ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l'État membre d'établissement pour ses propres ressortissants, comprend, conformément à l'article 48 CE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union européenne, le droit d'exercer leur activité dans l'État membre concerné par l'intermédiaire d'une filiale, d'une succursale ou d'une agence (voir, notamment, arrêts du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN, C-307-97, Rec. p. I-6161, point 35; Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité, point 41, ainsi que du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation, C-524-04, Rec. p. I-2107, point 36).
43 Selon une jurisprudence constante, l'article 43 CE s'oppose à toute mesure nationale qui, même applicable sans distinction tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice, par les ressortissants de l'Union, de la liberté d'établissement garantie par le traité (voir en ce sens, notamment, arrêts du 31 mars 1993, Kraus, C-19-92, Rec. p. I-1663, point 32; Gebhard, précité, point 37; du 5 octobre 2004, CaixaBank France, C-442-02, Rec. p. I-8961, point 11, ainsi que du 10 mars 2009, Hartlauer, C-169-07, non encore publié au Recueil, point 33 et jurisprudence citée).
44 La Cour a notamment jugé que de tels effets restrictifs peuvent se produire lorsque, en raison d'une réglementation nationale, une société peut être dissuadée de créer des entités subordonnées, telles qu'un établissement stable, dans d'autres États membres et d'exercer ses activités par l'intermédiaire de telles entités (voir en ce sens, notamment, arrêts du 13 décembre 2005, Marks & Spencer, C-446-03, Rec. p. I-10837, points 32 et 33; du 23 février 2006, Keller Holding, C-471-04, Rec. p. I-2107, point 35, ainsi que du 23 février 2008, Deutsche Shell, C-293-06, p. I-1129, point 29).
45 Ainsi, constitue une restriction au sens de l'article 43 CE une réglementation, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l'ouverture de nouvelles installations routières de distribution de carburants au respect de distances minimales par rapport à d'autres installations similaires. En effet, une telle réglementation, qui ne s'applique qu'à de nouvelles installations et non à des installations existant avant l'entrée en vigueur de celle-ci, soumet à des conditions l'accès à l'activité de distribution de carburants et, en favorisant ainsi les opérateurs déjà présents sur le territoire italien, est de nature à décourager, voire à empêcher, l'accès au marché italien des opérateurs provenant d'autres États membres (voir également, par analogie, arrêts CaixaBank France, précité, points 11 à 14, ainsi que du 28 avril 2009, Commission/Italie, C-518-06, non encore publié au Recueil, points 62 à 64 et 70 à 71).
46 Dans ces circonstances, il convient d'examiner dans quelle mesure la restriction en cause au principal peut être admise au titre de l'une des raisons énoncées à l'article 46 CE ou justifiée, conformément à la jurisprudence de la Cour, par des raisons impérieuses d'intérêt général.
47 La juridiction de renvoi a identifié, comme étant pertinents au regard de la réglementation en cause au principal, les objectifs de sécurité routière, de protection de la santé et de l'environnement ainsi que de rationalisation du service rendu aux usagers.
48 Dans ses observations écrites, le gouvernement italien s'est abstenu d'apporter des éléments visant à justifier ladite réglementation, en se bornant, ainsi qu'il ressort du point 26 du présent arrêt, à faire valoir que celle-ci n'est plus d'application.
49 L'article 46, paragraphe 1, CE admet notamment des restrictions à la liberté d'établissement justifiées par des raisons de santé publique (voir, en ce sens, arrêt Hartlauer, précité, point 46).
50 En outre, la jurisprudence de la Cour a identifié un certain nombre de raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de justifier des restrictions à des libertés fondamentales garanties par le traité. Figurent parmi de telles raisons déjà reconnues par la Cour les objectifs de sécurité routière (voir, notamment, arrêts du 5 octobre 1994, van Schaik, C-55-93, Rec. p. I-4837, point 19, ainsi que du 15 mars 2007, Commission/Finlande, C-54-05, Rec. p. I-2473, point 40 et jurisprudence citée), la protection de l'environnement (voir, notamment, arrêts du 20 septembre 1988, Commission/Danemark, 302-86, Rec. p. 4607, point 9, ainsi que du 14 décembre 2004, Radlberger Getränkegesellschaft et S. Spitz, C-309-02, Rec. p. I-11763, point 75) et la protection des consommateurs (voir, notamment, arrêts du 4 décembre 1986, Commission/France, 220-83, Rec. p. 3663, point 20; CaixaBank France, précité, point 21, ainsi que du 29 novembre 2007, Commission/Autriche, C-393-05, Rec. p. I-10195, point 52 et jurisprudence citée).
51 Toutefois, il convient de rappeler que, indépendamment de l'existence d'un objectif légitime au regard du droit de l'Union, la justification d'une restriction aux libertés fondamentales consacrées par le traité suppose que la mesure en cause soit propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et qu'elle n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2002, Oteiza Olazabal, C-100-01, Rec. p. I-10981, point 43; du 16 octobre 2008, Renneberg, C-527-06, p. I-7735, point 81; du 11 juin 2009, X et Passenheim-van Schoot, C-155-08 et C-157-08, non encore publié au Recueil, point 47, ainsi que du 17 novembre 2009, Presidente del Consiglio dei Ministri, C-169-08, non encore publié au Recueil, point 42). En outre, une législation nationale n'est propre à garantir la réalisation de l'objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci de l'atteindre d'une manière cohérente et systématique (voir, notamment, arrêts précités Hartlauer, point 55, et Presidente del Consiglio dei Ministri, point 42).
52 En l'occurrence, en ce qui concerne, en premier lieu, les objectifs de sécurité routière ainsi que de protection de la santé et de l'environnement, la réglementation en cause au principal n'apparaît pas, sous réserve des vérifications à effectuer, le cas échéant, par la juridiction de renvoi, satisfaire aux exigences rappelées au point précédent.
53 En effet, ainsi que la juridiction de renvoi l'a souligné elle-même, ladite réglementation ne s'applique que dans le cas de la réalisation de nouvelles installations. Partant, elle n'est pas applicable aux installations préexistantes, ce qui supposerait, par exemple, que ces dernières soient progressivement déplacées afin de respecter les prescriptions relatives aux distances minimales. Ainsi que ladite juridiction l'a relevé, cette circonstance met en question le caractère cohérent de la réglementation en cause au principal par rapport aux objectifs susmentionnés.
54 En outre, même en admettant que des règles de distances minimales obligatoires entre les installations routières de distribution de carburants soient propres à atteindre les objectifs de sécurité routière ainsi que de protection de la santé et de l'environnement, il résulte des propres constatations de la juridiction de renvoi que ces objectifs sont de nature à être atteints de manière plus adéquate, et cela en tenant compte de la situation précise de chaque installation envisagée, dans le cadre des contrôles que les communes doivent effectuer, en tout état de cause, en cas de demande d'autorisation d'ouverture d'une nouvelle installation de distribution de carburants. Ainsi qu'il ressort du point 4 du présent arrêt, ces contrôles concernent notamment la conformité de cette installation avec les dispositions du plan d'occupation des sols ainsi qu'avec les prescriptions concernant la sécurité sanitaire, environnementale et routière. Dans ces conditions, ainsi que la juridiction de renvoi l'a relevé elle-même, l'introduction de distances minimales apparaît aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis.
55 En ce qui concerne, en second lieu, l'objectif évoqué dans la décision de renvoi consistant en la "rationalisation du service rendu aux usagers", il convient, d'une part, de rappeler que des motifs de nature purement économique ne peuvent constituer des raisons impérieuses d'intérêt général de nature à justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité (voir arrêt du 17 mars 2005, Kranemann, C-109-04, Rec. p. I-2421, point 34 et jurisprudence citée).
56 D'autre part, même à supposer que cet objectif puisse être considéré, en tant qu'il relèverait de la protection des consommateurs, comme constituant une raison impérieuse d'intérêt général et non un motif de nature purement économique, il est difficile de discerner la manière dont une réglementation telle que celle en cause au principal peut être propre à protéger les consommateurs ou à leur procurer des bénéfices. Au contraire, ainsi que la juridiction de renvoi l'a relevé en substance, en entravant l'accès de nouveaux opérateurs sur le marché, une telle réglementation semble plutôt favoriser la position des opérateurs déjà présents sur le territoire italien, sans que les consommateurs en tirent de véritables avantages. En tout état de cause, il apparaît que ladite réglementation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre un éventuel objectif de protection des consommateurs, ce qu'il appartient, en tant que de besoin, à la juridiction de renvoi de vérifier.
57 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 43 CE, lu en combinaison avec l'article 48 CE, doit être interprété en ce sens qu'une réglementation de droit interne, telle que celle en cause au principal, qui prévoit des distances minimales obligatoires entre les installations routières de distribution de carburants constitue une restriction à la liberté d'établissement consacrée par le traité. Dans des circonstances telles que celles du litige au principal, cette restriction ne paraît pas de nature à être justifiée par les objectifs de sécurité routière, de protection de la santé et de l'environnement ainsi que de rationalisation du service rendu aux usagers, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur les dépens
58 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, LA COUR (troisième chambre) dit pour droit:
L'article 43 CE, lu en combinaison avec l'article 48 CE, doit être interprété en ce sens qu'une réglementation de droit interne, telle que celle en cause au principal, qui prévoit des distances minimales obligatoires entre les installations routières de distribution de carburants constitue une restriction à la liberté d'établissement consacrée par le traité CE. Dans des circonstances telles que celles du litige au principal, cette restriction ne paraît pas de nature à être justifiée par les objectifs de sécurité routière, de protection de la santé et de l'environnement ainsi que de rationalisation du service rendu aux usagers, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.