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Décisions

Conseil Conc., 5 mars 1997, n° 97-MC-04

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative aux demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat Européen des Mandataires et Intermédiaires d'Assurances (SEMIA) ainsi que par les Chambres syndicales d'agents généraux d'assurances d'Eure-et-Loir, des Hauts-de-Seine et du Val d'Oise

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Madame Irène Luc, par M. Barbeau, président, M. Cortesse, vice-président, , M. Rocca, membre, désigné en remplacement de M. Jenny, vice-président, empêché.

Conseil Conc. n° 97-MC-04

5 mars 1997

Le Conseil de la concurrence (Commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 20 décembre 1996, sous les numéros F 929 et M.192 par laquelle le Syndicat Européen des Mandataires et Intermédiaires d'Assurances (SEMIA) a saisi le Conseil de la concurrence des dispositions d'un accord qu'il estime anticoncurrentielles et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ; Vu les lettres enregistrées les 8, 16 janvier et 3 février 1997, sous les numéros F 935 et M.195, F 937 et M.196, F 938 et M.197, par lesquelles les Chambres syndicales d'agents généraux d'assurances d'Eure-et-Loir, des Hauts-de-Seine et du Val d'Oise ont saisi le Conseil des mêmes faits ; Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne, modifié et notamment son article 85 ; Vu l'ordonnance n° 861243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 861309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu le Code des assurances et notamment son article L. 520-2 ; Vu les observations présentées par le Commissaire du gouvernement, par le SEMIA et les chambres syndicales ci-dessus citées ; Vu les observations présentées par la FFSA et la FNSAGA ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le Commissaire du gouvernement, les représentants du SEMIA et des chambres syndicales ci-dessus citées, de la FFSA et de la FNSAGA entendus ;

Sur la jonction,

Considérant que les demandes de mesures conservatoires présentées sont relatives au même objet et concernent les mêmes pratiques ; qu'il y a donc lieu de les joindre pour statuer par une même décision ;

Sur la saisine au fond,

Considérant que le Syndicat Européen des Mandataires et Intermédiaires d'Assurances (SEMIA) et les Chambres syndicales d'agents généraux d'assurances d'Eure-et-Loir, des Hauts-de-Seine et du Val d'Oise dénoncent les termes d'un accord conclu le 20 février 1996 entre la Fédération Française des Sociétés d'Assurances (FFSA) et la Fédération Nationale des Agents Généraux d'Assurances (FNSAGA), et ratifié les 4 et 10 avril 1996 par leurs deux assemblées générales, ayant pour objet la définition des règles applicables aux traités de nomination entre les entreprises d'assurances et les agents généraux d'assurances ;

Considérant que les parties saisissantes estiment certaines des stipulations de l'accord du 20 février 1996 contraires aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, aux motifs qu'elles renforcent, pour les agents généraux nommés à compter du 1er janvier 1997, le principe d'"exclusivité de production" qu'ils sont tenus de respecter à l'égard de leur société mandante ; qu'elles font valoir également que ces stipulations limitent l'accès au marché d'autres entreprises, et notamment des entreprises étrangères, et qu'elles constituent une entrave au libre choix des assurés en tendant à favoriser artificiellement la hausse des prix ;

Considérant que le SEMIA et les chambres syndicales demandent, en outre, au Conseil de la concurrence de prendre des mesures conservatoires sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, afin que l'entrée en vigueur de ces dispositions soit suspendue jusqu'à la décision à intervenir au fond ;

Considérant que la FFSA et la FNSAGA exposent que le Conseil de la concurrence ne peut statuer sur la suspension ou l'application du décret n° 96902 du 15 octobre 1996 qui a approuvé le nouveau statut des agents généraux d'assurances, seul le Conseil d'État étant compétent pour en apprécier la validité ;

Mais considérant que si l'article 2 du statut annexé au décret du 15 octobre 1996 a prévu que " les conventions entre les organisations professionnelles des entreprises d'assurances et des agents généraux, (...), définissent pour ce qui les concerne les règles applicables aux traités de nomination conclus entre ces entreprises et les mandataires intéressés ", ces dispositions ne conduisent pas à exclure du champ d'application des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 la convention conclue entre les organisations professionnelles concernées ; que la liberté de négociation reconnue aux organisations professionnelles des entreprises d'assurances et des agents généraux dans ce cadre réglementaire ne les autorise pas en effet pour autant à méconnaître les dispositions d'ordre public contenues dans les articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que par suite, le Conseil de la concurrence est compétent pour statuer sur les pratiques méconnaissant ces dispositions qui résulteraient des stipulations de la convention du 20 février 1996 ;

Considérant que la FFSA soutient que les agents généraux d'assurances, mandataires des sociétés d'assurances, constituent avec ces dernières une seule entité économique et que, par conséquent, l'accord contesté n'entre pas dans le champ d'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais considérant que les agents généraux d'assurances constituent des entités économiques distinctes des sociétés d'assurances et sont en conséquence des entreprises, au regard du droit de la concurrence ; qu'en outre, les dispositions contestées sont contenues dans un accord conclu entre la FNSAGA et la FFSA, et non dans un accord entre un agent général d'assurances et sa société mandante ;

Considérant que les agents généraux d'assurances nommés avant le 1er janvier 1997 sont tenus de réserver à la société qu'ils représentent l'exclusivité de leur production ; que le statut d'ordre public homologué par le décret n° 49317 du 5 mars 1949 leur permet toutefois de déroger au principe de l'exclusivité de production ; qu'aux termes de l'article 3 de ce décret, ils peuvent faire souscrire par d'autres assureurs que leur société mandante les risques non pratiqués ou non souscrits par elle ainsi que les risques résiliés, refusés ou subordonnés à des conditions non acceptées ; qu'ainsi les agents généraux d'assurances peuvent se livrer à ces placements accessoires en qualité de courtier ou intervenir dans le cadre d'un mandat de complément délivré par une autre société d'assurances ;

Considérant que le nouveau statut, approuvé par le décret du 15 octobre 1996, applicable aux agents nommés à compter du 1er janvier 1997, renvoie à des conventions la définition des règles régissant les relations entre l'agent général et sa compagnie ; que d'une part, les dérogations pour le placement des risques non pratiqués ou non souscrits ne figurent plus dans l'accord conclu le 20 février 1996 précisant les droits et devoirs réciproques des parties et que, d'autre part, aux termes de cet accord, les dérogations pour le placement des risques résiliés ou refusés ne constituent plus qu'une éventualité dont la mise en œuvre est subordonnée à la conclusion d'accords d'entreprises ;

Considérant que, au stade actuel de la procédure, et sous réserve de l'instruction de l'affaire au fond, il ne peut être exclu que les stipulations incriminées de l'accord du 20 février 1996 et leur mise en œuvre puissent entrer dans le champ d'application de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et du paragraphe 1 de l'article 85 du traité instituant la Communauté européenne ;

Considérant que la FFSA et la FNSAGA invoquent en outre le bénéfice des dispositions de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais considérant que l'examen des conditions d'exemption prévues par cet article, qui suppose préalablement établie l'existence de pratiques anticoncurrentielles qualifiées par application des dispositions des articles 7 ou 8 de l'ordonnance de 1986, relève d'une instruction au fond et ne saurait être entrepris dans le cadre d'une demande de mesures conservatoires fondée sur les dispositions de l'article 12 de ce même texte ;

Sur la demande de mesures conservatoires,

Considérant qu'en vertu de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil de la concurrence ne peut prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ;

Considérant qu'en l'espèce les dispositions contestées ne sont susceptibles de s'appliquer qu'à une faible part de l'activité des seuls agents nommés à compter du 1er janvier 1997 en application du nouveau statut, d'autant que les accords d'entreprise appliquant le nouveau statut ne sont pas tous encore conclus ; que les parties saisissantes n'ont pas apporté d'éléments permettant d'établir que leur mise en œuvre constitue une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à ceux des entreprises concernées ;

Considérant que, dans ces conditions, les demandes de mesures conservatoires ne peuvent qu'être rejetées,

Décide :

Article unique : Les demandes de mesures conservatoires enregistrées sous les numéros M.192, M.195, M.196 et M.197 sont rejetées.