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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 janvier 2010, n° 07-12697

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Offret

Défendeur :

Poltronesofa France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Deurbergue

Conseillers :

Mmes Le Bail, Mouillard

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Gaultier-Kistner

Avocats :

Mes Chappel, Puget

T. com. Paris, du 14 mars 2007

14 mars 2007

Vu l'appel interjeté par Mme Marie-Pierre Busson épouse Offret, du jugement prononcé le 14 mars 2007 par le Tribunal de commerce de Paris qui a condamné la société Poltronesofa à lui payer la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts et 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile mais l'a déboutée de ses autres demandes;

Vu les conclusions signifiées le 12 août 2009 par Mme Marie-Pierre Busson épouse Offret, qui demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a dit régulièrement formé entre les parties le contrat de franchise signé le 15 mars 2005, mais de l'infirmer sur le montant de l'indemnisation, et de condamner la société Poltronesofa à lui payer la somme de 525 435 euro titre de dommages et intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2005, date de l'assignation, avec capitalisation, et 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Vu les conclusions signifiées le 16 septembre 2009 par la société Poltronesofa France SAS, qui demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter Mme Offret de toutes ses demandes, et de la condamner au paiement de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Sur ce :

Considérant que Mme Offret, ayant le projet d'ouvrir un magasin franchisé sous l'enseigne Poltronesofa à Lorient (Morbihan), a pris contact avec cette société, qui lui a remis les informations précontractuelles prévues par l'article L. 3[3]0-3 du Code de commerce ; que ce document prévoyant notamment que si le système proposé lui agrée, le franchisé recherchera un local en centre-ville, Mme Offret a trouvé un local commercial et signé un bail sous conditions suspensives, notamment de l'accord écrit de l'enseigne Poltronesofa;

Considérant que, le 15 mars 2005, un contrat de franchise a été régularisé, pour une ouverture prévue en octobre/novembre 2005;

Considérant que Poltronesofa, d'abord oralement, puis par écrit, a toutefois rapidement fait savoir à Mme Offret qu'elle n'entendait pas poursuivre l'exécution de ce contrat, faisant valoir qu'il avait été conclu de manière précipitée, alors qu'un certain nombre de conditions nécessaires n'étaient pas réunies ; que Mme Offret a contesté cette remise en cause de la convention signée, et demandé à en poursuivre l'exécution;

Considérant que, sans réponse de la société Poltronesofa, Mme Offret a saisi le Tribunal de commerce de Paris, par assignation du 30 septembre 2005, afin d'obtenir la résolution du contrat aux torts de Poltronesofa, à effet du 08/04/2005, et la condamnation de cette société à lui payer 511 935 euro à titre de dommages et intérêts avec les intérêts au taux légal, et 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

Considérant que la société Poltronesofa s'est opposée à la demande en soutenant que la convention signée par M. Ahouzi lui était inopposable, celui-ci n'ayant pas reçu mandat pour la signer; qu'en outre, les conditions posées pour la mise en œuvre du contrat n'étaient pas réunies, notamment l'agrément de l'architecte de la société, et la production d'une caution;

Considérant que Mme Offret poursuit la réformation du jugement en ce qu'il a limité la réparation de son préjudice à 3 000 euro que la société Poltronesofa forme appel incident et sollicite l'infirmation pure et simple du jugement;

Sur l'opposabilité du contrat à Poltronesofa :

Considérant que la société Poltronesofa reprend les arguments qu'elle avait développés devant le tribunal pour soutenir que le contrat dont se prévaut Mme Offret lui est inopposable, qu'elle n'articule toutefois aucun moyen, ne produit aucune pièce susceptible de remettre en cause la décision des premiers juges qui ont pertinemment relevé que:

- pendant la période écoulée entre les premiers contacts et la signature de la convention, soit plus de neuf mois, les pourparlers ont été menés par M. Ahouzi, directeur commercial de Poltronesofa, sans que, jamais, ses pouvoirs ne soient mis en question, et qu'un directeur commercial qui discute pendant neuf mois avec un client potentiel acquiert une légitimité qui dispense les parties de prouver la réalité de ses pouvoirs au moment de la signature du contrat,

- le non suivi de la procédure d'agrément ne saurait être admis comme motif d'inopposabilité, la procédure d'agrément étant quelque chose d'interne à la société ; qu'en outre, la visite de l'architecte avait été annulée par M. Ahouzi, au dernier moment, et non par Mme Offret,

- en ce qui concerne la caution, l'article 9.6 du contrat précise que celle-ci, remise le jour de la signature du contrat, sera fonction de la valeur de la collection initiale et de l'en-cours moyen, et qu'il n'a été produit aucun document relatif à une quelconque collection initiale;

Que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que le contrat de franchise signé le 15 mars 2005 a été régulièrement formé;

Sur le préjudice :

Considérant que Mme Offret critique le jugement en ce qu'il a estimé qu'elle ne démontrait pas avoir subi un préjudice supérieur à 3 000 euro dans la mesure où:

- la lettre que Poltronesofa lui avait adressée le 8 avril 2005 ouvrait très largement la porte à une renégociation du contrat, et qu'elle avait pourtant refusé de discuter ; que ce peu d'empressement à négocier ne rend pas crédible les sommes demandées au titre d'une perte de chance, qui sont " conséquentes ", puisque, sur la durée du contrat, soit six années, elles s'élèvent à plus de 500 000 euro ;

- il n'est justifié d'aucun commencement d'exécution du contrat, pas même de la création d'une société destinée à l'activité professionnelle;

Considérant que Mme Offret fait valoir que son droit à réparation est incontestable et que les premiers juges n'ont pas tiré toutes les conséquences de leurs propres constatations; qu'en effet, sa position était d'autant plus légitime que Poltronesofa s'était comportée avec mauvaise foi et déloyauté ; que le comportement fautif de cette société lui a fait perdre la chance de percevoir les fruits de l'exploitation contractuellement prévue pour une durée de six ans ; que les prévisionnels établi par la société Poltronesofa elle-même, en fonction des éléments objectifs, et de l'expérience de son réseau, permettent d'affirmer qu'elle aurait pu faire sur cette période un bénéfice de 347 935 euro ; que les comptes de résultats prévisionnels fournis par Poltronesofa intègrent, outre le bénéfice d'exploitation, un poste " dédié " à la rémunération mensuelle de l'exploitant, à hauteur de 2 000 euro net, qu'elle a donc été privée de la chance de percevoir, sur la durée de la convention, un montant de 144 000 euro ; que, dans la perspective de financer les investissements projetés, elle a réalisé le bien immobilier constituant son domicile, situé 8, résidence Croas Madec 29800 Saint Urbain, et vit désormais en location, tout en étant privée de la conservation de son bien, dont elle aurait pu tirer un revenu locatif; qu'à ce titre, au regard de la valeur locative de 840 euro par mois du bien vendu, son préjudice subi peu être évalué à 15 000 euro ; qu'elle n'a pu récupérer la caution de 12 000 euro versée au propriétaire du local commercial pour lequel elle avait signé un bail, et a en outre été condamnée, par le Tribunal de grande instance de Lorient, à payer 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à sa bailleresse ; qu'elle réclame en conséquence une indemnité de 525 435 euro avec les intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2005 et capitalisation;

Considérant que si Mme Offret a refusé de renégocier le contrat de franchise signé le 15 mars 2005, ce refus ne saurait lui être imputé à faute, compte tenu de la mauvaise foi manifestée par Poltronesofa qui a remis en cause ses engagements sans motif légitime;

Considérant que Mme Offret a subi, en raison du défaut d'exécution du contrat par Poltronesofa, un préjudice qui a été sous-estimé par les premiers juges;

Considérant, qu'en effet, Mme Offret a subi la perte d'une chance de réaliser, en exploitant une franchise Poltronesofa, un bénéfice, selon le dossier prévisionnel réalisé avec l'aide franchiseur, de 23 077 euro la première année, 35 934 euro la deuxième année et 47 508 euro la troisième année, étant observé que ce compte prévoit, en charges, la rémunération d'un vendeur et de la gérante; qu'il ne s'agit toutefois que de la perte d'une chance, que Mme Offret ne saurait donc réclamer à ce titre la somme exacte résultant de l'addition de ces prévisions et des extrapolations qu'elle fait sur les exercices suivants, d'autant qu'en raison des aléas que présente toute exploitation commerciale, rien ne permet d'affirmer que si le contrat avait effectivement pris effet à la date indiquée, elle aurait atteint les chiffres d'affaires mentionnés;

Considérant que, s'agissant de la vente de leur maison par les époux Offret afin de financer les investissements projetés, le tribunal a relevé à bon droit que l'acte avait été signé chez le notaire le 10 août 2004, et que compte tenu des délais pour trouver l'acheteur et les délais incompressibles liés à l'instruction du dossier chez le notaire, la décision de vendre avait été prise par les époux Offret avant ou, tout au plus, en même temps que le début des premières négociations qui se sont situées au milieu du mois de juin 2004, qu'elle ne résultait donc pas directement de la conclusion du contrat ou même de sa négociation ; que toutefois, ces opérations sont liées, même si les époux Offret ont agi prématurément;

Considérant enfin, qu'il résulte du jugement rendu le 2 avril 2008 par le Tribunal de grande instance de Lorient dans le litige opposant Mme Offret à la SCI Ty Foch et à la société Poltronesofa, que le refus opposé par cette société à l'exécution du contrat de franchise se trouve directement à l'origine, pour Mme Offret, d'une perte de 12 000 euro, et de la condamnation de celle-ci au paiement de frais de procédure;

Considérant qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments, le préjudice subi par Mme Offret sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 80 000 euro ; que cette somme sera majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation, soit le 30 septembre 2005, avec capitalisation dans les termes de l'article 1154 du Code civil;

Considérant qu'il est inéquitable de laisser à la charge de Mme Offret l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer; qu'il lui sera en conséquence alloué, en appel, une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la société Poltronesofa sera déboutée de sa demande à ce titre;

Considérant que la société Poltronesofa qui succombe en toutes ses prétentions, supportera les dépens de première instance et d'appel;

Par ces motifs, Déclare recevables les appels principal et incident, Confirme le jugement, sauf sur le montant de l'indemnité allouée à Mme Offret à titre de dommages et intérêts, Le réformant sur ce seul point et statuant à nouveau, Condamne la société Poltronesofa à payer à Mme Offret : la somme de 80 000 euro à titre de dommages et intérêts, avec les intérêts au taux légal, qui se capitaliseront dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil, - La somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs autres demandes contraires aux motifs ci-dessus, y compris au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Poltronesofa aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions l'article 699 du Code de procédure civile.